PRÉSENTATION
Ces lettres, qui se distribuaient par feuilles, contiennent ce qui s'est passé pendant les années 1688, 1689 et 1690. L'auteur n'y mit point son nom, et il eut, dit-on, le plaisir d'apprendre qu'on les attribuait aux plus habiles politiques d'Europe (1). De fait, les quelques 74 lettres publiées sur un rythme bimensuel entre le 10 février 1688 et le 15 décembre 1690, écrites dans un style fluide et élégant, présentent des analyses souvent très documentées et des réflexions fines et pertinentes sur les grands événements politiques et religieux qui secouèrent l'Europe en cette fin de XVIIe siècle.
L'auteur, Jean Tronchin du Breuil, naquit à Genève le 9 février 1641. Après des études à Saumur, interrompues à cause de problèmes de vue, il vint à Paris et entra au service de Colbert, dont il devint un homme de confiance et un protégé. En 1682 ou 1683, refusant d'abjurer le calvinisme et victime de la répression qui s'abattait sur les protestants et allait atteindre son point culminant avec la révocation de l'Édit de Nantes en 1685, il s'exila à Amsterdam. C'est là, dans un climat de tolérance et de liberté, qu'il lança ses Lettres sur les matières du temps, à destination des exilés français qui affluaient aux Pays-Bas, mais aussi des élites politiques et diplomatiques européennes. Cet auteur se présente comme un huguenot réfugié en Hollande, qui a souffert pour sa religion et écrit à un ami d'Angleterre sur les événements du temps présent. Il en résulte une sorte de gazette raisonnée, parfois marquée d'un accent personnel, surtout quand l'auteur évoque la persécution et son évasion de France. Il accompagne les informations de commentaires. C'est une longue réflexion sur la politique et la religion en France, en Angleterre et en Hollande. L'auteur reproduit des déclarations, lettres publiques, proclamations et textes historiques importants (2).
Jean Tronchin du Breuil consacra trois lettres de sa gazette épistolaire aux événements du Siam : les 2ème, 3ème et 4ème lettres de la troisième année, datées respectivement des 15 janvier, 1er février et 15 février 1690. Les sources utilisées par l'auteur étaient les deux Voyages du père Tachard, le Journal de l'abbé de Choisy, et une relation hollandaise, peut-être celle qui a été traduite en français sous le titre : Relation succincte du changement surprenant arrivé dans le royaume de Siam en l'année 1688, conservée aux Archives Nationales de Paris sous la cote C1/24, f° 130v° à 139v°. Il est évident que pour ce qui concerne le coup d'État du Siam, le texte de Jean Tronchin du Breuil est très proche et s'inspire très étroitement de ce document, augmenté toutefois de quelques précisions et détails qui ne figurent pas dans la traduction française, mais qui ne sont peut-être que des interprétations ou des extrapolations de l'auteur. À titre d'exemple, la Relation succincte relate brièvement une anecdote survenue après l'explosion de la chaloupe le Rosaire : Cette aventure déconcerta étrangement M. Desfarges et tous les siens, et au lieu du pavillon français, il arbora le siamois sur le lieu le plus élevé de son fort. Ce qui était présenté comme une bourde du général français dans la relation hollandaise devient un acte volontaire sous la plume de Tronchin du Breuil : … voulant marquer aux Siamois qu'il se désistait de toute hostilité, il fit ôter le pavillon français et arborer celui de Siam sur le château de Bangkok, mais cela ne servit qu'à exciter le mépris et les railleries des Siamois. Au-delà de ces détails secondaires, les Lettres sur les matières du temps apportent un éclairage sur les informations dont disposaient les lecteurs protestants exilés, parfois en totale contradiction avec les sources « officielles » françaises diffusées par la Gazette et le Mercure Galant.
Bien évidemment, sous la plume d'un huguenot, les attaques et les piques contre les jésuites et la politique répressive de Louis XIV étaient de rigueur. Un des intérêts, et non des moindres, de ces lettres, est de replacer les événements de Siam dans le contexte européen de l'époque, avec pour toile de fond les dragonnades et la Guerre de la Ligue d'Augsbourg. À ce titre, les réflexions qui concluent la dernière lettre sont d'un intérêt certain et d'une grande pertinence.
Les trois lettres que nous reproduisons ici ont été publiées en 1690 à Amsterdam, chez Henry Desbordes, marchand libraire, dans le Kalverstraat. Nous en avons revu l'orthographe et la ponctuation, et nous avons tâché de les éclairer par quelques notes.
NOTES
1 - Jean-Noël Paquot, Mémoires pour servir à l'histoire littéraire des dix-sept provinces des Pays-Bas, de la principauté de Liège et de quelques contrées voisines, 1764, IV, p. 114. ⇑
2 - Dictionnaire des Journaux. ⇑
14 mai 2019