Supplément au Mercure Galant de septembre 1686

ÉPÎTRE
à Son Altesse Sérénissime, Monseigneur le Duc (1)

Monseigneur,

Quoique l'usage soit de renfermer toutes les plus belles actions des princes à qui on dédie un livre dans l'épître qu'on met à la tête, il me serait impossible, en vous offrant cette relation, d'imiter ceux qui ont fait de ces éloges, puisqu'il faudrait que l'épître fût plus longue que l'ouvrage ; aussi ne me suis-je proposé de prendre pour sujet de celle-ci que la conversation que Votre Altesse Sérénissime a eue avec les ambassadeurs du roi de Siam. Elle n'a pas duré une heure, et si je voulais m'étendre sur tout ce que vous avez dit en si peu de temps, j'aurais de quoi faire un panégyrique entier. J'ai eu l'avantage, Monseigneur, d'en être témoins, avec cent personnes de marque, qui ne pouvant retenir les louanges qui vous étaient dues, les firent éclater pendant l'audience. J'entendis même une voix qui dit que les ambassadeurs, qui jusque-là ne vous avaient cru qu'un homme, pourraient vous prendre pour quelque chose de plus, tant vous leur faisiez paraître d'esprit.

Votre Altesse Sérénissime a fait voir en moins d'une heure la parfaite intelligence qu'elle a dans le métier de la guerre, et qui est héréditaire à la Maison de Condé. Vous avez appris à ceux qui ont eu l'honneur de vous écouter, comment des armées doivent se camper pour vaincre, et pour soutenir les plus vigoureuses attaques. Vous avez marqué les inconvénients qu'il y avait à se mettre en bataille selon l'ordre qu'observent les Siamois, et vous avez par-là donné des leçons aux Indiens, à qui de siècle en siècle leurs ancêtres doivent avoir appris de quelle manière Alexandre combattait. Ainsi, Monseigneur, vous avez montré par cette conversation, non seulement que l'art de la guerre n'a rien d'inconnu pour vous, mais encore que vous ne savez pas moins bien la situation et les coutumes des pays les plus éloignés ; que dans les histoires étrangères rien n'échappe aux vives lumières de votre esprit ; que cet esprit est universel, et qu'il n'y a que vos bontés qui l'égalent.

Après cela, Monseigneur, ne peut-on pas dire qu'en moins d'une heure de temps, Votre Altesse Sérénissime a fait honneur à la France par tous les endroits qui font le grand et l'honnête homme, puisque toutes ces choses étant rapportées au roi de Siam, lui feront concevoir la plus haute idée de tous les princes du sang de Bourbon ? Le bruit s'en répandra dans les Indes, et vous n'y serez pas moins connu que vous l'êtes dans toute l'Europe. Pendant que ceux qui ont été témoins de toutes ces choses, comme moi les ont publiées, j'ai cru, Monseigneur, non seulement les devoir écrire, mais aussi que c'était pour moi une obligation indispensable de vous dédier un livre auquel l'entretien que vous avez eu avec les ambassadeurs du roi de Siam vous donne une part si glorieuse. Je l'offre à Votre Altesse Sérénissime avec d'autant plus de zèle et de plaisir, que je sais que le Mercure et les ouvrages qui en dépendent sont traduits en plusieurs langues et imprimés chez les nations étrangères, et que plusieurs relations du foi assurent qu'ils se sont ouvert un passage jusqu'aux Indes pour y apprendre les merveilles de la vie du roi. Ainsi, j'aurai l'avantage de faire connaître dans les pays les plus reculés, le profond respect avec lequel je suis,

Monseigneur,
   De Votre Altesse Sérénissime,
   Le très humble, très obéissant et très fidèle serviteur,

De Vizé.

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NOTES :

1 - Louis III, duc de Bourbon, prince de Condé (1668-1710), dit Monsieur le Duc, fils de Louis II de Bourbon, le Grand Condé, dit Monsieur le Prince. 

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16 février 2019