Harangues faites au roi, aux princes et aux princesses
de la Maison royale par ces ambassadeurs
à leurs première et dernière audience.

À la première audience (1).

À Louis XIV

Très grand roi,

Page du manuscrit de Nicolas de Sainctot

Qui par votre puissance avez dompté tous vos ennemis, nous demandons à Votre Majesté la grâce de vouloir bien nous entendre, et nous paraissons aujourd'hui devant elle avec d'autant plus de joie qu'elle en est elle-même comblée par la naissance du nouveau prince que le Ciel vient de donner à la France (2).

Le très puissant roi de Siam, notre maître, dont la grandeur éclate aux yeux de tous les rois et de tous les princes de l'Orient, et qui a pour Votre Majesté une amitié si forte qu'il nous est impossible de l'exprimer, nous a fait la grâce de nous choisir pour ses ambassadeurs auprès de Votre Majesté, et nous a chargés en même temps de lui apporter quelques présents pour témoignage de la haute estime qu'il a pour elle (3). Il nous a ordonné de faire connaître au cœur royal de Votre Majesté, qui est si vaste et si étendu, qu'il est parfaitement informé que Votre Majesté, douée d'une intelligence et d'une sagesse au-dessus de l'idée que peuvent s'en former tous les hommes, qu'ayant une autorité vraiment souveraine, elle gouverne ses États avec une équité et une justice admirable, qu'elle avait dans sa Cour un très grands nombre de seigneurs qui, par d'excellentes qualités, sont très capables d'exécuter les ordres qu'il plaît à Votre Majesté de leur donner pour le bon gouvernement de ses peuples, qu'elle a dans l'étendue de son empire quantité de villes fortes remplies de toutes sortes de munitions, et de tout ce qui est nécessaire pour la guerre, que le bonheur de ses armes s'étend également sur mer et sur terre, qu'elle a humilié jusque sous ses pieds tous ceux qui ont eu la témérité de s'opposer à ses desseins et qu'enfin, étant aujourd'hui l'arbitre tranquille, non seulement de la destinée de ses sujets, mais de la fortune même de ses voisins, elle gouverne la France avec une gloire qui surpasse de beaucoup celle de tous les rois ses prédécesseurs, et qui, remplissant d'admiration tous les souverains et tous les princes de la terre, les doit porter à chercher à l'envi son amitié.

Tant de royales qualités qu'on admire en Votre Majesté ayant répandu leur éclat jusque dans l'Orient, le roi notre maître en a été vivement frappé, et lorsqu'au milieu de toutes les grandes choses que la renommée publie tous les jours de Votre Majesté, il a connu l'amitié sincère et solide qu'elle voulait contracter avec lui, il en a eu une joie inexprimable. Toute sa Maison royale et tous les seigneurs de son royaume ont pris part à cette joie et ne se peuvent lasser de donner à Votre Majesté des louanges qui vont au-delà de tout ce que l'on peut penser. Le roi notre maître, ne sachant pas précisément ce qui, de toutes les choses de son royaume, plairait davantage à Votre Majesté, nous a chargés de quelques présents qu'elle aura la bonté d'ordonner à ses officiers de recevoir. Pour ce qui regarde nos personnes et celles des mandarins qui nous accompagnent, nous avouons à Votre Majesté que d'abord, nous avions ressenti quelque tristesse de quitter notre pays pour entreprendre un si long voyage, parce que nous n'étions pas accoutumés à ces sortes de navigations, mais aujourd'hui que nous avons le bonheur de paraître en la présence de Votre Majesté, de voir de nos propres yeux l'éclat qui l'environne et de reconnaître par nous-mêmes que tout ce que la renommée publie de sa grandeur et de ses qualités héroïques est encore au-dessous de la vérité, toute notre tristesse se dissipe et nous goûtons une paix et une joie aussi parfaite que si nous étions auprès du roi notre maître à recevoir les témoignages les plus touchants de sa bonté. Il ne nous reste plus, grand roi, qu'à supplier humblement Votre Majesté de nous prendre sous sa royale protection pour tout le temps que nous aurons l'honneur de demeurer dans son empire.

À Monseigneur (4).

Très grands prince,

Qui brillez aux yeux de tout l'univers par l'éclat de votre auguste naissance et par les qualités héroïques de votre personne,

Le roi de Siam, notre maître, qui nous a envoyés pour faire des compliments et pour souhaiter toutes sortes de prospérités au très grand roi de France, votre auguste père, nous a aussi chargés de vous saluer de sa part et de vous offrir quelques présents qu'il vous prie de recevoir avec la même affection qu'il vous les envoie. Il nous a ordonné d'ajouter que si entre toutes les choses qui se trouvent dans l'Orient, il y en a quelques-unes que vous souhaitiez, il vous prie de nous le faire connaître, afin de lui donner lieu en vous les envoyant de faire quelque chose qui vous soit agréable. Dans le désir ardent qu'il a de voir subsister à jamais l'amitié royale que nous venons contracter en son nom avec le très grand roi de France, il espère que par les brillantes lumières de votre esprit et par la générosité de votre cœur royal, vous prendrez soin de penser aux moyens d'entretenir et d'affermir pour toujours cette amitié entre les deux Couronnes. Nous pouvons, Très Grand Prince, vous assurer par avance que le roi notre maître prendra une extrême part à la joie de la naissance du nouveau prince que le Ciel vous donne, dans le même temps que nous venons de si loin vous présenter nos profonds respects, ce que nous regardons comme un heureux présage que ce prince portera un jour la gloire de son nom avec celle de la France jusqu'aux extrémités de la terre. Nous nous flattons que vous étendrez votre bonté sur nos personnes, et que vous ne nous refuserez pas l'honneur de votre puissante protection.

À Madame la Dauphine (5).

Très grande princesse,

Qui de votre élévation répandez partout des rayons,

Le très grand roi de Siam, notre maître, qui a une estime singulière pour la royale amitié du très grand roi de France, nous a envoyés pour le saluer de sa part et pour lui souhaiter toutes sortes de prospérités, ce qui ayant été su par le cœur royal de la princesse-reine sa fille (6), elle en a eu une très grande joie. Elle s'est informée de ce qui regardait les princes de la Maison royale et elle a appris avec beaucoup de plaisir que vous jouissiez d'un parfait bonheur avec le fils unique du roi. Comme elle désire extrêmement de savoir quelles choses de l'Orient vous pourraient être agréables, elle nous a ordonné de vous présenter quelques curiosités qu'elle vous envoie comme une espèce d'échantillon qui vous fera connaître ce qui se trouve dans le royaume de Siam. Si vous y remarquez quelque chose qui vous agrée, elle vous prie de nous le faire savoir et d'ordonner à quelques-uns de vos officiers de faire faire des modèles de tout ce que vous pouvez souhaiter. Elle nous a aussi chargés de vous dire qu'elle a un royal plaisir d'apprendre que le Ciel vous a donné des princes qui font l'espérance de la France, et elle vous prie de les élever dans le désir d'entretenir toujours une parfaite correspondance entre les deux royaumes, afin que l'alliance auguste que nous venons contracter dure aussi longtemps que le soleil.

À M. le duc de Bourgogne (7).

Très grand prince,

Lorsque le Dieu Ciel vous a fait naître pour le bonheur de la France, il n'y a eu personne dans le royaume de Siam qui n'en ait ressenti une extrême joie, parce qu'on vous a regardé comme celui que le Ciel destinait à perpétuer l'amitié entre les deux Couronnes ; et la princesse reine nous a chargés de vous présenter de sa part quelques présents pour vous divertir, en attendant que vous souhaitiez quelque autre chose de ce qui se trouve dans l'Orient.

À M. le duc d'Anjou (8),

Très grand prince,

Vous êtes né par la puissance et par la bonté du dieu du Ciel qui a voulu favoriser le royaume de France, afin que la très illustre Maison royale ne manquât jamais. Tout le royaume de Siam en a eu beaucoup de joie, et la princesse reine nous a ordonné de vous souhaiter de sa part toute sorte de bonheur, et de vous offrir quelques petites curiosités pour servir aux jeux de votre enfance, en attendant que l'âge vous fasse désirer quelque chose de plus considérable et de plus curieux.

À M. le duc de Berry (9),

Très grand prince,

Nous serons avoués du roi notre maître quand il saura que de sa part nous sommes venus vous souhaiter une vie parfaitement heureuse. Nous ne doutons pas que vous ne soyez un jour un prince très illustre et très grand, puisque vous semblez n'être né que pour donner audience à des ambassadeurs venus de l'extrémité de l'univers, et nous nous réjouissons de la connaissance particulière que vous aurez du roi notre maître quand vous trouverez son nom marqué à la tête de votre histoire, et que vous apprendrez que l'audience que vous nous donnez aujourd'hui a été l'un des premiers événements de votre vie.

À l'audience de congé (10).

À Louis XIV.

On pourra lire le texte de cette harangue à la page : Harangue de Kosapan à Louis XIV.

À Monsieur (11),

Très grand prince,

Le très grand roi de Siam notre maître nous a donné ordre de vous saluer de sa part après que nous aurions rendu nos respects au très puissant roi de France, votre frère. La renommée lui a fait connaître vos grandes actions, et il a su que vous avez remporté de glorieuses victoires sur les ennemis de la France (12) ; comme ces ennemis n'étaient les vôtres que parce qu'ils étaient ceux du roi votre frère, nous avons lieu de croire que vous regarderez comme vos propres amis ceux qui sont véritablement les siens. Notre grand roi est présentement de ce nombre, et nous vous prions de sa part de contribuer à entretenir toujours cette royale amitié. Nous vous demandons en particulier pour nous l'honneur de votre protection et de votre bienveillance.

À Madame (13),

Très grande princesse,

L'estime singulière que le roi de Siam notre maître fait de l'amitié du très puissant roi de France lui rend infiniment chère toutes les personnes qui composent la famille royale, et surtout une princesse pour qui Sa Majesté a tant d'estime et qui lui est si étroitement unie. C'est pour vous en assurer de sa part que nous paraissons ici, et ce nous est un sujet de joie extraordinaire qu'en exécutant les ordres de notre grand roi, nous ayons l'avantage de présenter nos respects à l'une des plus grandes, des plus excellentes et des plus accomplies princesses du monde.

À Monsieur le duc de Chartres (14).

Grand prince,

Le roi de Siam notre maître prend tant de part à ce qui regarde toute la maison royale de France, et en particulier la personne de Monsieur votre auguste père, que nous ne remplirions pas bien ses intentions ni nos devoirs si nous ne venions rendre ici à Votre Altesse royale nos très humbles respects. C'est avec un extrême plaisir que nous remarquons en elle tous les caractères de la plus haute naissance, des plus nobles inclinations et des qualités les plus héroïques : la beauté de l'âme se fait voir à nous dans celle du corps et vous paraissez à nos yeux comme un astre que se lève et qui, répandant d'abord une lumière vive et pure, fait juger qu'elle sera dans son midi la force et le brillant de ses rayons. La France est heureuse d'avoir des princes si accomplis, et nous le sommes nous-mêmes de venir contracter alliance avec elle dans un temps où les prospérités présentes sont soutenues pour l'avenir par les plus belles espérances que le Ciel puisse donner, et dont vous lui êtes, Grand prince, un très assuré et très précieux gage.

À Mademoiselle (15).

Grande princesse,

Dans l'engagement où nous nous sommes trouvés de venir présenter ici à Votre Altesse royale nos très humbles respects, nous avons eu beaucoup de joie de penser que nous verrions de nos propres yeux combien la France est favorisée du Ciel d'avoir des princesses si parfaites et si dignes de l'estime et de l'admiration de tous les peuples. Nous pourrons désormais en rendre un témoignage fidèle, puisque nous avons l'honneur de paraître devant vous, et nous ne saurions mieux vous marquer que nous souhaitons à Votre Altesse royale toutes sortes de prospérités qu'en l'assurant que nous lui souhaitons toutes celles dont son auguste naissance et les grandes qualités qui éclatent déjà en elle la rendent digne.

À Monseigneur.

Très grand prince,

Les ordres du roi notre maître et le temps propre à la navigation nous obligent enfin à venir prendre congé de vous. Nous compterons éternellement entre les avantages extraordinaires que nous avons trouvés en cette ambassade l'honneur que nous avons eu de connaître par nous-mêmes et de pouvoir faire connaître à tout l'Orient un prince si accompli, si généreux, si bienfaisant, si propre à gagner tous les cœurs, si digne enfin d'être le fils de Louis le Grand. Que de joie nous allons donner au roi notre maître quand nous lui apprendrons plus à fond quelle est votre grandeur d'âme, quelle est l'étendue de votre génie, en un mot tout ce que vous êtes et quels sont les enfants que le dieu du ciel vous a donnés qui sont autant de précieux gages que l'amitié que nous sommes venus contracter avec la France subsistera durant tous les siècles.

À Madame la Dauphine.

Très grande princesse,

Il est temps que nous portions à la princesse reine qui nous avait fait l'honneur de nous charger de ses ordres auprès de vous les nouvelles qu'elle désire sans doute avec ardeur. Celles que nous avons à lui apprendre lui seront si agréables que nous confessons qu'il nous serait difficile de ne pas ressentir quelque empressement de les lui porter. Nous n'oublierons pas de lui marquer les nouvelles faveurs que le Ciel prend plaisir à répandre sur votre auguste alliance avec le fils unique de Louis le Grand ; nous en avons été témoins, et nous en avons ressenti les premiers une joie extrême ; mais nous remplirons son esprit, et toute la Cour de Siam d'admiration quand nous raconterons les merveilleuses qualités que toute l'Europe admire en vous et que vous soutenez par un air de majesté qui découvre d'abord à ceux mêmes qui ne vous connaîtraient pas encore tout ce que vous êtes. Ce sera pour la princesse reine une satisfaction que nous ne pouvons exprimer d'apprendre qu'elle est dans l'estime et dans l'amitié d'une princesse si distinguée et si accomplie.

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Réception de trois ambassadeurs
siamois en 1686

NOTES :

1 - 1er septembre 1686. 

2 - Charles de France, duc de Berry, 3ème fils du dauphin Louis de France (Monseigneur) et de Marie-Anne de Bavière, petit-fils de Louis XIV, était né la veille, le 31 août 1686. 

3 - Une liste de ces présents a été publiée à la fin de la relation du chevalier de Chaumont. On pourra la consulter sur ce site : Mémoire des présents du roi de Siam au roi de France

4 - Louis de France, le Grand Dauphin, fils de Louis XIV et de Marie-Thérèse d'Autriche. 

5 - Marie-Anne de Bavière, épouse du dauphin Louis de France. L'audience ne put avoir lieu le 1er septembre, la dauphine ayant accouché la veille. Elle fut reportée au 12 octobre. 

6 - La princesse Sudawadhi (สุดาวดี), Krom luang (princesse de 3ème rang) Yothathep (กรมหลวงโยธาเทพ) 1656-1735, fille unique du roi Naraï et de la Princesse Suriyong Ratsami (สุริยงรัศมี), une de ses concubines. 

7 - Louis de France (1682–1712), fils aîné du Grand Dauphin et de Marie-Anne de Bavière. Il avait à peine 4 ans lorsqu'il entendit cette harangue. 

8 - Philippe de France (1683-1746), 2ème fils du Grand Dauphin et de Marie-Anne de Bavière. Il deviendra roi d'Espagne et des Indes sous le titre de Philippe IV. 

9 - Charles de France (1686-1714), dernier fils du Grand Dauphin et de Marie-Anne de Bavière. 

10 - Cette audience se tint à Versailles le 14 janvier 1687. La plupart des harangues prononcées à cette occasion ont été retranscrites par Donneau de Visé dans son numéro extraordinaire du Mercure Galant de janvier 1687. 

11 - Philippe de France, duc d'Orléans (1640-1701), frère puîné de Louis XIV. 

12 - Philippe d'Orléans avait remporté une brillante victoire à la bataille de la Peene en 1677, lors de la guerre de Hollande. Inquiet de la renommée qu'il s'était acquis auprès des Parisiens, et jaloux peut-être de ce succès militaire, Louis XIV ne lui donna pas l'occasion de confirmer ses capacités militaires et le confina depuis lors dans des postes subalternes. 

13 - Elisabeth Charlotte de Bavière, duchesse d'Orléans (1652-1622), seconde épouse de Philippe d'Orléans (Monsieur). 

14 - Philippe d'Orléans (1674-1723), duc de Chartres, petit-fils de Louis XIII et fils de Philippe duc d'Orléans (Monsieur). Il assurera la régence pendant la minorité de Louis XV entre 1715 et 1723. 

15 - Élisabeth-Charlotte d’Orléans (1676-1744), petite-fille de Louis XIII. 

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16 novembre 2019