N cet an de grâce 1686, deux événements allaient marquer la France, on dirait aujourd'hui, allaient faire le buzz : la fistule anale de Louis XIV, petite tumeur devers le périnée, à côté du raphé, deux travers de doigt de l'anus, apparue dès le 15 janvier, et le séjour des ambassadeurs siamois arrivés à Brest le 18 juin.
Situé dans un endroit que la pudeur répugne à nommer (on ne parlait d'ailleurs pas de l'anus de Sa Majesté, mais plutôt de sa cuisse), l'abcès mal placé, à deux doigts du fondement, ne fournit pas l'occasion de longs articles, d'impressions d'estampes ou d'almanachs, de frappes de médailles, ainsi qu'il était de tradition pour tous les évènements qui touchaient à la vie du roi. La France pria en silence. Le 18 novembre, las des cataplasmes, des cautères, des badigeonnages et des bouillons purgatifs, le roi prit la décision de se faire opérer. L'intervention, menée de main de maître par le chirurgien Félix, fut un succès. La France respira, Dangeau écrivit dans son Journal : Il a souffert toute l'opération avec une patience admirable ; on lui a donné deux coups de bistouri et huit coups de ciseaux sans qu'il lui soit échappé le moindre mot, et M. Vignier composa à cette occasion un de ces fades et laborieux madrigaux dont il avait le secret :
Quoi que Louis ait fait, il faut dire aujourd'hui
Que ce qu'il vient de faire avec tant d'assurance,
Est un vrai coup d'État qui met toute la France
Hors de crainte et d'ennui ;
Et l'on peut désormais avouer sans scrupule
Que l'univers entier soulevé contre lui,
Nous eût fait moins de peur qu'une simple fistule.
Des cérémonies furent organisées pour célébrer la guérison complète annoncée en janvier 1687, et Lully dirigea à cette occasion son Te Deum composé en 1677. C'est au cours de la répétition qu'il s'écrasa le pied avec son bâton de direction et qu'il mourut de la gangrène le 22 mars suivant.
Chargés de présents, les ambassadeurs du roi de Siam débarquèrent à Brest le 18 juin. D'emblée, la curiosité envers les exotiques émissaires fut à son comble. Pendant les huit mois et quelques jours que les mandarins passèrent dans le royaume, où ils visitèrent Paris, Versailles, et firent un long périple dans les villes du Nord, les moindres de leurs faits et gestes furent rapportés, répétés, commentés, le Mercure Galant consacra quatre numéros exceptionnels à l'évènement, et M. Vignier composa à cette occasion un de ces fades et laborieux madrigaux dont il avait le secret :
Les Siamois, ces têtes basanées,
Ont de l'esprit assurément.
Lassés de chercher vainement
Le Dieu qu'il ont perdu depuis longues années,
Avec des trésors inouïs
Ils sont venus en diligence
Voir s'il ne serait point en France
Caché dans l'Auguste Louis.
Nous avons regroupé dans ce chapitre quelques documents sur le séjour des ambassadeurs siamois en France :