1ère partie.

À Middelbourg le 30 décembre 1689.

Monseigneur (1),

M. d'Alvimare, de qui je suis chargé pour Votre Grandeur de la relation des affaires de Siam (2), laquelle a été perdue au Cap de Bonne-Espérance, j'ai tâché d'en rétablir une conforme à la sienne que j'avais pris la liberté d'envoyer à Votre Grandeur en arrivant ici, mais la crainte qu'elle n'ait eu le même sort fait que je me donne l'honneur de lui écrire encore celle-ci par laquelle elle pourra apprendre la vérité des choses qui s'y sont passées, ayant été présent et vu tout ce qui est arrivé. Je demande pardon à Votre Grandeur de la liberté que je prends. Si cette relation n'est pas bien écrite, elle est au moins sincère et fidèle. Je suis etc.

signé St. Vandrille.

Relation

M. Constance ayant appris que l'on commençait à remuer dans le Royaume de Siam, sans cependant savoir qui c'était, voulant néanmoins prendre ses précautions, il manda le sieur de Beauchamp, major de la place de Bangkok, et deux compagnies siamoises, dont j'avais l'honneur d'être lieutenant, en commandant une, et pour enseignes MM. Dilas (3) et des Farges (4). Nous partîmes de Bangkok dans le mois de février, et nous fûmes à Thale Chubson (5), où était le roi de Siam depuis quelque temps. Pendant que nous fûmes là, le roi alla à la promenade plusieurs fois, et nous envoya toujours chercher pour l'accompagner. Il fit le sieur de Beauchamp colonel du régiment de ses gardes et lui donna mille écus. On ne peut s'imaginer la joie qu'il avait lorsque nous étions auprès de lui, ayant beaucoup plus de confiance en nous et en tous les Français qu'à son peuple même. Un mois après, il retourna à Louvo. M. Constance le suivit et nous aussi, avec nos deux compagnies, lesquelles furent mises pour servir de gardes à une porte de son palais.

M. Constance, par sa vigilance, ne fut pas longtemps sans découvrir l'auteur de la rébellion, qui était Okphra Phetracha, et en fut confirmé par les faux ordres qu'il avait envoyé au gouverneur de Siam pour lui tenir des munitions de guerre toutes prêtes, et pour plusieurs autres gouverneurs du royaume, auxquels il avait envoyé de pareils ordres pour lui amasser des troupes de tous côtés. Le gouverneur de Siam et tous les autres du royaume envoyèrent tous ces ordres contrefaits à M. Constance, lequel n'eut pas de peine à comprendre ce qu'Okphra Phetracha voulait faire, et ayant entre ses mains des preuves pour le convaincre, il chercha des moyens pour s'assurer de lui, et pour le faire avec plus de sûreté, il manda M. Desfarges qui vint aussitôt à Louvo. Le roi le voulut voir aussitôt son arrivée et lui donna audience avec M. Constance et un des pères jésuites. On ne saurait s'imaginer toutes les choses obligeantes que le roi lui dit, lui faisant connaître qu'il n'avait point de plus grande joie que lorsqu'il le voyait, ainsi que tous les français pour qui il avait une grande amitié. Il lui dit encore plusieurs autres choses obligeantes, et le pria de monter de temps en temps à Louvo, pour s'entretenir avec lui. M. Desfarges remercia le roi et prit congé de lui.

Il eut ensuite une grande conférence avec M. Constance et avec les pères jésuites (6). Ils convinrent ensemble qu'il fallait arrêter Okphra Phetracha, et pour le faire avec plus de sûreté, qu'il fallait faire monter cent des meilleurs soldats de la place de Bangkok. M. Constance dit à M. Desfarges de partir incessamment afin de ne pas donner le temps à Phetracha d'amasser des troupes. M. Desfarges partit aussitôt, arriva à Bangkok, fit prendre les armes à toutes la garnison, choisit lui-même quatre-vingts des meilleurs soldats, à qui il fit donner de bonnes armes, et les fit embarquer avec dix officiers dans les mirousPetit bâtiment construit en forme de galère, et propre à naviguer le long des côtes. que M. Constance avait envoyés.

Il s'embarqua aussi dans un balon, et partit aussitôt. Il fut jusqu'à Siam avec ses troupes, et ayant passé par la faiturie (7) française, il s'aboucha avec le sieur Véret, chef du comptoir, qui depuis longtemps était ennemi juré de M. Constance et grand ami d'Okphra Phetracha, qui lui écrivait de temps en temps des lettres. Il ne manqua pas, à ce que l'on dit, de lui en écrire encore une par laquelle il le priait d'empêcher M. Desfarges de monter. Je ne sais point le contenu du reste de la lettre, mais je sais bien que le sieur Véret n'oublia rien pour obliger M. Desfarges de retourner sur ses pas, lui disant que le roi était mort et qu'il allait être massacré, lui et toutes ses troupes, et aussi tous les Français, s'il passait outre, et qu'on était embusqué sur le chemin pour l'attendre. Il lui dit encore plusieurs autres faussetés pareilles.

Quoique M. Desfarges sût depuis longtemps que le sieur Véret avait une haine mortelle à M. Constance, il ne laissa pas cependant de l'écouter un peu, fort surpris de ce qu'il lui disait, sachant de bonne part que quatre jours auparavant Okphra Phetracha n'avait pas encore une âme assemblée, et qu'il était impossible qu'il eût fait son parti en si peu de temps, mais le sieur Véret mettant tout en usage, se jeta à genoux devant lui et le supplia de retourner à Bangkok et d'aller chez MM. les évêques de Métellopolis et de Rosalie (8), qui lui diraient la même chose. En effet MM. les évêques lui dirent les mêmes choses, qu'ils n'avaient appris que du sieur Véret. Quoi qu'ils pussent dire, M. Desfarges voulait toujours monter, disant que le roi et toute la famille royale étaient perdus aussi bien que M. Constance s'il ne montait. Mais le sieur Véret ne discontinua pas de lui dire les mêmes choses, lui assurant qu'il le savait de bonne part.

Ce qu'il y a encore à remarquer, c'est que M. Desfarges envoya un officier appelé Danglas, lieutenant d'une compagnie française, pour chercher quelques vivres pour ses troupes, et pour examiner aussi ce que l'on faisait dans la ville. Le sieur Danglas y fut et auparavant de partir, le sieur Véret lui dit de ne point s'écarter de peur d'être massacré. Cependant il fut par tout la ville sans qu'on lui dise rien, et prit tout ce qu'il avait besoin, et vint rendre compte à M. Desfarges de tout ce qu'il avait fait, l'assurant que tout était fort tranquille et qu'il n'y avait point d'apparence d'aucun trouble. Je sais toutes ces choses de la bouche de cet officier. M. l'évêque de Métellopolis, qui connaissait le sieur Véret, ne donna pas dans tout ce qu'il lui dit, ni dans tout ce qu'il disait à M. Desfarges, et conseilla au sieur Desfarges d'envoyer incessamment un officier à Louvo porter une lettre à M. Constance, par laquelle il pouvait apprendre tout ce qui se passait. M. Desfarges lui écrivit aussitôt et envoya un officier de toute diligence à Louvo, qui rendit la lettre de M. Desfarges à M. Constance, par laquelle il lui mandait tout ce que Véret lui avait dit. Jamais il ne fut plus surpris que de voir les stratagèmes dont il s'était servi pour l'empêcher de monter, en l'assurant que le roi était mort, et de mille autres faussetés pareilles. Il fit réponse aussitôt à M. Desfarges pour le détromper de tout ce qu'il lui avait dit, et qu'il eut à monter incessamment sans rien appréhender, que le roi se portait bien, et que le parti d'Okphra Phetracha ne pouvait être fait de quinze jours, quelque diligence qu'il y pût apporter.

L'officier partit incessamment pour aller rendre réponse à M. Desfarges qui l'attendait à Siam. Il renvoya cependant ses troupes à Bangkok par les conseils du sieur Véret. Il fut fort surpris quand il vit la lettre de M. Constance et aussi d'entendre l'officier qui lui dit qu'il n'avait vu personne armé sur le chemin comme lui avait dit Véret, et que dans Louvo tout y était fort tranquille. Ledit sieur Véret voyant des choses si opposées à tout ce qu'il avait dit à M. Desfarges, soutint néanmoins tout ce qu'il avait avancé et ajouta que M. Constance était un fourbe et un traître, et qu'il voulait faire massacrer tous les Français, en assurant toujours qu'il avait eu des nouvelles certaines de tout ce qu'il avait dit, et conseilla à M. Desfarges de retourner au plus tôt à Bangkok, et de n'en point sortir, quelque chose que M. Constance lui pût dire et mander. M. le Général suivit son conseil, et lui écrivit auparavant de partir, lui mandant qu'il était bien fâché de manquer à la parole qu'il lui avait donnée. Ce fut M. Dacieux, capitaine d'infanterie, à qui M. Desfarges avait beaucoup de confiance, et lui ordonna de s'informer de la vérité. Le sieur Dacieux partit aussitôt, et rendit sa lettre à M. Constance, qui fut fort surpris, après ce qu'il lui avait mandé, de ce qu'il n'avait point monté. Voyant le roi perdu, et lui aussi, avec tous les français, il tâcha d'y donner encore remède, en faisant voir la vérité à M. Dacieux, et à M de Beauchamp qui la savait déjà. Il récrivit incessamment à M. Desfarges, lui faisant voir qu'il n'y avait encore rien de perdu s'il voulait monter.

Le sieur de Beauchamp voulut aussi aller à Bangkok, ayant promis à M. Constance de faire monter M. le Général avec les troupes, et l'en assura avant de partir. Il se rendit dans Bangkok avec M. Dacieux, et donna une lettre à M. Desfarges de la part de M. Constance par laquelle il lui faisait voir la vérité et le tort qu'il avait eu de ne pas monter, lui ayant dit auparavant de partir de Louvo et de ne point s'arrêter à tous les faux bruit qu'il pouvait entendre. Le sieur de Beauchamp lui confirma la même chose (9), et aussi le sieur Dacieux faisaient leur possible, l'un et l'autre, pour l'obliger à monter. Tout cela fut inutile, M. Desfarges leur disant qu'il y allait de sa tête de quitter sa place et de plus qu'il avait donné sa parole au sieur Véret et à Mgrs les évêques, qui lui avaient promis de le tirer d'affaire à la cour.

Le sieur de Beauchamp n'ayant pu rien obtenir, s'en retourna à Louvo avec une lettre de M. Desfarges dans laquelle il faisait de grandes excuses à M. Constance s'il ne montait point, lui marquant qu'il y allait de sa tête de quitter sa place, mais qu'il lui offrait un asile dans Bangkok, ou qu'il lui envoyât Mme Constance avec son fils. M. Constance reçut une pareille lettre avec bien du chagrin, ne doutant plus de la perte du roi et de toute la famille royale, et aussi de la sienne avec celle de tous les Français, voyant bien que par manque de vivres et de munitions, dont ils n'avaient pas voulu prendre, ils ne pouvaient soutenir un long siège.

Quoique M. Constance se vît entièrement perdu, il ne voulut jamais abandonner le roi, espérant que Dieu peut-être y remédierait, et de son côté il tâchait de l'obliger à nommer un successeur, n'y ayant plus que ce seul remède, quoiqu'il ne fût pas sûr, mais enfin le parti d'Okphra Phetracha s'augmentait tous les jours, au lieu que le roi devenait de jour en jour plus malade. Cependant M. Constance ne put jamais se résoudre à l'abandonner, quoique des plus grands mandarins au palais lui disaient ce qui se passait, et que si Okphra Phetracha éclatait une fois, ils ne pouvaient s'empêcher de se déclarer contre lui, et qu'assurément il le ferait mourir. Mais M. Constance qui voyait bien que quand même il se serait sauvé dans la place, on l'aurait rendu, vu, comme j'ai dit, qu'il n'y avait ni vivres ni assez de munitions pour soutenir un long siège, et de plus il disait que son roi, à qui il avait tant d'obligations, le pourrait accuser de rebelle en l'abandonnant, il se résolut d'attendre de qui en arriverait, disant que Dieu savait son innocence et qu'il aimait mieux mourir que d'abandonner son roi et les intérêts du roi de France en se sauvant.

Le parti d'Okphra Phetracha étant fait, et ayant tout son monde assemblé, ayant gagné presque tous les mandarins du royaume, il fit une querelle d'allemand à Okphra Pi (10), fils adoptif du roi, à qui jusque-là il avait fait espérer qu'il le ferait roi, se servant de lui pour tirer les sceaux du roi et empêcher qu'on n'en approchât. Okphra Pi, se voyant trompé, fut se jeter aux pieds du roi et lui déclara tout ce qui se passait. Le roi lui pardonna, et aussitôt envoya chercher M. Constance, contre lequel il se mit beaucoup en colère, en lui demandant pourquoi il ne lui avait pas déclaré ce qui se passait. M. Constance n'eut pas de peine à se justifier, en représentant au roi qu'il ne l'avait pas voulu faire sans être en état de l'arrêter, vu qu'il avait gagné beaucoup de ses mandarins, et que pour cet effet il avait mandé cent français et M. le Général, mais qu'il n'avait pas voulu venir, et qu'il avait envoyé ordres aux gouverneurs des places de son royaume de tenir son peuple dans le devoir, et même qu'il avait pris encore plusieurs autres mesures lesquelles avaient toutes manqué, vu que M. Desfarges n'avait pas voulu monter comme il lui avait promis.

M. Constance pria le roi de ne parler de rien, disant qu'Okphra Phetracha avait gagné une partie de ses gardes, et même de ses mandarins, et que s'il éclatait contre lui, il se rendrait infailliblement maître de son palais. Le roi lui promit, mais sitôt qu'il en fut sorti, il dit fort haut qu'il lui ferait bien voir qu'il était roi, en lui faisant couper la tête. Il ne fallait pas davantage : son fils ayant tout entendu (11), il fut aussitôt le dire à son père qui est Okphra Phetracha, lequel fit entrer sur le champ tout son monde dans le palais, s'en rendit le maître et enferma le roi. M. Constance connaissant le roi fort emporté, se douta aussitôt de la vérité, et de ce qu'il craignait, et voyant la perte du roi infaillible avec la sienne, il hasarda le tout. Il m'ordonna d'aller faire prendre les armes aux soldats que je commandais, qui étaient à une porte du palais, pour les joindre au parti qui se ferait pour le roi, et en cas que l'on m'attaquât, que je me retirasse dans sa maison avec mes soldats, et lui il fut au palais accompagné du sieur de Beauchamp, du chevalier Desfarges, et du sieur de Fretteville, ayant tous trois leurs pistolets.

Sitôt qu'ils furent entrés, Okphra Phetracha vint lui-même au devant de M. Constance et l'arrêta. Il arrêta aussi le sieur de Beauchamp et les deux autres, et les fit désarmer et garder dans une chambre au palais. Il fit charger quelque temps après M. Constance de chaînes, se voyant assuré de celui du royaume qu'il redoutait le plus. Il ne songea qu'à faire sortir de Louvo tous les Européens que y étaient et m'envoya aussi un ordre pour sortir de la ville avec les deux officiers que j'avais avec moi, quoique tous nos soldats nous eussent abandonnés. Sur les dix heures du soir, lorsque nous criâmes aux armes, entendant un grand bruit dans le palais, nous ne voulûmes cependant point abandonner nos postes, disant que nous ne reconnaissions les ordres que du roi et de M. Constance. Nous n'avions que nos épées et nos pistolets, et nous avions quatre soldats portugais qui ne nous avaient point quittés. Nous fûmes à notre poste jusqu'au lendemain à dix heures du matin. Okphra Phetracha nous envoya un second ordre par le secrétaire de M. Constance. Nous fîmes avertir les pères jésuites qui furent le dire à Mme Constance, laquelle nous envoya aussitôt dire de sortir incessamment de Louvo. Nous fîmes porter toutes les armes de nos soldats chez M. Constance et nous fûmes à Thale Chubson où étaient les autres Européens.

Okphra Phetracha n'ayant plus rien à craindre fit enlever Okphra Pi qui avait toujours été caché derrière le lit du roi, et étant sorti la nuit dans une antichambre pour faire ses nécessités, il y trouva deux gardes qui se jetèrent sur lui et furent le livrer entre les mains d'Okphra Phetracha, qui lui fit couper la tête aussitôt et exposa son corps devant le palais. Il envoya ensuite le second ambassadeur qui a été en France nous voir à Thale Chubson. Il nous fit de grandes honnêtetés, nous disant que tout ce qui se faisait n'était point pour les Français, et que nous pouvions revenir en toute sûreté à Louvo. Il nous avait fait amener des chevaux et nous y fûmes avec lui. On ne laissa pas pendant notre absence de nous prendre tout ce que nous avions. Nous nous en plaignîmes au second ambassadeur (12), lequel nous envoya aussitôt par ordre d'Okphra Phetracha des hardes de M. Constance pour celles que nous avions perdues, mais nous les refusâmes. Il nous donna aussi des gardes, nous disant que c'était de peur qu'on ne nous fît du mal. Nous reçûmes dans ce même temps là une lettre de M. Véret qui nous marquait que nous n'avions rien à appréhender, et que nous étions en sûreté comme dans Paris, et que tout ce qui se faisait n'était point pour les français. Nous n'eûmes pas de peine à voir qu'il n'était pas bien informé de tout ce qu'il nous mandait, car quoiqu'on nous traitasse bien, nous ne savions que trop qu'Okphra Phetracha nous voulait massacrer avec tous les français, et que ce qu'il en faisait n'était que pour les attirer.

En effet, il fit dire par le barcalon au chevalier Desfarges qu'il voulait donner à son père toutes les charges de M. Constance, et qu'il était encore trop jeune pour les exercer, mais qu'il lui aiderait. Il envoya aussitôt M. de Beauchamp à Bangkok, avec les deux premiers ambassadeurs qui ont été en France, pour dire à M. Desfarges de la part du roi qu'il eût à monter à Louvo, mais le sieur de Beauchamp, qui savait la vérité, bien loin de conseiller à M. Desfarges de monter à Louvo, il lui conseilla de ne point sortir de sa place et qu'assurément Phetracha voulait le faire massacrer avec tous les français. M. de Vertesalle et tous les officiers étaient persuadés de la même chose, et d'un commun accord conseillèrent à M. Desfarges de retenir les deux ambassadeurs. Mais le sieur Véret l'emporta sur tous (13), et de plus le premier ambassadeur jura plusieurs fois à M. le Général qu'on ne lui fera point de mal, lui disant qu'on lui voulût donner les charges de M. Constance. Le sieur Véret était persuadé de la même chose, et M. Desfarges sans vouloir attendre la réponse de l'officier qu'il avait envoyé à Louvo porter une lettre de sa part à Okphra Phetracha pour réclamer ses officiers, il partit de Bangkok accompagné de M. de Lionne, du sieur Véret, et du marquis Desfarges.

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2ème partie

NOTES :

1 - Saint-Vandrille n'indique pas à qui sa lettre est destinée, toutefois l'emploi de Monseigneur et Votre Grandeur laisse entendre qu'il s'agit d'un personnage considérable, sans doute M. de Seignelay, ministre de la marine en charge des affaires du Siam. 

2 - Une Liste des Officiers choisis par le Roy pour commander les Compagnies d'Infanterie que sa Majesté envoye a siam datée de Versailles, le 14 février 1687 et conservée aux Archives Nationales de Paris sous la référence Col. C1/27 f° 46r° et suiv. mentionne le sieur d'Alvimar, capitaine et major de la 1ère Compagnie.

En sa qualité de major, le sieur d'Alvimar (ou d'Alvimare) était logiquement désigné pour être commandant de Bangkok. Desfarges, qui le détestait, le démit de cette fonction au profit de Beauchamp. On trouve dans un rapport rédigé au Siam le 27 décembre 1687 et transmis en France par l'ambassade La Loubère (A.N. C1/23, f° 220r°) : Le sieur d'Alvimar est homme d'honneur, mais l'emploi de capitaine et major ne lui convient point. Lorsqu'il [Desfarges] fut à la cour de Siam, il fut obligé de donner le commandement de la place sous le sieur de Vertesalle au sieur de Beauchamp, major de la place, qui est un très bon officier. On lit un peu plus loin dans le même document : Le sieur d'Alvimar se plaint que M. Desfarges a donné au sieur de Beauchamp le commandement de Bangkok à son préjudice. La phrase suivante, bien que rayée d'une croix, demeure lisible : Il [d'Alvimar] dit que ledit sieur Desfarges le méprise à cause qu'il a été à madame la marquise, [?] et que lorsque M. Constance lui demande qui il est, ledit sieur Desfarges ne répond qu'en riant et secouant la tête d'une manière fort méprisable (A.N. C1/23 f° 221r°). 

3 - Plusieurs relations mentionnent un officier nommé Delas, ou Delasse. On trouve un De Laze, officier du roi, sans doute le même, dans le Catalogue des prisonniers ecclésiastiques et laïques dressé par le missionnaire Martineau en 1690 (Launay Histoire de la Mission de Siam, I, p. 248), ce qui indiquerait que cet officier faisait partie des troupes que Desfarges laissa en arrière et qui furent capturées par les Siamois. À en croire le journal de la Mission, leur traitement fut particulièrement rude : Il y en eut d'entre eux qui furent traînés le long des rues et chemins, déjà à demi-morts de coups, avec la cangue au col, à peu près comme on ferait à un chien mort pour le jeter à la voirie. Tous furent amenés à la ville chargés des cinq prisons, après avoir passé plusieurs jours, tant à la barre qu'à Bangkok, dans des tourments qu'il serait difficile d'exprimer (op. cit., I, p. 222). Une fois libéré, Delas se réfugia, comme la plupart des Français, au séminaire des Missions Étrangères, où il causa bien des soucis aux bons pères, ainsi que s'en plaignit amèrement Mgr Laneau dans une lettre du 21 décembre 1693 adressée à M. de la Vigne : … pour les officiers, comme ils se regardaient au-dessus du commun, aussi ne faisaient-ils pas grand cas de ce que nous leur disions ; et ils nous ont donné assez d'exercice durant le temps qu'ils ont été en notre séminaire ; et nous n'y avons eu de la paix que lorsqu'ils en ont été dehors. Il est vrai que ç'a été par notre faute, à cause que dans les commencements qu'ils y vinrent, nous avions trop d'égards pour eux, et surtout M. Martineau qui fait trop de distinction ; mais comme ils en ont abusé, ils lui ont fait payer bien cher ses déférences, particulièrement les sieurs Bellemont et Delaz (op. cit., I p. 277). 

4 - Il s'agit de l'enseigne Des Targes, dont on trouve mention dans les relations de Beauchamp, de La Touche et dans l'abrégé de ce qui s'est passé à Bangkok pendant le siège en 1688 (Archives Nationales, Col. C1/24 f° 140r°-171v°). La ressemblance entre Des Targes et Desfarges génère effectivement des confusions. 

5 - Saint-Vandrille orthographie Telipson. Il s'agit de Thale Chubson (ทะเลชุบศร), une île au milieu d'un ancien lac à trois kilomètres de Lopburi où le roi Naraï avait fait construire une résidence, le pavillon Kraisorn-Sriharaj (ตำหนักไกรสรสีหราช). On peut penser que la fraîcheur de l'eau rendait cette retraite agréable pendant les mois chauds. Elle était également connue sous le nom de pratinang yen (พระตี่นั่งเย็น), la Résidence fraîche. Elle servait au roi Naraï pour les réceptions et pour séjourner lors de ses parties de chasse ou de ses promenades en forêt. C'est là que fut exécuté Phaulkon. 

6 - Tout particulièrement les pères Le Blanc et de Bèze, qui jouèrent un rôle déterminant dans cet épisode. 

7 - La faiturie, ou factorerie, ou encore factorie, était le bureau où les facteurs, les commissionnaires, faisaient commerce pour le compte de la Compagnie. On appelle ainsi dans les Indes orientales et autres pays de l'Asie où trafiquent les Européens, les endroits où ils entretiennent des facteurs ou commis, soit pour l'achat des marchandises d'Asie, soit pour la vente ou l'échange de celles qu'on y porte d'Europe. La factorie tient le milieu entre la loge et le comptoir ; elle est moins importante que celui-ci et plus considérable que l'autre. (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert). 

8 - Artus de Lionne (1655-1713), fils du secrétaire d'État Hugues de Lionne. M. de Lionne, nommé coadjuteur de Mgr Laneau le 20 mai 1686 et évêque de Rosalie le 5 février 1687, refusa cette double nomination. Il n'accepta qu'en 1696 d'être évêque. (Adrien Launay, Histoire de la Mission de Siam, I, p.205). Voir également sur ce site la page consacrée à l'abbé de Lionne

9 - Ce n'est pas tout à fait ce qu'écrivait Beauchamp (Bibliothèque nationale, manuscrit Ms Fr 8210, f° 526r°) : Comme nous fûmes arrivés au port, me trouvant obligé de me retirer un peu à l'écart, j'aperçus derrière des haies quantité d'hommes qui défilaient. Cela me fit soupçonner quelque chose, c'est pourquoi, voulant reconnaître davantage, je descendis plus de cent pas, comme en me promenant le long de la rivière. En regardant à droite et à gauche, j'aperçus dans le fond des balons grand nombre de sabres et de boucliers que l'on y avait mis, ce qui me fit croire qu'on avait quelque mauvaise intention. Je les fis apercevoir à M. l'abbé de Lionne qui me dit qu'assurément ces gens-là avaient formé quelque dessein. En effet, tout le long de la route, on ne voyait que balons qui venaient de tous côtés au barcalon, à qui il donnait ses ordres, et que monde sur les bords de la rivière qui s'embarquaient dans des balons. 

10 - Phra Pi (พระปีย์) ou Mom Pi (หม่อมปีย์), un jeune page que Phra Naraï choyait comme son fils, et qu'il envisageait même de désigner comme son successeur. 

11 - Le fils de Phetratcha, Sorasak ou Luang Sarasak (หลวงสรศักดิ์) qui régna à la mort de son père sous le titre de Sanphet 8 (สรรเพชญ์ที่ ๘). Homme cruel, brutal et débauché, il reste surtout connu sous le surnom de Phra Chao Süa (พระเจ้าเสือ : le roi tigre). 

12 - Il s'agissait d'Okluang Kanlaya Ratchamaïtri (ออกหลวงกัลยาราชไมตรี), connu en France sous le nom de Uppathut (second ambassadeur).

ImageOoc Louang Calayanaraa Tchaimaitrioupathoud.

OOC LOÜANG CALAYANARAA TCHAIMAÏTRIOUPATHOUD. Premier ajoint de l'ambassadeur de Siam envoyé au Roy, homme âgé et qui a beaucoup d'Esprit. Il a été Ambassadeur du Roy de siam vers l'Empereur de la Chine, et s'acquita fort bien de cette Ambassade. Ces Ambassadeurs partirent de Siam le 22 Decembre 1685. sur les trois heures du matin dans le Vaisseau du Roy nommé l'Oiseau, commandé par Mr de Vaudricourt. Dessiné sur le naturel. A Paris chez Nolin, rue St Iacques, a l'Enseigne de la Place des Victoires. Avec P. du Roy. 

13 - D'après Beauchamp, c'est aussi l'avis de l'abbé de Lionne qui fut déterminant dans la décision de Desfarges : Moi, qui avais vu tout ce qui s'était passé à Louvo et qui ne doutais plus qu'on ne voulût nous perdre, je dis à M. Desfarges que je ne lui conseillais pas de monter, qu'immanquablement on le couperait, lui et son fils, en morceaux ; que le plus sûr était de se tenir dans sa place et d'y périr plutôt que de monter. M. l'abbé de Lionne dit au contraire qu'il fallait qu'il montât, qu'il pouvait peut-être par sa présence ramener les esprits et raccommoder les affaires. (Manuscrit BN Ms Fr 8210, f° 526r°). 

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