À leur départ du Siam le 2 novembre 1688, les troupes du général Desfarges avaient violé les arrangements conclus avec les Siamois en emmenant les otages français qui devaient rester dans le royaume pour garantir la bonne exécution du traité, la restitution des navires prêtés et le paiement des sommes dues. Rendus furieux par ce qu'ils considéraient – à juste titre – comme une trahison, les Siamois engagèrent une féroce répression contre les Français qui demeuraient encore dans le royaume, prêtres, jeunes élèves du séminaire, soldats et officiers, employés du comptoir de la Compagnie des Indes, ou simples particuliers. La plupart furent arrêtés, chargés des cinq prisons, un système de chaînes qui entravaient le cou, les mains et les pieds, et envoyés dans la prison des voleurs, où croupissaient les condamnés de droit commun d'Ayutthaya. Nourris seulement par la charité ou par les vivres péniblement réunis par les quelques missionnaires laissés en liberté, contraints de travailler dur pendant le jour, ils étaient regroupés le soir dans la geôle, en butte à la brutalité, voire au sadisme, et à la rapacité de leurs gardiens. Le missionnaire Martineau rapporte dans le journal de la Mission : Outre qu'ils avaient les pieds et les mains liés, ils y rencontraient encore des gardes qui n'ont guère leurs pareils dans l'iniquité et la canaillerie, et dont la coutume immanquable est de s'enivrer tous les jours, principalement au soir, et c'est dans cet état qu'ils se divertissent à tourmenter et à exercer la patience de nos pauvres prisonniers : à l'un ils arrachent la barbe, ils la brûlent à l'autre ; à celui-ci, ils crachent au visage, à celui-là, ils font baiser leur derrière. (…) Mais lorsqu'ils voient quelque apparence de pouvoir extorquer une pièce de monnaie en la tirant pour ainsi dire de la chair et du sang d'un pauvre prisonnier, c'est alors qu'ils emploient toute leur barbarie, méchanceté et cruauté. Il s'est trouvé de ces barbares, qui après avoir bien lié et garrotté quelques-uns des nôtres, ont été jusqu'à porter leurs mains sur les parties que la pudeur m'empêche de nommer, et les ont pressées en leur criant de donner de l'argent. (Launay, Histoire de la Mission de Siam, 1920, I, p. 224). Incarcérés pour la plupart dès le début de novembre 1688, les premiers ne sortirent qu'à la mi-août 1690, et les derniers durent attendre septembre 1691 pour voir la fin de leur calvaire.

Le catalogue que nous reproduisons ci-dessous a été dressé par le missionnaire Bernard Martineau en 1690, et se trouve reproduit dans l'Histoire de la Mission de Siam d'Andrien Launay (1920, I, pp. 247 et suiv.). C'est à partir de cet ouvrage que nous avons rédigé la plupart des notes.

 

Dans la prison d'enfer, ou du moins du purgatoire de Lacomban (1) :

NOTES

1 - Nakhon ban (นครบาล), la métropole, la capitale. 

2 - Les missionnaires et leurs élèves avaient été arrêtés le 10 et le 11 novembre 1688. Au début du mois d'août 1690, des espoirs furent donnés pour leur libération, ou au moins pour leur assignation à résidence dans un lieu plus accueillant que la prison des voleurs. Les trois missionnaires en liberté, Pierre Ferreux, Étienne Paumard et Bernard Martineau, multiplièrent les démarches auprès de Kosapan, devenu barcalon, pour l'élargissement des prisonniers. Martineau note dans le journal de la Mission, à la date du 4 août : M. Ferreux et M. Paumard allèrent solliciter le barcalon de nous assigner le lieu où l'on souhaitait que nous fissions une maison pour ceux qui devaient être délivrés ; ils adressèrent en même temps la prière de faire en sorte que le roi eût la même compassion pour les Français séculiers qu'il avait pour les pères. Le barcalon dit ce qu'il avait déjà répondu, qu'il fallait avoir de la patience, laisser sortir les pères et les écoliers, et qu'on songerait ensuite aux séculiers. Puis il fit assigner un lieu pour une maison. Ce lieu est une manière de petite île, au milieu d'un grand marécage, derrière et à une portée de fusil des prisons. L'île a 11 brasses de longueur et 5 brasses de largeur. Nous ne tardâmes pas à la défricher, et y faire faire une maison, qui nous revint à 8 taëls ou 32 ticaux. (Launay, I, p. 269). Quelques jours plus tard, tous les religieux et les écoliers emprisonnés purent sortir de leur sinistre geôle : Le 15 [août 1690], le jour de l'Assomption de la très sainte Vierge, tous les missionnaires, au nombre de 9, et les 14 écoliers, furent délivrés des chaînes, et même de la prison du Laconban, après y avoir passé plus de 21 mois, et mis dans la maison dont il est fait mention ci-dessus. Ils y demeurèrent assez tranquillement, sans être inquiétés de personne, et même sans avoir aucun garde ; chacun s'appliqua à ses études et autres exercices, sans être interrompu. Ils peuvent sortir deux, trois et quatre à la fois, mais en ayant auparavant demandé la permission au lieutenant des prisons. Ils sont obligés de se rendre le soir à leur maison, sans qu'il leur soit permis de passer aucune nuit dehors. Quoique cet élargissement soit loin d'une liberté entière, néanmoins il fut goûté avec d'autant plus de douceur que la prison avait été plus rude (p. 269). Toutefois, les maladies frappèrent vite la communauté, encore très affaiblie par près de deux ans de captivité. Mais Dieu tempéra bientôt cette faveur par un cours de maladies, de fièvres, qui fut si général, que pas un n'échappa. Nous répandîmes des larmes, au milieu de notre plus grande joie, pour la mort de trois missionnaire, MM. Geffrard, Monestier et Paumard, et celle d'un écolier, clerc tonkinois (p. 269).

Au début février 1691, les missionnaires purent quitter leur petite maison et rejoindre le lieu où Louis Laneau était lui aussi assigné à résidence, et le 25 avril suivant, ils purent retrouver et remettre en état leur ancien séminaire. 

3 - François Pérez, fils d'un Portugais originaire de Négapatam, fut ordonné prêtre le 31 mars 1668 et agrégé aux Missions Étrangères (Launay, I, p. 26). Après le coup d'État, il fut arrêté à Ténassérim et arriva prisonnier à Ayutthaya le 13 septembre 1689. C'est en captivité qu'il apprit qu'il était nommé évêque de Bugie et vicaire apostolique de la Cochinchine. Il semble que le malheureux prêtre développa en prison une inquiétante paranoïa : Il est dans une si grande appréhension qu'il croit qu'on va le faire mourir chaque jour. Son plus grand crime était que son beau-frère était fort riche, et qu'on voulait le piller, cela fait qu'on les a emmenés et mis en prison. Or, je crains fort que M. Pérez ne perde l'esprit de ces craintes si mal fondées, si grandes, et si extraordinaires. il croit qu'à tout moment on parle de lui, qu'on apporte sa sentence, et il est quasi comme était M. Chevreuil, c'est tout dire. Il avait un frère qui est mort, et qui avait une pareille faiblesse d'esprit. (Louis Laneau, cité par Launay, I, p. 230, note 1). François Pérez mourut le 20 septembre 1728. 

4 - Né en 1653, Charles de la Breuille était l'un des 14 jésuites-mathématiciens qui accompagnaient le père Tachard dans son deuxième voyage au Siam, et le seul qui resta dans le royaume après le coup d'État de 1688 : … on l'avait destiné à demeurer dans le royaume, lui-même l'ayant souhaité, parce qu'il était un de ceux qui avaient le plus d'avance pour la langue et qui étaient le plus aimé des chrétiens du pays. (Mémoire du père de Bèze sur la vie de Constance Phaulkon, Drans et Bernard, 1947, p. 156). Il semble que son plus grand crime est d'avoir été Français. Les jésuites portugais d'Ayutthaya, les pères Suarez et Maldonat, ne furent que peu inquiétés. Une fois relâché, Charles de la Breuille se rendit à Pondichéry et il eut l'occasion de revenir au Siam avec le père Tachard en 1699. Il mourut à Pondichéry vers 1720. 

5 - Né à Vitray le 21 septembre 1643, le missionnaire Pierre Geffrard de Lespinay était arrivé au Siam vers 1675. Il mourut un mois après être sorti du Nakhon ban, dans la petite maison que les missionnaires avait fait construire et où ils demeuraient en résidence surveillée : Le l9 septembre 1690, M. Geffrard mourut d'une maladie de langueur qu'il avait contractée dans la prison ; il a souffert pendant 24 mois au-delà de ce que j'en peux dire, car outre ses maladies, il était encore chargé de fers et de liens au col, aux mains, aux pieds, ainsi que les autres prisonniers. Cet amas de misères avait fait que tout son corps s'était rempli de gales, de dartres, de furoncles qui lui causaient tant d'importunes douleurs, que ne pouvant se tenir en aucune posture, ni couché, ni assis, il était obligé de se soulever et soutenir continuellement avec ses mains, tellement que cette assiduité lui avait fait naître des calus sur les jointures des mains. On pourrait sans doute encore ajouter à cela la répugnance qu'il avait naturellement, peut-être plus que nul autre, à la saleté et infamie d'une telle prison. (Launay, I, p. 324. 

6 - Antoine Monestier, né vers 1649, était arrivé au Siam en 1680 et avait fondé une mission à Phitsanulok, dans le nord du royaume, avec le père franciscain italien Angelo. L'arrestation des deux inoffensifs missionnaires donna lieu à un grotesque déploiement de force. Le père Le Blanc rapportait : Ces bons missionnaires étant dans leur maison sans défense, on envoya trois cents hommes avec deux éléphants de guerre et deux pièces de canon pour les enlever, mais comme les Siamois n'attaquent presque jamais à force ouverte, il fallut encore pour arrêter ces deux prêtres se servir d'un stratagème de guerre. On fit mettre des gens en embuscade dans un bois, et des mandarins étant allé comme pour rendre visite aux missionnaires, ils les engagèrent à sortir de leur maison et les firent tomber dans l'embuscade. Mais on ne leur dit pas encore qu'on en voulût à eux. Ils étaient assis sous des arbres pour se reposer et s'entretenaient avec les mandarins, lorsque des gens vinrent par derrière et leur jetèrent des cordes au col. Les bons prêtres nous ont assuré que ceux qui les lièrent tremblaient si fort qu'ils avaient peine à nouer leurs cordes. Alors les gens de guerre avec les éléphants et le canon les environnèrent et les conduisirent en triomphe jusqu'à la rivière, où des balons les attendaient pour les amener garrottés à Louvo. (Marcel Le Blanc, Histoire de la révolution du royaume de Siam, 1692, I, p. 333 et suiv.). Monestier, comme Geffrard, succomba peu après sa sortie de prison : Le 30 septembre, M. Monestier décéda vers minuit, muni de tous les sacrements ; il ne fut que dix à onze jours malade de fièvre chaude et continue. Les maux qu'il avait soufferts dans sa prison, et entre autres ses six à sept blessures sur la tête tout d'un coup, ne fournirent pas peu de matière à la fièvre ; ce n'est pas qu'il parût se porter mal ; lorsqu'il sortit de prison, il paraissait gras et en bon point, mais sa graisse n'était pas prise pour une marque de santé par tous ceux qui le regardaient. Il avait souffert avec beaucoup de patience et même de joie et d'allégresse, mais la vertu qui a paru dans lui a été la foi. (Launay, I, p. 325). 

7 - Les missionnaires avaient pu regagner leur ancien séminaire le 25 avril 1691. C'est là que mourut Jacques Le Chevalier. Dans une lettre du 12 juillet 1691, Louis Laneau rapportait : Depuis que nous sommes ici, nous nous sommes assez bien portés. M. Chevalier, qui depuis longtemps traînait, mourut le 23 de juin, et le 24 a commencé à ouvrir le cimetière. (Launay, I, p. 275). 

8 - Alexandre Pocquet, professeur de grammaire, de latin, de théologie, etc., régent des études du collège de Mahapram, ne laissait nul répit à ses élèves, même en prison : M. leur régent, qui était aussi prisonnier avec eux, les exhortait très puissamment et les encourageait à souffrir et même quand on les a dispensés d'aller travailler par la ville, à certaines heures du jour, il les faisait assembler comme il pouvait, et à travers les parois et murailles de bambous qui font la séparation des prisons, il leur expliquait les Epîtres de saint Paul et quelque bon auteur latin, pour les entretenir dans la dévotion aussi bien que dans la langue latine. On peut rendre hommage à la rigueur de ce professeur, d'autant que les conditions optimales n'étaient pas réunies pour une étude sereine des Épîtres de saint Paul : Il y en eut même parmi les officiers qui n'avaient nullement honte de faire des violences en pleine compagnie à ces jeunes écoliers liés et serrés dans les chaînes et les bois, ils se faisaient même un divertissement de donner à baiser leur devant et derrière au missionnaire leur régent. (Launay, I, p. 240). Alexandre Pocquet revint en France en 1698 et mourut à Paris en 1734. 

9 - Étienne Manuel (1662-1693) était l'un des trois missionnaires des Missions Étrangères qui arrivèrent au Siam en 1685 avec l'ambassade du chevalier de Chaumont. L'abbé de Choisy admirait autant sa belle voix : quand je me veux faire bien aise, je fais venir M. Manuel, l'un de nos missionnaires, qui a la voix fort belle et qui sait la musique comme Lully (Journal du 24 mars 1685) que son éloquence : M. Manuel a prêché sur la résurrection de la Chair et nous a presque fait envie de mourir pour avoir plus tôt le plaisir de ressusciter. Il a, je vous assure, dit d'assez bonnes choses (Journal du 24 avril 1685). Étienne Manuel mourut à Faï-fo en Cochinchine en 1693. 

10 - Cité par Launay sous le nom de Nicolas Tolentin, lecteur manillois (I, p. 278). 

11 - Charles Boisseret d'Estréchy. Ce missionnaire jouait de malchance, puisque après avoir goûté les prisons siamoises, il fut à nouveau emprisonné en Cochinchine vers 1700. Il ne recouvra sa complète liberté qu’en 1704 et retourna travailler dans la région de Phan-ri ; il mourut le 13 novembre 1709, probablement à Ninh-hoa. 

12 - Le Journal de la Mission indique que le 15 août 1690, 14 écoliers purent quitter les geôles de Nakhon ban, or la liste des prisonniers ne comporte que 13 noms. Le 14ème était peut-être Antonius, clerc tonkinois, qui mourut de maladie après sa sortie de prison. 

13 - Les officiers, soldats, employés du comptoir de la Compagnie des Indes, et les autres prisonniers laïcs eurent moins de chance que les religieux. Ils durent patienter encore plus d'une année avant d'être libérés, dans la première quinzaine de septembre 1691. Ils trouvèrent refuge chez les missionnaires, qui avaient réinvesti leur séminaire, et leur entretien pesa lourdement sur les finances de la communauté : Nous sommes obligés de les entretenir de tout, car ils n'ont rien, comme nous avons fait lorsqu'ils étaient en prison. Comme leur nombre est très grand, aussi la dépense l'est-elle, ce qui nous oblige de nous endetter beaucoup. (Lettre de Louis Laneau du 25 octobre 1691, citée par Launay, p. 277). 

14 - Beauchamp explique dans sa relation que lors de l'évacuation de la forteresse de Bangkok après la reddition des Français, M. Desfarges, ne pouvant embarquer tous les canons de sa place dans ses vaisseaux, qui auraient été trop chargés pour sortir de la rivière, me donna ordre d'en faire mettre vingt-huit dans des mirous, qui sont des bateaux du pays qui vont terre à terre, que je fis escorter chacun par quatre soldats et par un officier qui étaient Delas et Chamoreau. (BN Ms Fr 8210, f° 558v°-559r°). Malheureusement pour ces derniers, les Siamois, rendus furieux par la perfidie des Français qui avaient embarqués leurs otages en dépit du traité, se rendirent maîtres des canons et firent prisonniers les soldats et leurs officiers. Après sa libération, Delas se réfugia, comme la plupart des Français, au séminaire des Missions Étrangères, où il causa bien des soucis aux bons pères, ainsi que s'en plaignit Mgr Laneau dans une lettre du 21 décembre 1693 adressée à M. de la Vigne : … pour les officiers, comme ils se regardaient au-dessus du commun, aussi ne faisaient-ils pas grand cas de ce que nous leur disions, et ils nous ont donné assez d'exercice durant le temps qu'ils ont été en notre séminaire, et nous n'y avons eu de la paix que lorsqu'ils en ont été dehors. Il est vrai que ç'a été par notre faute, à cause que dans les commencements qu'ils y vinrent, nous avions trop d'égards pour eux, et surtout M. Martineau qui fait trop de distinction ; mais comme ils en ont abusé, ils lui ont fait payer bien cher ses déférences, particulièrement les sieurs Bellemont et Delaz. (Launay, I, p. 277). 

15 - Ce Chamoreau (ou Chammoreau) était le frère cadet de l'enseigne de marine Chamoreau venu une première fois au Siam sur l'Oiseau avec le chevalier de Chaumont en 1685 et qui y était revenu deux ans plus tard avec l'ambassade Céberet-La Loubère. 

16 - Sur la liste des passagers embarqués pour le Siam figuraient trois musiciens pour M. Constance, sans compter le tout jeune André-Cardinal Destouches, alors élève du collège des jésuites et qui deviendra surintendant de la musique du roi, mais n'envisageait pas encore à cette époque une carrière musicale. La liste des ballots embarqués dans les navires mentionnait un clavessin. Dans une lettre écrite au cap de Bonne-Espérance et datée du 24 juin 1687, le jésuite Charles Dolu, qui avait fait le voyage de Siam à bord de l'Oiseau, indiquait qu'on y faisait des prières en musique avec chants, violons, flûtes douces et hautbois (BN, ms. fr. 15476, f° 33r°). On ignore pour quelle raison ce musicien resta au Siam, mais il ne fut pas ménagé en prison, en butte aux brutalités des geôliers : Un jour, un de ces misérables, de sang-froid, s'en,alla sur M. Delaz, officier des troupes, et le petit Delaunay, musicien, déchargea à chacun d'eux une centaine de coups de rotin, faisant le fendant et leur demandant : — Hé bien ! me craint-on ou non à présent ? (Launay, I, p. 224). 

17 - Ce Billy était venu au Siam en 1685 avec le chevalier de Chaumont dont il était le maître d'hôtel, et avait demandé à y rester pour négocier quelque argent qu'il avait (Relation de l'ambassade de M. le chevalier de Chaumont […], 1686, p. 219). Il fut nommé gouverneur de Junk Ceylon (Phuket) par Phaulkon, qui commençait ainsi à mettre en œuvre son projet de noyauter le régime en nommant des Français à tous les postes-clés du pays, dans les charges de guerre et des finances, dans les gouvernements, dans les intendances des provinces, des places et des vaisseaux et enfin dans les plus grands emplois du royaume (Mémoire secret de Phaulkon au père Tachard, 18 décembre 1685, AN C1/22, f° 177-178). 

18 - Nous ne savons rien sur ce Jean Rival, sinon qu'il était d'origine provençale et qu'il fut nommé par Phaulkon gouverneur de Ban Bang Khli (บ้านบางคลี) et de Takhua Thung (ตะกั่วทุ่ง), qui formaient l'un des quatre petits gouvernements de la région de Phuket. Il laissa tout de même un curieux procès-verbal dans lequel il rapportait la déposition d'un mandarin siamois venu révéler l'existence d'un complot visant à empoisonner le roi Naraï. On pourra lire ce document sur ce site : Le procès-verbal de Jean Rival

19 - Pourquoi ces miroitiers étaient-ils restés au Siam ? Nous l'ignorons, mais leurs compétences leur permirent d'être libérés plus tôt que les autres prisonniers laïcs : Le 15 [décembre 1690], les trois ouvriers miroitiers furent délivrés des prisons à la requête d'un mandarin qui a soin des glaces venues de France et qui a représenté, ou fait représenter au roi, qu'elles se gâtaient et qu'il n'y avait que les trois ouvriers qui les pouvaient accommoder ; on leur a fait espérer qu'ils auraient chacun deux taëls par mois. (Launay, I, pp. 273-274). 

20 - Le missionnaire Étienne Paumard fut laissé en liberté en raison de ses compétences en médecine, et peut-être aussi par reconnaissance, ayant soigné plusieurs grands mandarins. Il put ainsi apporter un soutien précieux à ses compatriotes emprisonnés, comme le note Martineau dans le Journal de la Mission : Il commença dès les premiers jours à faire apprêter à manger, et à envoyer la nourriture une fois chaque jour ; il continua toujours du même train, traitant également et sans distinction tous nos prisonniers, tant missionnaires qu'écoliers et séculiers, gens du roi et de la Compagnie, et autres particuliers, parce que nous voyant tous dans une extrême nécessité, nous avons cru que tout devait être commun, et que si Dieu permettait que nous mourussions de misère, notre sacrifice étant de plusieurs victimes unies ensemble lui en serait plus agréable. Cependant je n'oserais répondre qu'il pourra encore continuer aussi longtemps que nous prévoyons qu'il nous faudra ainsi demeurer dans la misère, car les bourses de nos amis sont bien épuisées, et les dépenses sont grandes (Launay, I, p. 222). Paumard, comme Geffrard et Monestier, mourut de maladie au séminaire des Missions Étrangères où s'étaient réfugiés tous les Français libérés. 

21 - Sur les quatre otages français qui devaient rester au Siam selon les arrangements conclus lors de la reddition des troupes française, Louis Laneau fut le seul qui ne faussa pas compagnie aux Siamois. Il paya chèrement la déloyauté des trois autres. Rendus furieux par ce qu'ils considéraient comme une trahison, les Siamois se précipitèrent sur le malheureux évêque de Métellopolis, le dépouillèrent, ils le chargèrent encore de coups de poing et de bâton, le renversèrent par terre, le traînèrent dans la boue, lui mirent la corde au col, et bien lié et garrotté, le jetèrent comme à la voirie dans les broussailles, exposé à une infinité de moustiques et de maringoins, et bien davantage encore à la barbarie de canailles qui ne cessaient de passer, aller et venir, et chacun s'efforçait comme à l'envi de le maltraiter, affronter, invectiver et railler. Lorsqu'ils cessèrent enfin de s'acharner sur lui, ils l'abandonnèrent sur la voie publique : Il était proche du palais, délaissé, assis sur une claie de bambous au coin d'une rue, chargé de ses liens, en attendant que quelque personne charitable lui fît une petite cahutte qui à peine pouvait contenir son corps, où il fut gardé près de trois mois. (Launay, I, p. 221). Il fut ensuite transféré dans un autre lieu, une petite maisonnette écrit-il, où je suis à mon aise, pendant que nos pauvres frères sont comme des forçats. Je n'ai eu des liens que les premiers mois, et j'ai assez de liberté pour dire, grâce à Dieu, tous les jours la sainte messe. (Lettre du 24 novembre 1689, Launay, I, p. 263). Le 9 décembre suivant, après l'arrivée de Pierre Ferreux amenant les otages libérés par Desfarges, Louis Laneau eut l'autorisation de résider chez Étienne Paumard. Après sa libération définitive, il demeura au Siam et mourut à Ayutthaya le 16 mars 1696, après 32 années passées dans le royaume. 

22 - Arrivé au Siam en 1680, Pierre Ferreux y fut ordonné prêtre en 1684 et, après le coup d'État, s'embarqua pour Pondichéry avec les débris de la garnison de Bangkok. Il revint dans le royaume en décembre 1689 avec Desfarges lors de l'expédition de Phuket, ramenant avec lui les derniers otages siamois encore retenus par les Français, ce qui lui permit de jouir d'une certaine liberté et contribua à adoucir le sort des prisonniers détenus au Nakhon ban. Ferreux fut nommé évêque de Sabule en décembre 1697, mais mourut le mois suivant à Ayutthaya avant d'avoir reçu la bulle annonçant cette nomination. 

23 - Louis Chevreuil, alors âgé de plus de 60 ans, avait été laissé en liberté avec le missionnaire Bernard Martineau pour dresser l'état des objets et meubles qui restaient encore dans le séminaire et les enlever afin de libérer l'édifice qui devait être transformé en magasin du roi. Il fut ensuite hébergé par un tonkinois dont la maison fut incendiée en décembre 1689. À en croire Louis Laneau, cet incendie fut un cadeau du ciel, inspiré par l'amour de Dieu pour les missionnaires : On nous avait encore laissé quantité de choses qui, pour n'être pas à l'usage de ces gens-ci, ne laissaient pas de nous être d'un très grand soulagement et M. Martineau était laissé libre avec M. Chevreuil et le frère Charles pour en avoir soin, et voilà que, depuis six ou sept jours, Dieu a envoyé un petit feu qui a tout brulé... Que Dieu est adorable dans son amour ! Il nous veut tout mystiques et tout spirituels. (Lettre du 24 novembre 1689, citée par Launay, op. cit., p. 263). Louis Chevreuil mourut à Ayutthaya le 10 novembre 1693. 

24 - Après avoir été incarcéré quelques jours, Bernard Martineau fut relâché afin de se rendre avec Louis Chevreuil au séminaire, où les Siamois n'avaient pas encore touché, afin d'être présent à l'inventaire que deux mandarins avaient ordre de dresser de tous les effets qui y étaient. Comme il avait fait la fonction de procureur durant une maladie de M. Ferreux, il était plus instruit qu'aucun autre de tout ce qui était dans le séminaire, et c'est ce qui fit que les Saimois le tirèrent de prison pour en avoir plus d'éclaircissement. La première chose qu'on exigea de lui fut de déclarer où était l'argent, qui était caché dans un lieu qu'on ne pouvait découvrir, à moins de brûler la maison. La somme était considérable, parce que c'était le viatique des autres missions.

La crainte de mentir ou de tergiverser lui fit avouer tout simplement et l'endroit et le nombre de cet argent qui fut enlevé et porté au trésor du roi. Il en arriva de même de tous les autres effets, soit de l'église, des meubles, des nippes et autres choses servant à l'usage des missionnaires, de sorte qu'en trois heures de temps l'on se vit réduit à la dernière pauvreté. Il n'y eut que les livres de la bibliothèque qu'on lui permit d'enlever, parce que les Siamois ne savaient qu'en faire. Ensuite, on le chassa de la maison que l'on fit servir de magasin, et où l'on mit les marchandises qui appartenaient à la Cour et aux mandarins. (Mémoires de Bénigne Vachet, cité par Launay, I, pp. 328-329). C'est à Bernard Martineau qu'incombait la tâche de tenir le journal de la Mission, nous laissant ainsi de très précieux renseignements sur le déroulement des événements. 

25 - Nous n'avons pas trouvé de renseignements sur ce frère Charles, qui était sans doute un prêtre indigène, tonkinois ou cochinchinois, agrégé aux Missions Étrangères. 

26 - Pierre Arzilla (ou Azilla, ou encore Arsilla) était un prêtre manillois prisonnier de l'Oya Vang, le mandarin chargé de l'organisation et de la gestion du palais royal, qui tenta vainement de l'obliger à quitter sa soutane en signe de soumission. Dom Joseph était également un prêtre manillois, qui, quoique âgé environ de cinquante ans, s'était appliqué à apprendre la langue latine par le zèle qu'il avait du salut des âmes. (Launay, op. cit., I, p. 236). 

27 - Pierre Arzilla. Voir note précédente. 

28 - Jean-Baptiste Maldonat était le supérieur des jésuites à Ayutthaya. 

29 - Jean d'Acosta (ou Da Costa) était un prêtre japonais, ou plus vraisemblablement, vu son patronyme, d'origine luso-japonaise. 

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15 janvier 2020