Trop heureux de répondre aux sollicitations d'un personnage aussi important, l'abbé de Saint-Martin rédigea cette savoureuse tartine émaillée de citations latines et de conseils prophylactiques. Il ne manqua pas d'y rappeler ses bonnes œuvres, les pieuses statues qu'il avait fait édifier aux quatre coins de la ville de Caen, ses excellents livres que tous les curieux recherchent avec beaucoup d'empressement et son intrépidité alors que pris dans une tempête en traversant la manche, il redonna courage à l'équipage en affirmant que rien de fâcheux ne pouvait arriver au navire puisqu'il était à bord. Il fit éditer la lettre – à compte d'auteur, bien entendu – et la distribua largement autour de lui, à la grande joie des plaisantins de la ville. Le Mercure Galant, complice du canular, mentionna l'événement dans son numéro de février 1685, ce qui dut combler d'aise l'abbé, inconscient des rires que suscitait sa prose : Comme il [le chevalier de Chaumont] a su que M. de Saint-Martin, de Caen, dont je vous ai si souvent entretenu, avait remarqué avec une grande exactitude tout ce qu'il a vu dans ses voyages, il lui a écrit, pour le prier de lui donner des lumières sur celui qu'il entreprend, et M. de Saint-Martin lui a répondu par une longue et curieuse lettre qu'on a imprimée.

 

Lettre de M. de Saint-Martin
à M. le chevalier de Chaumont.

lettrine

ONSIEUR,

Page des lettres de Michel de Saint-Martin

C'est une marque de votre mérite extraordinaire et de votre rare suffisance dans les affaire d'État de ce qu'il a plu à Sa Majesté très chrétienne, qui sait parfaitement connaître les personnes capables des grandes choses, vous nommer pour ambassadeur auprès du roi de Siam afin de conduire les affaires importantes qu'il confiera à votre prudence. Je vous assure, Monsieur, que j'en ai une joie très particulière, ayant l'honneur de vous connaître de réputation et sachant bien que votre charge d'ambassadeur n'est qu'une suite des illustres emplois dont Monsieur votre père et plusieurs de vos aïeuls se sont acquittés très dignement et avec la satisfaction de nos rois très chrétiens. Je vous suis très obligé, Monsieur, de vouloir bien prendre de moi les instructions pour vous conduire dans les fonctions de votre ambassade, ce que j'entreprends d'un très grand cœur, puisque vous le souhaitez, répondant à tous les articles de votre belle lettre.

Mais avant que de vous donner mes avis, je vous prie, Monsieur, de considérer que le roi de Siam, vers lequel vous êtes envoyé, est un monarque très puissant qui commande à un royaume qui a cinq cents lieues de longueur, qui abonde en toutes les choses nécessaires pour la vie et qui peut suffire à soi-même sans rien emprunter des royaumes étrangers (1). Ce grand prince veut paraître magnifique en toutes choses, et particulièrement dans le grand nombre de soldats qui composent sa garde ordinaire, car il entretient six mille hommes pour cet effet avec deux cents éléphants dont chacun porte une tour remplie de plusieurs soldats en armes qui sont toujours prêts d'exécuter les ordres de Sa Majesté.

Les Siamois ont tant de respect pour leur roi qu'ils ne parlent à lui qu'à genoux, les mains jointes et élevées sur leur tête, et tous courbés contre terre, sans oser l'envisager. Ils l'appellent le Roi des Rois, le Seigneur des Seigneurs, le Maître des eaux, le Tout-puissant de la terre, le Dominateur de la mer, l'Arbitre du bonheur et de la bonne fortune de ses sujets. Ceux qui approchent de lui doivent avoir les pieds nus, à la réserve des ambassadeurs en leurs entrées solennelles. Le roi a néanmoins déclaré depuis quelque temps qu'il avait une affection toute particulière pour notre invincible monarque, et qu'en cette considération, il permettait à la nation française de s'approcher de sa personne sans se déchausser, ce qui est un privilège qu'il n'accorde pas aux autres nations.

Ce qui contribue beaucoup à augmenter le respect que les peuples de Siam rendent à leur souverain, c'est la pratique qu'il a de se faire voir à ses peuples dans de certains jours de cérémonies avec le plus d'éclat et de pompe qu'il lui est possible. Il se montre en cet état de magnificence plusieurs fois l'année, tant sur terre que sur l'eau. Lorsqu'il sort par terre, toute la Cour superbement parée l'accompagne. Il est porté sur un éléphant dans un trône magnifiquement orné. Sa suite est de dix mille personnes. Mais sa sortie la plus pompeuse est celle qui se fait par eau, à cause du grand nombre de galères qui l'accompagnent, qui est de trois à quatre cents, toutes éclatantes d'or par-dedans et par-dehors, et dont chacune porte trente ou quarante rameurs de chaque côté, dont plusieurs ont les bras et les épaules dorées, étant la coutume de ces sortes de gens d'avoir le corps nu quand ils rament. La galère qui porte le roi est brillante d'un or très fin et elle est enrichie jusque sous l'eau. On y élève un trône magnifique sur lequel Sa Majesté paraît revêtue d'habits très superbes, ayant en tête une couronne toute d'or garnie d'une infinité de diamants de très grands prix. À cette couronne pendent deux ailes d'or sur les épaules du roi. Tous les seigneurs et les officiers de la Couronne l'accompagnent chacun dans une galiote parée à proportion de ses richesses et de ses charges. Les rivages sont bordés des peuples qui accourent en foule pour voir un spectacle si magnifique et font retentir l'air de cris d'allégresse. Ensuite, le roi visite quelques temples fameux et fait des présents considérables aux sacrificateurs qui en entretiennent le culte.

À l'égard des étrangers qui sont dans le royaume de Siam et qui sont en si grand nombre qu'on y parle de vingt-deux sortes de langues, ils sont obligés tous les ans dans de certains jours, de réitérer le serment de fidélité au roi, qui pour cet effet paraît sur un trône enrichi d'or et de pierreries. Pour lors, on donne à boire à celui qui a prêté le serment d'une eau qu'ils appellent Eau de Jurement, et qui est estimée sainte parmi eux. Elle a été préparée par les sacrificateurs des idoles avec plusieurs cérémonies remplies de superstitions. Ces sacrificateurs ont une épée nue en main, dont ils trempent la pointe dans cette eau et lancent plusieurs imprécations contre les parjures, croyant que tous ceux qui ne promettront pas au roi fidélité avec un cœur sincère périront à l'instant et seront suffoqués par cette eau sacrée.

De tout ce que dessus, Votre Excellence peut connaître la grandeur de la majesté du roi de Siam, c'est pourquoi de votre part, il faut que vous ne fassiez rien de médiocre dans toutes les fonctions de votre ambassade, vu que vous êtes envoyé de la part de notre roi très chrétien, qui est le plus grand roi de la terre et dont les vertus héroïques effacent toute la gloire des Césars, des Alexandres et des autres conquérants qui ont fait l'admiration de tous les siècles.

J'ajoute encore, avant que de répondre par le détail à votre lettre, que vous ne devez pas vous embarquer pour un si long voyage sans faire provision de biscuit pour aller et pour revenir, autrement vous seriez obligé de manger toujours du riz, dont la continuation vous dégoûterait. Il est vrai qu'il croît du blé dans les terres de Siam et qu'on y mange de très bon pain et du biscuit, mais comme le blé n'est pas plus de deux mois et demi sur terre, le biscuit qui en est fait ne se peut pas garder pour un voyage au long cours, comme le biscuit que l'on fait en Europe. Vous aurez sur votre vaisseaux deux excellents trompettes, deux joueurs de hautbois et quatre trompettes marines (2). Vous ne souffrirez pas que les chirurgiens du vaisseau s'érigent en médecins et ordonnent des remèdes, mais qu'ils se servent seulement de leurs lancettes et de leurs seringues, et non plus ultrà, car il en arriverait de grands inconvénients.

Quant au premier article de votre lettre où Votre Excellence me prie de lui dire mon sentiment touchant l'entrée qu'elle doit faire dans la ville de Siam, j'estime qu'elle doit entrer le soir, incognitò, ainsi que font les ambassadeurs envoyés au pape, dont la cour passe pour une des mieux réglées qu'il y ait dans l'Europe : et vous enverrez aussitôt deux de vos gentilshommes au roi, à la reine et aux principaux ministres pour leur donner avis de votre arrivée, et vous prierez le roi de vous marquer tel jour qu'il lui plaira pour faire votre entrée solennelle. Sa Majesté ne manquera pas de vous l'accorder et d'y envoyer tous ses officiers, et aussi ses éléphants sur l'un desquels vous monterez, et votre train sur les autres, ce qui n'empêchera pas que vous n'ayez un carrosse à huit chevaux et plusieurs autres à six (3).

Dans votre entrée, vous serez précédé de six trompettes d'argent massif qui seront richements vêtus et auront du galon d'or sur leurs casaques, un cordon d'or et un bouquet de plume sur leur tête. Viendront ensuite douze chevaux de main qui seront suivis de quarante mulets avec des plaques d'argent aux pieds et des couvertures en broderie d'or avec vos armes.

Votre Excellence fera mettre au plus tôt en grand volume les armes de France sur son palais, au bruit des tambours et des trompettes. Les bourgeois de la ville seront aussi en armes à votre entrée. Deux courriers marcheront au galop sur les ailes pour recevoir les ordres qui leur seront donnés, et le soir vous ferez faire des feux de joie de bois de Campège (4), d'Inde, de cannelle et d'autres aromates, et vous y ajouterez un feu d'artifice avec plusieurs belles devises en l'honneur du roi de France et de Sa Majesté siamoise.

Vous marcherez seul à votre cavalcade, ou entre deux seigneurs à la tête de votre train, et vous serez monté sur un éléphant comme dit a été, au bruit des canons et des mousquetades des bourgeois qui seront en haie des deux côtés des rues où vous passerez et dont le pavé sera tout tapissé de drap d'écarlate violet, avec plusieurs acclamations de Vive le roi de France et de Siam !. Le roi ayant ouï vos envoyés, il vous donnera un jour pour votre audience, et ses introducteurs iront vous prendre en votre palais et vous donneront à monter un éléphant qui sera superbement paré et enharnaché et suivi de cent autres éléphants pour le moins.

Quand vous serez introduit dans la salle du palais du roi, vous vous souviendrez du privilège des autres ambassadeurs qui ne se déchaussent point quand ils s'approchent de Sa Majesté comme font les autres hommes. Et Votre Excellence lui fera trois profondes révérences, le genou en terre, et si c'est la coutume de Siam que les ambassadeurs parlent à genou, vous vous y conformerez (5). Après cela, vous présenterez à Sa Majesté votre lettre de créance en faisant trois profondes révérences, et il donnera ordre à un de ses secrétaires d'État d'en faire la lecture à haute voix, et vous écouterez avec grande attention et avec grand respect la réponse qu'il vous fera, sans y faire aucune réplique ; puis vous sortirez en faisant encore trois autres révérences le genou en terre, sans jamais tourner le dos à Sa Majesté. L'on vous reconduira sur le même éléphant qui vous aura porté, au bruit des canons, des mousquetades, au son des trompettes et des tambours, flageolets, hautbois et autres instruments, et étant chez vous de retour, vous ferez quelque largesse au peuple et aux pauvres en leur distribuant et faisant jeter devant votre hôtel dans la rue une somme notable d'argent en pièces et en monnaie de France, ce qui attirera la curiosité et l'admiration des spectateurs. S'il y a du vin dans le pays, ou quelque autre rare liqueur, vous en ferez couler devant votre palais deux fontaines durant trois jours et trois nuits.

Le lendemain, ou quelques autres jours après, vous inviterez les personnes les plus qualifiées de la Cour à un festin somptueux que vous aurez fait préparer avec toute la magnificence possible. Vous boirez la santé du roi de Siam et du roi de France, étant debout et ayant la tête nue, et vous la porterez à ceux que vous aurez conviés, et à chaque santé, vous donnerez ordre qu'on tire cent coups de canon, et tâcherez de faire ordonner que chaque bourgeois fasse allumer un feu devant sa maison pendant toute la nuit avec plusieurs lumières aux fenêtres pendant trois jours consécutifs, et dans toutes ces solennités vous serez accompagné de votre train que je vais régler dans l'article suivant.

Votre Excellence doit avoir deux aumôniers, à savoir un pour dire la sainte messe, l'autre pour entendre les confessions et pour résoudre les cas de conscience. La religion romaine est très bien reçue dans le royaume de Siam et le roi a fait bâtir deux superbes églises, dont l'une est occupée par les pères jésuites et l'autre par les père jacobins (6), ce qui est surprenant, d'autant que le roi et ses sujets sont idolâtres, ayant plusieurs sortes de dieux qu'ils adorent et dont ils ont les statues dans leurs temples, dont il y en a plusieurs qui ont jusqu'à quarante pieds de hauteur. Les sacrificateurs ont plusieurs galeries où il y en a dans chacune quatre ou cinq cents figures de ces dieux imaginaires.

Votre Excellence doit aussi avoir un maître de chambre, pour introduire ceux qui demandent audience, et un sous-maître qui fera la fonction du maître en son absence. Un maître de votre garde-robe, dont l'emploi sera de garder vos habits, qui seront au nombre de douze pour le moins, garnis de broderie d'or et d'argent, dont il y en aura quelques-uns à la mode de France et les autres à la mode des Siamois, à l'exemple d'Alexandre le Grand qui prenait les habits des nations qu'il avait conquises. Un argentier qui gardera vos pistoles, celles d'Espagne sont les plus estimées et ont le plus de cours en tout lieu.

Il vous faut aussi deux secrétaires qui sachent plusieurs langues, et dont il y en ait un qui parle la langue latine, parce que c'est une langue commune à toutes sortes de nations.

Votre Excellence aura deux courriers dont les chevaux seront toujours sellés dans les écuries et prêts à être montés pour l'exécution des affaires les plus urgentes. De plus, douze pages, qui auront bien fait leurs exercices, c'est-à-dire qui sauront danser, monter à cheval, tirer des armes, chanter la musique et qui auront appris les mathématiques, si faire se peut.

Outre cela, il faut que Votre Excellence fasse en sorte d'avoir une douzaine de Mores dont chacun aura un grand collier d'argent où seront vos armes, et qui porteront des pendants d'oreilles d'or, d'argent ou de perles. De plus, douze Bohêmiens, cela aura fort belle apparence et fera regarder votre entrée avec admiration. À S. Lucar (7) et autres villes d'Espagne, on fait danser des Bohêmiens au son des instruments lorsqu'on élève le saint Sacrement dans les églises. Vous pourriez faire pratiquer la même chose à Siam.

Avant que de partir de Paris, vous prierez Sa Majesté de vous permettre de prendre douze soldats de la garnison de Cambrai, qui sauront danser toutes sortes de danses espagnoles avec des castagnettes aux mains et des grelots aux jambes (8), pour divertir le roi et la noblesse de Siam.

Je vous conseille aussi de mener avec vous dix habiles musiciens, car la musique est le plaisir des rois et des princes ; et j'en fais mon plus agréable divertissement quand je suis fatigué de l'étude, ayant appris ce bel art des plus excellents maîtres, ainsi qu'à jouer de la viole en perfection il y a plus de quarante ans (9).

Vous aurez vingt estafiers (10) qui seront tous de grande taille et porteront des barbes retroussées.

Votre Excellence aura douze grands valets de pied, dont il y en aura un qui sera le doyen et qui aura commandement sur les autres.

Pour ce qui est du nombre des gentilshommes, vous en devez avoir vingt des mieux faits que vous pourrez choisir (11) et de la plus belle apparence, et qui aient donné des marques de leur courage dans les guerres de Sa Majesté. Ils seront superbement vêtus, et auront chacun six paires d'habits, pour le moins, et des plus riches ; chaque gentilhomme aura un laquais et un cheval à l'écurie.

Vous aurez aussi un maître d'hôtel (12) qui fera toute la dépense de la maison et qui en gardera l'argenterie, et un sous-maître ou un lieutenant qui en aura le soin en son absence, et à qui tous les officiers de votre cuisine rendront leurs comptes. De plus, un copiere qui vous donnera à boire et qui tiendra une soucoupe dessous votre menton pendant que vous boirez, et vous vous ferez présenter plusieurs sortes de vins. Je dirai pourtant à Votre Excellence que la plupart des habitants de Siam ne boivent que de l'eau toute pure, à la réserve de quelques personnes qui font tremper une certaine herbe dans de l'eau pour lui donner du goût.

Il faut aussi à Votre Excellence :

À l'égard du troisième article, vous me demandez quelles livrées Votre Excellence doit prendre, je vous dirai que les personnes les plus considérables de Siam ont beaucoup de passion pour deux sortes de couleurs, à savoir pour le rouge et pour le vert, et ainsi je crois que vous devez les choisir pour plaire davantage à la nation où vous êtes envoyé. Et ainsi, je suis d'avis que vos pages, vos estafiers, vos laquais, cochers, postillons, palefreniers, vos Mores, vos Bohêmiens, vos cuisiniers, vos pâtissiers, confiseurs, sommeliers, suisses, portiers et autres officiers soient vêtus de drap rouge doublé de vert avec du galon d'or et d'argent sur les casaques, et qu'ils changent d'habits les huit premiers jours, ce que j'ai vu pratiquer à Rome, avec admiration, par les Vénitiens.

Pour ce qui est du quatrième article, où vous me demandez quels présents vous devez porter pour présenter à Sa Majesté siamoise et à ses ministres, je dirai à Votre Excellence qu'il y a plusieurs choses que vous pouvez présenter, à savoir :

Je suis fâché, Monsieur, que je n'ai de plus belles lumières à vous donner. Je vous en ferais part très volontiers, mais je me console en ce que votre grand génie suppléera à ce qui manque aux instructions que je vous envoie, c'est pourquoi je n'adjoindrai rien autre chose que quelques avis importants pour la conservation de cotre santé, ce que j'entreprends d'autant plus volontiers que j'ai appris la médecine de feu M. de Lorme (15), premier médecin de trois de nos rois, qui a vécu près de cent ans, et dont j'ai donné un livre au public de sa vie et de ses remèdes (16), qui se vend à Paris chez Blageard et de Luines, imprimeurs. J'y donne les moyens faciles de guérir plus de deux cents maladies qui arrivent au corps humains par des remèdes faciles et éprouvés. Je vous conseille de porter ce livre avec vous, et s'il n'y en a plus à Paris, je vous l'enverrai de Caen, mon libraire l'ayant réimprimé comme une pièce rare et très salutaire aux hommes.

Votre Excellence se fera saigner deux jours avant que de partir pour Siam, afin d'empêcher que le changement d'air et des viandes n'altère votre tempérament.

Avant que de monter dans le vaisseau, mangez un petit poisson qui se trouve dans le corps des grands, et il sera poudré et poivré, ce qui empêchera les incommodités qu'apporte le branle des vaisseaux.

Quoique vous deviez être magnifique dans les festins, je vous conseille de manger peu de pâtisserie, parce qu'elle n'est pas assez cuite et est difficile à digérer.

Vous mangerez peu de jambons, de cervelas, d'andouilles, de langues de bœuf, de cochon, de lardés de cerf et autres viandes salées ou épicées, parce qu'elles brûlent le sang et échauffent les entrailles extraordinairement et font un sang grossier et mélancolique. Vous serez aussi très sobre à manger de la salade, parce les herbes qui la composent sont faciles à se corrompre dans l'estomac et se changent en méchantes humeurs qui ruinent la masse du sang.

Ne mangez que très peu de melons, de concombres, de citrouilles et autres fruit semblables, car ils chargent extrêmement l'estomac, particulièrement les concombres qui sont beaucoup froids, et qui par leur froideur excessive débilitent la chaleur naturelle.

Quoique le sel serve pour assaisonner les viandes, néanmoins vous en userez avec beaucoup de modération, parce qu'il ronge les boyaux.

S'il se rencontre du vin, là où vous vous trouverez, ne le buvez jamais pur, car il échauffe extraordinairement et brûle les viscères.

Je vous donne aussi avis de vous tenir toujours chaudement, particulièrement la tête et les pieds pour entretenir la chaleur. Je couvre ma tête de huit calottes et d'un capuchon par-dessus, et à mes jambes, je porte huit paires de chausses et un bas fourré par-dessus. Quand de trop près le froid m'attaque, ce grand nombre de bas et de calottes conserve la mémoire et le bon sens (17). Je laisse à votre discrétion d'en user de même.

Les veilles sont fort contraires à la santé et échauffent le sang, comme je l'ai expérimenté à mon grand dommage, ayant passé beaucoup de nuits à la composition de mes livres, ce qui m'a diminué plusieurs années de ma vie et m'a réduit à me faire toujours porter en chaire. C'est pourquoi j'exhorte Votre Excellence à profiter du mal qui m'est arrivé par l'excès de mes veilles et de mes études, et si les affaire de Sa Majesté ne vous obligent à veiller, je vous conseille de vous coucher à neuf heures et de ne perdre pas une heure de repos ordinaire de la nuit, qui doit être de sept ou huit heures, quand il y aurait cent mille francs à gagner.

Dans votre voyage, si vous êtes obligé de monter à cheval, vous prendrez garde de ne pas courir la poste ; j'en ai vu de funestes effets, plusieurs s'étant rompu des veines dans le corps dont ils sont morts après avoir perdu tout leur sang ; et quand vous serez fatigué, vous ferez frotter votre corps avec des serviettes chaudes.

Quand même votre cheval marchera le pas, vous ferez en sorte qu'il ne bondisse point : un mien parent en avait un qui fit un bond avec tant de force, lorsqu'il était monté dessus, qu'il envoya le pommeau de son épée contre son côté, ce qui lui causa la mort par un abcès qui s'y forma.

Vous éviterez le serein (18) qui tombe en hiver à quatre heures après midi, et en été à cinq heures. Vous ne sortirez point dans un temps chargé de brouillards, et vous ferez fermer toutes les fenêtres de la chambre où vous serez quand le temps sera couvert et obscur, et aussi quand il pleuvra, toute humidité étant contraire au cerveau, et ne faites jamais jeter d'eau sur le pavé de votre chambre.

Quoique la conversation des dames semble nécessaire dans la vie civile, néanmoins vous vous en approcherez le moins que vous pourrez : elles sont à Siam extrêmement chaudes et amoureuses des Français qu'elles appellent les Blancs, ce sont de belles statues qui ruinent entièrement le corps, affaiblissent l'esprit et laissent de grandes maladies pour le reste de la vie de ceux qui les pratiquent de trop près : et quand on témoigne de l'amitié à quelques-unes, les autres en conçoivent de la jalousie et se vengent quelquefois par le poisons. Netum furens quid fæmina possit (19). Vous donnerez ordre aussi, Monsieur, que vos domestiques ne les fréquentent point, cela emporte tout le temps de ceux qui s'y attachent par trop, et Votre Excellence aurait moins de pouvoir sur eux qu'une femme dont ils seraient amoureux.

S'il vous arrivait d'être constipé dans votre voyage ou dans le séjour que vous ferez à Siam, tâchez d'y donner ordre au plus tôt, parce que les matières retenues dans les boyaux envoient des vapeurs malignes au cerveau, qui produisent des maux de tête insupportables et ruinent le corps. C'est pourquoi vous évacuerez ces matières en prenant un suppositoire fait d'une chandelle de cire qui aura trempé dans de l'huile d'amande douce, ou un morceau de lard salé que vous vous ferez mettre dans le fondement par votre apothicaire ou autre, et cela fera beaucoup plus d'opération que les lavements que vous pourriez prendre, puisqu'ils ne passent pas le gros boyau.

Ne souffrez point de vents dans votre corps, parce que ce sont les ennemis de la santé, qui produisent des tranchées, des coliques et qui renversent toute l'économie du corps. C'est pourquoi, étant en compagnie, si vous sentiez des vents dans votre corps, pour satisfaire à la bienséance, vous pouvez sortir afin de leur donner la liberté qu'ils demandent.

Votre Excellence doit avoir un grand soin d'éviter les vents coulis qui se rencontrent dans les vaisseaux. Ils portent avec eux la paralysie, l'apoplexie, les rhumatismes, les catarrhes, les maux de dents, des yeux, de la tête et autres infirmités. Ce sont des pestes du genre humain qu'Aristote appelait Malignantis nature degeneres liberi. Ils pénètrent le bois, la pierre, le verre, et pour me mettre à couvert de leurs insultes, j'ai été obligé de me faire faire un lit de brique maçonné avec chaux et sable qui résiste à leurs efforts. Je laisse à votre prudence d'en user de même, pour moi je m'en trouve parfaitement bien.

Réglez vos repas, en sorte que vous diniez toujours, s'il se peut, à la même heure, parce que la nature s'étant habituée à quelque chose, elle ne peut sans se faire violence changer sa manière d'agir ; et prenez garde de vous endormir, si ce n'est fort peu de temps, et assis et nons couché de long, de peur de troubler la digestion.

Quand vous appellerez quelqu'un de vos domestiques, ne vous forcez pas à crier, car il y a de péril de se rompre une veine et il serait bon de vous servir d'une petite cloche pour les appeler.

Si vous voulez vous purger, préférez à tous les purgatifs l'antimoine (20), c'est un remède fort innocent qui purge par le vomissement et les selles et qui ne peut rien souffrir d'impur dans un corps. Je m'en sers depuis douze ans avec toutes sortes de bon succès, sans en avoir jamais expérimenté aucun mauvais effet, et après Dieu, je lui dois la vie que je respire maintenant et je le considère comme un trésor inestimable qu'on ne peut jamais assez payer. Il est aussi naturel à l'homme que le meilleur pain de froment et a été approuvé plusieurs fois par la Faculté de Médecine de Paris, assemblée par l'ordre de Sa Majesté et par son Parlement. Mon livre enseigne comme il faut le faire, et il se peut conserver mille ans sans altération. Si vous voulez vous en purger, n'en prenez pas moins de quarante grains, c'est la prise de tout homme et ne revient qu'à six denier. Cet admirable remède ne fait pas moins vivre qu'un siècle ceux qui s'en servent, et le fameux M. de Lorme m'a promis une aussi longue vie pourvu que je m'en purge tous les mois, à la réserve des mois de chaleur où je prends deux fois de la casse à chacun.

Je conseille à Votre Excellence de ne manger que des viandes fort tendres, comme mouton, agneau, poulardes, lapins de garenne, cailles et autres semblables, et s'il vous arrivait de manger des viandes grossières comme du bœuf, du lard et des coqs d'Inde (21), vous vous efforcerez de mâcher beaucoup ces sortes de viande, parce qu'autrement elles seraient de difficile digestion et affaibliraient la chaleur naturelle qui s'efforcerait de les cuire, étant un axiome de médecine qu'une viande bien mâchée est à demi digérée.

Si Votre Excellence se trouvait échauffée et que la fièvre voulût l'attaquer, je lui donnerais avis après deux saignées de faire faire le bouillon rouge de M. de Lorme renommé par toute la terre (22). C'est une boisson très rafraîchissante, et si vous ne pouvez pas trouver les herbes qui le composent, pour suppléer à ce défaut, je vous conseille de donner ordre qu'on vous fasse de la tisane avec de petite avoine et non pas avec de l'orge, comme font la plupart des malades sans faire réflexion que l'orge ne débouche pas les conduits, mais produit des obstructions qui sont périlleuses à cause de l'hydropisie qui en est la suite ; et pour déboucher encore davantage, il serait bon de faire bouillir avec l'avoine de la racine de chiendent qui a la propriété de faire beaucoup uriner.

Comme les médecines que l'on prend n'ont pas assez de force pour chasser toutes les méchantes humeurs qui se trouvent dans le corps, j'ai de coutume de chasser le reste par les sueurs, c'est pourquoi j'ai fait faire une machine dont je me sers pour suer et qui me fait de grandes évacuations dont je reçois un grand soulagement. Je suis d'avis que Votre Excellence se fasse faire une pareille machine par l'avis de son chirurgien, qui lui en dira la figure et les particularités. Quand une personne est purgée avec l'antimoine et qu'elle a eu soin de se faire purger de temps en temps y joignant l'usage du bouillon rouge, elle se peut promettre plus de cent ans de vie, à moins qu'il ne lui arrive quelque accident qui interrompe le cours de ses années. Si je n'avais pratiqué toutes ces choses, il y a treize ans que j'aurais perdu la vie, dont j'aurais bien du déplaisir, sachant bien qu'il n'y a rien de si doux que de vivre et que la mort est le plus mal de tous ceux qui peuvent arriver à l'homme.

Si Votre Excellence est travaillée d'insomnie, qui est tormentum tormentorum (23), il faut que vous sachiez que cela provient de ce que vous n'êtes pas assez humecté, c'est pourquoi le meilleur remède sera de vous faire donner par votre valet de chambre deux verrées de bouillon rouge, ou tisane de petite avoine, ce qui vous fera dormir peu de temps après : et je vous prie de faire réflexion qu'un homme qui ne dort point marche à la mort à grand pas, puisque le sommeil est le réparateur des esprits animaux qui sont le soutien de la vie, fessa diurnis membra ministeriis nutrit, reparatque labori (24).

Comme la solitude est contraire à la nature de l'homme qui est né pour la société et qui, pour cette raison, est appelé par Platon Animal sociabile, Votre Excellence fera très bien de ne se tenir point seule que le moins qu'elle pourra : le cabinet et le silence ne produisent que de mauvais effet, comme la mélancolie qui est suivie de la tristesse qui rend une personne taciturne et incapable de la conversation.

Outre les précautions ci-dessus pour éviter le froid, vous aurez un collier de futaine doublé de peau qui couvrira votre col et votre couverture de lit sera pareillement doublée de peaux, lesquelles sont toutes bonnes à la réserve des peaux de loup, de lion, de sanglier, de cochon, d'ours, de veau et autres grands animaux. Outre cela, vous ferez faire un pantalon de ratine de Sigovia la plus fine : ce pantalon est sorte de vêtement qui prend depuis la tête jusqu'aux pieds, qui sera doublé de fourrure et qui aura deux trous, l'un par derrière et l'autre par devant pour les nécessités du corps. Votre justaucorps et vos autres habits seront aussi doublés de peaux, car nous ne vivons qu'en tant que nous avons de la chaleur, et à mesure que nous la perdons, nous nous approchons de la mort. Ne manquez pas aussi d'avoir un bonnet de nuit qui soit couvert de peau par-dedans et par-dehors, et n'y mettez point de coiffe, parce que le linge attire les fluxions. Je vous conseillerais aussi de vous coucher avec des bottes de maroquin aux jambes, qui n'auront point d'autres doublures que des peaux, et vous ganterez vos mains avec des gants fourrés. J'en use ainsi moi-même outre les huit calottes à ma tête et les huit paires de chausses aux jambes, qui sont couvertes d'une neuvième paire de bas fourrés quand le froid est grand comme j'ai déjà dit ci-dessus, car après tout, il est bien plus avantageux de suer que de trembler.

Quoique les gens de marine soient habitués au tabac, néanmoins Votre Excellence fera très bien de s'en passer, car la fumée noircit et brûle les entrailles et dessèche par trop le cerveau et remplit la bouche de mauvaises odeurs ; et difficilement une personne qui est habituée à fumer peut se trouver dans la compagnie des personnes de qualité, et surtout, les dames haïssent la senteur du pétun. Sachant bien tous les inconvénients qui en proviennent, je l'ai toujours eu en horreur et considéré comme une chose indigne d'un gentilhomme.

Quand vous ferez voyage de bon matin, qui n'est pas un temps pour pouvoir manger de la viande, Votre Excellence fera faire des roties au sucre avec du vin clairet et non d'Espagne, car il est trop violent et trop chaud.

Vous boirez toujours de la tisane faite avec de petite avoine, parce que le changement de la boisson produit de grandes incommodités dans un corps.

Si vous vous trouvez quelquefois sans appétit, vous ferez faire de la gelée de pommes de reinette, et s'il ne s'en trouve pas là où vous serez, faites mettre bouillir un poulet maigre dont le corps sera rempli de petite avoine avec une douzaine de jujubes, qui est un fruit semblable aux pruneaux, mais un peu plus gros.

Comme les vents de la mer sont pernicieux et grandement froids, vous devez particulièrement en préserver vos yeux, et pour cet effet, je vous conseille de prendre des lunettes qui tiendront à votre perruque et qui repousseront la malignité de ces ennemis du genre humain. Pour fortifier votre vue, je vous exhorte à mettre tous les jours un peu de votre urine sur vos paupières sans qu'il en entre dans les yeux. C'est un remède dont je me sers depuis 12 ans, ayant, Dieu merci, la vue très forte à l'âge de 71 ans, et tous ceux à qui je l'ai conseillé m'en ont bien remercié. Pensez-y sérieusement, Monsieur, car quand on a perdu la vue, on a perdu la joie du monde.

Quae gaudia captus
Luminibus capiat (25).

Vous aurez toujours du linge sur votre chair et vous en changerez souvent. L'on vend à Paris, au Bon Pasteur, contre les Grands Augustins, de l'onguent divin (26) qui est bon contre les maux de dents et de tête, contre toutes sortes d'ulcères, tant vieilles que nouvelles, contre les rhumatismes et autres maux, il vous en sera donné un billet. L'on vend au même lieu un petit sac de poudre fort bon contre la vermine qui peut arriver à ceux qui travailleront dans le fond du vaisseau.

Après tous ces avis pour la conservation de la santé de Votre Excellence, qui est la chose la plus précieuse que vous ayez au monde, j'avais fait dessein de mettre fin à cette lettre, mais ayant fait réflexion sur l'entretien que vous devez avoir avec le roi de Siam et sur la harangue que vous devez lui faire, je vous dirai que sans vous donner la peine de prononcer votre harangue, vous pouvez emprunter le secours de quelque habile homme qui aura le talent de bien parler en public et qui aura entendu les plus fameux prédicateurs et comédiens de Paris qui savent la manière de bien déclamer. Je l'ai ainsi vu pratiquer à Rome par le feu commandeur de Caillemer (27), de la ville de Carentan, au commencement du pontificat d'Innocent X (28), de triomphante mémoire, où il se trouva. Et à l'égard des matières dont vous devez entretenir Sa Majesté siamoise, elles doivent être relevées et non communes, c'est pourquoi je vous conseille de lui parler de ce que nous avons de plus considérable en France, à savoir des grands capitaines qui ont servi nos rois et l'État, dont voici une liste de quelques-uns :

Vous pourrez aussi entretenir Sa Majesté des places conquises par notre roi très chrétien, dont voici la liste :

Villes prises :

Au reste, je ne peux que je ne me réjouisse avec Votre Excellence de ce qu'elle mène avec elle six pères jésuites, à savoir les pères de Fontené, Bouvet, Vicedelou, Rachan, le Cointe et Garbillon (29), tous très excellents religieux et bons prédicateurs. C'est une Compagnie qui, à l'exemple d'Ibis, oiseau de l'Égypte, fait son nid dans les palmes : elle a allumé le feu de la dévotion dans les quatre coins de la terre, où elle semblait presque éteinte. Il n'y a point de nation civilisée qui n'ait entendu sa voix, point d'Algonquin, d'Iroquois, de Canadois, de Brasilien, de Chinois et de sauvages qui n'ait ressenti les effet de sa douceur et goûté le fruit de ses travaux, en sorte que cette illustre Compagnie peut à bon droit s'appliquer ce beau vers de Virgile :

Que regio in terri nostri non plena laboris (30).

Un nombre infini des ces pères ont trouvé la mort dans les feux et dans les flammes, au Japon, à la Chine, en Angleterre et autres lieux, pour donner la vie de l'âme à leur prochain. Votre Excellence ne peut espérer que toute sorte de contentement de leur sage conduite, et j'apprends encore avec beaucoup de joie que le roi de Siam les protège très particulièrement, et souffre qu'ils fassent publiquement les cérémonies de l'Église romaine, et qu'un malavisé habitant de Siam, ayant voulu il n'y a pas longtemps, empêcher lesdits pères de porter publiquement une grande croix à l'enterrement d'un de leurs religieux, le roi l'ayant su, il commanda aussitôt qu'on attachât cet homme-là au carcan, qui est un de leurs supplices, et il déclara qu'il souhaitait qu'on ne les molestât pas, mais qu'on les honorât comme des personnes fort utiles à son État (31). Ce n'est pas une chose fort rare à un homme de guerre de hasarder sa vie dans les combats, ayant été nourri à ce dessein, mais c'est une chose admirable de voir des religieux nourris dans la paix et dans le repos aller s'exposer à de continuels périls de mort pour le service d'autrui. Il n'y a point d'infidèle qui, considérant bien cette action, n'embrassât aussitôt notre sainte religion. La seule langue du pays de Siam est une chose très difficile à apprendre, ainsi que toute langue étrangère. L'italienne et l'espagnole passent pour les plus aisées, mais bien que je m'y adonne depuis de longues années, j'y trouve encore quelquefois des difficultés.

Comme la diversité des matières sert à la récréation de l'esprit, il sera bon qu'après avoir parlé des grands hommes qui se sont signalés dans les armées, vous parliez de bâtiments les plus considérable de la ville de Paris, à savoir du Louvre, qui est la maison du roi de Luxembourg, du Palais royal, de bois de Vincennes, de Fontainebleau et autres. Les temples étant la maison de Dieu, ils sont encore plus beaux et ils méritent l'admiration de tout le monde, entre autres Notre-Dame, Saint-Louis habité par les pères jésuites, et le Val-de-Grâce par les dames bénédictines. Votre Excellence ajoutera à tout cela les fameuses universités de France, à savoir Paris, Caen, Bourges, Poitiers, Toulouse, Orléans, Cahors, Angers, Bordeaux, Aix en Provence, et Valence dans le Daupluiné, en la plupart desquelles l'on enseigne toutes les sciences qui peuvent perfectionner l'esprit de l'homme. Votre Excellence peut aussi faire mention de quantité de chaires fondées par des particuliers dans les universités, et vous me ferez, s'il vous plaît, l'honneur de me mettre du nombre de ces grands hommes-là qui ont si bien mérité du public, puisque j'ai fondé une chaire de théologie dans l'université de Caen, qui est occupée par les révérends pères jésuites, qui en sont du corps. Après avoir fait ériger à mes frais neuf monuments de piété dans les places publiques de la ville (32) et avoir donné dix mille livres pour y faire des fontaines saillantes, afin de remplie la belle devise qui est gravée sur du marbre et en lettres d'or sur le frontispice de la porte de ma maison : Non nobis, sed republicæ nati sumus (33).

Sa Majesté siamoise sera sans doute fort satisfaite de vous entendre parler de ces illustres universités et considèrera cela comme une chose fort rare, vu que les sciences sont inconnues dans le royaume de Siam, à la réserve d'une théologie grossière que les sacrificateurs des idoles enseignent et qui ne consiste qu'en quelques fables qu'ils expliquent à leurs auditeurs. Je ne vous ai point dit, Monsieur, que vous entretiendrez le roi de Siam de la grandeur de notre invincible monarque et de ses actions héroïques qui feront l'admiration de la postérité, parce que j'ai lieu de croire qu'étant éclairé comme vous êtes, ce sera la première chose qui servira de matière à votre entretien.

Si Votre Excellence m'emploie une autre fois pour son service, je la supplie de me donner plus de loisir et de considérer qu'une pièce d'esprit pareille à celle-ci demande beaucoup d'application, et par conséquent beaucoup de temps. J'en ai eu très peu pour faire la réponse que je vous envoie et j'ai hasardé ma réputation pour votre service, quoiqu'elle me soit plus chère que la vie, afin d'exécuter vos ordres en exposant au public un écrit qui a été fait avec beaucoup de précipitation et qui trouvera peut-être des censeurs ; mais après tout, ils seraient peut-être bien empêchés de mieux écrire. Il y a trente-cinq ans que je m'occupe à faire toutes sortes de bons livres, ce qui fait qu'il y a longtemps que je suis hors d'apprentissage, et je peux sans flatterie faire comparaison avec les meilleurs écrivains de ce siècle. Je vous en dirais beaucoup davantage, si ce n'est que le travail de cette composition m'a beaucoup échauffé le sang et il faut que j'aie recours à mon bouillon rouge pour me rétablir, et sans cet inconvénient, je vous aurais encore fait part de la manière dont j'ai essuyé plusieurs périls de mort, tant sur mer que sur terre. Je vous dirai seulement, en attendant une plus ample instruction, qu'étant en état de m'embarquer en Angleterre pour revenir en France, il s'en fallut très peu que je ne tombasse dans la mer, car comme je voulais passer d'un bateau à l'autre, celui d'où je voulais sortir remuait par l'agitation des flots, ainsi que celui où je voulais entrer, de sorte que si je ne me fusse exercé à sauter dans ma jeunesse, la mer m'aurait servi de sépulture et je ne serais plus en état d'écrire pour votre satisfaction, et il ne serait fait aucune mention des belles fondations que j'ai faites, des statues que j'ai fait ériger dans la ville, des dix mille livres que j'ai données pour y faire des fontaines saillantes, et des excellents livres que j'ai composés, qui ont eu plusieurs impressions et que tous les curieux recherchent avec beaucoup d'empressement. Mais il a plu à la bonté divine de me préserver de ce péril, un des matelots m'ayant pris par la ceinture de mes chausses pour me mettre dans le vaisseau. Prenez-vous garde, s'il vous plaît, d'un semblable accident. J'ai vu aussi la mer dans sa plus grande furie, et j'ai méprisé ses vagues impétueuses avec une grande fermeté de courage lorsque ceux avec qui j'étais dans le vaisseau n'avaient recours qu'eaux cris, aux larmes et aux soupirs, quoique j'employasse toute mon industrie pour leur ôter la crainte qui faisait pâlir leur visage. Votre Excellence se trouvera peut-être en de semblables dangers, mais il faut considérer que la crainte du naufrage n'en est pas le remède ; au contraire, elle abat les esprits et fait perdre le jugement qui est nécessaire pour trouver les moyens de sauver sa vie.

Les périls que j'ai évités sur la terre ne sont pas moindres que ceux de la mer. Les grands chemins et les forêts remplies de voleurs qui égorgeaient impitoyablement tous les passants n'ont point arrêté ma course, et je me suis garanti de leurs mains avec la prudence et le courage d'un homme de cœur, et je marchais avec une intrépidité qui n'est pas du commun par tous les passages périlleux où les ruisseaux de sang coulaient de toutes parts.

Mais, Monsieur, je ne m'aperçois pas que la longueur de mon discours recommence à m'échauffer le sang, et que je pourrais tomber dans une fièvre violente si je faisais un dénombrement de toutes les occasions périlleuses où je me suis rencontré et dont je me suis heureusement garanti.

Longa est historia, longæ ambiages (34).

Je me réserve à une autre fois à vous en donner un mémoire instructif, où vous verrez que malgré les vents et les orages qui font frémir de crainte les matelots les plus intrépides, je me suis moqué de leurs insultes et j'ai bravé leur rage lorsqu'ils semblaient vouloir conspirer à ma ruine, étant dans un vaisseau dont le gouvernail était perdu et qui était abandonné à la merci des flots et des vagues écumantes de l'océan. Le matelot qui avait soin du vaisseau était dans une grande consternation, ayant mis toute son adresse et son industrie en uage, et voyant que c'était inutilement ; mais je lui ai relevé le courage en lui disant : quid times ? San-Martinum vehis in periculis intrepidum (35).

Mets bas avecque moi la terreur qui te presse,
Le Ciel à mes desseins plus que moi s'intéresse,
Et s'il ne suffit pas à vaincre ton effroi,
Tu peux à son défaut se reposer sur moi ;
Ton esprit qui se livre à des frayeurs si fortes,
Se les reprocherait s'il savait qui tu portes :
Abandonne ta barque aux vents les plus mutins,
Sa charge lui promet le secours des destins (36).

Je n'eus pas plutôt proféré ces paroles dont Jules César s'était autrefois servi dans une pareille occasion que la mer devint calme, les aquilons se changèrent en des zéphyrs très agréables, et la tempête qui menaçait ma vie, en une bonace extraordinaire : les nuages qui cachaient le ciel se dissipèrent à l'instant, et le bel œil du jour commença de répandre sa lumière comme auparavant, en chassant les affreuses ténèbres qui couvraient la mer de toutes parts. J'ai encore beaucoup d'autres choses à vous dire, mais je crains que la continuation d'une si longue lettre n'altérât ma santé que j'ai tant de peine à conserver, c'est pourquoi je n'ajouterai rien autre chose, sinon que je suis avec beaucoup de passion et de respect,

Monsieur,

De Votre Excellence,

le très humble et très obéissant serviteur,
   De Saint-Martin, Docteur en théologie.

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Lettre de M. de Chaumont
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à M. de Saint-Martin

NOTES

1 - Il y avait encore très peu de relations sur le Siam. L'abbé de Saint-Martin a tiré la plupart de ses renseignements de la Relation du voyage de Monseigneur l'évêque de Bérythe, vicaire apostolique du royaume de la Cochinchine […] du missionnaire Jacques de Bourges, publiée en 1668, dont nombre d'informations furent reprises dans le numéro du Mercure Galant d'octobre 1684 (pp. 238 et suiv.). Peut-être l'abbé s'est-il également inspiré des Voyages de Jean-Baptiste Tavernier parus en 1676. 

Trompette marine

2 - Ni trompette, sinon par sa sonorité qui pouvait évoquer un instrument de la famille des cuivres, ni sans aucun rapport avec la mer (marine est une déformation de mariale, relatif au culte de la vierge Marie), la trompette marine est un grand instrument à corde unique frottée avec un archet. On se souvient du dialogue du maître de musique et de M. Jourdain dans le Bourgeois gentilhomme de Molière : — Il vous faudra trois voix, un dessus, une haute-contre, et une basse, qui seront accompagnées d’une basse de viole, d’un théorbe, et d’un clavecin pour les basses continues, avec deux dessus de violon pour jouer les ritournelles. — Il y faudra mettre aussi une trompette marine. La trompette marine est un instrument qui me plaît, et qui est harmonieux (acte II, scène 1). 

3 - Le chevalier de Chaumont aurait été bien en peine de trouver des carrosses au Siam ; quant à les emporter, il n'y fallait pas songer, tant les vaisseaux étaient surchargés. Conscient néanmoins qu'il ne trouverait peut-être pas dans le royaume un véhicule à la mesure de sa dignité, l'ambassadeur emporta une chaise à porteurs, garnie de brocart d'or et sa calotte garnie de sa crespine d'or. (Mémoire des hardes et meubles appartenant au sieur chevalier de Chaumont, ambassadeur pour le roi au royaume de Siam, document B4 11 folio 503 des Archives de la marine, cité par le Dictionnaire critique de biographie et d'histoire : errata et supplément d'Auguste Jal, Plon, 1872 pp. 671-672). On ignore s'il l'utilisa, mais il en fit présent à Marie Guimard, l'épouse de Phaulkon : À l'égard de M. Constance, je pris la liberté de lui donner un meuble que j'avais porté de France, et à Mme sa femme une chaise à porteurs très belle, qui me coûtait en France 200 écus. (Relation de l'ambassade de M. le chevalier de Chaumont à la cour du roi de Siam […], 1686, pp. 101-102). 

4 - Bois de campêche, (Haematoxylum campechianum), bois rouge utilisé notamment pour la teinture. 

5 - C'était mal connaître le chevalier de Chaumont, représentant du plus grand roi de la terre (Journal de Choisy du 15 octobre 1685) que d'envisager qu'il pourrait s'agenouiller devant le roi de Siam. 

6 - Les pères jacobins était l'un des noms des Frères prêcheurs, ou Dominicains. Il y avait alors trois ordres religieux à Siam, les Dominicains (arrivés vers 1566-67), les Franciscains (arrivés dans les années 1590), et les Jésuites (à partir de 1606). Il y avait donc en réalité trois églises : l'église jésuite de São Paulo, une église franciscaine et une église dominicaine (São Domingo). (Source : Rita Bernardes de Carvalho, La présence portugaise à Ayutthaya (Siam) aux XVIe et XVIIe siècle, Mémoire de Master de Sciences historiques, Philologique et Religieuse, École Pratique des Hautes Études, Paris, 2006). 

7 - Sans doute Sanlúcar de Barrameda, dans la province de Cadix, en Andalousie. 

8 - Cambrai avait été sous domination espagnole jusqu'en 1677. 

9 - René Auguste Constantin de Renneville naquit à Caen vers 1650 et eut l'occasion, dans sa jeunesse, de jouer quelques mauvais tours à l'abbé de Saint-Martin. Après avoir passé onze ans à la Bastille, où il fut emprisonné pour ses convictions protestantes et de vagues suspicions d'espionnage, il rédigea ses mémoires sous le titre L'inquisition française ou l'histoire de la Bastille, publiés à Amsterdam en 1715 et dans lesquels il évoque la viole de l'abbé : Je m’avisai d’aller trouver M. l’abbé Malotru qui, comme je l’ai dit, demeurait joignant le couvent des ingrats pères. Je lui dis que j’avais vanté son mérite à de jeunes demoiselles qui étaient des plus belles de la ville et qu’elles avaient un ardent désir de le voir et de lui entendre toucher la basse de viole, dont il jouait à peu près comme il dansait, c’est-à-dire à faire pâmer de rire. Il me remercia de l’honneur que je lui procurais et me promit de les recevoir de son mieux. Je lui demandai la permission de les régaler chez lui, afin que rien ne manquât à la fête. Très volontiers, il ordonna à ses gens de mettre un couvert tout des plus propres dans sa chambre dorée. On tira le plus beau linge du grand coffre. J’introduisis mon escadron coiffé auprès de l’abbé qui, à l’aspect de ces charmantes guenuches, redoubla ses grimaces de guenon. Je fus déterrer sa basse de viole dans son cabinet, où je la trouvai sous une table, toute poudreuse et garnie de trois cordes, gisante avec des pantoufles de tapisserie de haute lice, des peignes, des pots de chambre et autres meubles de cette nature, car là tout était confondu et il y avait peut-être plus de dix ans que ce cabinet n’avait été balayé (II, pp. 203-204). La farce consistait à régaler d'un somptueux festin une douzaine de jolies donzelles aux frais de l'abbé, lequel aimait extrêmement le beau sexe, quoique la nature l’eût réduit en un état à n’en pouvoir exiger les dernières faveurs, ce qui le faisait aller dans les lieux écartés des faubourgs, comme dans les carrières de Saint-Julien et de Vaucelles, où là, il faisait assembler de pauvres, mais les plus jolies filles, et leur donnait de l’argent pour danser devant lui. (Op. cit. p. 199). Lorsque le rôtisseur, le pâtissier, le confiseur et le marchand de vin vinrent présenter leurs factures, l'abbé, qui avait cru que ces largesses étaient aux frais de Renneville, fut contraint de payer. 

10 - Grand valet de pied qui suit un homme à cheval, qui lui tient l’étrier (Furetière). 

11 - Plus modestement, pour rehausser l'éclat de son ambassade, Chaumont avait prévu de se faire accompagner par 12 jeunes gardes-marine, mais l'un deux fit défection au dernier moment. 

12 - Chaumont s'était fait accompagner de son maître d'hôtel, le sieur Billy, qui demanda à rester au Siam pour négocier quelque argent qu'il avait (Relation de l'ambassade de M. le chevalier de Chaumont […], 1686, p. 219). Il fut nommé gouverneur de Junk Ceylon (Phuket) par Phaulkon, qui commençait ainsi à mettre en œuvre son projet de noyauter le régime en nommant des Français à tous les postes-clés du pays, dans les charges de guerre et des finances, dans les gouvernements, dans les intendances des provinces, des places et des vaisseaux et enfin dans les plus grands emplois du royaume (Mémoire secret de Phaulkon au père Tachard, 18 décembre 1685, AN C1/22, f° 177-178). Après le coup d'État, Billy fut emprisonné dans les geôles siamoises, ainsi qu'en atteste le Catalogue des prisonniers ecclésiastiques et laïques dressé par le missionnaire Bernard Martineau. On ignore ce qu'il est devenu. 

13 - Ce catalogue de fruits est repris de la Relation du voyage de Monseigneur l'évêque de Bérythe, vicaire apostolique du royaume de la Cochinchine […] du missionnaire Jacques de Bourges, 1668, chapitre XI, pp. 146 et suivantes. 

14 - Selon Furetière, une pâtisserie désignait alors une préparation de pâte avec plusieurs assaisonnements, friands de viandes, de beurre, de sucre, de fruits, comme sont les pâtés, tourtes, tartes, biscuits, brioches, etc. (Dictionnaire universel, 1690, III, n.p.). 

15 - Charles Delorme (1594-1678) était le fils du célèbre Jean Delorme qui fut médecin de Marie de Médicis, de Henri IV et de Louis XIII. Sa réputation égala celle de son père. Il fut notamment le médecin de Mme de Sévigné qui évoque souvent et affectueusement dans sa correspondance le « bon Delorme », le « vieux Delorme » ou le « bonhomme Delorme ». L'abbé de Saint-Martin avait fait sa connaissance dans les années 1670 lors d'une cure thermale à Bourbon, aujourd'hui Bourbon-l'Archambault. 

16 - Moïens faciles. et éprouvés, dont M. de l'Orme, premier médecin et ordinaire de trois de nos rois, et ambassadeur àClèves pour le duc de Nevers, s'est servi pour vivre près de cent ans, par Michel de Saint-Martin, Escuyer, Seigneur de la Mare du Désert, Prêtre, Docteur en Théologie en l'Université de Rome et Protonotaire du Saint-Siège. A Caen, chez Marin Yvon, 1682. 

17 - L'abbé de Saint-Martin avait la terreur des courants d'air et des vents coulis, qu'il considérait comme responsables de la plupart des maladies. Pour ne pas se refroidir pendant son sommeil, il dormait dans un lit de brique sous lequel des braises étaient constamment entretenues. Les couches de vêtements dont il s'affublait lui donnaient une silhouette grotesque qui suscitait la risée et les quolibets de toute la ville de Caen. Constantin de Renneville l'évoque ainsi : Comme il affectait le nombre mystérieux de sept, il avait sept chemisettes de froc noires et rouges et un justaucorps noir par-dessus, qu’il ne boutonnait jamais. Il portait sept paires de bas, sept culottes, malgré lesquelles sa chemise passait toujours par l’ouverture et faisait visiblement connaître qu’il ne se servait jamais de papier dans ses nécessités urgentes. On peut juger de quelle circonférence était cet ours ecclésiastique quand il se tenait debout, les pieds fourrés dans deux pantoufles de nattes et appuyé sur un bâton à bec de corbin, ce qu’on voyait rarement, car il était presque toujours assis dans un fauteuil, à sa porte quand il faisait beau, et sous les porches des Cordeliers quand il faisait mauvais temps. Il était écarquillé dans ce fauteuil, à peu près comme l’on a vu Arlequin tournant la broche dans le ventre de sa mère la tonne. (Op. cit.

, II, pp. 197-198).

ImageArlequin au ventre de sa mère la Tonne. Imprimé par N. Bonnart, à l'Aigle. 

18 - Légère humidité qui tombe au crépuscule et rafraîchit l'atmosphère après une chaude journée. (Littré). 

19 - Notumque furens quid femina possit, Virgile, l'Énéide, V, 6 : L'expérience de ce que peut une femme en délire

20 - Remède minéral qui entrait principalement dans la composition du vin émétique, breuvage aux propriétés vomitives. Panacée pour les uns, poison pour les autres, l'antimoine, préconisé par Paracelse, fut le sujet de violentes querelles entre le XVIe et le XVIIe siècle. La substance fut interdite par un arrêt du Parlement de Paris en 1566, mais continua largement a être utilisée. En 1658, à l'article de la mort suite à une intoxication alimentaire, Louis XIV fut sauvé par l'absorption d'un vin émétique prescrit en désespoir de cause par ses médecins, dont François Guénault, fervent partisan du remède. L'effet fut si prodigieux et l'opération si grande que nous reconnûmes un changement notable et une diminution de la fièvre et de tous les accidents, de sorte que tous ont sujet de rendre grâce à Dieu d'avoir en si peu de temps tiré le roi de la dernière extrémité où il était par un remède qui donnait de l'appréhension à ceux qui n'avaient point encore éprouvé sa vertu. Depuis ce temps-là, les médecins qui le blâmaient s'en sont servi en plusieurs occasions avec beaucoup de succès, et les esprits de la Cour, qui étaient pour lors fort partagés, furent tous d'accord et persuadés que ce remède était admirable, et que ceux qui l'avaient proposé étaient fort assurés de ses bonnes qualités. (Vallot, d'Aquin et Fagon, Journal de la santé du roi Louis XIV de l'année 1647 à l'année 1711, 1862, p. 59). L'interdiction de l'antimoine fut levée, mais le remède continua d'avoir de féroces opposants, dont Guy Patin, qui dressa un Martyrologe de l’antimoine, une liste de 89 décès survenus entre 1641 et 1671, que Patin attribuait aux effets de l'antimoine. Voir notamment Philippe Albou, Guy Patin et son martyrologe de l’antimoine, Histoire des sciences médicales, tome L, n° 4, 2016, pp. 455-466. 

21 - Dindon. Se prononçait et s'écrivait parfois codinde

22 - Le bouillon rouge était la panacée révélée à l’abbé de Saint-Martin par le médecin Delorme. Il était censé guérir à peu près tout, depuis la fièvre jusqu’à la constipation, et l’abbé Malotru avouait élégamment que depuis sept ans qu’il en prenait, il n’avait jamais manqué d’aller un jour à la garderobe. J’en donne ici la recette, sans toutefois en garantir les effets : il s’agit tout simplement d’une tisane composée de bourrache, buglosse, chicorée sauvage, oseille, chiendent, fraisier, pissenlit et aigremoine. Jeter une poignée de chacune de ces plantes dans un pot de terre contenant deux litres d’eau et laisser bouillir deux bonnes heures. À consommer le matin ou à n’importe quel moment de la journée, pourvu qu’on soit à jeun depuis quatre heures au moins. (C.-G. Porée, La Mandarinade ou l'histoire comique du mandarinat de M. l'abbé de Saint-Martin, présentée et annotée par Bernard Suisse, 2012, p. 85). 

23 - Le tourment des tourments. 

24 - Ovide, les Métamorphoses, livre IV : Ils se délassent des fatigues du jour et reprennent de nouvelles forces. 

25 - Citation du poète normand Antoine Halley (1593-1675). Quelque chose comme : Quelle joie de percevoir la lumière. 

26 - Selon Savary des Bruslons, l'onguent divin, utilisé notamment pour la guérison des plaies, était une préparation à base d'opoponax, de galbanum, de bdelium et d'ammoniaque. (Dictionnaire universel de commerce, 1726, II, p. 901). 

27 - Sans doute Frère Jean de Caillemer, de la ville de Carentan, prêtre, docteur en théologie de la Sapience de Rome, religieux conventuel de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, secrétaire du Frère Jean-Paul de la Caris, Grand Maître, conseiller du roi en ses conseils et finances, prieur de Saint-Jean de l'Isle-les-Corbeil, commandeur de ce bourg en 1659. (Revue de l'Avanchin et du pays de Granville, vol. 37, 1955, p. 283). 

28 - Giovanni Battista Pamphili, (1574-1655), pape de 1644 à 1655 sous le nom d’Innocent X. 

29 - L'abbé de Saint-Martin écorche quelque peu les noms des six jésuites qui accompagnaient le chevalier de Chaumont, et pour qui le Siam ne représentait qu'une étape vers la Chine, but de leur voyage. Il s'agissait de Jean de Fontaney (1643-1710), Joachim Bouvet (1656-1730), Claude de Visdelou (1656-1737), Guy Tachard (1648-1712), Louis Le Comte (1655–1729) et Jean-François Gerbillon (1654-1707). 

30 - Citation de l'Énéide, I, 460 : Il n'est pas un endroit de la terre qui ne soit empli de nos travaux. 

31 - Cette anecdote, que l'abbé de Saint-Martin semble avoir un peu amplifiée, est rapportée par Jacques de Bourges (op. cit. p. 165) : De notre temps, un certain fut assez mal avisé pour insulter aux chrétiens tandis qu'ils assistaient à une cérémonie, qui pour n'être pas entendue par cet homme, l'excita à rire, dont un Portugais zélé s'étant offensé, il le maltraita de coups. Cet homme s'alla plaindre à la Cour de l'insolence du Portugais, et voulut en faire une affaire d'État, croyant qu'étant sujet du roi on prendrait sa cause contre un étranger ; il ne reçut point d'autre réponse sinon qu'il apprît à vivre, et qu'il ne fût pas une autre fois si insolent que de troubler qui que ce fût dans sa religion. 

32 - On peut penser que ces statues, commandées par l’abbé de Saint-Martin à un sculpteur caennais nommé Postel et destinées à être placées en plusieurs endroits et places publiques de la ville de Caen, étaient en stuc plutôt qu’en marbre et qu’elles n’ont pas résisté très longtemps aux outrages du temps. 

33 - Nous ne sommes pas nés pour nous, mais pour la république. 

34 - D'après Virgile, l'Énéide I, 341 : Longue est l'histoire, long le récit. 

35 - Que crains-tu ? Tu portes Saint-Martin intrépide dans les dangers. 

36 - Lucain, La Pharsale, chant V, traduction Brébeuf. 

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15 novembre 2020