Assiégés dans la forteresse de Bangkok depuis le début de juin 1688, les Français se trouvèrent vite à court de poudre et de vivres. On ne donnait plus à leurs malades que des bouillons de corneilles que l'on tirait dans la place et toute la garnison était à la veille d'être réduite au riz et à l'eau. De plus, le bois avait manqué et il fallait brûler les casernes des soldats et les maisons des officiers pour cuire le riz et les viandes. (Vollant des Verquains, Histoire de la révolution de Siam […], 1691, p. 107). Dès lors, la capitulation était inévitable. Véret, le directeur du comptoir de la Compagnie française, et Louis Laneau, l'évêque de Métellopolis, furent chargés de négocier une sortie sinon glorieuse, au moins honorable avec Kosapan, l'ambassadeur siamois qui avait fait si bonne impression en France et s'était résolument rangé du côté de l'usurpateur Phetracha qui l'avait nommé barcalon. Entamés au mois d'août, les pourparlers trainèrent, interrompus par de fréquentes escarmouches. Le 9 septembre, l'arrivée du navire puissamment armé l'Oriflamme, parti de Brest au début février et amenant au Siam des renforts de troupe, contribua à débloquer la situation. Un accord en neuf points fut conclu le 28 septembre 1688, qui ne fut respecté ni par les uns, ni par les autres. Les Siamois capturèrent des barges qui transportaient du matériel d'artillerie français. Les Français, pour leur part, profitèrent de la confusion du départ pour embarquer Véret et le chevalier Desfarges qui auraient dû rester en otage au Siam. Malgré les assurances du traité quant à la liberté du commerce et de la religion et la promesse de ne devoir plus songer à ce qui s'est passé ici, mais vouloir faire une amitié ferme et stable, pour durer longtemps, la rupture était consommée entre les deux royaumes.
Papier de répondance de Mgr de Métellopolis et de M. Véret,
chef de la royale Compagnie de France à Siam,
pour M. Desfarges et ses troupes.
Le mardi du dixième mois et de la lune, de l'année 223228 septembre 1688. qu'on nomme Pimerong PattarremasaaconPi marong attasok (ปีมะโรง อัฐศก) : L'année du Dragon., Dom Bisbou, l'évêque de Métellopolis, les Pères et M. Véret, capitaine pour la Compagnie française, et tous les Français, faisons un papier de répondance, d'autant que le barcalon du côté du grand roi de Siam, et M. Véret du côté de M. Desfarges, général des troupes du grand roi de France, se sont promis avec bonne amitié par ensemble ne devoir plus songer à ce qui s'est passé ici, mais vouloir faire une amitié ferme et stable, pour durer longtemps.
Étant demeurés d'accord que cet accommodement sera stable et de durée des deux côtés :
Le premier article est : quand tous les Français sortiront de la forteresse de Bangkok, les soldats ne feront aucun mal à la dite forteresse, ni aux canons, ni aux mousquets et autres armes, mais ils remettront aux mandarins tous les canons, les mousquets, et toutes les autres choses, sans qu'il y manque rien.
Le deuxième article : Les Français promettent qu'en descendant en rade ils ne feront aucun acte d'hostilité et ne se battront point avec les navires et autres bâtiments, ni avec le peuple, et n'endommageront aucune chose qui appartienne au roi de Siam, soit à la rade, ou hors de la barre, ou en quelque autre lieu que ce soit.
Le troisième article : on renverra à Mergui un navire du roi de Siam, qui en est parti chargé d'éléphants et d'autres marchandises pour Masulipatam et dans lequel bâtiment il y avait des Français avec un mandarin, et un autre bâtiment aussi du roi de Siam, parti de Mergui pour Banderabassi chargé de marchandises, et dans lequel étaient aussi des Français avec des mandarins. Or les Français, quoiqu'ils disent que ces deux bâtiments soient à eux, promettent que, quand les affaires pour lesquelles ils sont allés seront achevées, les Français qui les commandent les ramèneront à Mergui. Que si M. du Bruant avec ses troupes rencontre ces deux bâtiments, il ne fera rien qui puisse les faire périr. De plus, le bâtiment du roi sur lequel il y avait vingt-six pièces de canons et cinq mousquets, avec les mariniers et tous les agrès d'un vaisseau, lequel MM. du Bruant et Beauregard et les soldats français ont pris en s'enfuyant, ils le renverront à Mergui avec ses canons, mousquets, mariniers et agrès. De plus, pour que l'amitié royale des deux couronnes dure longemps, tout ce qui sera capable de rompre cette amitié, ils ne le feront pas. Que si quelques bâtiments qui ont accoutumé de venir trafiquer ici et à Mergui y veulent venir, on empêchera que les Français ne leur fassent aucun mal, pour être conforme à l'amitié royale.
Le quatrième article : le grand navire du roi, qu'on emprunte pour que le général et les Français s'y embarquent, étant arrivé à Pondichéry, ils le renverront à Siam.
Le cinquième article : ils promettent qu'on nourrira et renverra les mandarins et tous les jeunes Siamois qui sont en France.
Le sixième article : que tous les effets que M. Constance a envoyés en France, on en tiendra compte aux officiers des magasins du roi ; que si les effets périssent en mer, cela sera perdu pour les officiers des magasins, et ils n'en pourront rien demander aux Français.
Le septième article : que M. le général enverra un soldat qui portera une lettre à M. du Bruant pour l'empêcher de faire aucun mal aux bâtiments du roi ; que, si M. du Bruant a pris quelques bâtiments, il les rendra dans le lieu où il les a pris. Pour les affaires de la Compagnie à Mergui, elles seront et demeureront en bon état et de la même manière qu'elles étaient auparavant. Que, si la Compagnie veut venir à Mergui, on l'y recevra bien à cause de la bonne amitié du roi de France avec le roi de Siam.
Le huitième article : les Siamois promettent fermement aux Français que, quand les Français sortiront et s'en iront, ils prendront et emporteront tout ce qui leur appartient sans qu'il en reste rien ; qu'ils sortiront de la forteresse tambour battant, le mousquet sur l'épaule, avec l'étendard, et puis s'étant embarqués, ils lèveront l'ancre et descendront conformément au papier de promesse qu'ils ont fait à l'ambassadeur. Les Français demandent par grâce au roi de Siam qu'il veuille bien leur donner deux grands mandarins pour accompagner le général dans son bâtiment jusqu'à la barre ; et M. le général promet qu'il les recevra et traitera selon leur qualité ; les Français de leur côté donneront Messieurs le major et le chevalier Desfarges, qui iront dans un balon avec un mandarin, pour être en réciprocité à ces deux mandarins, qui iront dans le navire. Quand les navires français auront passé la barre, ils renverront ces deux mandarins dans leurs chaloupes, et reprendront Messieurs le chevalier et le major pour les mener aux navires, afin de bien achever le tout par ensemble et pour être témoins les uns des autres, comme les Français n'ont fait aucun mal aux Siamois ni les Siamois aux Français.
Le neuvième article : que le roi accorde les mêmes privilèges et faveurs à la Compagnie que le roi défunt, et conformément à plusieurs traités qu'on a faits autrefois par ensemble avec la Compagnie et dans lesquels traités il y a plusieurs articles. Le roi accorde aussi les mêmes privilèges aux Français particuliers laïques et aux missionnaires que le roi défunt leur avait accordés. Pour le poivre, le roi l'accorde à la Compagnie tout entièrement et de la même manière qu'on accorde les cuirs aux Hollandais, et toutes ces grâces et faveurs seront stables et dureront. Que si le général étant sorti de la forteresse et s'étant embarqué vient à faire quelque faute contre ce papier de promesse et d'accommodement, nous prendront M. l'évêque, M. Véret, capitaine pour la Compagnie et tous les Pères qui sont à Siam.
On a signé de part et d'autre, et mis les sceaux.
(Launay, Histoire de la Mission de Siam, 1920, I, p. 217 et suiv.)
13 mars 2020