13 MARS 1688 - 3 JUIN 1689

Page de la Gazette

Gazette N° 11. De Paris, le 13 mars 1688 (p. 132).

Le 7, deux princes de Macassar, mahométans, arrivés de Siam en France depuis quelque temps, et que le roi avait mis pensionnaires chez les jésuites, furent baptisés dans l'église de leur maison professe par l'évêque du Mans, Premier aumônier de Monsieur, en présence du sieur Hameau, curé de Saint-Paul, revêtu de surplis et étole (1). Ils étaient accompagnés d'un grand nombre d'enfants de la première qualité, tous pensionnaires des jésuites dans le collège de Louis-le-Grand. L'aîné de ces deux princes, qui sont frères, fut nommé Louis par le marquis de la Sale, pour le roi, et par la marquise de Belfond, pour Mme la Dauphine. Le cadet fut nommé Louis Dauphin par le comte de Matignon, au nom de Mgr le Dauphin, et par la comtesse de Maré, au nom de Madame.

Mercure Galant - Mars 1688, pp. 239 et suiv.

Je vous ai appris il y a quelques mois l'arrivée des deux princes de Macassar en France, et je vous fis un détail de ce qui avait obligé le roi de Siam chez qui ils étaient à les envoyer en cette Cour (2) . L'aîné, qui est âgé de quinze ans, s'appelle Daen Bourou, et l'autre qui n'en a que treize, s'appelle Daen Troulolo. Ils sont nés mahométans, et fils de Daen Maallé, frère du feu roi de Macassar. Ce prince, dès son plus jeune âge, eut part au gouvernement de l'État, et soit que son humeur guerrière et entreprenante fît appréhender au roi son frère qu'il ne cherchait à le mettre hors du trône, soit qu'il prêtât trop facilement l'oreille aux rapports de ceux que des intérêts particuliers portaient à vouloir sa perte, il commença à le regarder comme ennemi, et prit le dessein de s'en défaire. Ce complot ne put être si secret que Daen Maallé n'en fût averti. La conspiration étant sur le point d'être exécutée, ce malheureux prince fut obligé d'user d'adresse et de diligence pour sauver sa vie. Comme la ville de Macassar n'est pas fort éloignée de la mer, il fit équiper une grande chaloupe, et sortit le soir du palais chargé d'or et de ce qu'il trouva de plus précieux. Il était seulement accompagné de deux de ses plus fidèles serviteurs, dont l'un portait son sabre et l'autre son bouclier. Il s'embarqua la nuit, et se rendit en peu d'heures à l'île de Java auprès d'un petit prince souverain, son allié. Il en fut reçu très favorablement, y demeura environ trois ans, et même s'y maria. Il prit pour femme Anec Sapiha, fille d'un des principaux seigneurs de l'île, qui était mahométan comme lui, et c'est d'elle qu'il a eu les deux jeunes princes dont je vous ai parlé.

La nouvelle de sa fuite hors de son pays étant venue jusqu'au roi de Siam, parce que les canots de ce prince allaient trafiquer souvent à Java, il n'eût pas été plutôt informé de la valeur et des autres grandes qualités de Daen Maallé, qu'il voulut l'attirer dans ses États. Il lui envoya un de ses meilleurs canots et lui écrivit d'une manière si obligeante, que ce prince accepta l'offre qui lui était faite. Il arriva en quinze ou vingt jours à Siam, où le roi le reçut avec toute l'amitié et toute l'estime qu'il pouvait attendre. Il lui donna le titre de Doia Pacdy, ou Grand trésorier de la Couronne (3), et une pension considérable avec un village et ses dépendances. Il y a vécu environ vingt ans avec honneur, aimé du roi, et fort estimé du peuple, mais enfin, ayant oublié ce qu'il devait à son bienfaiteur, le zèle de la religion mahométane le fit conspirer contre le roi de Siam, et il fut tué dans cette conspiration, dont je vous ai donné le détail dans ma lettre d'octobre dernier. Daen Bourou et Daen Troulolo, ses fils, étant arrivés en France, Sa Majesté qui connaît le talent et le zèle qu'ont les jésuites pour l'instruction de la jeunesse, tant pour ce qui regarde le culte de Dieu que pour les Lettres, les mit pensionnaires chez eux afin qu'ils eussent soin de leur éducation, et ils y ont si bien réussi, surtout à l'égard de la religion catholique, que leur en ayant enseigné les vérités, ils les ont mis en état de recevoir le baptême. La cérémonie s'en fit le 7 de ce mois dans leur Maison professe, par Mgr l'évêque du Mans, premier aumônier de Monsieur, en présence de M. Hameau, curé de Saint-Paul, qui était en surplis et en étole. Un fort grand nombre de jeunes gens de la première qualité, dont le collège de Louis-le-Grand est rempli, et qui y sont en pension, les accompagnèrent. Le roi fut parrain de l'aîné de ces deux frères, et Mme la Dauphine en fut la marraine. Il fut nommé Louis par M. le marquis de la Sale pour le roi, et par Mme la marquise de Bellefond pour Mme la Dauphine, et le cadet fut nommé Louis Dauphin par M. le comte de Matignon, au nom de Mgr le Dauphin, et par Mme la comtesse de Maré, au nom de Madame.

Je vous ai trop souvent parlé de Siam pour ne pas vous dire à l'occasion de ces deux princes qui en viennent, que le sieur Barbin débite depuis peu un livre qui traite de ce royaume. Il a pour titre Histoire naturelle et politique du royaume de Siam et contient la situation et la nature du pays, les mœurs, les lois, les coutumes et la religion des habitants, avec tout ce qui regarde le roi qui règne à présent, et ce qu'il y a de plus particulier dans la Cour de ce Royaume (4). Je laisse à MM. du Journal des savants à vous en parler d'une manière plus ample. Le peu que je vous en dis suffit pour vous faire voir qu'on a approfondi la matière, et que tout ce qui a été écrit de cet État ayant plu en France, on n'en veut rien laisser ignorer.

Gazette N° 32. De Paris, le 31 juillet 1688 (p. 383-384).

On écrit de Brest que l'Oiseau, vaisseau du roi, commandé par le sieur Duquesne-Guiton, y était arrivé de Siam le 19 de ce mois, après une heureuse navigation, en étant parti le 2 mars 1687, et que les autres vaisseaux sur lesquels viennent des mandarins siamois, ayant passé le cap de Bonne-Espérance, étaient attendus dans peu de jours.

Mercure Galant - Juillet 1688, pp. 332 et suiv.

En attendant un plus grand détail des affaires de Siam, je vais vous faire part de celles qui ont été apportées par M. Céberet, qui arriva ici dans le même temps que je finis ma lettre (5). Il partit de Louvo, lieu de plaisance du roi de Siam, le 12 décembre de l'année dernière, et arriva par terre au port et ville de Mergui, à la côte de Ténassérim, vers celle de la mer indienne, au-dessus de Malacca, où il conduisit M. du Bruant, avec 120 soldats français, pour prendre possession de cette place au nom du roi très chrétien, auquel le roi de Siam l'a déposée avec Bangkok pour sûreté de l'alliance des deux rois. M. Céberet s'embarqua à la côte Mergui, dans un vaisseau de la Compagnie (6), et passa à la côte de Bengale, où s'était rendu M. Duquesne-Guiton, capitaine commandant du vaisseau l'Oiseau, selon l'ordre qu'il avait reçu de l'y venir trouver pour aller de là, en s'en retournant en France, visiter les établissements et comptoirs de la Compagnie des les côtes des Indes orientales. M. Deslandes-Boureau, qui était venu à Siam de Pondichéry où il était directeur, s'embarqua dans ce même vaisseau pour accompagner M. Céberet. M. Duquesne mit à la voile le 15 ou le 16 de ce même mois, et étant parti de Siam, il passa par la côte de Malacca, et fit route vers Mergui, peu éloigné de Ténassérim, ayant laissé M. de Vaudricourt, général de la flotte du roi, en état de mettre aussi à la voile pour le retour avec M. de La Loubère, envoyé de France, le père Tachard, supérieur des jésuites qui devaient demeurer tant à Siam qu'à Louvo, et douze mandarins siamois que le roi envoie en France avec quantité de présents et de marchandises. On a laissé la flûte la Normande pour la sûreté de l'établissement des Français en ce royaume-là, et on attend les trois autres vaisseaux. M. Céberet a eu nouvelles pendant la route qu'un de ces vaisseaux qui s'était séparé de la flotte attendait les deux autres au cap de Bonne-Espérance. M. Desfarges a pris possession de la ville de Bangkok et l'a fortifiée à la française. M. Constance Phaulkon, ministre et favori de Siam, s'est associé pour 100 000 écus dans la Compagnie française des Indes (7). Le père Rochet, lyonnais, et qui a été professeur de mathématiques à Toulon dans les écoles royales, est mort à Siam (8), aussi bien qu'un ingénieur fort habile que M. de Seignelay y avait envoyé et un lieutenant d'une des compagnies d'infanterie (9). Le père Tachard, qui est avec M. de Vaudricourt et M. de La Loubère, est chargé des lettres des Français et de celles des pères de la Compagnie. On les lui a mises entre les mains à cause que M. Céberet, qui avait pris une route différente, et qui devait être plus longue, croyait que la flotte le devancerait, mais elle est partie plus tard qu'il ne l'avait cru, et d'ailleurs son séjour dans les côtes de Malabar et de Coromandel a été moins long qu'il n'y avait apparence qu'il serait, à cause qu'il a trouvé le roi de Golconde prisonnier et ses États envahis par le Moghol, ce qui l'a fait revenir plus tôt.

Gazette N° 56. De Rome, le 7 décembre 1688 (p. 700).

Le même jour, [30 novembre 1688] le père Tachard, jésuite français, eut audience du pape, à laquelle il conduisit des Siamois qui venaient de France, et qui avaient des lettres du roi de Siam pour Sa Sainteté.

Gazette N° 3. De Rome, le 28 décembre 1688 (p. 29-30).

Les Siamois arrivés ici de France eurent le 23 audience du pape, en présence de huit cardinaux de la Congrégation de Propaganda fide. Ils furent reçus et conduits par le sieur Cibo, secrétaire de la même Congrégation. L'un des mandarins marchait à la tête, portant une cassette d'or où était leur lettre de créance écrite sur une feuille d'or battu, avec des titres magnifiques pour le pape. Un autre suivait, tenant une petite cassette de filigrane d'or contenant plusieurs ouvrages du pays, et un troisième portait un coffret d'or, avec des porcelaines et d'autres présents que le roi de Siam a envoyés au pape, et qui sont estimés 6 000;écus. Le père Tachard, jésuite, qui les avait amenés, fit un beau discours en italien. Le premier mandarin en fit un en français, et Sa Sainteté y répondit avec des témoignages d'une grande satisfaction. Ils sont logés au Noviciat des jésuites et défrayés aux dépens de la Chambre.

Gazette N° 5. De Rome, le 11 janvier 1689 (p. 53).

Les mandarins siamois prirent congé du pape le 5, et Sa Sainteté les régala de quantité de médailles d'or et d'argent, d'un portrait du pape dans une boîte enrichie de pierreries, d'une grande lunette d'approche et d'autres présents pour le roi de Siam, et pour le sieur Constance, son premier ministre, estimés quatre mille écus. Le pape donna aussi un corps saint au père Tachard, jésuite, qui les conduit. Le 7, ils allèrent à Civitavecchia, s'embarquer sur deux vaisseaux pour retourner en France.

Mercure Galant - Mars 1689, pp. 99 et suiv.

Les quatre volumes que je vous ai envoyés depuis deux ans du voyage que les ambassadeurs de Siam ont fait en France vous ont amplement instruite de ce qui regarde cette nation. Ces ambassadeurs étant retournés auprès du roi leur maître, lui firent connaître la grandeur du roi, et ce monarque fut si fort touché des honneurs que Sa Majesté leur avait fait rendre depuis qu'ils étaient entrés dans ses États, qu'il résolut de recevoir des troupes françaises dans les meilleures de ses places, et ne songea plus qu'à entretenir une alliance dont il espérait beaucoup d'utilité et d'appui. Comme il venait d'envoyer une ambassade des plus solennelles, il crut ne devoir faire partir que des envoyés par les vaisseaux qui avaient ramené ses ambassadeurs jusqu'à Siam, mais il les chargea de présents pour toute la Maison royale. Ces envoyés venaient aussi en France pour faire avancer quantité d'ouvrages pour Sa Majesté siamoise, que ses ambassadeurs y avaient fait commencer pendant leur séjour. C'est pour cela qu'un nommé Racan (10), l'un des mandarins qui les avaient accompagnés, a été choisi pour le second envoyé. Ils ont amené avec eux quelques Tonkinois, et comme il leur était aussi ordonné d'aller à Rome et de revenir ensuite à Paris, ils y ont été conduits par le père Tachard, jésuite, qui a fait deux fois le voyage de Siam (11). Celui de Paris à Rome ne regardant point Sa Majesté, et n'étant qu'une commission particulière dont ils se sont acquittés, je vous dirai seulement que le 26 novembre dernier, ils arrivèrent à Cannes, à deux lieues de Grace, et s'y embarquèrent sur deux felouques qui les portèrent le lendemain à Villefranche, petit ville de Piémont, de la dépendance du duc de Savoie. Ils allèrent de là à Monaco, place très forte par sa situation escarpée de toutes parts. Elle n'est accessible que du côté du port où l'on a pratiqué un chemin dans la montagne, qui est même fort difficile à monter. Il n'y a rien de remarquable dans l'enceinte que le palais du prince qui est fort considérable par la beauté de ses meubles. La garnison est de 600 hommes français, qui sont à la solde de Sa Majesté. Il y a de plus une compagnie de Cent-Suisses qui compose la garde du prince.

La côte depuis Monaco jusqu'à San Remo paraît inculte et assez déserte. La première ville qu'ils y virent fut Menton, à quatre milles de Monaco. C'est la dernière de la dépendance de ce prince. Ils virent ensuite Vintimille, ville appartenant au prince qui porte ce nom. Elle est sur le penchant d'une colline, et leur parut assez belle par le grand nombre de maisons qu'ils découvrirent. Ses murailles sont de pierre de taille, avec des bastions de distance en distance. La forteresse est sur le haut de la montagne et commande la ville. Après qu'ils eurent doublé de cap de San Remo, ils entrèrent dans le port. Cette ville est fort agréable et ornée de plusieurs palais, de très belles maisons. Ils passèrent à Oneil, qui est de la dépendance du duc de Savoie, et allèrent coucher à Arais, petite ville de la république de Gênes, et fort peu considérable. Ils en partirent le lendemain au matin, et sur les huit heures ils entendirent un bruit sourd, comme celui d'une armée navale qui se serait battue à trois ou quatre lieues de là. On leur dit que ce bruit venait des flots de la mer, qui entrait avec impétuosité dans les cavernes affreuses du cap de Final qui est entièrement creux. Ils y passèrent à la portée du pistolet, et virent la ville qui lui a donné son nom. On ne découvre que deux forteresses, l'une sur le haut, et l'autre sur le penchant d'une montagne qui couvre la ville. Il y a seulement sur la plage près de cent maisons assez belles, et entre autres un arc de triomphe qu'on dit avoir été élevé pour faire honneur à l'impératrice, quand elle y passa en prenant la route de Vienne.

Le 30, les mandarins arrivèrent à Noly, de là à Savone, l'une et l'autre de la dépendance de Gênes. Il y a un évêque à Noly. L'église est petite, mais fort belle et bien ornée. Le 2 décembre, ils entrèrent dans le port de Gênes, d'où étant partis deux jours après, la mer fut si grosse qu'elle les obligea de relâcher à Camoglio, petit bourg à demi-lieue de là, où il y a seulement un port pour les barques. Ils eurent beaucoup de peine à y entrer, et le vent contraire n'ayant point cessé pendant huit jours, le père Tachard écrivit au consul de la nation française à Gênes, le priant de leur vouloir fournir des voitures pour faire le reste du voyage par terre. On leur envoya douze chevaux, et trois mulets pour leurs hardes, mais les chemins se trouvèrent si peu praticables qu'ils furent contraints de reprendre deux felouques à Rapaolo, qui n'est éloigné de Camoglio que de deux lieues. Enfin ils arrivèrent à Livourne, qui est une place très bien située. Elle est de la dépendance du grand duc de Toscane, et a un bon port et une très belle rade. Les maisons en sont bien bâties et les rues fort larges. Sa situation au milieu de l'Italie la rend extrêmement riche par la commodité du commerce. Toutes les nations de l'Europe y ont chacune leur consul particulier. Elle est peuplée d'étrangers, et surtout de Français, qui sont, à ce qu'on assure, plus de la quatrième partie de ses habitants. Il y a une citadelle à l'entrée du port. Le grand duc y entretient 600 hommes de garnison, et 400 à 500 dans la ville. On voit sur le port une statue de marbre blanc du prince Ferdinand, grand duc de Toscane, élevée sur un piédestal de même matière de dix ou douze pieds de haut. Elle est debout avec quatre esclaves de bronze assis sur les quatre coins du piédestal, les mains liées derrière le dos par une chaîne qui descend des pieds du prince (12).

Ils partirent de Livourne le 16 décembre, et arrivèrent ce même jour à Piombino. C'est un château assez mal en ordre, situé sur une montagne au bas de laquelle est un grand bourg avec un petit port pour les barques. Ils se rendirent de là à Porto Hercole, éloigné de Piombino de 70 milles. Ce poste, qui appartient au roi d'Espagne, est extrêmement fortifié. On y voit trois bonne forteresses sur trois montagnes qui environnent la ville. Elle est située au bas sur le port. Les barques et les petits vaisseaux y sont en sûreté, mais les gros ont peine à y demeurer. Toute la côte depuis Livourne jusqu'à Civitavecchia paraît inculte et déserte, et l'on dit même que l'air y est fort malsain. On y voit pourtant quelques villages dispersés dans la campagne et sur les collines avec des tours d'espace en espace sur le rivage, afin que le plat pays et les felouques qui sont en mer soient averties le jour par un coup de canon, et la nuit par des feux, que l'on découvre un corsaire sur les côté.

Le 18, le père Tachard ayant remis les mandarins entre les mains du consul de France à Civitavecchia, partit dans une calèche pour se rendre à Rome. Civitavecchia est une ville qui dépend du pape. Le port est assez grand et commode, et les gros vaisseaux y peuvent entrer. Entre les deux corps de garde qu'il faut passer avant qu'on entre en la ville, il y a un bassin où sont cinq galère de Sa Sainteté. Sitôt qu'on fut averti par l'arrivée du père Tachard que les mandarins venaient par mer, on dépêcha messager sur messager pour en avoir des nouvelles, mais on n'apprit que le 21 qu'ils étaient à trois milles de Rome. Aussitôt, M. Cibo envoya deux carrosses de la part du pape pour les recevoir. M. le cardinal d'Estrée en envoya aussi un, et il y en eut encore quelques autres. Ils furent reçus par un gentilhomme de Sa Sainteté, qui les conduisit ainsi jusqu'au logis qu'on leur avait préparé. Ils furent traités avec beaucoup de magnificence, et servis à table par les premiers officiers de M. le cardinal Cibo, ce qui a toujours continué jusqu'à leur départ. Il y avait son maître d'hôtel, son écuyer tranchant, qui coupait les viandes et les partageait, six gentilshommes et plus de quinze domestiques, les uns pour la table et le autres pour préparer tout. Le bruit s'étant répandu dans toute la ville que l'un d'eux était fils du roi de Siam, et les autres des premiers seigneurs de sa Cour, et qu'ils venaient pour se faire baptiser par le Saint Père, il n'y eut personne qui n'accourût pour les voir. La foule fut telle qu'on fut obligé de demander des Suisses pour empêcher la confusion. L'audience leur ayant été promise pour le 23, à deux heures après midi, on demeura d'accord des honneurs que l'on rendrait à la lettre du roi de Siam et à celui qui la porterait. Ce jour-là, le secrétaire de M. le cardinal Cibo vint les prendre avec deux carrosses, dont l'un était tout garni de rubans noirs. M. le marquis de Lavardin, ambassadeur de France, leur en envoya un autre rempli de gentilshommes français qui se trouvèrent toujours au-devant d'eux en entrant et en sortant. Les mandarins étaient habillés de drap avec un galon d'or large de trois doigts sur les coutures et au bas du justaucorps. Ils portaient sur la tête un bonnet en pyramide fait de mousseline très fine, avec un cercle d'or tout autour. Il était aussi large de trois doigts, et retenu par un cordon d'or attaché sous le menton. Le père Tachard entra le premier dans le carrosse, et les mandarins ensuite. Le premier portait une cassette de verni, garnie de plaques d'argent, dans laquelle était la lettre du roi. Le second tenait un coffret de filigrane d'or pesant environ quinze livres. C'était le présent de Sa Majesté siamoise. Le troisième portait une autre boîte d'argent, ouvrage du Japon, avec un grand bassin de filigrane aussi d'argent, le tout pesant environ vingt livres. Ils furent ainsi conduits au palais, au milieu presque de tous les habitants de Rome de toutes sortes de conditions. Ils entrèrent par la grande porte du palais, où ils trouvèrent les Suisses de Sa Sainteté rangés en haie jusqu'au pied d'un grand escalier. Ils y descendirent de carrosses, et furent reçus par M. Cibo, frère du cardinal de ce nom, qui était suivi du capitaine des Suisses. Ils trouvèrent dans la première salle les domestiques de Sa Sainteté, qui s'étaient placés des deux côtés, et dans la seconde étaient ses gardes, tous bottés et le pistolet à la main, dont ils firent une décharge pour les saluer. Ensuite, ils entrèrent dans l'antichambre, où tous les premiers officiers du pape les reçurent. On fit avertir Sa Sainteté qu'ils étaient venus, et un moment après ils furent introduits dans la salle d'audience. Le Saint Père était assis dans sa chaise, accompagné de huit cardinaux, savoir MMgrs Ottoboni, Chigi, Barberino, Azzolino, Altieri, D'Estrée, Colomna et Casanate. On mit les présents sur une petite table, et ensuite le père Tachard, en qualité d'envoyé, ayant fait les trois génuflexions ordinaires au milieu des deux maîtres des cérémonies, baisa les pieds de Sa Sainteté, et s'étant retiré à côté, il commença sa harangue à genoux en disant, Beatissimo Padre. Le pape, qui voulut lui faire honneur, le fit lever et ce père continua de lui parler en italien. Voici une traduction fidèle de son discours :

Très Saint Père,

Les bénédictions très particulières que la providence divine répand sur son Église avec tant de profusion ne nous permettent pas de douter que Dieu n'ait choisi Votre Sainteté dans ces derniers siècles pour réunir tout l'univers dans son bercail. Nous voyons sous ce saint pontificat les hérétiques les plus opiniâtres chassés ou convertis, les royaumes qui s'étaient séparés avec tant de scandale réunis à l'Église, et soumis à son autorité, les ennemis les plus redoutables du nom chrétien presque tous ou exterminés, ou si affaiblis qu'ils n'attendent que le dernier coup pour achever leur ruine ; mais ce qui est de plus extraordinaire, et sans exemple, et qui était réservé comme un privilège dû à Votre Sainteté, c'est qu'un des plus grands rois de l'Orient, encore païen, prévenu et extraordinairement touché, non pas tant de l'éclat de sa dignité et de sa prééminence que de la sainteté de sa vie et de la grandeur de ses vertus personnelles, ce grand roi, dis-je, m'a chargé de venir de sa part demander à Votre Sainteté son amitié, l'assurer de ses respects et lui offrir sa protection royale pour tous les prédicateurs de l'Évangile et pour tous les fidèles, avec des sentiments qu'on trouve à peine dans la Cour des princes chrétiens. Ce puissant roi commence déjà à se faire instruire. Il dresse des autels et des églises au vrai dieu, il demande des missionnaires savants et zélés, il leur fait bâtir des maisons et des collèges magnifiques ; il nous donne très souvent des audiences secrètes et très longues, et nous fait même rendre des honneurs qui font de la jalousie aux principaux ministres de la secte, pour qui il avait autrefois une vénération superstitieuse. Si Dieu écoute nos vœux, ou plutôt s'il exauce les larmes et les prières de Votre Sainteté, car ce sera sans doute par une si puissante intercession que s'achèvera ce grand miracle, je veux dire la conversion de ce monarque, que de rois, de princes, et de peuples, ou soumis à son empire, ou qui admirent sa sagesse et se gouvernent par ses conseils, suivront un si grand exemple ! Certes, très Saint Père, jamais l'Évangile n'a eu de si grandes ouvertures pour s'établir solidement, et se répandre dans cette partie de l'Orient la plus vaste et la plus peuplée. Pour moi, je regarde déjà cette lettre royale que je viens présenter à Votre Sainteté de la part du roi de Siam, ces présents qu'il lui a destinés, et ces mandarins auxquels il a ordonné de se présenter à ses pieds, non seulement comme des témoignages sincères de la reconnaissance et du profond respect de ce prince, mais encore comme des engagements de sa soumission, et si j'ose le dire, comme des prémices de ses hommages et de son obéissance.

Le père Tachard ayant achevé, voulut se remettre à genoux pour entendre la réponse de Sa Sainteté, mais le Saint Père l'obligea de se relever, et fit voir par là l'estime qu'il faisait du roi de Siam. Les mandarins firent aussi leurs civilités. Tous les trois étant entrés ensemble immédiatement après le père Tachard, et ayant mis leurs présents sur une petite table, comme je l'ai déjà dit, les deux derniers commencèrent à lever leurs mains jointes au front, et ayant incliné la tête, ils se mirent à genoux, est baissèrent ensuite leur visage contre terre, ce qu'ils réitérèrent trois fois. Pendant ce temps, le premier mandarin était debout, tenant la lettre du roi son maître sous un bandège (13) d'un précieux vernis du Japon. Cette lettre était gravée sur une feuille d'or longue d'un pied et demi, qu'attachait un ruban bleu, enrichi de fleurs d'or et d'argent, le tout dans une boîte d'or en cylindre, excepté le couvercle qui était en pyramide, orné de fleurs émaillées de plusieurs couleurs. Les mandarins avancèrent jusqu'au milieu de la salle, où ils firent les mêmes révérences, et enfin une troisième lorsqu'ils furent aux pieds de Sa Sainteté. Alors le premier d'entre eux mit la boîte entre les mains du père Tachard, fit ses génuflexions avec tous les autres, premièrement à la lettre qu'il quittait, et ensuite à Sa Sainteté, et s'approchant l'un après l'autre, ils se prosternèrent à ses pieds, en sorte que le bout de leurs bonnets touchait sa robe. Le père Tachard ouvrit la boîte, et en ayant tiré la lettre du roi de Siam, il la présenta au pape qui la reçut avec une assez grande marque de joie. Elle commençait par ces paroles, qui sont les qualités de ce prince, sans pourtant que l'on y puisse donner aucune explication.

Som Dei pra Tchau Si a jou Thai Puiai (14).

Cette lettre a été traduite littéralement, et contenait ce qui suit :

Au très Saint Père Innocent XI.

Dès notre avènement à cette Couronne, le premier soin que nous eûmes fut de connaître les plus grands princes de l'Europe, et d'entretenir avec eux de mutuelles correspondances, afin d'en tirer la connaissance et les lumières nécessaires à notre conduite. Votre Sainteté prévint et remplit nos désirs par son bref pontifical, qui nous fut présenté par Dom Francisco Pallu, évêque d'Héliopolis, avec un présent digne de l'auguste personne qui nous l'envoyait, que nous reçûmes aussi avec une joie toute particulière de notre cœur. Nous envoyâmes quelque temps après nos ambassadeurs pour aller saluer Votre Sainteté, lui porter notre lettre royale avec quelques présents et établir entre nous une amitié aussi unie que l'est une feuille d'or bien polie, mais comme depuis leur départ on n'en a reçu aucune nouvelle, nous nous trouvons obligés de renvoyer le père Tachard, jésuite, en qualité de notre envoyé extraordinaire auprès de Votre Sainteté, pour établir entre elle et nous cette bonne correspondance que nos premiers ambassadeurs étaient chargés de nous ménager, et nous rapporter incessamment des nouvelles de l'heureuse santé de Votre Sainteté. Ce père prendra la liberté de l'assurer de notre part, que nous donnerons une entière protection à tous ces pères et à tous les chrétiens, soit qu'ils soient nos sujets, ou qu'ils demeurent dans nos États, ou même qu'ils résident en quelque autre pays que ce soit de cet Orient, les secourant conformément à leurs besoins quand ils nous feront savoir leurs nécessités ou qu'ils en feront naître l'occasion. Ainsi, Votre Sainteté peut être en repos de ce côté-là, puisque nous voulons bien nous charger de ces soins. Ce même père Tachard aura l'honneur d'informer Votre Sainteté des autres moyens qui conviennent à cette fin, selon les ordres que nous lui en avons donnés. Nous la prions de donner à ce religieux une entière créance sur ce qu'il lui représentera et de recevoir les présents qu'il lui portera comme des gages de notre sincère amitié, laquelle durera jusqu'à l'éternité. Dieu, créateur de toutes choses, conserve Votre Sainteté pour la défense de son Église, en sorte qu'elle puisse voir cette même Église augmenter et se répandre avec une heureuse fertilité dans toutes les parties de l'univers. C'est le véritable désir de celui qui est,

Très Saint Père, de Votre Sainteté,
   Le très cher et bon ami.

Au bas de cette lettre, il y avait à côté pour toute signature Phaulkon. C'est un des noms de M. Constance, qui signe les lettres du roi, comme font ici les secrétaires d'État. Après qu'elle eut été donnée à Sa Sainteté, les mandarins se levèrent et allèrent tous trois à reculons prendre les présents. Le premier prit le coffret de filigrane d'or, qui était celui du roi, et se tint toujours debout tant qu'il l'eut entre les mains. Les deux autres prirent le présent de M. Constance, ministre de Sa Majesté siamoise, et chacun les ayant donnés au père Tachard, qui les présenta à Sa Sainteté, ils firent leurs soumissions et demeurèrent ensuite à genoux pendant toute l'audience qui dura près d'une heure. Le pape fit plusieurs questions à ce père sur l'état du royaume de Siam, et témoigna être fort touché de la bonté du roi et du zèle de son ministre pour la propagation de la foi, après quoi, ayant ôté son étole, il se retira pour considérer à loisir les présents qu'il venait de recevoir. Le père Tachard et les mandarins demeurèrent avec les cardinaux qui les entretinrent assez longtemps, et après cela, ils allèrent voir Mgr le cardinal Cibo, premier ministre de Sa Sainteté. On les ramena à leur logis avec les mêmes cérémonies.

Le 24, sur les six heures du soir, on les mena voir une fête qu'on faisait aux cardinaux, dont seize assistèrent à une musique qu'on leur fit entendre. Ils virent ensuite une table toute couverte de triomphes faits de sucre, c'est-à-dire des chars, des vaisseaux, des animaux et autres figures. On envoie cela à tous les cardinaux, après qu'ils ont fait là une légère collation que le premier ministre leur donne. Le jour de Noël, ils visitèrent les plus belles églises de Rome, et le 27, les Tonkinois eurent audience. On y observa les mêmes choses qu'à celle des mandarins. Ils trouvèrent le pape seul, et après que le père Tachard eut fait sa harangue, ils allèrent l'un après l'autre baiser les pieds de Sa Sainteté. Les autres jours furent employés à voir le Vatican, et les palais des princes, qui sont magnifiques par les tableaux et par les antiques que l'on y voit en grand nombre.

Le 5 janvier, ils allèrent tous ensemble prendre congé de Sa Sainteté. On les y conduisit dans trois carrosses, et on leur fit les mêmes honneurs qu'ils avaient reçus la première fois. Le pape était seul dans sa chambre. Les mandarins, après y avoir demeuré une demi-heure à genoux, lassés de cette posture, commencèrent à se mettre sur les coudes, et Sa Sainteté qui en voulut savoir la raison, l'ayant apprise du père Tachard, les congédia en leur donnant à chacun six médailles de son portrait, trois d'or et trois d'argent. Ensuite on fit approcher les Tonkinois, auxquels elle donna sa bénédiction avec un chapelet et une médaille d'or à chacun.

Le 28, ils allèrent visiter les sept églises dans un carrosse à six chevaux de Mgr le cardinal d'Estrée, et à leur retour ils trouvèrent plusieurs grandes cassettes couvertes de brocart à fleurs or et argent, garnies de galons, toutes remplies de confitures, deux autres plus petites de bois d'ébène, ornées de fleurs rapportées de plusieurs couleurs, pleines d'essences, un autre petit coffre où était le corps de Saint Modeste, avec quantité d'autres reliques, une cassette remplie d'Agnus Dei, et un coffret de cristal où il n'y avait que des cordiaux. C'était le présent du pape au père Tachard. Sa Sainteté lui donna aussi son portrait enrichi de pierreries, et une lunette de vingt pieds pour porter au roi de Siam. Elle y ajouta un chapelet de lapis garni d'or, avec une médaille pour M. Constance, la même chose pour Mme Constance, sa femme, et quantité d'indulgences.

Le 7 janvier, les mandarins et les Tonkinois partirent de Rome dans des calèches pour se rendre à Civitavecchia où deux vaisseaux malouins les attendaient. Le père Tachard ne partit que le 9, et le jour précédent, l'intendant de la Maison du pape lui apporta le bref de Sa Sainteté qui était sur du parchemin dans une boîte d'or carrée, avec ses armes dessus, et son nom dessous. Ils s'embarquèrent à Civitavecchia, après y avoir reçu de grands honneurs, et trouvèrent dans leurs vaisseaux toutes sortes de provisions qu'on y avait apportées de la part du pape.

Lorsqu'ils furent de retour, ils eurent audience de Sa Majesté, ne l'ayant pas eue avant leur départ de Paris pour Rome, parce que le roi était à Fontainebleau, et Mgr le Dauphin en Allemagne. Comme le roi de Siam souhaite avoir une compagnie de Français pour gardes du corps, on en a levé cent ici, et ils seront commandés par M. d'Éragny, que Sa Majesté a nommé, et qui a été autrefois capitaine au Régiment des gardes. Ils sont vêtus de rouge avec un gros galon d'or, et bien armés. Le roi de Siam leur fournira des chevaux qu'il entretiendra, en sorte que sans en avoir aucun soin, ils n'auront qu'à les prendre à l'écurie lorsqu'ils devront monter à cheval. Ces cent gardes sont partis avec les envoyés et plusieurs vaisseaux de la Compagnie, qui est fort satisfaite de son commerce, s'en retournent avec eux (15). Monsieur, qui avait reçu quantité de présents du roi de Siam, en a renvoyé de fort beaux, et en grand nombre.

Gazette N° 23. De Versailles, le 3 juin 1689 (p. 268).

Le 28, cinq jeunes mandarins siamois entretenus au collège des jésuites par le roi de Siam, pour y apprendre les sciences d'Europe et les coutumes françaises, furent baptisés dans l'église Saint-Benoît. Cinq pensionnaires de qualité du même collège furent les parrains, et autant de demoiselles furent les marraines.

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NOTES

1 - S'il faut en croire André-François Deslandes-Boureau, auteur d'une Histoire de M. Constance (1756, pp. 29-30), le sort de ces deux princes exotiques ne fut guère brillant : Les jésuites, qui ne font jamais rien sans quelque motif d'intérêt, prirent soin des deux jeunes princes macassars dont le père avait été tué, et après les avoir les avoir baptisés [inexact, ils ne furent baptisés que plus tard en France], ils les conduisirent en France. Louis XIV les vit, et comme il aimait les choses d'éclat, il ordonna qu'ils fussent employés dans la marine. Le sort de l'aîné fut bien triste : il se tua lui-même à coups de couteau. Pour le second que j'ai connu à Brest, il avait la couleur, l'air et les manières d'un nègre grossier. Jamais les jésuites n'ont fait une plus mauvaise emplette que d'avoir amené en France ces princes macassars. Ils déshonoraient l'humanité. Je dirai en passant qu'on a souvent été trompé à Paris et à la cour par ces prétendus princes d'Asie et d'Afrique. On aurait dû rougir seulement de les présenter, à moins que ce ne fût comme des animaux extraordinaires. 

2 - Voir le Mercure Galant d'octobre 1687 

3 - Très certainement Okya Phakdi (ออกญาภักดี), phakdi signifiant loyal, fidèle, ayant prêté allégeance. Gervaise orthographie Docja Pacdi, qui est à Siam le grand Trésorier de la Couronne, et ce qu'un duc et pair est en France. (Description historique du royaume de Macaçar, 1700, p. 65). Christian Pelras met en doute ce dernier point : S'il paraît douteux – car on en aurait trace dans d'autres textes – que le Prince makassar ait occupé une telle fonction à la cour siamoise, il n'en reste pas moins qu'il avait dû être élevé formellement à une haute dignité. D'après Baas Terwiek, en effet, on reconnaît dans le titre indiqué par Gervaise les termes siamois Okya (une particule placée devant les noms de certains dignitaires) et Phakdi (élément terminal ajouté aux noms de personnes remplissant un office important). (C. Pelras, La conspiration des Makassar à Ayuthia en 1686, ses dessous, son échec, son leader malchanceux, Archipel, vol. 56, 1998, pp. 166-167). 

4 - Il s'agit du livre du missionnaire Nicolas Gervaise intitulé Histoire naturelle et politique du royaume de Siam, divisée en quatre partie, la première contenant la situation et la nature du pays, la seconde, les mœurs des habitants, leurs lois et leurs coutumes, la troisième leur religion, la quatrième ce qui regarde le roi qui règne à présent et ce qu'il y a de plus particulier dans la Cour de ce royaume. L'ouvrage fut enregistré sur le Livre de la Communauté des imprimeurs et libraires de Paris le 10 février 1688, et le premier tirage fut achevé d'imprimer le 18 février 1688. 

5 - Claude Céberet était arrivé à Brest le 20 juillet. 

6 - Le Président, navire de 280 à 300 tonneaux acheté par la Compagnie des Indes orientales à Saint-Malo en 1679. 

7 - Les Archives Nationales conservent un important dossier sur l'Affaire Phaulkon, un imbroglio juridique qui opposa les héritiers de Phaulkon à la Compagnie des Indes orientales et qui ne trouva sa conclusion qu'en 1717 par un arrêt du Conseil d'État. Nous reproduisons ici une pièce de ce dossier (Colonies C1/26 f° 166r° à f° 167r°.)

Mémoire au sujet des fonds que feu M. Constantin Phaulkon a mis dans la Compagnie des Indes.

Feu M. Céberet étant à Louvo au royaume de Siam passa un acte de société avec M. Constance le 13 décembre 1687 par lequel ledit sieur Constance s’engagea de mettre la somme de 300 000 livres entre les mains du caissier général de la Compagnie pour partager avec les autres intéressés les pertes et profits au prorata de son intérêt, tant et si longuement que durera la Compagnie.

Sur l’intérêt desdites actions, le père Tachard, porteur d’une lettre de crédit de M. Constance, reçut 5 362 livre pour une année d’intérêt maritime du premier sou.En exécution de ce traité, ledit sieur Constance fit charger sur le vaisseau le Coche des marchandises dont le provenu de la vente faite en France en 1688 s’est trouvé monter à la somme de 53 622 livres qui est entrée dans le fonds du commerce de la Compagnie et pour lequel il lui a été expédié le 28 janvier 1688 une quittance d’action qui lui a été envoyée par le vaisseau l'Oriflamme, parti de France en février suivant.

En octobre 1688, la Compagnie fit une seconde vente de plusieurs marchandises que le sieur Constance avait envoyé par les vaisseaux l’Oiseau, le Président, le Gaillard, le Dromadaire et la Loire dont le provenu a monté à 58 125 livres 2 sols, laquelle somme a été passée à son compte en augmentation d’action, et la quittance en a été remise au père Tachard, suivant sa reconnaissance du 4 avril 1689.

Sur l’intérêt desdites actions, le père Tachard, porteur d’une lettre de crédit de M. Constance, reçut 5 362 livre pour une année d’intérêt maritime du premier sou.

Quelque temps après, on fut informé des révolutions qui [sont] arrivées dans le royaume de Siam et de la mort de M. Constance. La Compagnie, qui était en de grosses avances pour le roi de Siam, fit saisir entre ses mains, sur la permission qu’elle en obtint de M. le Lieutenant, tous les fonds qui pouvaient appartenir à M. Constance, lesquels fonds [elle] avait toujours regardés comme son otage des avances dans lesquelles elle entrait pour Sa Majesté siamoises. Ces avances provenaient de plusieurs commissions qu’elle avait envoyées à Siam pour le compte du roi et de M. Constance en 85 et 88, dont les valeurs, suivant les factures, montent à 301 559 livres 10 sols, 6 deniers, savoir :

Sur les vaisseaux la Maligne, la Loire et le Dromadaire partis pour Siam le 2 mars 1687 : chargement en marchandises diverses : 202 403 livres 9 sols.

Pour l’augmentation sur lesdites marchandises à raison du 25ème pour cent pour frais et risques de la mer que la Compagnie courait, suivant les conventions de M. Céberet avec M. Constance, ci : 50.600 livres.

Sur l’Oriflamme parti de Brest le 12 février 88, ci : 48 556 livres 1 sol.

Total : 301 559 livres 10 sols.

Outre ces chargements, les directeurs firent [encore] au commencement de l’année 1689 exécuter plusieurs mémoires qui leur avaient été remis par ledit père Tachard dont les achats montèrent à la somme de 159 286 livres d’une part, et 19 624 livres d’autre part, suivant les factures qui furent [arrêtées] et signées par ledit père Tachard le 13 mars et 22 octobre 1689, portant promesse de leur faire payer comptant lesdites sommes par le roi de Siam ou au porteur de leurs ordres.

Ces dernières marchandises ne furent point chargées pour Siam, parce que les directeurs furent informés à la fin de cette année-là des révolutions qui étaient arrivées au royaume de Siam, desquelles on a déjà parlé. On fut obligé de les envoyer l’année suivante pour le compte de la Compagnie dans les comptoirs des Indes où elles ont toutes dépéri, sans espérance de les y pouvoir vendre, n’étant point propres pour la consommation des Indes, à l’exception d’une chirole d’argent qui a été vendue [15 055] livres. M. Phaulkon est garant de ces pertes parce que la Compagnie n’a exécuté les mémoires du R.P. Tachard que parce qu’il était porteur d’une lettre de créance de M. Phaulcon en date du 1er janvier 1688 qu’on produit ici. 

8 - Le jésuite Louis Rochette n'atteignit pas Siam. Il mourut en mer entre le Cap et Batavia. 

9 - Dans les dernières lignes d'un résumé de sa relation conservée aux Archives Nationales (Colonies, C/1 24, f° 237-242), Céberet donne les noms de ces personnages : Il n'était mort jusqu'à mon départ d'officiers que le sieur Plantier, ingénieur et capitaine, et le sieur Saumoret, lieutenant, et le nommé Petit, chirurgien-major, auquel M. de Vaudricourt a suppléé en donnant un de ceux de son vaisseau. (f° 241r°). 

10 - Ce mandarin qui faisait partie de la suite des ambassadeurs siamois venus en France en 1686 avait déjà été cité par Donneau de Visé dans son deuxième tome du Voyage des ambassadeurs paru en novembre 1686 (pp. 259 de l'édition de Lyon). Éperdu d'admiration pour Louis XIV, il aurait déclaré à l'abbé de Lionne : Si je savais parler français, je lui parlerais, car sa bonté me paraît si grande que je crois qu'elle le serait plus encore que ma hardiesse. Le titre officiel du second envoyé de cette délégation était Ok-khun Wiset Phuban (ออกขุนวิเศษภูบาล). S'agit-il du même ? Rien ne permet de l'affirmer ou de l'infirmer.

ImageOk-khun Wiset Phuban. Dessin de Carlo Maratta, décembre 1688 ou janvier 1689. 

11 - Le voyage à Rome et l'audience avec le pape sont relatés de façon détaillée à la fin du Second voyage du père Tachard

12 - On peut encore voir ce monument sur la Piazzetta della Darsena à Livourne. La statue de Ferdinand 1er, duc de Toscane (1549-1609), est l'œuvre de Giovanni Biandini. Les quatre figures de Mores enchaînés furent rajoutées quelques années plus tard par Pietro Tacca. Le monument fut démonté et ses éléments furent dispersés en 1943 pour éviter leur destruction lors du bombardement de Livourne par l'aviation anglo-américaine. L'ensemble, connu sous le nom de i Quattro mori incatenati (Les quatre mores enchaînés) fut reconstitué en 1950.

ImageMonument des Quatre Maures enchaînés à Livourne. 

13 - C’est ce qu’on appelle autrement cabaret, plateau, ou espèce de table à petits rebords, et ordinairement sans pieds, sur laquelle on met des tasses à café, des soucoupes, un sucrier et des cuillères lorsqu’on prend du thé, du café ou du chocolat. (Dictionnaire de Trévoux). 

14 - Sans doute : Somdet phra chao Sri Ayutthaya phu yai (สมเด็จ พระ เจ้า ศรี อยุธยา ภู ใหญ่) Souverain du grand royaume d'Ayutthaya. 

15 - L'information est erronée. L'expédition annoncée par le Mercure Galant n'eut pas lieu, en raison de la saison trop avancée. Dans une relation manuscrite conservée à la Bibliothèque Nationale, le père Tachard, qui s'était embarqué sur un navire de l'escadre Duquesne-Guitton, écrivait : Nous partîmes du Port-Louis sur la fin du mois de février de l'année 1690, avec une escadre de six vaisseaux. (…) Nous devions partir quatorze jésuites sur ces vaisseaux l'année précédente, et on eût mis à la voile si la saison qu'on crut trop avancée n'eût fait remettre le voyage (B.N., Ms. Fr. 19030 f° 2/138v°). Lorsque l'escadre Duquesne-Guitton mit à la voile le 28 février 1690, ramenant au Siam les trois envoyés siamois et l'inévitable père Tachard, la nouvelle du coup d'État et de la mort du roi Naraï était parvenue en France depuis quatre mois ; l'envoi de la garnison de gardes du corps évoquée par le Mercure fut bien évidemment annulé. 

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