Blason des Missions Étrangères de Paris

Signé sous l'égide de la papauté en 1494, le traité de Tordesillas avait partagé le monde connu en deux zones d'influence : à l'est d'une ligne imaginaire définie à 370 lieues des îles du Cap-Vert se trouvait le domaine réservé de l'Espagne. L'ouest de cette ligne était l'apanage du Portugal. À l'Espagne revenait donc le Nouveau monde nouvellement découvert, son or et son mythique Eldorado, au Portugal, l'Orient, ses épices et ses étoffes. Au gré des contestations et des conflits, d'autres arrangements et d'autres traités vinrent préciser ou aménager ces dispositions, ainsi la ligne de partage fut légèrement déplacée vers l'ouest en 1529 (Traité de Saragosse), mais l'essentiel de ce système, connu sous le nom de Patronage, (Patronato pour les Espagnols, Padroado pour les Portugais) fonctionna pendant près de deux siècles, au moins tant que les deux pays eurent les moyens de le faire respecter. Il est bien évident que la Hollande, l'Angleterre et la France, au fur et à mesure qu'elles montaient en puissance, n'entendaient pas laisser à l'Espagne et au Portugal le monopole des Indes occidentales ou orientales.

Sachant parfaitement que toute colonisation réussie doit s'appuyer sur la sainte alliance du sabre et du goupillon, Espagnols et Portugais menèrent, chacun dans son pré carré et avec des méthodes et des fortunes diverses, d'actives campagnes d'évangélisation des populations autochtones. Prêtres réguliers ou séculiers, franciscains, dominicains, jésuites, augustiniens, mercédaires, s'embarquèrent par milliers sur les traces de François Xavier, le patron des Missions, parfois avec quelques succès, parfois, comme au Japon ou en Chine, au prix d'effroyables persécutions. Globalement toutefois, le système manquait d'efficacité, grippé par les rivalités entre ordres religieux, l'appat du gain et les ambitions personnelles. Et surtout, il échappait peu à peu à l'autorité de Rome. Afin de reprendre la main, le pape Grégoire XV créa en 1622 la Sacrée congrégation pour la propagation de la foi (Sacra Congregatio de Propaganda Fide, ou plus simplement Propaganda Fide), avec laquelle il entendait diriger, organiser et réglementer une frénésie apostolique devenue anarchique et un peu incontrôlable.

En France, parut en 1651 le livre du jésuite Alexandre de Rhodes intitulé Histoire du royaume de Tonkin et des grands progrès que la prédication de l'Évangile y a fait depuis l'année 1627 jusques à l'année 1646. Cet ouvrage avançait notamment l'idée que, pour éviter les fréquentes et parfois sanglantes réactions de rejet et de xénophobie, l'évangélisation des populations indigènes ne pouvait être menée à bien que grâce à la création de clergés autochtones, l'ordination de prêtres du cru, en un mot, de l'intérieur. Il préconisait à cet effet l'envoi d'évêques chargés sur place d'ordonner ces prêtres. Le retentissement de l'ouvrage fut considérable et suscita de nombreuses vocations, notamment chez les Bons Amis de Paris.

François Pallu

Ceux qu'on appelait les Bons Amis, ou les Bons Enfants ou encore l'Association d'Amis avaient pour noms, entre autres, François Pallu (1626-1684), Pierre Lambert de la Motte (ou de la Motte-Lambert - 1624-1679), Ignace Cotolendi (1629-1662), François de Laval (1623-1708), et pour directeur spirituel le père Bagot, confesseur de Louis XIV. C'était de jeunes ecclésiastiques à la foi ardente qui brûlaient de se lancer dans ces périlleuses missions avec le soutien d'Anne d'Autriche et de la Compagnie du Saint-Sacrement. Ils furent à l'origine de la création de la Société des Missions Étrangères de Paris (MEP) en 1658.

La Propaganda Fide avait besoin d'évêques dévoués, fidèles et loyaux, c'est tout naturellement qu'elle puisa dans le vivier des Missions Étrangères, même si les Français n'étaient pas toujours très fiables aux yeux de Rome. Toutefois, pour ménager au mieux les susceptibilités portugaises, il ne fut pas créé de nouveaux diocèses pour ces évêques qui furent nommés in partibus infidelium, c'est-à-dire à la tête d'anciens diocèses chrétiens tombés entre les mains des musulmans. Ainsi, Pierre Lambert de la Motte fut nommé évêque de Bérythe (Beyrouth), en charge de la Cochinchine, Ignace Cotolendi évêque de Métellopolis (Motella, ville de l'antique Phrygie), avec autorité sur les provinces méridionales de la Chine et de la Tartarie, et François Pallu évêque d'Héliopolis (Baalbek), responsable du Tonkin. De l'autre côté du monde, François de Laval, évêque de Pétrée (Pétra, en Jordanie) se vit attribuer le Canada. Ordre était donné à tous les prêtres présents ou arrivant dans ces pays, de quelque ordre qu'ils fussent, de se soumettre à ces représentants officiels de Rome et de leur prêter serment. On peut juger combien cette obligation généra de tensions et de conflits sur le terrain.

Au Siam, Pierre Lambert de la Motte arriva le premier – presque par hasard – à Ayutthaya en 1662. Ce n'était pas sa destination première, mais l'accueil bienveillant de la population et la tolérance religieuse qu'il y rencontra l'incitèrent à y demeurer. Rejoint par François Pallu en 1664, il fonda une première mission, et le roi Naraï, nullement hostile, offrit même un terrain et des matériaux pour la construction d'une église. Les ecclésiastiques portugais déjà sur place et l'archevêque de Goa manifestèrent un évident mécontentement, au point que l'évêque faillit même être victime d'une tentative d'assassinat.

En 1669, un bref du pape Clément IX autorisa les évêques apostoliques à étendre leur juridiction au Siam. Ils s'intégrèrent peu à peu dans le paysage diplomatique siamois et nouèrent des relations avec la Cour. L'idée avait-elle germé en eux qu'il serait un jour possible d'obtenir la conversion du roi Naraï au catholicisme ? Quoi qu'il soit, François Pallu de passage en France évoqua cette possibilité auprès de Louis XIV.

Les missionnaires au Siam.

Entre 1662 et 1688, une soixante de missionnaires et d'auxiliaires laïques français se rendirent au Siam, dont la mission autonome, dotée d'un séminaire et d'un collège, fut considérée dès 1674 comme le centre stratégique des Missions Étrangères en Asie. Beaucoup n'y firent que de courts séjours avant de rejoindre de nouvelles affectations, quelques-uns s'y établirent durablement, ainsi Louis Laneau, nommé Administrateur général des missions de Siam, Tonkin et Cochinchine, qui y demeura 32 ans pratiquement sans interruption. Ce fut, pendant toutes ces années, un incessant va-et-vient d'ecclésiastiques dont nous avons tenté de dresser la liste en fonction de la date de leur première arrivée dans le royaume.

Les missionnaires pendant le coup d'État de 1688.

À la mort du roi Naraï, une douzaine de missionnaires se trouvaient dans la royaume. Ils eurent à souffrir la féroce répression qui s'exerça sur les Français. Quatre seulement furent laissés en liberté, qui s'ingénièrent à trouver de l'argent et de la nourriture pour soutenir leurs compagnons emprisonnés : Étienne Paumard, sans doute grâce à ses compétences médicales, Pierre Ferreux, qui avait accompagnés dans le royaume les deux otages siamois retenus à Pondichéry, Bernard Martineau et Louis Chevreuil, chargé de veiller sur les effets laissés dans le séminaire.

Le Catalogue des prisonniers ecclésiastiques et laïques dressé par Bernard Martineau mentionne 7 missionnaires français incarcérés : Louis Laneau, retenu dans un lieu écarté, Pierre Geffrard de Lespinay, Alexandre Pocquet, Étienne Manuel, Jacques Le Chevalier, Antoine Monestier et Charles Boisseret d'Estrechy. Figure également le Portugais François Pérez, agrégé aux Missions Étrangères. Leur sort s'adoucit à partir du 15 août 1690, date à laquelle ils purent sortir de la prison d'enfer après 21 mois de captivité et se retirer dans une petite maison bâtie sur une île proche d'Ayutthaya. Ils ne retrouvèrent leur séminaire qu'en avril 1691.

NOTES

1 - François Pallu fit trois voyages vers les Indes orientales et autant de séjours au Siam. Pour son premier périple qui dura deux ans, il s'embarqua à Marseille le 2 janvier 1662, gagna Alexandrette, puis Ispahan, Bender-Abbas-si, à l'extrémité du golfe Persique et de la mer d'Oman, le comptoir de Surate, l'Inde, Masulipatam, Mergui, et enfin Ayutthaya. Des sept prêtres qui l'accompagnaient, seuls Pierre Brindeau et Louis Laneau parvinrent à destination. Les cinq autres, Pierre de Saisseval-Danville, Jean Chéreau, François Périgaud, René Brunel et Jean-Claude Robert moururent en chemin. Le groupe comprenait également deux auxiliaires laïques, Philippe de Chameson-Foissy, qui arriva à bon port, et Michel Swertz, qui quitta ses compagnons au cours du voyage, pour incompatibilité d'humeur. 

2 - Après une visite à Rome pour obtenir de la Propagande l'extension des pouvoirs concédés aux vicaires apostoliques et l'élargissement de leur juridiction sur le royaume du Siam, François Pallu s'embarqua le 11 avril 1670 pour son deuxième voyage vers les Indes orientales. Il emmenait avec lui six prêtres, Jean de Courtaulin de Maguelonne, Charles Sevin, Claude Chandebois de Falandin, René Forget, Claude Gayme et Louis Lotteaux de Chateaubriant, qui mourut à Madagascar, ainsi que trois auxiliaires laïques, les deux chirurgiens Michel Cochard et Pierre Le Tellier, et un tailleur, Michel Le Moine, qui se fit pilote et mourut en mer en 1684. 

3 - Claude Gayme avait été désigné pour accompagner les premiers ambassadeurs siamois qui se rendaient en France. Il périt fin 1681 ou début 1682 dans le naufrage du Soleil d'Orient qui transportait l'ambassade. 

4 - Michel Cochard et Pierre Le Tellier, le suivant sur la liste, étaient deux chirurgiens qui avaient quitté Paris le 3 février 1670 pour se rendre au Siam avec François Pallu en qualité d'auxiliaires laïques des Missions Étrangères. Ils prirent leurs distances avec la société en arrivant, et moururent tous deux à Ayutthaya en 1678 ou 1679. 

5 - René Charbonneau, souvent appelé Frère René par les missionnaires, était un auxiliaire laïque des Missions Étrangère parti au Siam en qualité de chirurgien. Il se maria dans le royaume et fut nommé par le roi Naraï gouverneur de Junk Ceylan (Phuket). Laissé en liberté lors du coup d'État de 1688, il apporta une aide précieuse aux Français emprisonnés. René Charbonneau battit sans doute un record de présence au Siam, puisqu'il y résida plus de cinquante ans sans interruption. 

6 - Jean Basset et Étienne Manuel étaient les deux missionnaires venus au Siam avec l'ambassade du chevalier de Chaumont. Ils voyageaient sur l'Oiseau avec les six jésuites et l'abbé de Choisy, qui évoque à plusieurs reprises dans son journal la parfaite entente qui régnait entre ces ecclésiastiques, qui se détestaient cordialement. 

7 - Ce missionnaire est évoqué dans le Journal de l'Abbé de Choisy du 23 octobre 1685 : Il vient d'arriver l'un des deux missionnaires qui étaient partis de France trois semaines avant nous. Il s'appelle M. du Carpon et est d'autant plus louable d'embrasser une vie austère qu'il passe pour avoir plus de cinquante mille écus de biens. Du Carpon ne resta que très peu de temps au Siam, avant de se rendre en Chine. 

8 - Alexandre Pocquet était le seul missionnaire venu avec l'ambassade Céberet-La Loubère, qui transportait également les 14 jésuites-mathématiciens que Louis XIV envoyait au roi Naraï. 

9 - Étienne Pallu était le neveu de François Pallu. Il mourut à peine arrivé au Siam. 

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2 février 2019