Chapitre XXV
Des royaumes de Malacca et de Siam, avec une histoire prodigieuse des serpents du pays

Page de la relation de Vincent Leblanc

De Malacca nous allâmes au royaume de Siam ou Siom, autrefois très puissant et contenant plusieurs autres royaumes, mais le roi de Pegu, son voisin, lui en a ôté beaucoup sur le sujet d’une guerre qu’il fit à celui de Siam pour lui ôter l’éléphant blanc qu’il avait, et que les Peguans adorent (1). De sorte que depuis ce temps-là le royaume de Siam a été fort diminué, et même divisé par portions et seigneuries qui ne reconnaissent ce roi que de bonne sorte. Il contenait autrefois seize ou dix-sept royaumes ou seigneuries et s’étendait depuis Tanauserin ou Tarnassery jusqu’à Champaa, plus de sept cents lieues de côte à côte entre Malacca, les Patanes, Paßiloco, Capimper, Chiammay, les Lahos ou Gutos (2) : on l’appelait l’empire de Sornao (3) et son roi Prechau Saleu (4), qui tenait son siège royal en la ville d’Odiaa (5) où les rois sujets étaient tenus d’aller tous les ans en personne reconnaître le prince, lui payer tribut et faire la Sumbaya (6), qui était baiser un cimeterre qu’il portait à son côté. Puis à cause de la grande distance et des courants des fleuves du pays qui rendaient leurs voyages plus longs et pénibles, il remit cette reconnaissance à un sien lieutenant ou vice-roi en la ville de Lugor (7) plus proche et commode.

Ce pays confine aujourd’hui du côté de l’Occident à celui de Pegu, du nord au pays de Chiammay, vers le Midi à la province de Cabury (8) et à la grand mer, et au Levant au golfe de Cambodge. C’est l’un des meilleurs, plus fertiles et délicieux du monde, abondant en toutes sortes de fruits, vivres, mines d’argent, fer, plomb, étain, salpêtre, souffre, soies, miel, cire, sucres, bois odorants, benjoin, laque, coton, rubis, saphirs, ivoire, et s’y apportent toutes sortes d’épiceries et autres denrées d’ailleurs ; mais les habitants sont peu belliqueux. Les femmes y sont fort gentilles et de belle humeur, et se plaisent à porter force joyaux, et pour cela vont retroussées, la jambe nue et les pieds, pour montrer comme elles sont chargées de pierreries, dont aussi leurs bras et leurs cheveux sont entrelacés et couverts, imitant en cela celles du Pegu. Elles se font porter sur des palanquins, avec des robes riches et fort façonnées et si ouvertes par le devant qu’on leur voit tout (mot effacé), leurs chemises étant coupées de même. Et non (mot effacé) qu’elles marchent à petits pas, et qu’elles se mettent les deux mains devant par honneur pour se couvrir un peu, on ne laisse pas de les bien voir. Ils disent que cette loi et coutume fut établie autrefois par une reine nommée Tirada, la plus sage de son temps, aussi révère-t-on ses os comme une chose sainte et sacrée. Voyant que les hommes du pays étaient grandement adonnés au péché contre nature, elle pensa par ces attraits charmants de les retirer de cette brutalité (9) ; comme de fait, les femmes disent que depuis ce temps-là les hommes se font fort châtiés de ce vice abominable. Et à la vérité toute ces femmes là sont belles et bien proportionnées et jouent de certain instrument qu’ils appellent bembla, dont elles apprennent curieusement l’artifice en leur jeunesse. Les hommes y peuvent prendre deux femmes, mais pour la seconde ils payent double tribut, qui est cause que la plupart se contentent d’une. Elles sont assez dociles, humbles et sages, n’ayant autre soin que de se faire aimer de leurs maris.

Ils font de cruels sacrifices de filles vierges, et leur façon d’enterrer les morts n’est pas moins inhumaine : car dès aussitôt qu’un de leurs proches est décédé, ils lui dressent un tombeau à la campagne, où chacun en a selon ses moyens, puis il se font tous raser le corps en signe de deuil. Les femmes quittent leurs joyaux et se vêtent de blanc, qui est la couleur funèbre. Tous les parents du défunt y sont conviés pour accompagner solennellement le corps jusqu’au lieu désigné, qui est vêtu d’un riche habit dans son palanquin assisté de six des plus signalés de la famille, et de six autres qui le tirent sur un char à quatre roues, couvertes d’un drap cendré de même couleur que tous les parents sont vêtus. Au devant marchent six joueurs de flûtes, qui avec deux bassins sonnent si piteusement que chacun est excité à pleurer. Ces joueurs d’instruments sont loués et salariés du public pour cela, accompagnant leurs jeux d’airs plaintifs et si doux que c’est merveille. Étant parvenus au tombeau, tous les assistants offrent force parfums qu’il jettent sur le palanquin. Cela fait chacun se retire excepté les parents qui dépouillent le corps et le nettoient toujours en pleurant et lamentant, puis l’apprêtent comme une viande, le faisant cuire avec du bois aromatique et des odeurs, et s’étant assis tout à l’entour et jeté de grand cris, en font leur triste repas, accompagné de larmes. Après cela ils prennent les os bien nettoyés et les parfument d’odeurs, et avec la même cérémonie et les mêmes instruments les enveloppent dans de la toile faite de lin asbeste (10), qui ne se consume jamais au feu mais s’y blanchit et se nettoie, et ne se pourrit dans la terre où il se conserve toujours. J’en ai apporté de mes voyages que j’ai fait voir à plusieurs personnes curieuses. Toutes ces cérémonies achevées et les os mis dans le tombeau, chacun se retire chez soi. Voilà leur étrange façon envers les morts.

La ville de Siam est située sur la belle et grande rivière de Menam, qui vient du renommé lac de Chiammay et qui a de belles murailles, et quelque trente mille maisons, avec un château bien fortifié, quoiqu’elle soit assez forte d’elle-même, étant bâtie sur les eaux comme Temistitan (11) et Venise. Le pays porte quantité d’éléphants, rhinocéros, girafes, tigres, lions, léopards, sinderos (12), et toutes sortes de sauvagine (13). Puis des martres zibelines et des plus belles hermines d’Orient, force chameaux et dromadaires ; et selon quelques-uns on y trouve des licornes, qui pour être des bêtes fort timides, se montrent peu devant les hommes (14). Il s’en trouve, à ce qu’ils disent, aux environs du lac Chiammay, mais nous en parlerons encore ailleurs. Ce lac a deux cent mille de tour, d’où sort un grand nombre de grandes et fameuses rivières, comme celle d’Ava, Caypumo, Menam, Cosmin, et autres, qui ont les mêmes inondations et débordements que le Nil. Ce lac a du côté du levant de grandes forêts et des marécages impénétrables et dangereux pour les serpents d’une grandeur prodigieuse qui y habitent, et qui ont des ailerons comme des chauve-souris, avec lesquels ils s’élèvent de terre, et vont d’une très grande vitesse, se soutenant en volant de la pointe de la queue (15), et il s’en trouva une fois une telle quantité qu’ils désertèrent presque toute une province, et sans le lait de figuier dont on se servit contre leur venin, il ne fut échappé personne ; mais le prince du pays, magnanime et courageux, ayant mis toute sa cour en armes et fait faire de grandes et longues chaussées avec de profonds fossés et quantité de chiens, lions, tigres et autres bêtes dressées à la chasse dès leur jeunesse, couverts d’autres peaux par-dessus comme chanfreins (16) pour les déguiser, et en un besoin leur faire combattre leur semblable et toutes autres bêtes, il fit un grand massacre de ces serpents qui se venaient précipiter dans ces fosses : puis il mit prix sur tous les autres qu’on pourrait prendre et qui lui seraient apportés, ce qui fut cause qu’on dépeupla bientôt la terre de cette engeance. Il s’en trouve toutefois encore par les forêts, et j’en ai vu d’une grandeur démesurée qui se ruent sur les brebis et les autres animaux quand ils ont faim. En ces mêmes pays il y a une autre bête qui a la face semblable à un homme, toute repliée, et ne va que la nuit : on l’appelle espalouce. Elle monte sur les arbres et fait de grands cris comme en se plaignant, pour attraper quelque chose, et quand elle ne peut rien trouver, elle mange la terre. C’est une bête qui va fort lentement, et s’en trouve en plusieurs lieux.

Le royaume de Siam a reçu autrefois de grandes secousses : car quelques années auparavant que nous y arrivassions, le roi, fort renommé pour ses victoires, avait été empoisonné par sa femme, pour épouser un sien maître d’hôtel, son adultère, qu’elle fit roi, ayant aussi fait mourir son propre fils qui régnait : puis eux-mêmes ayant été par conjuration tués en un festin, il y eut beaucoup de changements dans l’État (17) jusqu’à ce que le Bramma, roi de Pegu, prenant l’occasion, vint assiéger la grande ville d’Odiaa, mais ayant été tué durant ce siège, son successeur la vint depuis ruiner entièrement pour avoir l’éléphant blanc dont nous avons parlé ; et depuis celui de Siam a eu sa revanche sur Pegu (18). Tel est le changement ordinaire des royaumes de l’Inde qui ne peuvent demeurer longtemps en un même état.

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La relation de Vincent Leblanc
Présentation

NOTES

1 - Entre 1547 et 1570, il y eu trois grands conflits armés entre la Birmanie et le Siam. L'anecdote des éléphants blancs laisse entendre que les événements décrits par Leblanc se déroulaient lors du deuxième conflit, en 1563-1564, sous le règne du roi Chakraphat (จักรพรรดิ). Il semble toutefois que cette anecdote des éléphants blancs n'ait été qu'un prétexte pour une guerre qui aurait eu lieu de toute façon. Dans son journal du 26 novembre 1685, l'abbé de Choisy note : Le roi de Pégou, ayant appris que le roi de Siam avait sept éléphants blancs, lui en envoya demander un : on refusa net. Il renvoya et menaça de le venir quérir lui-même à la tête de deux cent mille hommes : on se moqua de ses menaces. Il vint, assiégea longtemps la ville de Siam, la força, n’entra pourtant pas dans le palais du roi, fit dresser deux théâtres égaux à la porte du palais, l’un pour lui et l’autre pour le roi de Siam ; et là, en grande cérémonie, fit des demandes qui étaient autant de commandements. Il demanda d’abord six éléphants blancs, qui lui furent livrés. Il dit avec beaucoup d’affection au roi de Siam qu’il aimait son second fils et qu’il le priait de le lui mettre entre les mains pour avoir soin de son éducation. Ainsi avec beaucoup de civilité, il prit tout ce qu’il voulut et retourna à Pégou avec des richesses immenses et un nombre infini d’esclaves. Il ne toucha point aux pagodes parce que la religion des Siamois et celle des Pégous est la même. Seulement un de ses soldats, étant entré dans la pagode du roi, coupa une main de la grande statue d’or : on en a depuis remis une autre, et j’en ai vu la cicatrice.

Dans ce même journal, à la date du 18 octobre 1685, l'abbé estime à cinq ou six cent mille hommes les victimes de cette guerre.

Quelques pages plus loin dans son livre, Vincent Leblanc évoque les guerres que le roi de Pegu eut avec le roi de Siam pour l'éléphant blanc que ce roi ne lui voulait bailler :

Ce fut Aléagare ou Chaumigrom, roi de Pegu, père de celui qui régnait de mon temps, qui fit cette guerre avec une armée d'un million d'hommes bien aguerris, 200 000 chevaux, 5 000 éléphants et 3 000 chameaux. Il y avait 50 000 chevaux seulement pour avant-coureurs. Enfin il lui prit et ruina sa principale ville Lagi ou Siam, qu'on fait plus grand deux fois que Paris et trois fois que Fez ; le siège dura vingt-deux mois. Il y a de Pégu à Siam soixante-cinq journées de chameau. Il lui prit tous ses trésors, femmes et enfants, qu'il emmena en son pays avec l'éléphant blanc. Ce pauvre roi s'était défendu jusqu'à l'extrémité, et voyant tout perdu, se jeta du haut de son palais en bas, d'où il fut tiré en pièces. Il y eut une de ses filles et quelques autres princesses qui se firent mourir elles-mêmes par le moyen d'un fer rond dont ils usent, et qui se serre en mettant la tête dedans, et le pied sur un chaînon qui y pend, dont on est promptement étranglé. (pp. 170-171).

On peut s'interroger sur la réalité des 3 000 chameaux de l'armée birmane. Quant au roi Chakraphat, il semble établi qu'il mourut quelques années plus tard, lors du troisième siège d'Ayutthaya, en 1568 ou 1569, mais là encore les versions diffèrent. Selon les sources birmanes, après la défaite, le roi Chakraphat fut emmené en otage avec son fils, le prince Ramesuan (ราเมศวร), il se fit bonze et fut autorisé à retourner au Siam. Les sources thaïes passent sous silence cet épisode et indiquent seulement que le roi abdiqua et se fit bonze.

Dans son History of Siam, W.A.R. consacre quelques paragraphes à cette invasion birmane et à ses conséquences : Par une ironie du sort, les efforts faits par le roi Chakraphat en vue de capturer des éléphants pour la défense de son royaume furent la cause indirecte de la seconde invasion birmane. Parmi les animaux capturés ne se trouvaient pas moins de sept éléphants blancs. On persuada le roi de prendre le titre de « Prince des Éléphants Blancs ». Le roi de Birmanie vit là un prétexte aussi bon que n'importe quel autre pour précipiter la guerre. En conséquence, il envoya des émissaires pour demander deux des éléphants blancs. Le roi Chakraphat consulta ses conseillers. Quelques-uns étaient d'avis qu'il valait mieux renoncer à un couple d'éléphants blancs plutôt que de plonger le pays dans la guerre ; d'autres, soutenus par le prince Ramesuen, firent valoir au roi qu'il se déshonorerait aux yeux du monde entier en se soumettant servilement à une demande si déraisonnable ; de plus, argumentèrent-ils, la soumission n'aurait d'autre effet que d'encourager le roi de Birmanie à avancer des demandes encore plus insultantes. Pour finir, une fin de non-recevoir fut envoyée à Bhureng Noung, qui séance tenante déclara la guerre.

Bhureng Noung, comme on l'a vu, était de loin plus puissant qu'aucun de ses prédécesseurs ne l'avait jamais été. Le contrôle de Chiang Mai le plaçait dans une position si favorable pour lancer une invasion du Siam que le résultat fut presque réglé d'avance. En outre, les provinces du nord du Siam étaient à cette époque ravagées par la peste et frappées par la famine, et incapables, de ce fait, d'offrir une résistance très énergique à un envahisseur.

À l'automne de l'année 1563, le roi de Birmanie avança sur Siam avec une armée que les historiens siamois estimaient à 900.000 hommes, comportant des troupes non seulement de Birmanie, mais également de Chiang Mai et d'autres États du Laos. Kampaeng Phet fut assiégé et facilement pris, le Maharadja de Chiang Mai venant en soutien avec une flotte de bateaux. Sukothai offrit une forte résistance, mais dut céder à la puissance supérieure des Birmans. Sawankhalok et Phijai capitulèrent. Phitsalunok, alors en proie à la famine et à la peste, tomba après un court siège.

Maha Thammaraja, le gendre du roi Chakraphat, accompagna Bhureng Noung dans sa marche depuis les provinces siamoises du nord vers le Sud avec une armée de 70.000 hommes. De son plein gré ou non, il s'était ainsi rangé du côté des Birmans.

Les Siamois, soutenus par quelques mercenaires portugais, firent deux tentatives pour essayer de stopper l'avance de l'immense armée birmane, mais ils furent défaits et repoussés.

Les Birmans atteignirent Ayutthaya en février 1564. Le roi de Siam était tout à fait incapable de lever une armée suffisamment puissante pour offrir la moindre résistance efficace. Après que les Birmans eurent dirigé une canonnade contre la ville, la population, réalisant qu'elle était à peu près sans défense, pressa le roi de négocier avec les envahisseurs. Leur demande fut appuyée par ceux des nobles qui, dès le début, avaient été favorables à donner les éléphants blancs. En conséquence, une entrevue eut lieu entre les deux monarques en personne.

Les conditions imposées par le roi de Birmanie furent coûteuses. Le prince Ramesuen, Phya Chakri et Phya Sunthorn Songkhram, les dirigeants du parti de la guerre, devaient être livrés en otages, un tribut annuel de trente éléphants et trois cents catis d'argent devait être envoyé en Birmanie, et les Birmans devaient se voir octroyer le droit de collecter et de garder les taxes de douane du port de Mergui — alors la principale place du commerce étranger. En plus de tout cela, quatre éléphants blancs devaient être livrés, au lieu des deux initialement demandés.

Il est possible que les conditions imposées aient pu être encore plus dures, si les nouvelles d'une rébellion en son royaume n'avaient rendu Bhureng Noung désireux d'y retourner le plus tôt possible. Laissant une armée d'occupation au Siam, il s'en retourna précipitamment par la route de Kampaeng Phet. 

2 - Certains noms de localités mentionnées par Leblanc peuvent prêter à discussion. Tanauserin ou Tarnassery désignent évidemment Ténasserim. Champa ou Champaa était un ancien royaume de l'actuel Vietnam. Patane est très probablement Pattani (ปัตตานี), qui était à l’époque un sultanat semi-autonome de langue malaise. C’est aujourd’hui une province et une ville de Thaïlande à la population majoritairement musulmane. Passiloco, nom également utilisé par Pinto, désigne sans doute la ville qui sera connue plus tard sous le nom de Phitchalok, puis Phitsanulok (พิษณุโลก). Capimper est Kampaeng Phet (กำแพงเพชร) à quelques kilomètres de Phitsalunok. Chiammay est une des innombrables versions de Chiang Mai (เชียงใหม่). Nous n'avons pas trouvé l'origine de ces Gutos, assimilés aux Laos. 

3 - Ce nom était souvent utilisé au début du XVIe siècle, on trouve également la forme Sarnau ou Sornau, Vasco de Gama utilise Xarnauz. Selon Henri Yule (Hobson Jobson p. 795), il désignait la ville d'Ayutthaya et trouve son origine dans le persan Shahr-i-nao qui signifie Nouvelle Cité

4 - Il s'agit du roi Phrajai (พระไชย), ou Chairachathirat (ไชยราชาธิราช), 13ème roi d'Ayutthaya qui régna entre 1534 et 1547. Ce terme est utilisé par Pinto (Les voyages aventureux de Fernand Mendez Pinto, Paris, 1645, p. 845), qui note : Le plus haut titre du roi est Prechau Saleu, qui signifie dans notre langue « saint membre de Dieu » (peut-être une déformation de Phra Chau (พระเด็จ), le prince sacré, Sa Majesté). 

5 - Une des nombreuses variantes du nom d'Ayutthaya (อยุธยา), alors capitale du royaume. 

6 - Les mots sombaye, ou zombaye, fréquemment employés dans les relations françaises, sont des transpositions du portugais sumbra, çumbaya, sumbaïa, sumba, etc. L'origine en reste obscure. Il pourrait s'agir d'une déformation du mot malais sěmbah, une salutation, une respectueuse adresse, l'acte de salutation ou d'hommage consistant à élever les mains au visage, (Dictionnaire anglais-malais de R. J. Wilkinson, Singapour, 1901, p. 404) ou de son dérivé sěmbah-yang (vénération de dieu, prière, rituel). Le dictionnaire Hobson Jobson de Yule et Burnell (p. 850) cite les mots Somba, et Sombay, du malais présent, cadeau. Peut-être est-ce le même mot que le Sěmbah de Wilkinson, les cadeaux, les présents étant habituellement offerts en Asie aux personnes à qui l'on souhaite rendre hommage. Le sieur Leblanc donne une définition de la sombaye - baiser un cimeterre - qui ne correspond pas à celles qu'on trouve dans les relations postérieures, qui la définissent plutôt comme une prosternation. 

7 - S'agit-il de Nakhon Si Thammarat (นครศรีธรรมราช), en Thaïlande, que l'on appelait autrefois Ligor ? Cette ville fut jusqu’au VIIe siècle la capitale du royaume de Tambralinga. On l’appela également Nagara Sri Dhammaraja (Cité du roi Dharma) pendant l’empire de Srivijaya, entre le VIIe et le XIIIe siècle. Cependant, la Bibliothèque Nationale conserve une carte manuscrite anonyme et non datée représentant la façade ouest de la péninsule malaise, entre Pegou et Queda, sur laquelle apparaît un Lugor à la hauteur de Mergui, qui pourrait bien, après tout, être celui mentionné par Leblanc.

ImageCarte française anonyme d'une partie des côtes du Siam de Pegu à Queda (BNF) 

8 - Peut-être Kraburi (กระบุรี), au nord de la province de Ranong. 

9 - Dans l'Histoire de la Navigation de Jean Hugues de Lindscot, Hollandais, et de son Voyage ès Indes Orientales traduit en français par Bernard Palu et publiée à Amsterdam en 1610, on trouve mention de cette même coutume, mais l'auteur l'attribue non pas au Siam, mais au royaume de Pégou : La coutume aussi d'aucuns de ce royaume est de porter en leur membre viril, entre la peau et la chair, une petite sonnette de la grosseur d'une noix, laquelle rend un son fort doux, et sert à les retenir de sodomie à laquelle ils sont enclins. Les femmes vont presque toutes nues, n'ayant qu'une légère couverture autour de leurs parties honteuses, laquelle joint si peu qu'en marchant elles provoquent les hommes à lubricité pour les détourner de plus grand péché. (p. 37).

ImageLes Péguiens portent aux parties honteuses des balles de plomb. La Galerie agréable du monde, Pieter vander AA, 1729. 

10 - Le lin asbeste est une étoffe incombustible d'origine minérale, aux propriétés proches de celles de l'amiante. 

11 - Déformation de Tenochtitlán, ancienne capitale du royaume aztèque bâtie sur un lac. Elle fut entièrement détruite par Cortez en 1520. On construisit sur ses ruines la ville de Mexico.

ImageTenochtitlán : le marché de Tlatelolco. Fresque de Diego Rivera au Palais National de Mexico (1952). 

12 - La ménagerie évoquée par le sieur Leblanc est hautement fantaisiste, à moins qu'il ne s'agisse d'une malicieuse galéjade bien marseillaise. Bien évidemment, dans aucune relation nous n'avons trouvé mention de la présence de girafes au Siam, pas plus que de chameaux ou de dromadaires cités plus loin, sauf bien sûr, avec les lions, dans les jardins zoologiques.

ImageUn éléphant et un rhinocéros. Journal de voyage de Georg Franz Müller.
ImageUn lion et un tigre. Journal de voyage de Georg Franz Müller.

Ces illustrations sont extraites du Journal de voyage de Georg Franz Müller, un voyageur alsacien (1646-1723). Müller séjourna au service de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales entre 1669 et 1682 comme soldat dans l’archipel indonésien et dessina dans son journal de voyage des hommes, des animaux et des plantes qu’il avait rencontrés durant son voyage en Indonésie, via l’Afrique du Sud. Pour tous ces hommes, ces animaux et ces plantes, il composa aussi des poèmes simples et de temps à autre hésitants qu’il écrivit, selon sa volonté, dans une écriture difficile à déchiffrer. Ce manuscrit touchant de naïveté et de fraîcheur peut être consulté sur le site de e-codices : Bibliothèque virtuelle des manuscrits en Suisse

13 - Selon le Dictionnaire de Trévoux, la sauvagine est le terme collectif qui signifie aussi tous les oiseaux et toutes les bêtes qui sentent le sauvagin. Quant à ce sauvagin, c'est un terme peu usité dont on se sert pour exprimer un certain goût, une certaine odeur qu'ont quelques oiseaux de mer, d'étang ou de marais. (Trévoux, VII, 1781, p. 568). 

14 - On connaît des représentations de licorne datant de l'âge de pierre. Cet animal imaginaire a suscité une très abondante littérature et légion sont les témoins qui affirment en avoir vues. Marco Polo lui-même en donne une description : Elles ont le poil comme un buffle, et les pieds comme l'éléphant, la tête comme un porc sanglier : ainsi elles se vautrent volontiers dedans les fanges et autres immondices à la manière des porcs. Au milieu du front elles portent une corne assez grosse et noir, leur langue est fort rude et poignante, et de laquelle ils blessent et les hommes et les bêtes. (Description géographique des provinces et villes plus fameuses de l'Inde Orientale, Paris, 1556). La licorne de Marco Polo ressemble tout de même fort à un rhinocéros.

Jusqu'au XVIIe siècle, la corne de licorne se vend à prix d'or, elle a la réputation d'être un contrepoison universel. Il ne s'agit en fait que de corne d'antilope, ou le plus souvent de rostre de narval, appelé aussi licorne de mer. Dès 1582, le médecin et chirurgien Ambroise Paré, sans remettre réellement en cause l'existence des licornes, conteste les pouvoirs thérapeutiques attribués à leur corne, et dénonce les énormes profits réalisés grâce à la crédulité des gens du peuple : La livre d'or fin vaut 28 écus : la livre de licorne à 18 sols le grain vaut 1 280 écus. À cette cause, il serait beaucoup d'ôter cette superstition et larcin qu'on fait au peuple. Et plus loin : Et quant à moi, je crois que la licorne n'a encore été découverte, ou pour le moins bien rarement, et que ce n'est qu'une imposture de vendre tant de corne de licorne, que l'on fait accroire, comme l'on en peut tirer de grandes conjectures de ce que je dirai ci-après. (Discours d'Ambroise Paré, Conseiller et premier chirurgien du roi, Paris, 1582).

ImageCerf et licorne. Livre de Lambspring, 1556. Zentralbibliothek Zürich 

15 - Là non plus, nous n'avons trouvé aucune autre relation qui mentionne ces serpents ailés proches des représentations traditionnelles des dragons. Peut-être y aurait-il une similitude avec la façon dont certains serpents se déplacent, la tête très haut du sol, ce qui pourrait donner l'impression qu'ils volent en prenant appui sur leur queue ? 

16 - Le chanfrein était la pièce d'armure qui couvrait le devant de la tête du cheval. (Littré). 

17 - Allusion au roi Chairachathirat (ไชยราชาธิราช). Dans son Histoire de la Thaïlande (Editions Que Sais-Je ?, 1998), Xavier Galland note : Il meurt (...) peut-être empoisonné par Si Sudachan, une concubine qui lui avait donné deux fils. Le plus âgé des deux, Yot Fa, est nommé roi (1547-1548), sa mère assurant la régence. Rapidement, après s'être débarrassé de ses opposants de façon expéditive, elle fait empoisonner le nouveau roi, son fils, pour offrir le trône à son amant Woravong, qui est couronné en juin 1548. Le mois suivant, son assassinat met fin à cette histoire d'alcôve et la couronne est offerte au prince Thianracha, un oncle de Yot Fa, qui avait tourné le dos à la mêlée politique et s'était fait ordonner bonze. Il monte sur le trône et prend le nom de Mahachakkrapat (1548-1569). 

18 - La reconquête des territoires perdus et de la suprématie du Siam s'effectue à partir de 1593, et jusqu'en 1605, sous le règne du roi Naresuan (นเรศวร), fils de Maha Thammaraja (มหาธรรมราชา), vice-roi de Phitsanulok (พิษณุโลก) et gendre de Chakraphat (จักรพรรดิ), qui s'était rangé aux côtés des Birmans en 1563. Naresuan avait fait partie des otages livrés aux Birmans en 1564, il n'avait alors que 9 ans. Il accède au trône en 1593 et entreprend de rendre au royaume sa puissance passée. Il reconquiert Tenasserim, lance des offensives au Cambodge, conquiert une partie de Pégou et plusieurs ports du golfe de Martaban, jusqu'à Chiang Mai qu'il soumet à sa loi. 

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28 février 2019