4ème partie.

Page de la relation de Jérémie van Vliet

Le fils du défunt Oya Ligoor, nommé Ockon Senaphimocq (1), qui pouvait avoir environ dix-huit ans, seigneur bien né et de grande espérance, suivant les mouvements de son âge, se fit déclarer gouverneur de la province, et préoccupé qu'il était que le premier gouverneur avait empoisonné son père, il le fit arrêter prisonnier, résolu de le faire mourir et de le sacrifier aux mânes de son père. Mais ce vieux renard sut si bien cajoler le jeune gouverneur que non seulement il perdit tout soupçon qu'il pouvait avoir eu, mais aussi il épousa la fille aînée du meurtrier de son père, se jurant l'un à l'autre une fidélité éternelle et de s'assister réciproquement envers et contre tous. Après cela, le premier gouverneur commença à faire accroire à son gendre que le roi avait donné la province à son père non comme un simple gouvernement, mais pour y régner avec un pouvoir absolu, comme souverain, sans aucune dépendance de la cour ; et ainsi que cette province étant comme un royaume héréditaire en sa famille, la succession lui en appartenait comme à l'aîné de la maison. Ces discours sonnèrent si bien aux oreilles de ce jeune seigneur, qu'étant secondé par quelques flatteurs, il n'eut point de peine à les croire et à modérer l'affliction qui lui pouvait rester de la mort de son père. Il commença à prendre toutes ses mesures sur ce pied, à remplir les places des offices vacants, à distribuer des présents fort considérables à ses favoris, à faire des Oya Operas, à nommer des mandarins et même à assigner jour pour les solennités publiques de son couronnement, afin de se faire reconnaître en qualité de roi et de faire boire l'eau consacrée en lui prêtant le serment de fidélité. Mais pendant que le traître disposait son gendre à ce que nous venons de dire, il s'adressa à un certain capitaine japonais, le plus redoutable de la troupe, nommé Orkon Cirwoy Agwodt (2), et lui représenta que l'incapacité de ce jeune gouverneur le rendait indigne de cette qualité et que le commandement appartenait à lui, comme à un homme de mérite et comme à celui qui était le plus vaillant et le plus considérable de tous les Japonais. Ockon Cirwy prêta l'oreille à ces discours, et voulant relever ses prétentions, fit prendre les armes à ses amis, se déclara contre le jeune gouverneur et partagea par ce moyen les Japonais en deux factions qui vinrent souvent aux mains en plusieurs rencontres qui en éclaircissaient le nombre de part et d'autre.

L'ancien gouverneur, ayant armé les Japonais de cette façon les uns contre les autres, chercha encore d'autres moyens pour s'en défaire et pour les faire consumer entre eux, en opposant la noblesse et les habitants de Ligor à l'insolence des Japonais, en leur représentant que l'entreprise du jeune gouverneur n'était qu'une pure usurpation et un attentat à l'autorité royale. Que le gouvernement de la province n'avait jamais été héréditaire, mais qu'il dépendait de la disposition absolue de Sa Majesté, et que non seulement leur acquiescement déplairait à la cour, mais que même leur silence serait criminel et les exposerait au péril du dernier supplice. Qu'il y fallait procéder avec prudence et s'opposer aux desseins des Japonais. Ceux de Ligor goûtèrent si bien ces raisons que toute la noblesse résolut de n'aller point à la cour au jour que l'on avait assigné pour le couronnement, de ne reconnaître point les Japonais en matière d'État et de ne leur permettre aucune supériorité. Cependant les Japonais continuaient de faire tous les préparatifs nécessaires pour le couronnement, mais au jour nommé, pas un de la noblesse du pays ne parut à la cour, quoique les Japonais les en pressassent instamment. Mais cela n'empêcha point que les Japonais ne passassent outre et ne procédassent au couronnement, faisant publier Ockon Senaphimocq roi de Ligor et ordonner que l'on eût à le reconnaître pour tel, à lui rendre les honneurs ordinaires, à lui venir rendre hommage et à venir boire l'eau de fidélité. Ceux de Ligor ne le voulurent pas faire et dirent qu'Ockon Senaphimocq n'était qu'un usurpateur et un rebelle contre le roi de Siam, et qu'ils ne voulaient ni ne pouvaient le reconnaître en aucune qualité ou dignité qu'il ne l'eût auparavant obtenue de la cour.

Le premier gouverneur animait cependant les deux parties par ses intrigues, tellement que leur haine devenant irréconciliable, ils commençaient à se fortifier les uns contre les autres, à dessein de se surprendre l'un l'autre avec avantage, chacun demeurant dans la défiance et se tenant sur ses gardes. Mais Ockon Cirwy Agwod voyant que le gouverneur le trompait et qu'il ne cherchait que de s'établir sur les ruines des Japonais, se joignit au fils du défunt Oya Ligor et aux autres Japonais, attaqua et surprit l'ancien gouverneur en sa maison où il le tua de sa main, et fit couper la gorge à tous ceux que l'on y trouva. À cette occasion il y eut un cruel combat entre les Japonais et ceux de Ligor, en sorte qu'il y en eut plusieurs de tués de part et d'autres, jusqu'à ce que les Japonais, animés par le désespoir, chargèrent les autres avec tant de furie qu'ils furent contraints de tourner le dos et de s'enfuir de la ville, laquelle se trouvant ainsi abandonnée, fut pillée par les Japonais et en partie réduite en cendres. Toutefois les Japonais ne pouvant subsister d'eux-mêmes, leur prétendu roi fit publier une amnistie générale et fit convier les exilés de revenir dans la ville, leur promettant de faire rendre à chacun ce qui se trouverait en nature. Mais la défiance y était si grande, qu'à la réserve de quelque peu de Chinois, il n'y eut personne qui s'y voulut fier, tout le monde demeurant à la campagne ou se retirant dans les villes voisines. La ville de Ligor demeurant ainsi comme un lieu désert et ruiné, Ockon Senaphimocq et Ockon Cirwy ne laissaient pas de se battre continuellement pour le gouvernement, de sorte que le nombre des Japonais diminuait tous les jours dans les rencontres continuelles où ils se trouvaient, en l'une desquelles le capitaine Ockon Cirwy fut tué. Les Japonais considérant le peu d'avantage qu'ils tiraient de leur séjour à Ligor et que le roi de Siam ne les souffrirait point en son royaume, mais qu'ils y seraient bientôt attaqués par toutes les forces de l'État, abandonnèrent la ville et se retirèrent à Cambodge, au grand contentement des Siamois, qui eurent bien de la joie de se voir délivrés de cette vermine, comme de gens du désespoir desquels ils devaient tout craindre.

L'on ne se mit pas beaucoup en peine du désordre arrivé à Ligoor, des meurtres qui s'y étaient commis ni de la ruine de la ville, à cause de la joie que l'on y eut de la ruine et de la fuite des Japonais. Néanmoins quoique le procédé de ces gens eût été extrêmement insolent et cruel, il y en eut pourtant qui eurent le courage de quitter Cambodge et de retourner à Ligor, et même de là à Iudia où ils vivaient impunément sans qu'on leur fît autre mal, sinon que l'on évitait leur rencontre et leur compagnie. Ils chargèrent cependant une barque de toutes sortes de richesses, à dessein de les envoyer avec le corps de leur défunt colonel en Japon, mais elle fut saisie par ordre exprès du roi, soit pour les irriter, ou pour les convier par cet affront à sortir du royaume de Siam. Mais enfin, craignant de les mettre au désespoir, il leur rendit la jonque ou barque et leur permit de faire leur commerce en Siam. Les Japonais, au lieu de reconnaître cette civilité, en devinrent plus insolents et ne craignirent point de dire hautement qu'ils iraient attaquer le roi dans son trône et qu'ils mettraient la ville dans le même état où elle s'était vue du temps du grand roi. Mais le roi ayant été averti de l'insolence de leurs paroles et craignant l'effet d'une résolution désespérée, résolut de les prévenir, et pour cet effet il fit mettre le feu dans le quartier des Japonais la nuit du 26 octobre 1632, pendant que par le débordement de la rivière toutes les rues de la ville étaient comme noyées, faisant cependant incessamment tirer le canon sur leurs maisons avec tant de furie qu'ils furent contraints de se jeter dans leur jonques. Mais d'autant qu'ils n'étaient pas en assez grand nombre pour pouvoir armer les deux jonques, ils ne se servirent que d'une dans laquelle ils descendirent avec le courant de la rivière, combattant toujours en retraite. Le roi les faisait toujours attaquer et poursuivre aux dépens de la vie de plusieurs Siamois. Ceux qui étaient demeurés dans les autres quartiers de la ville furent fort soigneusement recherchés, chèrement achetés et cruellement suppliciés, au grand contentement de ceux à qui leur insolence avait été insupportable.

Les habitants de Ligor, se voyant délivrés de ces Japonais, voulurent aussi secouer le joug de la domination siamoise, se soulevèrent, prirent les armes et refusèrent de reconnaître le roi pour leur seigneur souverain et prince légitime, à dessein de se détacher de la couronne et de faire de leur province un État indépendant. Mais ils avaient à faire à un prince qui savait bien se faire obéir, et qui pour cet effet y envoya aussitôt un corps d'armée de dix mille hommes, sous trois des principaux chefs de guerre de son royaume. L'avant-garde composée de trois mille deux cents hommes était commandée par Opera Soupa Pontrock (3). Oya Iainam, général de toute l'armée (4), commandait le corps de bataille composé de quatre mille hommes, et Oya Ligor, c'est-à-dire le nouveau gouverneur de Ligor, conduisait l'arrière-garde. Ils attaquèrent le ville de Ligor tous trois en même temps et la prirent du premier assaut, forcèrent les rebelles dans un quartier où ils s'étaient barricadés, et envoyèrent dix-sept des principaux prisonniers à Iudia où on leur appliqua des lames de fer rouge aux pieds, sans ouïr et sans aucune forme de procès, liés de grosses chaînes, et furent enfouis en la terre jusque par-dessus les épaules, demeurant ainsi exposés à la risée des passants qui étaient obligés de leur donner à chacun une taloche sur la tête, qui est le plus grand affront que l'on puisse faire à un homme au royaume de Siam (5). Toutefois après qu'ils eurent été en cet état vingt-quatre heures, les ecclésiastiques intercédèrent pour eux, en sorte qu'on les tira de là et on les laissa aller.

En ce temps-là les rois de Ischeen Mey et de Naan (6), frères, étaient fort mal ensemble parce que l'aîné, qui était roi de Ischeen Mey et qui possédait la meilleure partie de la succession paternelle voulait aussi empiéter sur la part de son frère. Et de fait il le chassa de son royaume et le contraignait de se retirer avec quelques-uns de ses sujets en Siam. Mais après avoir demeuré quelque temps sous la protection du Siamois, environ cinq cents de ses sujets habitants de la province de Lauwa (7) se retirèrent et se rendirent à Ischeen Mey. Cette retraite mit le roi de Siam en peine car il craignait que Ischeen Mey, animé par ces transfuges, ne fît soulever le roi d'Ava contre lui (8) et que ces deux princes ne joignissent leurs armes pour lui faire la guerre. C'est pourquoi il résolut de les prévenir et fit lever pour cela une armée de quatre-vingt dix mille hommes, tant de pied que de cheval, accompagnée de grand nombre d'éléphants, d'artillerie et de toutes les autres choses nécessaires, assez bien selon le pays, et capables de prendre tout le royaume de Ischeel Mey. Iauphia (9), lieutenant général de cette armée, et les Oyas Calahom et Pithey prirent le devant, avec un corps de neuf mille hommes où l'on avait mêlé quelques Japonais qui avaient été tirés de la prison, et le roi les suivit en personne trois jours après avec le reste de l'armée. Le roi, avant que de sortir du palais, fit un serment solennel que les quatre premières femmes qu'il rencontrerait serviraient de sacrifice et que, pour cet effet, il les ferait tailler en pièces et ferait frotter ses barques de leur sang, de leur graisse et de leurs entrailles. À peine avait-il mis le pied hors du château qu'il rencontra quatre femmes dans une barque, en la personne desquelles il exécuta le vœu qu'il venait de faire et poursuivit son voyage, fort aise de cette rencontre qui semblait l'assurer de l'avantage qu'il espérait remporter sur ses ennemis. Le roi de Ischen Mey ayant su que le roi de Siam marchait avec une si puissante armée, abandonna son royaume et s'enfuit avec tous ses sujets sans attendre le secours que le roi d'Ava lui eût pu envoyer. Le roi de Siam ne rencontrant point d'ennemis et ne voulant point ramener son armée sans l'employer à quelque entreprise considérable, résolut d'attaquer Lycon Lawa (10), parce que le roi de cette province était tributaire de Ischeen Mey et lui avait fait hommage. Pour cet effet il envoya Oya Pouceloucq (11) devant avec quelques troupes et promit de le suivre avec le reste de l'armée. Mais Pouceloucq croyant qu'il y allait de son honneur s'il donnait au roi la peine de venir jusque-là, attaqua la ville principale de tous côtés, força les portes et mit le feu dans quelques maisons. Ce qui donna une si grande épouvante aux habitants, quoiqu'ils eussent parmi eux plus de deux mille hommes de défense, que le roi s'enfuit avec quelques-uns de sa suite, mais il fut si chaudement poursuivi qu'on le prit, mais tellement abattu de fatigue et de tristesse qu'il mourut devant qu'on le pût ramener à la ville. Le roi de Siam étant arrivé jusqu'à trois journées près de la ville de Lycon Lauwa et ayant su la prise de la ville et la prise et la mort du roi, ne voulut pas aller plus avant, mais demeura là et fit mettre des affiches à toutes les avenues et sur les grands chemins que si le fils du roi défunt lui voulait faire hommage, il pourrait revenir chez lui en toute sûreté et gouverner le royaume de son père. Mais le jeune prince ne comparut point ; tellement que Pouceloucq après avoir demeuré dix jours dans la ville, l'abandonna au pillage, emmenant et emportant avec lui une partie des habitants et toutes les richesses, toute l'artillerie et tous les vivres de la ville, n'y laissant qu'environ mille personnes pour avoir soin du corps du roi défunt afin qu'il pût être brûlé avec les cérémonies ordinaires. Dès que Pouceloucq eut joint le gros de l'armée, le roi retourna à Iudia où il entra comme en triomphe, ayant à sa suite plus de dix mille prisonniers et entre autres quelques-uns de ceux qui avaient quitté le roi Naan pour se rendre à son frère, dont on fit mourir plusieurs d'une façon fort extraordinaire, en les faisant mettre en des bambous, qui sont de fort grosses cannes, fendus, qui étaient encore sur terre, où ils mouraient misérablement. Ceux qui furent trouvés en vie au bout de quatre ou cinq jours furent condamnés au feu, mais on leur fit grâce de la vie à la prière des ecclésiastiques.

Le roi de Siam se voyant ainsi victorieux de ses ennemis et ayant établi ses affaires, se défit sous divers prétextes de la plupart des plus considérables seigneurs du royaume, même de ceux qui avaient le plus contribué à son établissement, de peur qu'ils n'exerçassent contre lui la même perfidie qu'ils avaient témoignée à l'égard de leurs rois légitimes. Au mois d'avril de l'an 1633, après que la troisième année de son règne fut expirée, il s'assit sur son trône et demanda aux mandarins qu'il avait fait assembler exprès s'il y avait quelqu'un parmi eux qui eût envie de s'enivrer. Et d'autant que personne ne dît mot, il leur fit une autre question, en leur demandant quel arac ils jugeraient le meilleur, le vieux ou le nouveau ; sur quoi quelques-uns ayant déclaré leurs sentiments, il leur dit qu'il y avait encore deux bouteilles de reste de celui du grand roi, et qu'il serait bien aise d'avoir leur avis sur ce que l'on en devait faire, et s'il valait mieux jeter l'arac, de peur que sa vieillesse et sa force ne fissent crever les bouteilles, puisque aussi bien personne ne s'en pouvait servir. Oya Ombrat et Oya Immera (12), pénétrant dans l'intention du roi, lui représentèrent avec beaucoup de soumission et de respect qu'il leur semblait que l'on pouvait pardonner à l'insolence de l'âge de ces deux princes, fils du grand roi, puisque ne pouvant pas tous deux faire douze ans ensemble ils ne se souviendraient point de la dignité que leur père avait possédée. Mais le roi, considérant cette réponse comme un reproche plutôt que comme une remontrance, se laissa tellement emporter à la colère que portant la main à l'épée, il leur fit de sa main plusieurs blessures sur la tête, les fit mettre en des cachots, disposa de leurs esclaves et fit piller leurs maisons. Après cela, sans aucune autre délibération, il envoya prendre ces deux jeunes princes, dont l'un n'avait pas encore sept ans et l'autre cinq, les fit conduire au lieu ordinaire de leur exécution et les fit mourir de la même façon que l'on avait fait mourir le prince, les deux rois et les autres personnes de la Maison royale, au grand mécontentement de tous les Siamois à qui cette cruauté faisait horreur. Leurs corps furent jetés dans un puits où ils demeurèrent plus d'un an, au bout duquel l'on en tira les membres pourris et les ossements et on les fit brûler sur le bord de la rivière, où l'on jeta les cendres, afin qu'il n'en restât aucune mémoire. En la même année, le roi ayant rencontré trois autres fils du grand roi, dont le plus âgé ne pouvait avoir que six ans, auprès d'une des concubines du défunt, lesquelles il avait fait loger dans le palais, et les voyant fort tristes, il s'imagina qu'ils s'entretenaient de leur condition passée et envoya aussitôt quérir Oya Sicry (13), qui est présentement Berckelangh, auquel il dit que les herbes dont les racines se cordent dès le commencement n'étant pas bonnes à manger, il les fallait arracher et jeter de bonne heure. Qu'il avait vu ces enfants auprès de quelqu'un de ses concubines en un état qui lui faisait juger que puisqu'en cet âge ils avaient assez de ressentiment du passé pour l'oser témoigner, ils ne manqueraient pas de le faire d'une autre façon quand ils auraient plus de cœur et plus de connaissance, et ainsi qu'il valait mieux leur faire tenir compagnie aux autres. Ce qui fut fait, car on les conduisit au même lieu où les autres avaient été exécutés et on les fit mourir de la même manière. La femme fut traînée à la rivière où elle fut noyée.

Il y a encore un prince en vie, qui est fils aîné du grand roi, dont le père devait succéder au royaume, mais d'autant que Para Marit, c'est-à-dire le roi noir (14) lui avait fait crever les yeux ou affaiblir la vue par le feu, il renonça à la couronne et demeura dans le palais, n'ayant qu'une femme et fort peu d'esclaves, n'ayant point d'autre divertissement que de se présenter plusieurs fois le jour devant le roi. Au mois de mars 1635, le feu consomma une bonne partie de la ville et la désola presque toute. Après que le feu fut éteint, l'on permit à ce prince d'aller à la ville et d'en voir le pitoyable état : mais il n'eut pas sitôt paru dans la rue que pour son malheur le peuple, voyant en ce prince les restes de la Maison royale, le regarda avec vénération et lui rendit de plus grands honneurs qu'il n'avait accoutumé de rendre au roi même. Ce qui donna une telle jalousie au tyran qu'il résolut de le faire mourir. Toutefois, afin de le pouvoir faire avec quelque prétexte de justice, il le fit agacer par des soldats du palais, qui ont les bras peints (15), qui le traitèrent fort indignement et lui dirent des paroles fort offensantes qui l'obligèrent à donner un soufflet à un des gardes. Ce qu'ayant été rapporté au roi, il envoya quérir le prince, lui fit des reproches fort aigres et lui dit que son audace était devenue insupportable et qu'il avait perdu le respect qu'il lui devait en mettant la main sur des gens qui portent sa marque, qui sont conservateurs du repos public et exécuteurs des lois du royaume, et puisqu'il avait eu l'impudence de les attaquer, sa personne royale, sa femme et ses enfants ne seraient point en sûreté ; et ainsi, que pour prévenir les maux qu'il en devait craindre à l'avenir, il était nécessaire qu'il mourût. Le prince ayant été ainsi condamné fut mené au lieu du supplice ; mais les prières de la princesse, aïeule du roi, leur sauvèrent la vie, pour le rendre plus misérable parce que le roi lui fit prendre des drogues qui le rendirent hébété en achevant de lui ôter presque tout l'usage des yeux et des oreilles et en lui troublant la cervelle, en sorte qu'il ne faut point espérer que ce prince soit jamais capable de régner.

Enfin le 18 février de l'année passée, le roi, voulant se défaire de tout ce qui lui pouvait faire ombrage, résolut de faire mourir les deux derniers fils du roi, princes âgés l'un de seize et l'autre de dix-huit ans, et les ayant pour cet effet fait conduire la nuit devant le temple de Pramank hopraga (16), où les rois et les autres princes avaient été exécutés, à dessein de les faire mourir de la même façon qu'eux, la même princesse, aïeule du roi, qui lui a servi de conseil en la plupart de ces exécutions, ses deux premières femmes et les deux sœurs de ces deux princes voulurent intercéder pour eux, mais le roi ne les voulut point écouter, jusqu'à ce que sa mère, ayant menacé de se jeter dans la rivière, et les reines ayant préparé du poison pour le prendre si le roi persistait en son cruel dessein, il fut contraint de faire surseoir l'exécution. Et depuis ce temps-là les princes ont été obligés de sortir du palais pour aller demeurer de delà la rivière. L'on a marié l'aîné à une fille de fort basse condition, et les uns et les autres ont fort peu d'esclaves et un revenu si médiocre qu'à peine suffit-il pour les faire subsister. Ils sont obligés d'aller tous les jours à la cour, et quand le roi paraît en public, ils se trouvent à sa suite, montés sur de beaux éléphants, ou si le roi se met sur la rivière, ils se mettent en des barques dorées et fort richement garnies. Il ne reste aujourd'hui en vie de toute la famille royale que la reine, qui est la troisième femme du roi, ses sœurs, les deux princes dont nous venons de parler et quelques cousines qui sont parentes assez éloignées, tous les autres étant péris par les mains de celui qui leur devait la vie et qui était le plus obligé à conserver la leur.

Avec tout cela, il est certain que depuis plusieurs siècles pas un roi de Siam n'a apporté au trône tant de valeur, une prudence si consommée, ni une politique si adroite ; tellement que l'on peut dire qu'à la réserve de la cruauté qu'il a exercée au commencement de son règne, il a toutes les qualités nécessaires pour bien régner et que s'il n'a point de titre pour la succession de la couronne, il a le mérite d'un roi légitime. Tellement que l'on peut dire que tous les heureux succès de ses grandes entreprises sont des effets de son excellente conduite plutôt que de son bonheur. Les habitants de Pattani refusaient de lui faire l'hommage qu'il ont de tout temps accoutumé de rendre au roi de Siam, mais afin qu'ils ne pussent trouver dans le voisinage de quoi se fortifier en leur rébellion et de quoi troubler le repos du royaume par une guerre étrangère, il envoya dès le commencement de son [règne une] ambassade solennelle aux rois d'Athein et d'Arracan (17), pour renouveler les traités d'alliance, amitié et correspondance que ses prédécesseurs avaient toujours entretenues avec eux, et fit un traité de paix avec eux. Car encore que la suite des affaires ait fait connaître que ce traité n'est pas pour subsister, le roi ne laissa pas de s'en servir pour ramener ceux de Patani à l'obéissance qu'ils lui devaient. Étant donc assuré de ce côté-là, il fit passer en l'an 1634 une armée de trente mille hommes, laquelle il renforça de plusieurs étrangers, Portugais, Métisses, Japonais, Malais, etc. qui demeuraient dans le royaume, et la pourvut d'éléphants, chevaux, artillerie, vivres et munitions nécessaires pour un grand exploit. Cette armée était commandée par quatre chefs, savoir par Oya Ligor, Oya Berckelangh, Oya Calahom et Oya Rabasit (18), mais leurs divisions, leur peu d'expérience au fait de la guerre et leur mauvaise conduite eurent le succès que l'on devait attendre de leur désordre : de sorte que voulant attaquer l'ennemi seuls, sans les étrangers, et particulièrement sans les Hollandais, qui étaient les mieux armés et disciplinés, ils y trouvèrent une si vigoureuse résistance qu'ils furent contraints de se retirer. Ce qui obligea le roi à lever une seconde armée, si redoutable que la reine de Pattani, se servant de l'entremise du roi de Queda, se mit à son devoir, envoya en l'an 1636 ses ambassadeurs à la cour et fit faire l'hommage dans les formes accoutumées, l'accompagnant des reconnaissances ordinaires, de plusieurs fleurs d'or et d'argent. Après cela, le roi, voulant affermir le repos de son royaume, y attirer le commerce des étrangers et obtenir pour lui et pour ses sujets la liberté de trafiquer et d'envoyer leurs jonques partout, il fit paix et alliance avec tous les princes indiens et avec tous les rois et États qui sont connus dans les Indes. Et quoi qu'il eût chassé et maltraité les Japonais, il ne laissa pas de les faire revenir quelque temps après et d'envoyer ses ambassadeurs en Japon pour faire un traité avec ce puissant empereur d'une très considérable partie de l'Orient. Cet ambassadeur était porteur d'une lettre écrite en caractères d'or, et de plusieurs grands présents. Mais d'autant qu'il n'était pas encore revenu lorsque je partis de Iudia, il y a deux ans, je ne puis rien dire du succès de sa négociation.

Il y a fort longtemps que le roi de Chiampa (19) est aussi vassal de la couronne de Siam ; et d'autant qu'il refusa de faire hommage du temps de Pra Marit, ou du roi noir, il y a environ cinquante ans, ce prince entra avec une armée dans son royaume, le vainquit en bataille et le contraignit de lui faire hommage. Mais dès que ce roi, qui était redouté de ses voisins, fut décédé, le roi de Chiampa, ne voulut plus reconnaître celui de Siam. Le roi d'aujourd'hui étant parvenu à la couronne envoya aussitôt des députés, et entre autres Trackousa Tfibidi (20) au roi de Chiampa, lui fit faire quelques présents, le fit ressouvenir de son devoir et convier de faire l'hommage que ses prédécesseurs avaient toujours rendu aux roi de Siam. Le roi de Chiampa reçut ses députés fort bien et les traita magnifiquement et promit d'envoyer bientôt ses gens à Iudia pour y faire hommage. Toutefois ses promesses demeurant sans effet, le roi de Siam y renvoya au mois de décembre suivant le même Trackhousa, avec un joli petit présent au roi de Chiampa, pour convier encore ce prince, fort doucement, de venir rendre ce devoir. Mais l'on ne savait pas encore le succès de cette deuxième ambassade lorsque je partis de là. Ce même roi traita fort mal les Portugais et les retint longtemps misérablement prisonniers, au commencement de son règne ; mais en l'an 1636 il envoya des ambassadeurs à Malacca et à Manilla pour renouveler les traités d'amitié avec les gouverneurs de ces places et pour leur offrir la paix, laquelle néanmoins ne fut faite qu'en l'an 1639 par l'entremise d'un ambassadeur chinois de Macao. Il envoya aussi, au commencement de son règne, des ambassadeurs aux rois d'Ava, Pegu et de Langhianch (21), et par le moyen de toutes ces ambassades, et par les traités qu'il fit ensuite, il confirma la paix avec ses voisins et le repos de son royaume. La jalousie de ces rois de Pégu et de Langhiangh est si grande qu'ils vivent dans une défiance continuelle et se tiennent sur leur garde, de peur d'être attaqués et surpris par le roi de Siam, quoique avec peu de fondement, parce que le roi de Siam, voulant assurer la couronne à ses parents, et pour cela acquérir la bienveillance de ses sujets, il tâche de les faire vivre en paix, et de les enrichir par le commerce.

Le roi ayant ainsi dompté les rebelles, fait la paix avec ses voisins, et étant sur le point de traiter avec la principauté de Pattani, n'avait plus rien qui le pût inquiéter que la présence de Berckelangh, qu'il avait fait Oya Poucelouk. C'est celui qui lui découvrit le dessein que le roi défunt avait de le faire mourir qui hasarda si souvent sa vie pour conserver celle du roi lorsqu'il était encore Oya Calahom, et qui l'avait le plus servi par son courage, par sa prudence et par sa conduite en l'usurpation de la couronne : tellement que Sa Majesté lui avait solennellement promis, avec les cérémonies qui leur sont ordinaires, qu'à son avènement à la couronne, il le ferait déclarer Flyna, c'est-à-dire prince héritier du royaume de Siam (22). À quoi il manqua néanmoins en déclarant son frère Flyna, ou héritier présomptif de la couronne, faisant Berckelangh Oya Souarcelouq (23), et ensuite gouverneur de Poucelouck. Et quoiqu'au royaume de Siam l'on ne donne les gouvernements des provinces qu'au fils du roi ou aux princes du sang, Berckelangh ne se contenta pas de cette dignité, ne laissa pas de murmurer contre le procédé du roi et de se plaindre de son ingratitude, et s'adressant au roi même, il le pressait souvent sur ce sujet, lui représentant que c'était à sa valeur qu'il était principalement obligé de la dignité royale. Le roi ne le désavouait point, mais la chose n'était plus en son entier, car il ne pouvait se résoudre à l'appeler à la succession de la couronne au préjudice de son frère, lui promettant de le considérer comme la personne du monde à qui il était le plus obligé et de l'avancer aux premières charges du royaume. Mais après la victoire de Ligor, dont Berckelangh eut tout l'honneur, sa réputation, sa civilité et sa conduite commencèrent à être non seulement suspectes, mais même si redoutables au prince, frère du roi, que par le moyen de l'aïeule du roi, de leur mère commune et de quelques flatteurs, il gagna si bien le roi son frère, que Sa Majesté sans avoir égard aux puissantes obligations qu'il avait à Pouceloucq et aux serments qu'ils s'étaient faits environ trois mois auparavant, le fit prendre au collet lui fit griller les plantes des pieds, lui chargea tout le corps de fers et le jeta dans une vilaine prison sous la garde d'Oya Iumerat (24), son ennemi déclaré. Sa maison fut pillée, ses esclaves, chevaux et éléphants furent mis en proie et ses richesses furent portées au palais. Le roi se porta principalement à ces extrémités parce que quelques mathématiciens et astrologues avaient dit que Pouceloucq avait eu, au moment de sa naissance, un ascendant si favorable qu'il ne lui promettait pas moins d'une puissance souveraine et une couronne royale : de sorte que le roi le voyant autorisé, puissant riche et sage, commençait à l'appréhender et à le haïr. Pouceloucq se trouvant en cet état, quelques ecclésiastiques conseillèrent son fils de s'aller jeter aux pieds du roi et de réclamer sa miséricorde. Ce jeune seigneur n'avait que neuf [enfants ?] ans, et ne laissa pas d'intercéder pour son père en des termes qui touchèrent si fort le roi qu'il promit formellement à l'enfant que dans ce jour-là il ferait sortir le père de prison et l'enverrait chez lui. Mais l'effet ne répondit point à ces belles espérances. Car dès que l'enfant fut retiré, le roi, qui s'était échauffé dans la boisson, demanda à Iumerat ce qu'il lui conseillait de faire de Pouceloucq, et celui-ci, qui ne demandait qu'à se défaire de son ennemi, lui dit qu'un serpent qui aura été nourri et élevé par quelqu'un depuis sa jeunesse ne laissera pas de le mordre si l'autre lui marche sur la queue. Le roi goûta si bien cette réponse qu'il commanda aussitôt à Iumerat de faire mourir Pouceloucq ; et Iumerat, ne voulant pas perdre l'occasion de se défaire de son ennemi, quitta en même temps le roi, et rencontrant dans l'antichambre les ecclésiastiques qui attendaient l'effet des promesses que le roi avait faites au fils, les amusa en leur disant qu'ils n'avaient qu'à se retirer chez eux parce que le roi avait absout Oya Pouceloucq et l'allait faire sortir de sa prison, mais le faisant aussitôt tirer de son cachot, de peur que la reine se ravisât et ne le sauvât à la prière des ecclésiastiques, il lui fit de sa main une blessure mortelle en lui donnant un coup de poignard au côté droit. Pouceloucq, voyant qu'il fallait mourir, s'emporta à des reproches de l'ingratitude, de la perfidie, et de la cruauté du roi, lequel lui étant obligé de la vie et de sa couronne, le faisait mourir innocemment, contre le serment qu'il lui avait solennellement renouvelé depuis quelques mois, et dit que la mort ne lui faisait point de peur, mais que son plus grand regret était de n'avoir pas été l'épée à la main, lorsque son autorité et ses amis lui pouvaient faire espérer la couronne. Il en voulait dire davantage, mais Iumerat le fit conduire au lieu de supplice et fit couper le corps en trois pièces. Les prêtres les brûlèrent et en mirent les cendres avec celles du prince. Le roi a souvent regretté cette mort, mais avec cela il a réduit sa femme en servitude et n'a jamais voulu permettre que le fils du défunt ait été élevé à la cour, parmi ses pages, mais a souffert au contraire que les parents lui donnent de quoi subsister avec beaucoup d'incommodité. Oya Iumerat, exécuteur d'Oya Pouceloucq, a été élevé en sa jeunesse avec le roi par la reine mère, mais dans une condition assez abjecte, et il rendit des services fort considérables à Sa Majesté en l'usurpation de la couronne. En récompense de ces services, le roi le fit Oya Siery (25), qui est une des premières dignités du royaume, en laquelle il acquit tant de réputation par sa civilité et par sa libéralité, par laquelle il acquit l'affection des étrangers et des Siamois, à un point que son autorité commença à être suspecte au roi qui se contentait de nourrir la jalousie qu'il voyait entre eux et de brider l'autorité de l'un par celle de l'autre. Enfin Oya Siery fut accusé d'avoir conspiré contre l'État et contre la personne du roi, et qu'ayant donné à dîner chez lui à trois Oyas, à trois Operas, et à deux Oloanghs, ils s'étaient vantés qu'ils avaient assez d'amis et de partisans pour traiter le roi de la même façon qu'il avait traité les deux ou trois derniers rois ses prédécesseurs, et qu'ils s'étaient promis d'établir Oya Siery en sa place. Le roi en ayant été averti, le fit venir avec tous ceux qui avaient dîné ensemble, les fit examiner fort exactement, et leur ayant reproché leur trahison, monta sur un éléphant enragé, à dessein de les exposer à la fureur de cette bête qui les allait abattre sous ses pieds sans l'intercession d'Oya Pouceloucq, qui représentant au roi qu'il était lui-même en danger de sa vie, se fit descendre de l'éléphant. Mais ce ne fut que pour se mettre en son trône et pour commander à Pouceloucq de lui amener Siery et ses complices pour les faire mourir de sa main. Siery voyant le roi en si grand colère et sa personne au dernier péril de la vie, pria Pouceloucq de lui sauver la vie par son intercession. Pouceloucq en parla à la reine mère, à laquelle se joignirent aussi quelques ecclésiastiques, qui tous ensemble obtinrent leur pardon du roi. Mais ils furent enfermés dans une basse fosse et tous les bien de Siery donnés au pillage. Et afin que dans le désordre du pillage le temple que le roi avait fait bâtir et son arsenal ne fussent pillés aussi, parce qu'ils étaient proches de la maison de Siery, les Oyas Pouceloucq, Berckelangh et Pitterasia (26) eurent ordre de les faire garder là où Pouceloucq ne peut pas dissimuler la haine secrète qu'il avait contre Siery, en ce qu'il fit abattre le seuil de la porte de sa maison ; en disant qu'il ne voulait pas entrer dans la maison par une porte où le traître avait passé. Après que Siery eut été longtemps prisonnier, il se justifia du crime dont on l'accusait, par le feu ; de sorte que le roi, l'ayant déclaré innocent, lui fit restituer ses femmes, ses esclaves et ce que l'on put recouvrer de son bien, le faisant Oya Iumerat, le même jour qu'Oya Pouceloucq fut arrêté et sous sa garde. Mais il ne se souvint point de l'obligation de la vie qu'il avait à son prisonnier et en usa de la façon que nous venons de dire. Ce que j'ai bien voulu raconter en passant, afin de faire voir l'adresse du roi, en se servant des uns pour faire périr les autres pour se défaire de ceux qui pourraient faire en sa personne ce qu'ils avaient fait pour lui contre leurs princes légitimes.

Au reste, pour en ôter tous les moyens aux grands qui pourraient avoir cette volonté, le roi a tellement retranché l'autorité des mandarins et les a réduits à une telle sujétion, qu'il n'y en a pas un qui s'ose dispenser d'aller tous les jours à la cour et de faire la révérence au roi. Il ne leur est pas permis non plus de se rendre visite les uns aux autres, ni de se parler aux rencontres, si ce n'est tout haut et en la présence d'autres qui puissent être témoins de leurs discours, de sorte que par sa sévérité il leur ôte le moyen de conspirer contre sa personne. Il a un train et une suite magnifique. Toutes ses pensées sont vastes, se plaisant à réparer les vieux bâtiments et à en faire de nouveaux ; à quoi les mandarins et le peuple sont obligés de contribuer, en sorte qu'ils sont réduits à des incommodités qui leur ôte le moyen de se soulever. Il change si souvent les premières dignités du royaume qu'il n'y a pas un seigneur qui puisse être assuré de la sienne, et les gouverneurs des provinces et des places fortes sont obligés de demeurer en la ville de Iudia et de se faire voir à la cour tous les jours, pendant que leurs lieutenants font les fonctions de leurs charges, et ainsi il assure sa personne et son trône ; en sorte que depuis plusieurs siècles, il n'y a point eu de roi en Siam qui ait été plus redouté que celui-ci.

Fin de la relation de Jérémie Van Vliet

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La relation de Jérémie Van Vliet
3ème partie

NOTES

1 - Ockon Senaphimocq : Okkhun Senaphimuk (ออกขุนเสนาภิมุข), titre nobiliaire inférieur à celui de son père qui était Okya, c'est-à-dire l'équivalent de duc dans l'Ancien régime français. 

2 - Orkon Cirwoy Agwodt : Okkhun Sri Waiyawut (ออกขุนศรีไวยาวุธ). 

3 - Opera Soupa Pontrook : Okphra Sakdapholarit (ออกพระศักดาพลฤทธิ์), un dignitaire attaché au service du vice-roi. 

4 - Oya Iainam : très certainement Okya Taiman (ออกพระท้ายน้ำ). Il s'agit vraisemblablement du même titre que celui que portait l'Opera Taynam , général de la cavalerie, déjà cité plus haut par van Vliet et qui fut exécuté après la mort du roi Song Tham. Toutefois, celui-ci, Okya (ออกญา), est d'un rang supérieur à l'Okphra (ออกพระ). 

5 - Il y a une hiérarchie des hauteurs dans la cosmographie bouddhiste, les lieux les plus élevés étant les plus sacrés. Cette hiérarchie se retrouve pour le corps humain. En Thaïlande, aujourd'hui encore, la tête est considérée comme la partie noble du corps, tandis que les pieds en sont la partie la plus vile et la plus méprisable. 

6 - Ischeen Mey : une des innombrables épellations de Chiang Mai (เชียงใหม่) qui était alors un royaume indépendant, aujourd'hui province au nord de la Thaïlande. Naan (น่าน), ancien royaume du nord, aujourd'hui province de Thaïlande, frontalière avec le Laos. 

7 - Lauwa : Lawa (ละว้า), ancienne province du nord du Siam. 

8 - Ava (อังวะ), également appelé Ratanapura, aujourd'hui Innwa, ancien royaume de Birmanie.

ImageRoyaumes d'Aracan, de Pegu, d'Ava, de Siam, etc. Détail d'une carte du XVIIIe siècle. 

9 - Iauphia : Thao Phya (ท้าวพญา), titre d'un haut dignitaire civil ou militaire. On retrouve la confusion entre le I et le T, assez fréquente dans l'édition de la relation de Van Vliet. Voir notamment ci-dessus Iainam pour Tainam

10 - Lycon Lawa : MMmes Nantasutakul et Chusri Sawatdiwar traduisent par Nakhon Lao (นครลาว), la ville capitale du royaume Lao, qui serait peut-être la Ventiane d'aujourd'hui. 

11 - Oya Pouceloucq : Okya Pitsanulok (ออกญาพิษณุโลก), le gouverneur de la province de Phitsanulok, au nord du Siam. 

12 - Oya Ombrat : Okya Uparat (ออกญาอุปราช), plus souvent appelé Maha Uparat (มหาอุปราช). C'était un des titres les plus importants du royaume, qui désignait un vice-roi, également appelé Wangna (วังหน้า). Ce titre a été supprimé par le roi Rama V (Chulalongkorn) en 1876. Oya Immarat : Okya Yomarat (ออกญายมราช). Mgr Pallegoix (Du royaume thaï ou Siam, 1854) mentionne l'existence d'un Chào-phaja-jômaràt (เจ้าพระยายมราช), présenté comme grand chef des satellites, c'est-à-dire de la police et des forces de l'ordre, une sorte de ministre de l'intérieur. 

13 - Oya Sicry : Okya Chakri (ออกญาจักรี) l'une des plus hautes dignités du royaume. 

14 - Para Marit : Phra Naresuan, c'est-à-dire le roi Somdet Phra Naresuan Maharat (สมเด็จพระนเรศวรมหาราช) qui régna sur le royaume d'Ayutthaya entre 1590 et 1605, date de sa mort. Le Grand roi cité précédemment désigne très vraisemblablement le roi Song Tham, même si dans l'inflation honorifique siamoise, tous les rois sont plus grands les uns que les autres, fussent-ils les derniers des ruffians. 

15 - Ces bras peints (ken laï : แขนลาย) sont ainsi appelés parce leurs bras scarifiés avaient été recouverts de poudre à canon, ce qui, en cicatrisant, leur donnait une couleur bleue mate. La Loubère écrira d'eux (Du royaume de Siam, 1691) : Ils sont les exécuteurs de la justice du prince, comme les officiers et les soldats des cohortes prétoriennes étaient les exécuteurs de la justice des empereurs romains

16 - Pramank hopraga : une nouvelle graphie de Wat Phra Men khok Phraya (วัดพระเมรุโขกพญา), le temple où avaient lieu les exécutions des personnes de sang royal. Voir la 1ère partie de la relation, note 27

17 - Athein : Aceh (อัดแจ), ou Atjeh, ou encore Achem, ancien royaume sur la pointe nord de l'île de Sumatra. Aujourd'hui province d'Indonésie. Aracan (Yapai en thaï : ยะไข่), ancien royaume situé sur la côte ouest de l'actuelle Birmanie. 

18 - Oya Rabasit : Okya Ramasit (ออกญารามสิทธิ์). Selon Francis H. Giles (op. cit.) il pourrait s'agir d'un dignitaire en relation avec le service de renseignement des armées. 

19 - Chiampa : Champa (จามปา), ancien royaume cham situé sur l'actuel centre et sud-vietnam. 

20 - Trackousa Tfibidi : Phra Kosathibodi (พระโกษาธิบดี). Il semble que ce soit le titre d'un dignitaire en relation avec le Phra Khlang, sorte de premier ministre. 

21 - Langhianch : Lan Chang (ลานช้าง), le royaume du million d'éléphants, qui occupait une partie de l'actuel Laos et du nord-est de la Thaïlande, jouxtant le Lan Na, le royaume du million de rizières.

ImageLe Lan Chang (Lan Sang) et les royaumes voisins vers 1540. (Wikipédia). 

22 - Flyna, ou plutôt Faina (ฝ่ายหน้า), ce mot désigne le vice-roi, qu'on appelait également Wang na (ฝ่ายหน้า) ou encore Upparat (อุะปราช). Dans sa Description du royaume thaï ou Siam, (1854, I, p. 288), Mgr Pallegoix écrit : C'est ordinairement un frère ou un proche parent du roi qui est élevé à cette dignité. Il a un immense palais presque aussi beau et aussi somptueux que celui du premier roi, il a aussi les insignes royaux ; tous les passants sont obligés de se prosterner devant son pavillon situé au bord du fleuve. Il a sa cour, ses officiers, ses mandarins absolument sur le même pied que le premier roi. C'est ordinairement lui qui se met à la tête des armées en temps de guerre ; le premier roi ne fait rien d'important sans avoir son approbation. 

23 - Oya Souarcelouq : Okya Sawankhalok (ออกญาสวรรคโลก), gouverneur de la province de Sawankhalok, aujourd'hui intégrée à la province de Sukhothai. 

24 - Oya Iumerat : Okya Yomarat (ออกญายมราช). Voir ci-dessus note 12. 

25 - Oya Siery : Il s'agit de l'Okya Chakri (ออกญาจักรี) orthographié plus haut Oya Sicry. Voir ci-dessus note 13. 

26 - Pitterasia : Phra Phetracha (พระเพทราชา). C'était le titre du chef du département des éléphants, titre que portera le mandarin qui provoquera la révolution de 1688, chassera les Français du royaume et succèdera au roi Naraï en usurpant la couronne. 

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5 mars 2019