PRÉSENTATION

dans ces extrémités du monde où à peine savait-on autrefois s'il y avait une France…

Le bon accueil fait en octobre 1673 par le roi Naraï à une lettre de Louis XIV accompagnée de présents, l'intérêt que semblait prendre le souverain siamois à la religion catholique, les opportunités que présentait le royaume sur le plan commercial, autant de facteurs prometteurs qui poussaient les missionnaires français à insinuer dans l'esprit des deux monarques, tant à Versailles qu'à Ayutthaya, le désir d'échanger des ambassades. Dès 1667, Pierre Lambert de la Motte lançait l'idée dans une lettre à François Pallu : Voyant ces premières traces de la grâce dans le cœur de ce roi, il faut, Monseigneur, que je vous expose une pensée qui m'est venue, dont vous ferez tel usage qu'il vous plaira ; c'est qu'ayant appris les grands desseins que notre généreux monarque a pour l'établissement du commerce aux Indes, il me semble que cette ville étant un lieu très avantageux, pour cela, on pourrait insinuer au roi d'envoyer un ambassadeur en cette Cour, à l'exemple des Hollandais qui y ont bien réussi, afin de traiter par lui du commerce que l'on peut faire dans ce royaume, et par ce même moyen, que Sa Majesté très chrétienne conviât ce roi de vouloir embrasser notre religion comme étant très sainte, et la plus propre à faire régner les princes qui la professent, dans une suprême autorité, parce qu'elle oblige par ses lois les chrétiens d'être fidèles et très obéissants à leurs souverains sous peine d'être damnés, et lui représentant d'ailleurs qu'il doit à la religion catholique la prospérité et grandeur de ses États, que lui et ses prédécesseurs ont si heureusement possédés depuis tant de siècles (1). Comme toujours en France à cette époque, les intérêts commerciaux étaient étroitement liés aux intérêts religieux, amalgame qui allait entraîner l'échec des uns et des autres.

Il semble que les missionnaires en poste au Siam ait eu un pouvoir d'insinuation supérieur à celui de leurs coreligionnaires français (ou peut-être le souverain siamois était-il plus malléable que son homologue français, assez réservé tout de même sur ces entreprises exotiques), puisqu'en 1676, le roi Naraï décida le premier d'envoyer des ambassadeurs à son bon ami Louis. François Martin notait dans ses mémoires : Depuis que messieurs les missionnaires français étaient à Siam, ils y avaient si bien ménagé l’esprit du roi que ce prince avait pris la résolution d’envoyer des ambassadeurs en France offrir son amitié au roi et toute liberté dans ses États pour le commerce de ses sujets (2).

Ayant appris cette décision, François Baron, directeur général de la Compagnie des Indes en poste à Surate, chargea son collaborateur André Deslandes-Boureau de se rendre au Siam sur le navire le Vautour pour porter une lettre et des présents au roi Naraï, prendre en charge l'ambassade et étudier la possibilité d'ouvrir un comptoir. Le messager fut bien accueilli, les premiers échanges commerciaux s'avérèrent fructueux, et Deslandes inaugura en 1681 le premier comptoir de la Compagnie dans le royaume. Il le dirigea jusqu'en 1684.

Pendant ce temps, les préparatifs allaient bon train. Les trois ambassadeurs avaient été choisis parmi les mandarins les plus éminents, on emballait des présents pour le roi de France, la famille royale et le pape, et le roi rédigeait, dans un style très oriental, une lettre pour son bon ami, lettre qu'on grava, selon l'usage, sur une feuille d'or :

Lettre de la royale et insigne ambassade du grand roi du royaume de Juthia, qu'il envoie à vous, ô très grand roi et très puissant seigneur des royaumes de France et de Navarre, qui avez des dignités suréminentes, dont l'éclat et la splendeur brillent comme le soleil ; vous qui gardez une loi très excellente et très parfaite, et c'est aussi par cette raison que, comme vous gardez et soutenez la loi et la justice, vous avez remporté des victoires sur tous vos ennemis, et que le bruit et la renommée de vos victoires se répandent par toutes les nations de l'univers. Or, touchant les lettres de la royaule ambassade pleine de majesté, que vous, ô très grand roi, nous avez envoyée par Dom François (3), évêque, jusque dans ce royaume, et après avoir compris le contenu de votre illustre et élégante ambassade, notre cœur royal a été rempli et comblé d'une très grande joie, et j'ai eu soin de chercher les moyens d'établir une forte et ferme amitié à l'avenir ; et lorsque j'ai vu le général de Surate envoyer ici, sous votre bon plaisir, un vaisseau pour prendre notre ambassade et nos ambassadeurs, pour lors mon cœur s'est trouvé dans l'accomplissement de ses souhaits et de ses désirs, et nous avons envoyé tels et tels, pour être les porteurs de notre lettre d'ambassade, et des présents que nous envoyons à vous, ô très grand roi, afin qu'entre nous il y ait une véritable intelligence, une parfaite union et amitié, et que cette amitié puisse être ferme et inviolable dans le temps avenir ; que si, ô très grand et puissant roi, vous désirez quelque chose de notre royaume, je vous prie de le faire déclarer à nos ambassadeurs.

Lors que les mêmes ambassadeurs auront achevé, je vous prie de leur donner permission de s'en revenir, afin que je puisse apprendre les bonnes nouvelles de vos félicités, ô très grand roi. De plus, je vous supplie, ô très grand et puissant roi, de nous envoyer des ambassadeurs, et que nos ambassades puissent aller et venir sans manquer, vous priant que notre amitié soit ferme et inviolable pour toujours ; et je conjure la toute puissance de Dieu de vous conserver en toutes sortes de prospérités, et qu'il les augmente de jour en jour, afin que vous puissiez gouverner vos royaume de France et de Navarre avec toute tranquillité ; et je le supplie qu'il vous agrandisse par des victoires sur tous vos ennemis, et qu'il vous accorde une longue vie pleine de prospérité (4).

Enfin, les astrologues ayant déterminé que le 24 décembre était le jour le plus favorable pour le bon succès de l'entreprise, ambassadeurs et mandarins de leur suite, le missionnaire Claude Gayme, les présents et les deux petits éléphants que le roi de Siam offrait au roi de France, s'embarquèrent la veille de Noël 1680 sur le Vautour pour gagner Banten où ils devaient faire escale. André Deslandes, pour sa part, resta au Siam, ce qui lui sauva sans doute la vie. Son frère, Jacques Boureau, n'eut pas cette chance. Il se trouvait à Banten et s'embarqua avec l'ambassade sur le Soleil d'Orient, perdu corps et biens au large de Madagascar.

Sans doute adressé à François Baron et aux instances dirigeantes de la Compagnie des Indes, le rapport d'André Deslandes-Boureau que nous reproduisons ici couvre les événements et la préparation de l'ambassade depuis l'arrivée du Vautour à Ayutthaya le 3 septembre 1680 jusqu'au départ de la délégation le 24 décembre. Il est reproduit dans l'ouvrage d'Adrien Launay, Histoire de la Mission de Siam, 1920, I, pp. 104 à 108. Nous l'avons transcrit en français moderne, nous en avons revu la ponctuation et nous avons tâché de l'éclairer par quelques notes.

Page suivante  ►
Rapport d'André Deslandes-Boureau
sur l'ambassade siamoise de 1680

NOTES

1 - Lettre du 19 octobre 1667 citée par Adrien Launay, Histoire de la Mission de Siam, 1920, I, p. 103. 

2 - Mémoires de François Martin, 1932, II, p. 180. 

3 - François Pallu, qui avait apporté en 1673 une lettre de Louis XIV au roi Naraï. 

4 - Launay, op. cit., I, pp. 110-111. 

Banniere bas retour
Page mise à jour le
18 octobre 2019