Chapitre V
Des voitures et de l'équipage
en général des Siamois

Page de la Relation de La Loubère
I. Leurs animaux domestiques.

Outre le bœuf et le buffle, qu'ils montent communément, l'éléphant est leur seul animal domestique. La chasse des éléphants est libre à tout le monde, mais ils ne vont à cette chasse que pour les prendre, et jamais pour les tuer. Ils ne les coupent jamais, mais aussi pour le service ordinaire ne se servent-ils que des éléphants femelles : ils destinent les mâles à la guerre. Leur pays n'est point propre à élever des chevaux, ou eux-mêmes ne savent pas les élever, mais je crois aussi que leurs pâturages sont trop grossiers et trop marécageux pour donner du courage et de la noblesse à leurs chevaux, et cela fait qu'ils n'ont pas besoin de les couper pour les rendre plus traitables. Ils n'ont ni ânes, ni mulets, mais les Mores qui sont établis à Siam ont quelques chameaux qui leur viennent de dehors.

II. Chevaux du roi de Siam.

Le roi de Siam fait nourrir seulement environ 2 000 chevaux. Il en a une douzaine de persans qui ne valent déjà plus rien. L'ambassadeur de Perse les lui donna il y a quatre à cinq ans de la part du roi son maître (1). D'ordinaire, il envoie acheter des chevaux à Batavia, où ils sont tout petits et assez vifs, mais aussi rétifs que les peuples javans sont mutins, soit que le pays le comporte ainsi, soit que les Hollandais ne sachent pas les mener.

III. Cavalerie et infanterie de Batavia.

Je vis plus d'une fois dans les rues de Batavia la bourgeoisie de la ville à cheval, mais à tout moment leurs rangs se confondaient parce que la plupart de leurs chevaux s'arrêtaient tout d'un coup et refusaient de marcher, et mon hôte me dit sur cela que le défaut ordinaire des chevaux javans était d'être fort rétifs. La Compagnie hollandaise entretient de l'infanterie à Batavia, parmi laquelle il y a bon nombre de Français (2). Pour ce qui est de la cavalerie, il n'y en a point d'autre que la bourgeoisie, qui malgré le chaud du climat, se pare de bon buffles avec de riches manches de broderie d'or ou d'argent. Nul bourgeois ne sert dans l'infanterie, mais si un soldat fait voir qu'il a de quoi s'établir et s'entretenir dans Batavia, soit par un mariage, soit par un métier, ils ne lui refusent jamais ni son congé ni le droit de bourgeoisie.

IV. Le roi de Siam va peu ou point à cheval.

Quand nous arrivâmes, il y avait deux Siamois pour acheter 200 chevaux pour le roi leur maître, dont ils en avaient déjà fait partir pour Siam environ 150. Ce n'est pas que ce prince aime à aller à cheval : cette monture lui semble et trop basse et de trop peu de défense, car l'éléphant leur paraît bien plus propre pour le combat, quoiqu'à tout prendre on puisse raisonnablement douter s'il est plus propre à la guerre, comme je le ferai voir dans la suite. Ils disent que cet animal sait défendre son maître, le remettre sur son dos avec sa trompe s'il est tombé et ruer par terre son ennemi. Quant le roi de Siam s'empara de la Couronne, le roi son oncle s'enfuit du palais sur un éléphant et non pas sur un cheval (3), quoiqu'un cheval semble bien plus propre à fuir.

V. Éléphant de garde dans le palais.

Il y a toujours au palais un éléphant de garde, c'est-à-dire enharnaché et prêt à monter, et il n'y a point de cheval de garde. On m'a pourtant assuré que le roi de Siam ne dédaigne pas absolument de monter à cheval, mais qu'il n'y monte que fort rarement.

VI. On ne voit jamais le roi de Siam de plain-pied.

En cet endroit du palais où est l'éléphant de garde, il y a un petit échafaud auquel le roi va de son appartement de plain-pied, et de cet échafaud, il monte aisément sur son éléphant (4). Que s'il veut se faire porter en chaise par des hommes, ce qu'il fait quelquefois, il arrive aussi à cette sorte de voiture, à hauteur de s'y placer, ou par une fenêtre, ou par une terrasse, et ainsi jamais ses sujets ni les étrangers ne le voient de plain-pied. Cet honneur est uniquement réservé à ses femmes et à ses eunuques lorsqu'il est renfermé dans l'intérieur de son palais.

VII. Chaises à porteurs.

Leurs chaises à porteurs ne sont pas comme les nôtres, ce sont des sièges carrés et plats, plus ou moins élevés, qu'ils mettent et affermissent sur des civières (5). Quatre ou huit hommes (car la dignité en cela est dans le nombre) les portent sur leurs épaules nues, un ou deux à chaque bâton, et d'autres hommes relaient ceux-ci. Quelquefois, ces sièges ont un dossier et des bras comme nos fauteuils, et quelquefois ils sont simplement entourés, hormis par devant, d'une petite balustrade d'un demi-pied de haut, mais les Siamois s'y placent toujours les jambes croisées. Quelquefois ces sièges sont découverts, quelquefois ils ont une impériale (6), et ces impériales sont de plusieurs sortes que je décrirai en parlant des balons, au milieu desquels ils placent aussi de ces sièges, aussi bien que sur le dos des éléphants.

VIII. L'impériale n'est point fort honorable à Siam, mais le parasol.

Toutes les fois que j'ai vu le roi de Siam sur un éléphant son siège était sans impériale et tout ouvert par devant. Par les côtés et par le derrière s'élevaient jusqu'à la hauteur de ses épaules trois grands feuillages, ou pennaches dorés, et recourbés un peu en dehors par la pointe ; mais quand ce prince s'arrêtait, un homme à pied, qui se tenait debout à dix ou douze pas de lui, le mettait à couvert du soleil avec un fort haut parasol en forme de pique dont le fer aurait trois ou quatre pieds de diamètre, et ce n'était pas une petite fatigue lorsque le vent donnait dessus. Cette sorte de parasol, qui n'est que pour le roi, s'appelle pat-bóoukPatbok : พัดโบก (7).

IX. Comment ils montent un éléphant.

Pour revenir à la voiture de l'éléphant, ceux qui le veulent conduire eux-mêmes se mettent sur son col comme à cheval, mais sans aucune sorte de selle, et avec une espèce de pic de fer ou d'argent, ils lui piquent la tête, tantôt à droite, tantôt à gauche, ou tout au milieu du front, en lui disant en même temps par où il faut qu'il aille, et quand il doit s'arrêter, et surtout dans les penchants des chemins, ils l'avertissent qu'il faut aller en descendant, pat, pat, c'est-à-dire descend, descend (8). Que si on ne veut pas se donner la peine de le mener, on se place sur son dos dans une chaise au lieu de selle, ou sans chaise et à poil, si l'on peut parler ainsi d'un animal qui n'en a point, et alors un domestique, et ordinairement celui qui a soin de nourrir l'éléphant, se met sur son col et le mène, et quelquefois il y a encore un autre homme assis sur la croupe. Les Siamois appellent hoüà-sipHua sip : หัวสิบ, c'est-à-dire chef de dix, celui qui se place sur la croupe, parce qu'ils supposent pour le faste, qu'un éléphant a un grand nombre d'hommes pour le servir et qu'il y en a dix sous le commandement de l'hoüà-sip. Ils appellent náï-tchangNai chang : นายช้าง, c'est-à-dire capitaine de l'éléphant, celui qui le monte sur le col, et il commande à tous ceux qui sont destinés au service de l'éléphant.

X. La voiture des balons.

Mais parce qu'en ce pays-là on va plus par eau que par terre, le roi de Siam a de fort beaux balons. J'ai déjà dit que le corps d'un balon n'est que d'un seul arbre long quelquefois de 16 à 20 toises (9). Deux hommes assis les jambes croisées côte à côte l'un de l'autre sur une planche mise en travers suffisent pour en occuper toute la largeur. L'une pagaye à droite et l'autre à gauche. Pagayer, c'est ramer avec la pagaie, et la pagaie est une rame courte qu'on tient à deux mains par le milieu et par le bout. Il semble qu'on n'en fasse que balayer l'eau, quoique avec force. Elle n'est point attachée au bord du balon, et celui qui la manie regarde où il va, au lieu que celui qui rame a le dos tourné à la route (10).

XI. Description exacte d'un balon.

Il y a quelquefois dans un seul balon jusqu'à 100 ou 120 pagayeurs rangés ainsi deux à deux, les jambes croisées sur des planchettes, mais les moindres officiers ont des balons beaucoup plus courts, où peu de pagaies, comme 16 ou 20, suffisent. Les pagayeurs, afin de plonger la pagaie de concert, chantent ou font des cris mesurés, et ils plongent la pagaie en cadence avec un mouvement de bras et d'épaules qui est vigoureux, mais facile et de bonne grâce. Le poids de cette espèce de chiourme sert de lest au balon et le tient presque à fleur d'eau, ce qui fait que les pagaies sont fort courtes. Et l'impression que le balon reçoit de tant d'hommes qui plongent la pagaie en même temps avec effort fait qu'il se balance toujours d'un mouvement qui plaît à la vue et qui se remarque encore davantage à la proue et à la poupe, parce qu'elles sont plus élevées et pareilles au col et à la queue de quelque dragon ou de quelque poisson monstrueux dont les pagaies, de part et d'autre, paraissent ou les ailes ou les nageoires. À la proue, un seul pagayeur occupe le premier rang, sans qu'il puisse avoir un camarade à son côté. Il n'a pas même assez d'espace pour croiser sa jambe gauche avec la droite, et il est obligé de l'allonger en dehors par-dessus un bout de bâton qui sort du côté de la proue. C'est ce vogue-avant ou premier pagayeur qui donne le mouvement à tous les autres. Sa pagaie est un peu plus longue, parce qu'il est placé en cet endroit où la proue commence déjà à s'élever et qu'il en est d'autant plus éloigné de l'eau. Il plonge une fois la pagaie à chaque mesure, et quand il faut aller plus vite, il la plonge deux fois, et de temps et temps, et seulement pour la bonne grâce, en levant la pagaie avec un cri, il fait jaillir l'eau bien loin, et le coup d'après tout l'équipage l'imite. Celui qui gouverne se tient toujours debout à la poupe en un endroit où elle s'élève déjà beaucoup. Le gouvernail est une pagaie fort longue qui ne tient point au balon et à laquelle celui qui gouverne ne semble donner d'autre mouvement que de la tenir bien perpendiculaire dans l'eau et contre le bord du balon, tantôt du côté droit et tantôt du côté gauche. Les femmes esclaves pagaient aux balons des dames (11).

XII. Diverses espèces de balons.

Dans les balons du service ordinaire, où il y a moins de pagayeurs, il y a au milieu une loge de bambou ou d'autre bois, sans peinture ni vernis, dans laquelle peut tenir toute une famille, et quelquefois cette loge a un appenti plus bas par-devant sous lequel sont les esclaves, et bien des Siamois n'ont point d'autre habitation. Mais dans les balons de cérémonie ou dans ceux du corps du roi de Siam que les Portugais ont appelés balons d'État, il n'y a au milieu qu'un siège qui occupe presque toute la largeur du balon et où il ne tient qu'une personne et ses armes, le sabre et la lance. Si c'est un mandarin ordinaire, il n'a qu'un simple parasol comme les nôtres pour se mettre à couvert ; si c'est un mandarin plus considérable, outre que son siège est plus élevé, il est couvert de ce que les portugais ont nommé chirole, et les Siamois CoupKup : กูบ (12). C'est un berceau tout ouvert par devant et par derrière, fait de bambous fendus et entrelacés, et enduit dehors et dedans d'un vernis noir ou rouge. Le vernis rouge est pour les mandarins de main droite, le noir est pour ceux de main gauche, distinction que j'expliquerai en son lieu. Outre cela, les bords de la chirole sont dorés par dehors de la largeur de trois ou quatre pouces, et l'on prétend que c'est dans les façons de ces dorures, qui ne sont pas pleines, mais comme de la broderie, que sont les marques de la dignité du mandarin. Il y a aussi des chiroles couvertes d'étoffe, mais elles ne servent pas pour le temps des pluies. Celui qui commande l'équipage et qui frappe quelquefois du bâton, mais rarement, ceux qui pagayent mollement et hors de mesure, se place les jambes croisées devant le siège du mandarin, sur l'extrémité de l'estrade ou du tablier sur lequel le siège est posé et affermi. Que si le roi vient à passer, le mandarin descend lui-même sur cette estrade et s'y prosterne ; tout son équipage se prosterne aussi et son balon ne va point que celui du roi n'ait disparu (13).

XIII. Les balons du Corps, que l'on appelle d'État.

Les impériales des balons d'État sont fort dorées, aussi bien que les pagaies. Elles sont soutenues par des colonnes et comblées de plusieurs ouvrages de sculpture en pyramides, et quelques-unes ont des appentis contre le soleil. Au balon où est la personne du roi, il y a quatre comites, ou officiers, pour commander l'équipage, deux devant et deux derrière : ils se tiennent assis les jambes croisées, et voilà quel est l'appareil des balons.

XIV. Vitesse des balons.

Or comme ces bâtiments sont fort étroits et fort propres à fendre l'eau et que l'équipage en est nombreux, on ne saurait imaginer avec quelle rapidité il les emporte même contre le courant, et combien il fait beau voir un grand nombre de balons voguer ensemble en bon ordre.

XV. Entrée des envoyés du roi dans la rivière.

J'avoue que quand les envoyés du roi entrèrent dans la rivière, la beauté du spectacle me surprit. La rivière est d'une largeur agréable, et malgré ses détours, on découvre toujours une assez grande étendue de son canal, dont les bords sont deux espaliers continuels de verdure (14). Ce serait le plus beau théâtre du monde pour les fêtes les plus galantes et les plus magnifique, mais nulle magnificence ne frappe comme une grande multitude d'hommes appliqués à vous servir. Il y en avait près de trois mille sur soixante-dix ou quatre-vingts balons, qui faisaient le cortège des envoyés du roi. Ils voguaient sur deux colonnes, et laissaient le balon des envoyés du roi au milieu. Tout était animé et en mouvement : les yeux étaient occupés par la diversité et le nombre des balons et par la beauté du lit de la rivière, et cependant les oreilles étaient diverties par un bruit barbare, mais agréable, de chants, de cris et d'instruments, à travers de quoi l'imagination ne laissait pas d'avoir un goût sensible du silence naturel de la rivière. Pendant la nuit, ce fut une autre sorte de beauté, parce que chaque balon avait son fanal, et qu'un bruit qui plaît plaît encore davantage dans la nuit.

XVI. Ancienne magnificence de la cour de Siam.

On assure à Siam que la Cour y était autrefois fort magnifique, c'est-à-dire qu'il y avait un grand nombre de seigneurs parés de riches étoffes et de beaucoup de pierreries, et toujours accompagnés de 100, et même de 200 esclaves et d'un nombre considérable d'éléphants ; mais cela n'est plus, depuis que le roi père du roi d'aujourd'hui eut fait périr presque tous les Siamois les plus considérables, et par conséquent les plus à craindre, tant ceux qui l'avaient servi dans sa révolte que ceux qui lui avaient été contraires (15). Aujourd'hui, trois ou quatre seigneurs seulement ont permission d'avoir de ces chaises à porteurs dont j'ai parlé. Le palanquin (qui est une espèce de lit qui pend presque jusqu'à terre d'une grosse barre que des hommes portent sur leurs épaules) est permis aux malades et à quelques vieillards incommodés, car c'est une voiture où l'on ne se peut tenir que couché (16). Mais quoique les Siamois ne puissent librement user de ces sortes de commodités, les Européens qui sont à Siam ont sur cela plus de permission.

XVII. Les parasols.

L'usage des parasol, en siamois roumRom : ร่ม, est aussi une grâce que le roi de Siam ne fait pas à tous ses sujets, quoique le parasol soit permis à tous les Européens. Ceux qui sont semblables aux nôtres, c'est-à-dire qui n'ont qu'un rond, sont les moins honorables et la plupart des mandarins en ont. Ceux qui ont plusieurs ronds autour d'un même manche, comme si c'étaient plusieurs parasols entrés l'un sur l'autre, sont pour le roi seulement (17). Ceux que les Siamois appellent clotKlot : กลด, qui n'ont qu'un rond, mais duquel pendent deux ou trois toiles peintes comme autant de pentes, l'un plus bas que l'autre, sont ceux que le roi de Siam donne aux SancratsSangkha rat : สังฆราช ou supérieurs des talapoins. Ceux qu'il avait donnés aux envoyés du roi étaient de cette dernière espèce et à trois toiles. L'on en peut voir la figure dans celle du balon des envoyés du roi (18).

XVIII. Le parasol des talapoins, et l'origine du mot talapoin.

Les talapoins ont des parasols en forme d'écran qu'ils portent à la main. Ils sont d'une feuille de palmite coupée en rond et plissée, et dont les plis sont liés d'un fil près de la tige, et la tige qu'ils rendent tortues comme un S en est le manche. On les appelle talapatตาลปัตร en siamois, et il y a de l'apparence que c'est de là que vient le nom de talapóï ou de talapoin (19) qui est en usage parmi les étrangers seulement, et qui est inconnu aux talapoins mêmes, dont le nom siamois est tcháou-couChao ku : เจ้ากู.

XIX. L'éléphant et le bateau permis à tout le monde.

L'éléphant est la voiture de quiconque en peut prendre à la chasse ou en acheter, mais le bateau est encore une voiture plus universelle ; personne ne s'en saurait passer à cause de l'inondation annuelle du pays.

XX. Quand et comment le roi de Siam se montre.

Pendant que le roi de Siam est dans sa capitale, l'ancien usage de sa cour voudrait qu'il se montrât au peuple cinq ou six jours de l'année seulement, et qu'il le fît avec pompe. Autrefois, les rois ses prédécesseurs labouraient les premiers la terre chaque année (20) jusqu'à ce qu'ils laissèrent cette fonction à l'Oc-yà-káou (21), et elle était accompagnée de beaucoup d'éclat. Ils sortaient aussi un autre jour pour faire sur l'eau une autre cérémonie qui n'était pas moins superstitieuse ni moins éclatante. C'était pour conjurer la rivière de rentrer dans son lit, lorsque l'agriculture le demandait et que le vent tourné au nord assurait le retour du beau temps (22). Le roi d'aujourd'hui a été le premier qui s'est dispensé de cette corvée, et il y a déjà plusieurs années qu'elle paraît abolie parce, dit-on, que la dernière fois qu'il la fit, il eut la honte d'y être surpris de la pluie, quoique ses astrologues lui eussent promis un beau jour.

Fernand Mendez Pinto raconte que de son temps, le roi de Siam avait accoutumé de se montrer un jour de l'année monté sur son éléphant blanc, de parcourir neuf rues de la ville et de faire beaucoup de libéralités au peuple (23). Cette cérémonie, si elle a été en usage, est maintenant abolie. Le roi de Siam ne monte jamais l'éléphant blanc, et la raison qu'ils en donnent est que l'éléphant blanc est aussi grand seigneur que lui, parce qu'il a une âme de roi comme lui. Ainsi, ce prince ne se montre plus dans sa capitale que deux fois l'année, au commencement du sixième et du douzième mois, pour aller faire des aumônes d'argent, de pagnes jaunes et de fruits aux talapoins des principales pagodes (24). Ces jours-là, que les Siamois appellent VanpraWan phra : วันพระ, jour saint ou excellent, il va sur un éléphant aux pagodes qui sont dans la ville même, et par eau à une autre qui est à deux lieues de la ville en descendant la rivière. Dans les jours suivants, il envoie de pareilles aumônes aux pagodes moins considérables, mais cela ne s'étend que jusqu'à deux lieues de la capitale ou environ. Et dans le dernier mois de l'année 1687, ce prince n'alla nulle part en personne ; il se contenta d'envoyer partout.

XXI. Le roi de Siam vit avec moins de faste à Louvò qu'à Siam.

Si donc le roi de Siam se montre dans sa capitale, c'est pour des cérémonies de religion. À Louvò, où il lui est permis de faire moins le roi, il sort très souvent, ou pour la chasse du tigre et de l'éléphant, ou pour se promener, et il sort avec si peu de faste que quand il va de Louvò à sa petite maison de Tleé-poussoneThale Chupson : ทะเลชุบศร avec ses dames, il ne donne aucune voiture aux femmes qui les accompagnent pour les servir, ce qui est sans doute un respect de ces femmes esclaves envers leurs maîtresses.

XXII. Cortège du roi de Siam.

Il a néanmoins toujours à sa suite deux ou trois cents hommes, tant à pied qu'à cheval, mais qu'est-ce à comparaison de ces cortèges de quinze et de vingt mille hommes que les relations lui donnent dans les jours de cérémonie ? Devant lui marchent quelques gens à pied avec des bâtons ou avec des sarbacanes à jeter des pois pour écarter tout le monde de son chemin, et surtout lorsque les dames doivent le suivre, et même avant qu'il sorte, on fait en ce cas-là avertir les Européens, s'il y en a arrivés depuis peu, de ne se point trouver à sa rencontre ; car pour tous les Asiatiques, ils connaissent assez cette coutume qui est de toutes les cours de l'Asie. Barros (25) dit que dans la véritable Inde, quand un noble va dans les rues, il se fait toujours précéder par quelqu'un de ses domestiques, qui crie : Po ! Po !, c'est-à-dire Gare ! Gare ! afin que tous les roturiers s'écartent. Osorius (26) dit que c'est le roturier qui est obligé de crier, et il ajoute que c'est de peur que quelque noble ne le touche par mégarde et ne se venge de cet affront en le tuant. J'appelle nobles les Náïres (27) qui seuls font profession des armes et qui se croient souillés quand ils ont touché un roturier. À siam et à la Chine, les principaux magistrats ont des suppôts qui les précèdent, qui font ranger le peuple et qui châtieraient à coups de bâton ceux qui ne se retireraient pas ou qui ne rendraient pas à leur maître tous les autres respects qui lui sont dus et qu'en ces pays-ci nous trouverions bien insupportables. Il ne faut donc pas s'étonner si le roi de la Chine, le Grand Mogol, le roi de Perse et les autres potentats asiatiques ont cru qu'il était de leur dignité d'avertir ainsi le peuple de leur marche. Ceux qui précèdent pour cela le roi de Siam s'appellent ConlabanNakhon ban ? : นครบาล et CoengKhwaeng : แขวง. Les Conlaban tiennent la droite et les Coeng la gauche, et nous verrons dans la liste de certains officiers, que Coeng est le titre du prévôt. C'est pour le même sujet, c'est-à-dire pour écarter le peuple loin de la personne du roi de Siam quand il passe, que deux officiers de sa garde à cheval de Mên et de Láos marchent à ses deux côtés mais à 50 ou 60 pas de lui. Ses courtisans se trouvent les premiers au rendez-vous, ou bien ils suivent quelquefois à pied les mains jointes sur la poitrine. Quelquefois ils suivent à cheval, quelquefois sur des éléphants, mais en ce cas-là leurs éléphants n'ont point de chaise. Les gardes à pied et à cheval suivent aussi, mais à la débandade et sans aucun ordre, et si ce prince s'arrête, tous ceux qui le suivent à pied se prosternent sur les genoux et sur les coudes, et ceux qui le suivent à cheval ou sur des éléphants se baissent entièrement sur ces animaux. Ceux que l'on nomme Scháou-moûChao mu : ชาวหมู่ suivent aussi à pied : ce sont des domestiques du roi, qui ne sont pas des esclaves. Les uns portent ses armes, et les autres ses boîtes à bétel et à arec.

XXIII. Respect singulier des Siamois pour leur roi.

Lorsque ce prince donna aux envoyés du roi le divertissement de la prise d'un éléphant, une douzaine de seigneurs habillés de rouge et avec leurs bonnets rouges arrivèrent avant lui au lieu du spectacle et s'assirent à terre les jambes croisée devant l'endroit où se devait tenir le roi leur maître. Ils étaient tournés vers le lieu du spectacle, mais dès qu'ils entendirent le bruit de la marche de ce prince, ils se prosternèrent sur les genoux et sur les coudes vers le lieu d'où venait le bruit, et à mesure que le bruit approchait, ils se tournaient peu à peu et toujours vers le bruit, et demeuraient toujours prosternés, de sorte que quand le roi leur maître fut arrivé, ils se trouvèrent prosternés vers lui et le dos tourné au spectacle ; et tant que le spectacle dura, ils ne firent aucun mouvement et ne donnèrent jamais aucun signe de curiosité. Mais mon discours m'amène insensiblement à parler des spectacles et des autres divertissements des Siamois.

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VI. Des spectacles et des autres divertissements des Siamois.

NOTES

1 - Cette ambassade persane conduite par Muhammad Husain Beg était beaucoup plus récente que ce qu'affirme La Loubère, puisque les envoyés du sheik Suleiman arrivèrent au Siam en 1685, au moment où le chevalier de Chaumont en partait. Elle fit l'objet d'une relation manuscrite intitulée Safina'i Sulaimani (Le Navire de Suleiman) conservée au British Museum, traduite en anglais et publiée par John O'Kane en 1972. Les Persans, qui vouaient un véritable culte à leurs chevaux et n'avaient pas de mots assez forts pour en exprimer la grâce et la noblesse, furent fort déçus par la façon dont les Siamois considéraient ces animaux : Le regretté Muhammad Husain Beg, ainsi que les autres serviteurs de l'honorable délégation, avaient chacun amené plusieurs chevaux avec eux au Siam et il aurait été très pénible de les ramener en Iran. Par nécessité, ces chevaux furent cédés aux domaines du roi siamois. Chacun de nous avait perdu quelques chevaux sur son chemin et avait dépensé une vingtaine de tumans en plus du prix initial. Les Siamois, cependant, ne s'intéressent pas aux bons chevaux de race arabe et indienne. Ils en connaissaient la valeur marchande et ce que nous avions payé pour ces beautés féeriques, mais ils faisaient semblant de l'ignorer et ne nous donnèrent que dix à douze tumans en argent ou en marchandises pour chaque cheval.

Bien que les Siamois, contrairement à l'usage, ne coiffent pas leurs propres cheveux, ils coupent la crinière et la queue de leurs chevaux, qu'ils considèrent comme maléfiques, tant pour le cheval que pour le cavalier. Plus étrange encore, un cheval doit garder la tête baissée et rentré entre ses deux pattes avant. Cela est considéré comme un signe de respect pour le cavalier. Le cheval n'est jamais autorisé à lever la tête. Pour inciter l'animal à acquérir cette posture, les Siamois attachent d'abord la tête du cheval à ses pattes avant avec un court morceau de corde. Le cheval reste attaché de cette manière jusqu'à ce qu'il soit habitué à garder la tête baissée et qu'il apprenne finalement à marcher comme un vieux cheval de trait. Il n’est pas de coutume au Siam d’entraîner des chevaux à courir à des rythmes différents ou de réaliser des manœuvres d’équitation plus complexes. (The ship of Sulaiman, Routledge, 2008, p. 85). 

2 - Dont beaucoup de huguenots qui avaient fui la France pour échapper aux persécutions et aux dragonnades. La révocation de l'Édit de Nantes en 1685 avait considérablement refroidi les relations entre la France et la Hollande, et s'il faut en croire le père Tachard, les Français furent plutôt mal reçus lors de leur escale à Batavia. 

3 - Cette série d'usurpations sanglantes dans la plus pure tradition siamoise est ainsi relatée par W.A.R. Wood : À la mort du roi Prasat Thong (ปราสาททอง), son fils aîné, Chao Fa Chaï (จเจ้าฟ้าไชย) s'empara du trône, bien qu'il semble que le frère cadet du défunt roi ait été nommé prince héritier. Chao Fa Chaï, cependant, ne régna que quelques jours. Il fut emprisonné et exécuté après que son frère cadet, le prince Phra Naraï (พระนารายณ์), eut rejoint le parti de son oncle. Le prince Sri Suthammaracha (ศรีสุธรรมราชา), frère cadet du roi Prasat Thong, devint roi, et le prince Naraï fut nommé prince héritier.

Le peu que nous savons du roi Sri Suthammaracha nous laisse penser qu'il était aussi détestable que son frère. Heureusement pour le Siam, il régna moins de trois mois. En novembre 1657, il tomba amoureux de sa nièce, la sœur du prince Naraï, et lui fit des propositions qui lui déplurent. Elle sortit clandestinement du palais, cachée dans un meuble, et alla se plaindre auprès de son frère de ces avances inopportunes. Le prince Naraï décida de détrôner son oncle et de prendre sa place. Réunissant ses partisans, il attaqua le palais. Le roi fut blessé, mais réussit à s'échapper. Il fut capturé et exécuté quelques jours plus tard. (A History of Siam, 1926, p. 189-190). 

4 - Sur le site de Thale Chupson, près d'Ayutthaya, on peut voir un imposant escalier qui ne mène nulle part et servait sans doute au roi Naraï à monter sur son éléphant.

ImageEscalier sans doute utilisé par le roi pour monter sur son éléphant (Thale Chubson). 

5 - La Loubère fera une distinction entre ces « chaises à porteurs » et les palanquins, mot qu'on trouve dès 1619 dans le Voyage de Pyrard de Laval et que Furetière définissait en 1690 comme une espèce de chaise que des hommes portent sur les épaules, dont se servent les peuples orientaux de la Chine et de l'Inde pour se faire transporter là où ils veulent aller. 

6 - Le dessus d'un carrosse selon la définition de Littré. 

7 - Le patbok (พัดโบก) désigne un éventail courbé qui ne correspond pas à la description de La Loubère, qui semble plutôt évoquer un bangsun (บังสูรย้), un écran en forme de feuille.

ImageOrnements royaux : Chamon et patbok.
ImageOrnements royaux : Bangsaek et bangsun.
ImageBangsun et patbok au couronnement du roi Vajiralongkorn (2019). 

8 - pat (ผาด) n'a pas ici de signification particulière. « Descend » en thaï se dit long (ลง). 

9 - Chapitre IV de la 1ère partie. Voir notes 12 et 13

10 - Ici s'intercale une gravure de Franz Ertinger :

ImageBalon de mandarins. 

11 - Ici s'intercale une gravure de Franz Ertinger :

ImagePagayeurs. 

12 - Chirole est généralement utilisé dans les relations pour désigner - abusivement - la nacelle des éléphants ou l'habitacle qui occupe le centre des balons. On en trouve plusieurs déclinaisons : chirole, cherolle, charolle, etc. Tachard la décrit comme une espèce de petit dôme placé au milieu [du bateau]. (Voyage de Siam des pères Jésuites […], 1686, p.208). Le coup (กูบ) que mentionne La Loubère désigne effectivement en thaï la capote qui couvre parfois les nacelles d'éléphants ou le siège des balons, et non le siège lui-même.

ImageSiège de nacelle d'éléphant (sappakhat) couvert de sa chirole (cup). 

13 - Ici s'intercale une gravure de Franz Ertinger :

ImageBalon des envoyés du roi et du corps du roi de Siam. 

14 - Un dessin délicieusement naïf extrait du dossier anonyme Usages du Royaume de Siam en 1688, acquis du père Pourchot lors de la dissolution des Jésuites en 1762 et conservé à la Bibliothèque Nationale illustre la procession de balons qui accompagnèrent les envoyés français à l'audience du roi Naraï :

ImageEntrée des ambassadeurs français dans la rivière de Siam à l'embouchure de Siam.

Entrée des ambassadeurs français dans la rivière de Siam à l'embouchure de Siam ; il y a des deux côtés une batterie de canon, lorsque les français en sortirent ils y avaient tendu une chaîne avec des galères des deux côtés et des pieux comme de gros arbres plantés sur la barre pour fermer l'entrée de la rivière ; tous les balons ou bateaux dorés servirent à l'entrée des ambassadeurs, ce qui causa un fort beau spectacle sur le cours de la rivière. 

15 - Le règne de Prasat Thong (ca. 1600–1656), usurpateur ivrogne et sanguinaire, nous est notamment connu par la relation de Jérémie Van Vliet qui conclut ainsi son chapitre : … le roi a tellement retranché l'autorité des mandarins et les a réduits à une telle sujétion, qu'il n'y en a pas un qui s'ose dispenser d'aller tous les jours à la Cour et de faire la révérence au roi. Il ne leur est pas permis non plus de se rendre visite les uns aux autres, ni de se parler aux rencontres, si ce n'est tout haut et en la présence d'autres qui puissent être témoins de leurs discours, de sorte que par sa sévérité il leur ôte le moyen de conspirer contre sa personne. Il a un train et une suite magnifique. Toutes ses pensées sont vastes, se plaisant à réparer les vieux bâtiments et à en faire de nouveaux, à quoi les mandarins et le peuple sont obligés de contribuer, en sorte qu'ils sont réduits à des incommodités qui leur ôte le moyen de se soulever. Il change si souvent les premières dignités du royaume qu'il n'y a pas un seigneur qui puisse être assuré de la sienne, et les gouverneurs des provinces et des places fortes sont obligés de demeurer en la ville de Iudia et de se faire voir à la Cour tous les jours pendant que leurs lieutenants font les fonctions de leurs charges, et ainsi il assure sa personne et son trône ; en sorte que depuis plusieurs siècles, il n'y a point eu de roi en Siam qui ait été plus redouté que celui-ci. (Révolutions arrivées au royaume de Siam l'an mil six cent quarante-sept, traduction Abraham de Wicquefort, 1663, pp. 631-632. 

16 - Voir ci-dessus note 5. La forme de palanquin décrite par La Loubère s'apparente assez au kago japonais.

ImageKago japonais. 

17 - Ces parasols, nommés chatra (chat : ฉัตร) ne servent pas seulement à se protéger du soleil, mais également des maléfices qui peuvent venir du ciel. Réservés aux membres de la famille royale, leur nombre d'étages (3, 5, 7 ou 9) indiquent la hiérarchie, le chatra à 9 rangs, le Noppadon Maha Sawetachat (พระนพปฎลมหาเศวตฉัตร) étant l'ornement du roi couronné.

ImageChatra à 9 étages dans la salle du trône du Grand palais à Bangkok. 

18 - Nous reproduisons ci-dessous le détail de cette gravure :

ImageParasol à 3 rangs sur le balon des envoyés. 

19 - C'est également l'avis de Jean-Baptiste Pallegoix, qui écrivait : Les Européens les ont appelés talapoins, probablementdu nom de l'éventail qu'ils tiennent à la main, lequel s'appelle talapat (qui signifie feuille de palmier). (Description du royaume thaï ou Siam, 1854, II, p. 23). Toutefois, l'origine du mot reste obscure. Yule et Burnell, qui énumèrent plusieurs variantes du mot (talapegros, talapoy, talapoies, talipois, tallopins, talpooys, etc.), indiquent que le mot pourrait dériver du péguan tilapoin : Seigneur opulence (Hobson Jobson, 1903, pp. 890-891).

ImageTalapoin allant par la ville. Illustration du Voyage des pères jésuites de Guy Tachard. 

20 - Cette cérémonie d'inspiration brahmanique se célèbre sous des formes diverses dans beaucoup de pays d'Asie du sud-est. En Thaïlande, la tradition remonte au royaume de Sukhothai. Elle était tombée en désuétude dans les années 1920 et a été remise à l'honneur en 1960 par le roi Phumiphon. Elle est nommée Phra racha Phithi Chotphranangkhan Raek Na Kwan (พระราชพิธีจรดพระนังคัลแรกนาขวัญ) ou plus famièrement, et plus simplement Raek Na (แรกนา) et se célèbre au mois de mai. Elle est censée rendre les terres fertiles et fournir des prédictions quant aux récoltes à venir.

ImageCérémonie du premier labour en Birmanie. Illustration du XXe siècle.
ImageLa cérémonie du Raek Na sur la place Sanam Luang (สนามหลวง), face au Palais royal, à Bangkok. 

21 - On pense évidemment à Ok-ya khao (ออกญาข้าว), qu'on pourrait traduire par Seigneur du riz, mais Francis H. Giles suggère qu'il pourrait s'agir de Luang Kaeo Kharuharatana (หลวงแก้วคฤหะรัตน), chef des vergers et des jardins du roi (Analysis of van Vliet's Account of Siam Journal of the Siam Society, 30.2, 1938, p. 371). 

22 - Ce rituel magique, sans doute d'inspiration brahmanique, s'appelait laï nam (ไล่น้ำ), littéralement chasser les eaux ou encore laï rua (ไล่เรือ : chasser le bateau) parce qu'elle se terminait généralement par une course de bateaux. Contrairement à ce qu'affirme La Loubère, la cérémonie ne fut pas abolie du temps du roi Naraï, puisque environ deux siècle plus tard, en 1854, Mgr Pallegoix l'évoque dans sa Description du royaume thaï ou Siam (1854, II, p. 56), mais à cette époque, le roi ne se déplaçait plus en personne pour accomplir le rituel, son prestige risquant d'être écorné si les eaux continuaient à monter malgré ses royales injonctions, comme c'était souvent le cas. Il déléguait ses pouvoirs à des bonzes : Lorsque l'inondation a atteint son plus haut point, et dès que les eaux commencent à se retirer, le roi députe plusieurs centaines de talapoins pour faire descendre les eaux du fleuve. Cette troupe de phra, montée sur de belles barques, s'en va donc signifier aux eaux l'ordre émané de sa Majesté, et, pour en presser l'exécution, tous ensemble se mettent à réciter des exorcismes pour faire descendre la rivière, ce qui n'empêche pas que certaines fois l'inondation augmente encore en dépit des ordres du roi et des prières des talapoins.

D'après H. G. Quaritch Wales, (Siamese State Ceremonies, their History and Function, Londres, 1931), ce rituel n'avait pas lieu tous les ans. Le dernier monarque à l'accomplir fut le roi Mongkut (Rama IV) en 1831, année où la mousson fut exceptionnellement abondante. La cérémonie fut définitivement abolie sous le règne du roi Phumiphon Adunyadet. 

23 - Les voyages advantvrevx de Fernand Mendez Pinto, fidellement tradvits de Portugais en François par le sieur Bernard Figvier, Gentil homme Portugais avaient été publiés en 1645. Le passage évoqué par La Loubère se trouve au chapitre 183, p. 817. 

24 - La Loubère ne précise pas s'il compte avec le calendrier occidental ou le calendrier siamois, dont l'année commençait généralement en décembre. Les sixième et douzième mois pourraient être en ce cas mai et novembre, c'est-à-dire la fête de Vesak (Wisakha Bucha : วิสาขบูชา), et la fête de Loy Krathong (ลอยกระทง), à moins qu'il ne s'agisse de la fête aujourd'hui disparue de Con parian (จองเปรียง), le hissage des lanternes, décrite par H. G. Quarich Wales (Siamese State Ceremonies, 1931, p. 288 et suiv.) et par Gerolamo Emilio Gerini (Encyclopædia of Religion and Ethics, Hastings, volume V, 1912, p. 888) et qui avait lieu à peu près à la même période. 

25 - João de Barros (1496-1570) historien portugais et écrivain, auteur des Décadas da Asia, relatant les actions des Portugais dans les Indes. 

26 - Jerónimo Osório, historien portugais (1503-1580). Son ouvrage De rebus Emmanuelis (Lisbonne, 1571) fut traduit en français dans le premier tome de L'Histoire du Portugal comprise en deux volumes, contenant infinies choses mémorables advenues depuis l'an du seigneur 1090 jusqu'à l'an 1610, sous le règne de vingt rois (Paris, Samuel Crespin, 1610). 

27 - Naïres, Nahers ou Nayers, c’est le nom que les Malabares donnent aux militaires de leur pays, qui forment une classe ou tribu très nombreuse, et qui, comme ailleurs, se croit infiniment au-dessus du reste de la nation ; c’est dans cette tribu que les rois ou souverains du Malabare choisissent leurs gardes du corps. (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert, 1765, vol. XI, p.&nbnsp;8). 

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18 mai 2020