PRÉSENTATION
Ce manuscrit conservé aux Archives Nationales de Paris sous la cote Col. C1/25, folios 58 à 60 est ainsi présenté dans le catalogue des Archives : Transcription par Jean Rival (ou Rivals), gouverneur pour le roi de Siam à Bangary, près de Jonsalam, de la déposition d'un Siamois témoin d'entretiens tenus entre Phetracha et le capitaine de la loge hollandaise à Siam, visant à faire mourir le roi et Phaulkon, et à évincer les Français (janvier 1688 - novembre 1691).
Nous ne savons rien sur ce Jean Rival, sinon qu'il était Français d'origine provençale et qu'il avait été nommé gouverneur de Ban Bang Khli et de Takhua Thung, qui formaient l'un des quatre petits gouvernements de la région de Phuket. D'autres Français, à la même époque, occupaient ou avaient occupé des postes similaires dans cette région : Frère René, ainsi qu'on appelait le missionnaire laïque René Charbonneau avait été gouverneur de Phuket, ainsi qu'un certain Billy, arrivé au Siam en 1685 en tant que maître d'hôtel du chevalier de Chaumont (1). On retrouve Billy et Rival parmi la liste des Français emprisonnés après le coup d'État de 1688 (2). Il est probable qu'ils furent relâchés en 1691. C'est donc après sa libération que Rival aurait tenté de reconstituer un procès-verbal dressé trois ans plus tôt — et détruit par mesure de sécurité — dans lequel il rapportait la déclaration d'un mandarin siamois ayant assisté au début de l'année 1688 à une réunion secrète entre Phetracha, son fils Sorasak, Johannes Keyts, le directeur du comptoir hollandais d'Ayutthaya et Daniel Brouchebourde, un médecin huguenot au service de la VOC. L'affaire était d'importance, puisque les quatre conjurés ne projetaient pas moins que d'empoisonner le roi Naraï, de tuer tous les Français, d'exécuter Phaulkon, les frères du roi et Phra Pi, son favori.
Rédigé dans un style administratif sur deux feuillets et demi, dans une écriture serrée, claire, régulière et sans la moindre rature, le document de Rival soulève de nombreuses questions, la première étant son authenticité. On ne peut écarter l'hypothèse avancée par Morgan Sportès : Peut-être s'agit-il d'un faux, forgé après coup, par les missionnaires, ou des officiers qui ont adopté leur politique afin de justifier celle-ci (3).
Si l'écriture est claire et se laisse facilement déchiffrer, le texte en revanche, est parfois assez confus. Rédigé initialement en siamois, traduit du siamois en portugais par l'épouse de Rival, puis du portugais en français par Rival lui-même, il contient quelques incohérences, notamment chronologiques. Ainsi, en ce mois de janvier 1688, les conjurés envisagent de tuer les Français qui seront restés à Mergui, alors que toutes les troupes françaises sont encore à Bangkok et que Du Bruant et sa garnison ne partiront pour Mergui qu'à la mi-février et n'y arriveront qu'à la fin du mois de mars. Mais on peut concevoir qu'après trois ans, la mémoire de Rival lui ait joué quelques tours.
Le roi Naraï fut-il vraiment empoisonné, comme la rumeur en a parfois couru ? Que l'idée ait effleuré les conspirateurs, c'est fort possible et bien dans la tradition siamoise, mais peut-être ne fut-il pas nécessaire de mettre le sinistre projet à exécution, la nature s'en chargeant. On sait que le monarque souffrait depuis plusieurs années de problèmes respiratoires, et que son état s'aggrava en février 1688 : Le roi de Siam, qui avait la santé assez délicate, étant attaqué depuis quatre ou cinq ans d’une toux asthmatique, tomba plus malade qu’à l’ordinaire au mois de février (4). Le père Le Blanc, même s'il n'avait pas de compétence médicale particulière, confirmait ce diagnostic : Le roi tomba malade au mois de février d'un asthme, qui joint à sa poumonie invétérée donnait peu d'espérance qu'il pût encore vivre longtemps et le mettait hors d'état d'agir (5). On peut penser que les exécutions de Phaulkon, de ses frères et de Phra Pi, le fils adoptif qu'il aimait tendrement, ainsi que les bouleversements survenus dans son royaume aient porté un coup fatal à une santé déjà chancelante.
Quant à l'implication des Hollandais dans le coup d'État de 1688, s'il ne fut pas concret matériellement, au moins fut-il moral, étayé par des promesses de soutien, d'envois de troupes et de navires. François Martin écrivait dans ses Mémoires : On a des informations sûres que les Hollandais étaient fort intrigués dans ces révolutions, particulièrement un certain Daniel, de leur loge, natif de Sedan, chirurgien de profession, hérétique opiniâtre et ennemi déclaré de la religion catholique et des Français. On assure encore que l'on a des témoignages par les mêmes informations qu'on mêla du poison dans un breuvage qu'on donna au roi, qui avança beaucoup sa mort (6). Et l'on trouve dans les archives des Missions Étrangères ce feuillet non signé daté de Siam, 1688 : Le capitaine chef de la faiturie hollandaise nommé Quiesche [Keyts] avec le médecin [Daniel] qui lui servait d'interprète allait souvent dans sa maison [à Phetratcha] durant que les envoyés [La Loubère et Céberet] étaient ici et après leur départ. On ne sait pas toutes les conférences qu'ils ont eues, mais seulement on a su que le capitaine fit de grandes promesses d'assister de navires, de monde et de provisions contre les Français, ce qui donnait courage aux Siamois qui se persuadaient qu'ayant les Hollandais avec eux ils n'avaient rien à craindre (7).
NOTES :
1 - Voir notamment l'article de Michael Smithies : Les gouverneurs français de Phuket, Bangkok et Mergui au XVIIe siècle. In: Aséanie 7, 2001. pp. 59-78. ⇑
2 - Catalogue des prisonniers ecclésiastiques et laïques, Launay, Histoire de la Mission de Siam, 1920, I, pp. 247 et suiv., reproduit sur ce site : Catalogue des prisonniers. ⇑
3 - Morgan Sportès, Ombres siamoises, 1994, p. 159. ⇑
4 - Drans et Bernard, Mémoire du père de Bèze sur la vie de Constance Phaulkon, 1947, p. 94). ⇑
5 - Marcel Le Blanc, Histoire de la révolution du royaume de Siam, 1692, I, p. 45. ⇑
6 - Mémoires de François Martin, 1934, III, p. 15). ⇑
7 - Feuillets non signés, datés de Siam 1688, Missions Étrangères, vol. 854, cité par Morgan Sportès, Ombres siamoises, 1994, p. 133, note 234). ⇑
19 septembre 2019