Mercure Galant de novembre 1686.
2ème partie. Le château de Clagny. Versailles. Le Bassin d'Apollon. La ménagerie. Trianon. L'Orangerie. Le potager. La Pièce des Suisses. Le Petit Parc. Le labyrinthe. Bosquets et bassins.

Page du Mercure Galant

Comme les ambassadeurs n'avaient pu voir ni le château, ni les jardins de Versailles le jour qu'ils eurent audience de Sa Majesté, ils partirent le lendemain pour aller passer quelques jours à Clagny (1), qu'on leur avait fait meubler. Pendant le séjour qu'ils y ont fait, on leur a montré tout ce qu'il y a de beau à Versailles, et ils ont aussi été conduits dans les maisons royales qui sont aux environs. Vous ne serez pas fâchée de voir la description de tous les lieux où ils ont été. Je commence par le château de Clagny.

Il est bâti auprès de l'ancienne baronnie de Clagny. Sa situation est à côté d'un petit bois fort ancien, dont la beauté a engagé le roi à en faire la dépense. Ce château est presque de la même position que celui de Versailles. Le corps n'a point de partie détachée et consiste dans un grand corps de bâtiment simple, ayant deux ailes doubles en retour, au bout desquelles sont encore en retour et sur la face de devant, deux autres ailes simples. La cour a 30 toises de large sur 32 de profondeur, sans y comprendre une demi-lune qui la ferme par-devant, et qui en augmente la grandeur. On monte à l'étage du rez-de-chaussée par cinq perrons carrés, qui élèvent cet étage de quatre à cinq pieds. La distribution du plan de l'étage au rez-de-chaussée, qui est le principal et bel étage, consiste en un grand salon qui sert de passage pour aller de la cour au jardin, et dégage et communique deux appartements pour le roi. Ce salon est décoré par-dedans de grands pilastres corinthiens, avec leur entablement régulier, au-dessus duquel est un ordre attique, dont l'entablement porte la voûte surbaissée. Les appartements de part et d'autre ont les pièces presque pareilles, excepté que du côté de l'aile droite en entrant, il y a un cabinet à l'encoignure de la face principale sur le jardin, et ensuite un autre cabinet, qui est commun à un appartement en aile qu'un autre grand vestibule dégage d'un autre appartement, dont le grand cabinet derrière la chapelle est dans l'aile simple en retour sur la face.

De l'autre côté est un petit appartement des bains sur la cour, au derrière duquel il y a une grande galerie de 35 toises de large, qui est composée de trois salons un peu plus larges que les intervalles qui les joignent. Elle est décorée d'un grand ordre corinthien dont l'entablement régulier est enrichi de sculpture. La voûte est ornée de divers compartiments qui renferment des cadres où doivent être des tableaux qui représentent l'histoire d'Énée. Au-dessus de la corniche, et à la naissance des arcs doubleaux, sont des groupes en relief de figures assises, qui représentent plusieurs divinités, les Éléments, les Saisons, et les Parties de la Terre avec leurs attributs. Le grand salon du milieu, plus élevé que les autres, est d'un ordre attique, et sa voûte est portée par quatre trompes où sont huit grands esclaves. Les salons des bouts sont voûtés de manière que la voûte porte sur six arc surbaissés, et dans les coins des groupes, des figures de demi bas-relief représentent des nymphes qui portent des corbeilles de fleurs et de fruits, et retiennent le grand cadre du milieu, qui est à huit pans.

Au bout de cette galerie, on descend par quelques degrés dans une orangerie pavée de marbre, longue de 24 toise, et large de 25 pieds. À l'autre encoignure est la chapelle à main droite, d'un ordre corinthien. Son plan est rond, et de 30 pieds de diamètre. Le grand escalier est dans l'aile droite en entrant. Sa structure est extraordinaire, et l'appareil des pierres est fort ingénieux, il mène dans un vestibule joint à un salon qui dégage deux appartements joints à deux autres petits, d'où l'on peut entendre la messe dans la chapelle par des tribunes. Je ne vous décris point tous les appartements de ce superbe édifice, le détail en serait trop long, mais je ne puis m'empêcher de vous parler des beautés que M. Mansart, qui en est l'architecte, a mêlées en dehors. L'étage du rez-de-chaussée est d'ordre dorique. Le pavillon du milieu est décoré par six colonnes isolées, et les vestibules des ailes par deux colonnes aussi isolées avec des pilastres. Outre la saillie dont les pavillons flanquent le corps et les ailes de ce château, il y a des avant-corps, les uns ornés de pilastres, et les autres sans pilastres. Ils sont couronnés de l'entablement de cet ordre. L'avant-corps du côté du jardin, au milieu de la principale façade, est décoré de six colonnes comme celui de la cour, et les ailes, chacune de quatre dans le milieu de leur longueur.

Au bout de chaque petite aile en retour, sont deux avant-corps du grand pavillon du milieu, et sur l'ordre dorique, tant sur la cour que sur le jardin, sont posées des colonnes d'ordre composite qui portent un fronton dont le tympan est orné de sculpture, et termine cette ordonnance. L'attique, au-dessus du corps et des ailes, est beaucoup plus bas que l'ordre composite. Les pilastres attiques répondent aux pilastres et aux colonnes doriques. Les avant-corps de la tête des pavillons sont couronnés de frontons triangulaires. L'entablement de cet ordre attique n'est qu'une corniche architravée qui porte une balustrade au pied des combles. Les fenêtres des étages au rez-de-chaussée sont ornées de chambranles, consoles, frises de sculpture et de corniches avec un adoucissement au-dessus. Les croisées du grand salon du milieu sont trois grandes arcades entre des colonnes doriques, tant sur le jardin que sur la cour, et celles de l'ordre composite sont des fenêtres bombées. Les fenêtres de l'ordre attique sont ornées de consoles et de frises taillées d'entrelacs. Le grand pavillon du milieu est couvert d'un dôme dont le plan est carré, et le reste du château est couvert de combles brisés, ou à la mansarde. Ainsi tout ce que l'on peut dire de cette maison, c'est que le bâtiment en est accompli, que la symétrie et la régularité y sont observées, que les ornements de sculpture y conviennent, que les profils en sont d'un excellent goût, et que les ornements du dehors sont bien accommodés aux étages du dedans.

Le jardin tire sont plus grand ornement d'un bois de haute futaie, de plusieurs parterres en broderie, et des boulingrins de diverses figures, ainsi que des bosquets de charmille et des cabinets de treillages ornés d'architecture. Il y a des très belles palissades de myrtes qui sont assez garnies pour enfermer des caisses remplies d'orangers et d'autres arbrisseaux, de manière que les caisses n'étant point vues, il semble que les orangers soient nés dans les palissades. L'étang appelé de Clagny sert aussi de canal à la vue du château.

Le soir que les ambassadeurs y arrivèrent, M. Storf leur dit qu'il allait chez le roi et leur demanda s'ils n'avaient rien à faire dire à Sa Majesté. Le premier ambassadeur lui répondit qu'ils avaient trop de respect pour oser prendre cette liberté, qu'ils étaient venus au lieu où ils étaient suivant les ordres du roi et qu'ils attendraient ceux qu'il plairait à sa Majesté de leur donner.

Comme le château de Clagny leur parut extrêmement beau, ils prirent un fort grand plaisir à en visiter les appartements, ainsi qu'à se promener dans le jardin. Ils y trouvèrent M. le comte de Toulouse (2). Aussitôt que M. Storf eut aperçu ce prince, il alla le saluer. Les ambassadeurs, quoiqu'assez éloignés, furent surpris de son air. Plus ils en approchèrent, plus ils le trouvèrent beau, et ils en furent charmés avant que d'avoir su sa naissance. M. Storf, après l'avoir quitté, leur apprit qui il était, et ils se surent bon gré de l'admiration qu'il leur avait causée, et de la vénération à laquelle ils s'étaient sentis portés dès qu'ils l'avaient aperçu. Ils prièrent M. Storf de les présenter à ce jeune prince, afin qu'ils eussent l'honneur de le saluer, et comme il ne répondit pas assez tôt à leur empressement, ils redoublèrent leurs instances et eurent le plaisir de voir ce prince de plus près, et de l'entretenir. S'ils avaient été surpris de sa beauté, ils ne le furent pas moins de ses manière et de son esprit, et ils dirent qu'ils n'avaient jamais vu dans une personne de cet âge tant de différents sujets d'admiration. Aussi, on peut dire sans flatterie que tous ceux qui ont été formés du sang dont ce prince est né sont autant de chef-d'œuvres de la nature.

Il y avait trop de choses à voir à Versailles et aux environs pour laisser les ambassadeurs un seul jour à Clagny, sans commencer à les conduire dans les lieux où ils devaient aller. Il s'en trouvait tant de différents, que pour faire les choses avec ordre, M. Storf alla tous les soirs savoir de M. de Seignelay où il conduirait les ambassadeurs le jour suivant. On lui dit le premier soir, que le lendemain il les menât à la cour de marbre (3). On les y attendit pour les conduire au canal. M. Lefèvre, intendant des bâtiments (4), avait eu ordre du roi de les accompagner dans tous les jardins de Versailles, et dans les lieux de plaisance qui y sont attachés, parce qu'il pouvait beaucoup mieux qu'un autre leur expliquer quantité de choses dont il a eu direction et qu'il était nécessaire qu'un homme intelligent et qui, connaissant tout ce qu'il y a à Versailles, pouvait en rendre raison aux questions des ambassadeurs, que leur curiosité naturelle et l'ordre qu'ils ont de rendre compte au roi de Siam de ce qu'ils auront vu, portent à en faire beaucoup.

Avant que de monter sur le canal, ils virent le bassin d'Apollon qui est au bout de la grande allée qui y conduit. Il est octogone et a 36 pieds de large dans son milieu (5). Apollon y est représenté dans un char tiré par quatre chevaux. Quatre vents sont à ses côtés, et soufflent dans leurs conques d'où sortent autant de jets d'eau. Après avoir considéré ce bassin, ils montèrent dans la galère qui est sur le canal. Toutes les gondoles et tous les autres bâtiments les accompagnèrent avec tous leurs ornements et agrès, et ces bâtiments étaient remplis de timbales, de trompettes et de divers autres instruments qui ne cessèrent point de jouer, tant que les ambassadeur furent sur le canal. Les matelots avaient tous des habits fort propres, rouges et bleus. Après qu'on eût fait divers tours sur le canal, la galère entra dans le côté de la croisée qui conduit à la ménagerie. Cette croisée a 450 toises de longueur. Le canal en a plus de 150 de long sur 40 de large, et 7 pieds de profondeur.

Quoique la ménagerie ne soit qu'un lieu pour entretenir des animaux, comme le porte son nom, elle ne laisse pas d'avoir beaucoup d'air d'un magnifique palais, et de présenter d'abord à la vue quatre pavillons et un dôme. On y entre par une grande avenue d'arbres. On trouve d'abord une cour fermée d'une grille de fer, d'où l'on entre dans une autre, au fond de laquelle est un dôme de figure octogone, qui fait un salon de pareille forme, où l'on monte par une rampe de quelques degrés qui conduit à un vestibule. On entre de là dans ce salon, autour duquel sont plusieurs chambres. C'est dans le milieu du même salon que mange quelquefois le roi lorsqu'il va sa promener à la ménagerie. Au-dessous est une grotte qui en occupe tout le terrain, et au milieu de cette grotte, il y a un jet d'eau tournant qui s'étend dans tout le tour de la grotte et du plancher, qui est tout rempli de petits trous, d'où s'élève une pluie d'eau. Le salon est entouré d'une cour qui est aussi de figure octogone. Elle est fermée d'une grille de fer, qui règne tout autour, et d'espace en espace on trouve des portes grillées. Il y en a jusqu'à sept, par lesquelles on entre dans sept autres cours. Les unes sont pour les écuries, et les autres pour les bergeries et pour les étables. Les oiseaux qu'on ne peut garder que dans des cages, ou dans une volière, en ont une très belle dans une de ces cours. Il y a dans une autre un réservoir rempli de poissons pour les pélicans et autres oiseaux auxquels le poisson sert de nourriture. Du côté droit de cette cour sont des endroits fermés de grilles, où sont les animaux qui n'ayant pas besoin d'être enfermés, peuvent passer entre les grilles pour entrer et sortir de ce lieu-là. Sur la gauche de la même cour sont les animaux farouches. Les bêtes qui servent à labourer sont dans une autre cour, au sortir de laquelle on trouve des volailles de toutes sortes d'espèces. Enfin, l'on peut dire que l'on voit dans ces sept cours tout ce qu'il y a de plus rare sur la terre, soit pour les animaux, soit pour les oiseaux d'air, et pour ceux d'eau, et qu'il n'y a rien de commun. Les ambassadeurs furent surpris d'en voir quelques-uns de leur pays et d'autres endroits qu'ils connaissaient (6). Ils le furent aussi de voir en peinture tout ce qu'il y a eu de plus curieux dans ce lieu, mais rien ne leur parut plus digne d'être remarqué que le grand ordre qu'ils trouvèrent dans tout ce qu'ils virent, et quoi qu'ils attribuassent tout au roi, ils ne laissaient pas de donner des louanges à ceux qui savaient si bien répondre aux intentions de Sa Majesté.

Au sortir de la Ménagerie, ils allèrent à Trianon, qui est à l'autre bout de la croisée du canal, qu'ils traversèrent sur les mêmes bâtiments qui avaient servi à les porter à la ménagerie. Il y montèrent par un très beau degré, au haut duquel est un fort gros jet d'eau. Au-devant de cette galante maison, il y a un enfoncement en demi-ovale. Aux deux côtés de cet ovale, et au fond, sont trois portes. Celle du fond conduit dans la principale cour et celles des côtés dans deux cours séparées qui règnent le long de l'ovale. Au bout de ces deux cours séparées, en suivant toujours l'ovale, on trouve deux portes qui donnent encore entrée dans la cour, au fond de laquelle est le principal corps de logis d'un seul étage, orné en dehors d'une si grande quantité de vases de différentes figures, qui toutes représentent de la porcelaine, que l'on ne voit autre chose. Le dedans de ce corps de logis est aussi tout peint en porcelaine. Les murailles sont toutes couvertes de glaces, et il est aussi galamment que richement meublé. Il y a à côté deux pavillons carrés, dont la structure et les ornements répondent au corps de logis, et deux autres pavillons plus bas qui terminent le bâtiment par- devant. Ce lieu étant destiné pour y conserver toutes sortes de fleurs tant l'hiver que l'été, l'air y seconde si bien la nature, qu'il en est rempli en toutes saisons. Tous les bassins sont, ou paraissent, de porcelaine. On y voit de jets d'eau qui sortent du dedans de plusieurs urnes. Tous les pots dans lesquels sont des plantes, des fleurs ou des arbrisseaux, sont de porcelaine, et les caisses les imitent par les peintures.

Les ambassadeurs examinèrent tout ce qu'ils virent en ce lieu-là, avec une attention qu'il serait difficile d'exprimer. Ils en comptèrent les jets d'eau, et ne se contentèrent pas de voir beaucoup de choses, ils voulurent aussi les toucher, ce qu'ils firent avec tant de curiosité, qu'on peut dire qu'ils les visitèrent. Le cabinet des parfums leur plut extrêmement, car ils aiment fort les odeurs (7), et ils admirèrent la manière de parfumer avec des fleurs. Ils ne s'en retournèrent point par le canal, mais dans des carrosses qui les attendaient, et qui les ramenèrent à Clagny. Ils y arrivèrent si remplis de tout ce qu'ils avaient vu pendant la journée, que pour ne le pas oublier, ils écrivirent pendant une partie de la nuit.

Le lendemain, ils furent conduits à l'Orangerie, où M. Lefèvre les accompagna, ainsi qu'il avait fait le jour précédent, ce qu'il fit encore les jours suivants. Cette Orangerie qui vient d'être achevée, et qui est du dessin de M. Mansart, est un morceau si grand et si hardi, et a déjà fait tant de bruit dans le monde, que vous auriez sujet de vous plaindre de moi si je ne vous en envoyais pas une description fort exacte. Elle est exposée à main gauche du midi. La masse en soutient les terres, desquelles un grand parterre est formé. Ce parterre regarde la face latérale du château et celle de la grande aile. Cet édifice consiste en une grande galerie dans le fond de 80 toises de longueur, et en deux autres en retour, chacune de 60 toises ou environ. La largeur de ces galeries au sud du mur est de 38 pieds, ayant 7 toises sous clés, et les dosserets d'un pied de saillie portant des arcs doubleaux, qui partagent la voûte en autant d'espaces qu'il y a des croisées. Les galeries latérales sont communiquées à celle du fond par deux tours rondes ou portions circulaires qui ont leurs saillies en dehors, et dont la largeur en-dedans est pareille à celle des galeries. Du côté et sous la grande aile, le massif angulaire en-dedans est orné de deux grandes niches, et de l'autre bout à la place de ses niches sont deux arcades par lesquelles, avec des perrons, on monte dans un salon ou vestibule rond qui est la principale entrée du parc dans l'Orangerie. Outre ces niches, il y en a une dans le milieu de la galerie du fond, et vis-à-vis la grande porte où est la statue en pied du roi. Elle est de marbre blanc, et a été donnée à Sa Majesté par M. le duc de la Feuillade. Il l'avait fait faire pour mettre à la place des Victoire, au lieu de celle qu'on y voit présentement. Ces grandes niches sont capables d'être remplies par des colosses ou groupes, comme pouvait être celles de bains de Titus et de Caracalla, où étaient les statues d'Hercule et de Flore. La galerie du fond est éclairée par treize fenêtres cintrées et prises par enfoncement dans des arcades. Chaque tour ronde qui attache les galeries en ailes au corps, est percée de trois croisées dont celle du milieu sert de porte de toute la grandeur de l'arcade. Le dedans n'est orné d'aucune sculpture ni architecture, ainsi que ce genre de bâtiment le demande, et l'artifice des voûtes en fait la plus grande beauté. La décoration du dehors n'est autre que des bossages de la hauteur d'un module, ou demi-diamètre des colonnes. Elles sont toscanes, de quatre pieds et demi de diamètre, ayant de hauteur sept fois leur grosseur. Il n'y en a qu'à trois avant-corps, celui du fond de huit colonnes accouplées, et les deux autres de quatre colonnes chacun. Il y a aussi deux colonnes à la porte royale du salon ou vestibule qui sont du même ordre, mais de moindre diamètre. Ces colonnes portent leur entablement régulier. Les avant-corps des côtés arrêtent la partie de niveau de la terrasse qui porte sur les voûtes, en sorte que par deux grandes rampes de dix toises chacune de large, on descend dans le bas de l'Orangerie. Ces rampes sont interrompues par deux paliers, et sous ces rampes sont des arcades rampantes pour donner du jour sous la voûte des mêmes rampes. Tout ce grand théâtre renferme un parterre de compartiment de gazon, au milieu duquel est un bassin rond. Le devant de ce parterre est fermé par une balustrade portée sur un mur en talus qui fait un des côtés d'un petit fossé en canal rempli d'eau, dont la contrescarpe est beaucoup plus basse que ce mur, de sorte que, passant par le grand chemin, ce bâtiment représente un très bel endroit. Les entrées principales, qui sont de la largeur des rampes, sont ornées de deux grands trumeaux ou pieds droits, décorés chacun de deux colonnes toscanes accouplées et isolées, couronnées ainsi que les trumeaux de leur entablement régulier, et le nu des trumeaux est couvert de bossages, comme ceux des faces de l'Orangerie. Au-dessus de chaque pied droit et des colonnes sont portées sur un socle des groupes de figures. Entre ces pieds droits de chaque côté, ainsi que depuis le derrière des mêmes pieds droits jusqu'au pied des rampes, des grilles de fer renferment l'espace qui est entre les rampes et les principales portes, de sorte que l'on peut monter au parterre d'en haut sans entrer dans l'Orangerie. Ces grilles sont entretenues par des piliers ou pieds droits de pierre qui portent des vases remplis de fruits et de fleurs. Les portes sont couronnées de riches amortissements de fer à deux parements avec les armes du roi. Tous les ornements de la serrurerie doivent être dorés.

La disposition du parterre est de six grands carrés de compartiment de gazon, séparés par du sable de la même hauteur que les allées. Au milieu des quatre carreaux les plus proches de la galerie du fond, est un bassin rond bordé de gazon, et dans l'allée de traverse qui sépare les deux autres panneaux des quatre, est élevé un grand groupe de marbre blanc sur un piédestal. Ce groupe représente la Renommée qui écrit l'histoire du roi (8). Elle tient de la main gauche son portrait en profil dans une médaille ovale qu'elle pose sur un livre qui est l'Histoire, portée par le Temps. La Renommée est une grande figure ailée, drapée noblement et assise sur des trophées. Elle foule aux pieds l'Envie, qui déchire un cœur, et qui de la main gauche la tire par sa robe pour l'empêcher d'écrire. Parmi les trophées, on voit les portraits en médailles des plus grands princes de l'antiquité, tels qu'Alexandre, César, Trajan, etc. Ce groupe est terminé de tous côtés, en sorte que les vues en étant riches, il remplit avantageusement sa place, étant isolé. Il a été fait dans Rome par Domenico Guidi du duché d'Urbin, un des plus fameux sculpteurs d'Italie, et disciple d'Alexandre Algardy (9) des premiers de son siècle.

Si ce groupe, dont la grandeur à la beauté surprennent, sert d'une belle décoration à ce parterre, elle est encore bien augmentée lorsque le temps permet aux orangers de le remplir, et qu'ils laissent vide le vaste et superbe lieu, où ils sont renfermés pendant l'hiver. On y peut alors jouir d'une agréable fraîcheur et y prendre toutes les sortes de divertissements que peut fournir le théâtre, sans être incommodé de la chaleur. On pourrait même y jouer des opéras à plus d'un endroit en même temps, sans que ceux qui les représenteraient s'incommodassent les uns les autres. C'est ce qui fit dire au premier ambassadeur que la magnificence du roi était grande, d'avoir fait un si superbe bâtiment pour servir de maison à des orangers. Il ajouta qu'il y avait bien des rois qui n'en avaient pas de si belles. Ce sont les termes dont il se servit. Comme du parterre de l'Orangerie on voit toute une aile du château et la grande aile en retour, les ambassadeur admirèrent ces vastes corps enrichis de colonnes, et tous les ornements de sculpture, comme figures, vases, balustres, et trophée d'armes.

Ce bâtiment est du dessin de feu M. le Vau, à qui M. Mansart a succédé, mais ce dernier en a changé tous les dedans. Les deux galeries qui sont adossées à ce bâtiment, et qu'on appelle galeries des Princes, sont de son invention, aussi bien que les grands corps de logis qui forment plusieurs cours devant ces galeries. La surintendance a aussi été faite sur les dessins du même M. Mansart. Le premier ambassadeur fit quelques questions fort spirituelles à M. Lefèvre sur ce qu'il vit de la face des ailes qui donnent sur le jardin, et M. Lefèvre lui donna des éclaircissements qui le satisfirent.

Ils allèrent ensuite au lieu appelé le potager, qui est hors de l'enceinte du petit parc, dans lequel l'Orangerie est enfermée. Il est du côté de la grande aile dont je viens de vous parler, et parallèle au mail, duquel il est séparé par une grande pièce d'eau dont je vous entretiendrai après vous avoir décrit ce labyrinthe de jardins. Ce potager est un clos carré long de 157 toises de longueur sur 134 de large. Sa disposition est de 31 petits jardins séparés, et clos de murs qui, se communiquant, en renferment un grand de 100 toises de long sur 84 de large. Au milieu est un rondeauBassin d'une fontaine de figure ronde (Furetière). de 20 toises bordé de gazon. Le roi y entre par la porte appelée Royale dans l'allée parallèle au mail. Le corps du bâtiment presque à l'encoignure du mur de clôture, consiste en deux corps de logis communiqués par deux galeries l'une dessus l'autre appelées la Figuerie : elle a 25 toises de longueur. Le jardin nommé la Melonnière est aussi très grand. Tous ces jardins sont pour chaque espèce d'arbres fruitiers, et ont leurs espaliers exposés chacun à ce qu'ils ont besoin de soleil, les uns en ayant plus, les autres moins, les uns à une heure, les autre à l'autre. Ainsi l'on peut dire que tous les fruits en sont marqués par le soleil, et que le soleil est marqué par tous les fruits.

Chaque jardin a aussi sa fontaine particulière, où l'on prend de l'eau pour l'arroser, et une terrasse sous laquelle sont des berceaux de voûtes qui servent de serre pour l'hiver, ce qui doit être remarqué comme une dépense royale à cause de leur grand nombre. Je ne parle point des parterres qui sont remplis à proportion de tout ce qui leur convient. Rien n'est si singulier que ce lieu-là, ni si surprenant pour ceux qui s'y trouvent la première fois. Au bout d'un jardin, on en découvre un nouveau ; d'une terrasse on passe à une autre. Après avoir vu des fruits tout d'une couleur, la vue est arrêtée par d'autres tous différents, et l'on voit toujours quelque chose qui surprend et qui fait qu'on prend plaisir à s'arrêter quelque temps pour l'examiner. Tout est en ce lieu dans une telle abondance, qu'on ne refuse point d'herbages à tous ceux qui en viennent demander, et même il y a des gens entretenus dont le principal emploi est d'en donner. Ce grand nombre de jardins parut fort extraordinaire aux ambassadeurs, qui le regardant avec l'attention qu'ils donnent à toutes choses, trouvèrent qu'il y en avait beaucoup à retenir. Ils furent surpris de voir que chaque espèce de fruit avait son jardin. M. de la Quintinie (10) qui en a le soin se trouvant indisposé, son fils leur présenta force fruits, et ils mangèrent des muscats qui leur parurent très beaux.

Ils virent ensuite le mail et la grande pièce d'eau appelée la Pièce des Suisses, parce qu'ils y ont travaillé et que cette pièce d'eau n'étant point encore embellie de jets, ni ornée de sculpture, est demeurée jusqu'ici sans nom. Je ne saurais précisément vous en dire la grandeur, mais quelques-uns assurent qu'elle a presque autant d'étendue que tout le jardin des Tuileries (11). Quoique la chose paraisse difficile à croire, elle n'est pas pourtant hors de vraisemblance, ce qui est découvert et qu'on ne voit que de loin paraissant ordinairement beaucoup moins grand qu'il ne l'est en effet. Ils montèrent ensuite sur ce que l'on appelle les Hauteurs de Versailles, où l'on dit que sont les beaux points de vue du petit parc, et d'où on le découvre tout entier. Ils connurent aussitôt qu'il leur restait beaucoup de choses à voir, et dirent que quoiqu'ils eussent été en beaucoup d'appartements du château de Versailles, il était beaucoup plus grand qu'il n'avaient cru, et qu'on ne le leur avait pas fait voir encore tout entier.

On leur dit que le roi venait quelquefois tuer des faisans dans le lieu où ils étaient alors, et on leur demanda s'ils mangeraient bien de ceux que Sa Majesté aurait tué de sa main. On crut que le premier ambassadeur dont toutes les réparties sont admirées, se trouverait embarrassé par cette demande, et l'on avait raison de le croire, parce qu'il semble qu'on doive répondre qu'on gardera précieusement ce qui vient d'un grand monarque, et que cependant on ferait mal de garder ce qui est sujet à se corrompre. Ce fut pour cela que l'ambassadeur répondit que non seulement il mangerait les faisans que le roi avait tués, mais qu'il en mangerait même les os. Il faisait connaître par là que les os d'une bête tuée par Sa Majesté ne devaient pas être jetés, et c'était en faire tout l'usage qu'il était possible.

Ils vinrent le jour suivant au Petit parc, et virent tout ce que le côté gauche de ce parc, qui n'a le nom de petit qu'à cause de la grandeur extraordinaire du grand, expose et renferme de beautés. Ils commencèrent par le parterre qui est au-dessus de la voûte de l'Orangerie, et furent surpris de voir plusieurs statues de bronze, du nombre desquelles sont la Diane d'Ephèse et le Bacchus, dont les marbres sont dans la grande galerie de Versailles, peinte par M. le Brun (12). Ils virent aussi l'Apollon, et plusieurs autres statues nouvellement fondues en bronze à l'Arsenal par le sieur Keller. M. de Louvois, qui ne cherche qu'à embellir les bâtiments du roi, et à faire paraître la grandeur de sa Majesté, s'est imaginé de faire fondre en bronze tout ce que l'antique a de plus beau en marbre, et son dessein a parfaitement réussi, ces figures étant venues d'une netteté surprenante. Ainsi la France et les arts devront beaucoup à ce ministre, et par ce moyen nous achèverons bientôt d'y voir tout ce que l'ancienne Grèce et l'Italie ont eu de plus beau. Les ambassadeurs, après avoir admiré ces bronzes, furent étonnés de voir quantité de figures de marbre faites en France, dont ils trouvèrent un fort grand nombre seulement d'un seul côté, à commencer depuis le parterre dont je viens de vous parler, jusqu'à la porte du labyrinthe, qui est le premier endroit fermé qu'ils virent, car vous savez qu'il y en a quinze ou seize dans Versailles, c'est ce qu'on appelle les Bosquets. Tous ces lieux ont chacun leurs noms qui conviennent, ou à ce que marque leur terrain, ou à ce que les figures ou les eaux représentent. Il y a outre cela quantité de fontaines, ou au bout des allées, ou dans le milieu, ou qui aboutissent à plusieurs allées ou dans les parterres, et cela sans compter le canal, et trois pièces d'eau presque aussi grandes, ce qui doit paraître incroyable à ceux qui feront réflexion qu'il n'y avait pas une goutte d'eau à Versailles quand le roi a commencé à y faire faire des fontaines.

Il faut vous parler du Labyrinthe, puisque c'est par là que les ambassadeurs commencèrent à voir jouer les eaux qu'on vient admirer de toutes les parties du monde. Ce bosquet est l'un des plus grands de Versailles puisqu'il renferme trente-huit fontaines, et ces fontaines un très grand nombre de jets (13). Une fable d'Esope fait le sujet de chacune ; il n'est pas nécessaire de les expliquer ici, ces fables n'étant ignorées de personne. Chacune a son bassin où elle est représentée par des figures en relief faites de métal, et le sujet de la fable y est aussi marqué. Je ne parle point des coquillages et des ornements des bassins, qui sont en grand nombre, et qui forment des figures différentes, non plus que de la quantité de jets d'eau qui accompagnent ces bassins, et qui sont proportionnés aux sujets qui y sont représentés. Ceux qui sont comme dans des arcades formées dans des palissades, sont à moitié couverts et environnés de feuilles et de roseaux qui jettent de l'eau. La plupart sont de fer blanc et d'autre matière propre à cet usage, aussi bien que les branches par où passe l'eau, et le tout étant peint d'un vert qui imite le naturel, passe pour une véritable verdure, jusqu'à ce qu'on en voie sortir l'eau. Le mot de labyrinthe marque assez que ce lieu est rempli de détours et d'allées mêlées les unes dans les autres, ce qui fait qu'avant qu'on en puisse trouver la porte, il arrive bien souvent que l'on revienne aux mêmes endroits dont on croit être fort éloigné. Le premier ambassadeur dont je vous parle en plusieurs endroits sous le simple nom d'ambassadeur pour éviter les répétitions du mot le premier, tourna lui-même la plupart des robinets qui sont dans ce lieu, chercha les endroits qui donnent de l'eau aux autres, et fit voir que rien n'échappe à sa connaissance.

Les ambassadeurs furent ensuite conduits dans un bosquet appelé la Salle du Bal. Ce lieu destiné pour la danse est sexagonehexagonal.. On y entre par quatre perrons de quatre degrés chacun. Il est entouré de deux fossés d'eau qui suivent la forme de la salle du bal. Le rebord de ces fosses est couvert de coquillages, et il y a plusieurs vases de porcelaine autour de la troisième clôture qui enferme cette salle. Vis-à-vis les quatre perrons par où l'on y entre, sont deux cascades et deux entrées, et entre ces cascades et ces entrées, il y a des lieux destinés pour s'asseoir, qui forment six bancs chacun. Le tout est entouré de treillages. Les cascades sont chacune de dix-sept rangs de bassins de coquillages, et ces sont rangs sont élevés de sept bassins les uns sur les autres, mais il y en a cinq qui en ont neuf, au-dessus desquels sont des jets d'eau. Le haut de ceux qui n'ont point de jets est orné de vases de métal, dont il y en a quatre de M. le Hongre (14), qui représentent des bacchanales de terres et de mer, ce qui convient fort bien à l'usage de ce lieu, puisqu'on y voit des figures dansantes dans un air qui invite à la joie, tant elles sont naturellement représentées.

Au bas de chacune cascades sont de grandes torchères pour mettre des lumières le soir, ce qui fait briller les eaux, et produit un effet fort agréable. Il y a aussi des torchères aux deux côtés des deux entrées, et des vases aux endroits les plus élevés des mêmes entrées.

Ils passèrent de ce bosquet à celui de la Girandole, dont la figure que font les eaux convient parfaitement bien au nom. Ils virent ensuite l'Île Royale. C'est une grande pièce d'eau en force de canal, au milieu de laquelle est une île. Elle a huit pieds de profondeur, et soixante de long, sans compter une autre pièce d'eau moins grande qui est au bout. Il n'y a encore que des jets, et l'on travaille à de magnifiques desseins pour embellir ces deux pièces d'eau comme les autres.

La Galerie d'Eau qui les suit, et où les ambassadeurs furent menés, est un lieu rempli de statues antiques qui en forment les ailes. La grandeur de celles qui sont aux deux bouts n'a rien qui excède le naturel. À côté de ces ailes sont deux rangs d'arbres qui sont taillés de manière qu'ils n'offusquent point les figures, et après ces arbres on voit deux rangs de jets d'eau. Aux deux bouts de cette galerie sont deux grands bassins longs, dont les coins entrent en dedans, et les milieux des bouts avancent. Un petit bassin élevé forme une nappe d'eau dans l'un de ces bassins, et trois gros jets d'eau sont dans l'autre.

De là, ils entrèrent dans la Colonnade. La magnificence de ce lieu les étonna, quoi qu'il ne soit pas encore achevé. Il est où étaient auparavant les sources dans une clairière qui fait partie de ce bosquet. Sa disposition est un cercle parfait de 21 toises et demie de diamètre fermé de 32 colonnes d'ordre ionique de diverses marbres, de 20 pouces de grosseur sur 14 pieds de hauteur, en y comprenant leurs bases et chapiteau angulaire ou à quatre faces égales. Ces colonnes répondent à leurs pilastres qui sont aussi isolés, et distants derrière les colonnes d'environ deux diamètres et demi, et l'un et l'autre est couronné de leur entablement qui n'est qu'une corniche architravée, retournée sur chaque colonne portant sur le pilastre en plate-bande. Ces colonnes ainsi que les pilastres sont posés sur un socle de marbre un peu plus haut que sa largeur. Les colonnes sont communiquées les unes aux autres par des arcades en plein cintre ornées de leurs archivoltes avec des masques dans leurs clés qui représentent des divinités champêtres et marines, comme nymphes, naïades, dryades, hamadryades, sylvains, etc. et le tout est couronné d'une corniche continue, qui rentrant en elle-même forme un cercle parfait. Au-dessus de cette corniche est un socle où finiment orné de postes en bas-relief, et ce socle retourné au-dessus de chaque colonne porte un vase de marbre blanc sculpté et terminé par une pomme de pin.

Les tympans triangulaires entre les arcades sont ornés de douze bas-reliefs d'enfants où sont représentés les Jeux et les Amours. Derrière ces tympans il y a des adoucissements qui tombent du-dessous d'une plinthe au niveau de la corniche, et qui viennent finir sur un socle porté sur l'entablement architravé, afin d'empêcher la poussée au-dehors. Toute cette machine est posée dans une rigole ou bassin rond qui règne au pourtour, et reçoit l'eau qui retombe en nappe par 31 jets d'eau dans autant de bassins de marbre blanc, portés chacun sur un pied orné de trois consoles. L'entrée de cette pièce occupe la place du 32ème bassin qui est devant cette entrée dans une niche de treillage à la rencontre de deux allées, par lesquelles on y arrive. L'aire du milieu est sablée, et cette manière d'arène est renfermée par cinq degrés circulaires, distants du bord de la rigole d'environ 13 à 14 pieds, et cette distance forme une allée ronde aussi sablée. La construction de cet édifice est toute de marbre blanc solide sans incrustation. Le bois qui l'enferme avec le treillage qui garnit les tiges des arbres, fait un fond avantageux pour faire détacher l'architecture, et cette pièce, qui est de pure magnificence, se fait autant admirer par la propreté de son travail que par la richesse de sa matière. Cet ouvrage marque que le roi est le plus magnifique prince de la terre, et fait voir que le marbre est présentement plus commun en France qu'en Italie. Ce superbe morceau d'architecture est du dessin de M. Mansart (15).

Les ambassadeurs virent encore deux grands bassins qui sont du même côté, et ne sont point enfermés. Le premier est le bassin de Saturne, et le second celui de Bacchus. Celui de Saturne est rond. La figure qui le représente est accompagnée de plusieurs enfants qui tiennent les attributs de ce vieillard, et dont il sort plusieurs jets d'eau. Saturne tient une pierre que sa femme lui donna, en lui faisant croire qu'elle en était accouchée. Ce bassin représente l'hiver (16).

Celui de Bacchus qui marque l'automne, est de figure octogone (17). Bacchus est au milieu, accompagné de plusieurs satyres, et environné de tous ses attributs, de sorte que du tout ensemble, il sort plusieurs jets d'eau. Quatre autres satyres, mais plus éloignés, et qui sont à distance égale, l'environnent encore, chacun avec un jet d'eau.

Les ambassadeurs ne se contentèrent pas de charger leur mémoire de tout ce qu'ils purent retenir, ils firent aussi écrire plusieurs secrétaires, et comme on leur demanda ce qu'ils pensaient de tout ce qu'ils avaient vu, le premier ambassadeur fit la figure d'un homme qui voudrait prendre une poignée de sable, et à qui ce sable glissant de tous les côtés, il n'en resterait qu'un peu entre les doigts. Il dit qu'eux et les secrétaires qui écrivaient, imitaient celui qui voudrait emporter ce sable, et à qui il en resterait si peu, parce que le nombre de beautés de Versailles était si grand, qu'ils trouveraient à la fin qu'ils n'avaient presque rien écrit ni retenu. Ils prirent un si grand plaisir dans ce lieu qu'on eût de la peine à les en retirer.

Le quatrième jour qui était le dernier de ceux qu'on avait destinés pour leur faire voir seulement ce que renferme de beau le petit parc de Versailles, on les conduisit d'abord au bosquet appelé la Salle du Conseil, et auquel plusieurs donnent aussi le nom de Salle des Festins. C'est un lieu dont il est malaisé de faire comprendre la figure à moins que d'en donner le dessin (18). Cette salle est plus longue que large, le milieu est occupé par une pièce de gazon. Autour de ce gazon est un terrain sablé, aux quatre coins duquel on voit quatre bassins ronds, et qui avancent sur un fossé d'eau en environne ce lieu. Les rebords de ce fossé sont d'une figure bizarre, mais agréable, et qui comprend dans son pourtour plus de trente angles saillants, et autant de rentrants. Il y a en dehors quatre bassins vis-à-vis des quatre milieux, de sorte que ces bassins joints à ceux qui sont aux quatre angles du dedans, font que cette manière de salle en paraît entourée. Elle l'est toute de jets d'eau, car outre ceux qui sont dans ces huit bassins, le fossé d'eau en est tout rempli. Chacun de ces jets, tant des bassins que du fossé, est un groupe d'enfants dont les attitudes sont différentes, et tous ces groupes sont dorés. Les ponts-levis, par lesquels on entre dans ce lieu, se retirent sous terre par une manière de ressort, de sorte qu'on s'y peut trouver enfermé.

On mena ensuite les ambassadeurs au bassin nommé d'Encelade, qui est dans un bosquet orné d'architecture de treillage. Au milieu de ce bosquet est un grand bassin où l'on voit ce géant accablé sous les rochers qu'il avait entassés les uns sur les autres pour escalader le ciel (19). Ce qui paraît d'Encelade est quatre fois plus grand que nature. Il sort de sa bouche un jet d'eau plus gros que le bras, et haut de 24 pieds, et il en sort un nombre infini de petits d'entre les cailloux qui l'accablent. Outre ces jets d'eau, on en voit encore sortir de beaucoup plus gros de 12 monceaux de cailloux qui sont à quelque distance de l'Encelade, et qui entourent le bassin. Entre ce bassin et les berceaux de treillage, on voit encore plusieurs petits bassins de rocaille, qui sont sur un gazon en glacis, et dans chacun desquels est un petit jet d'eau.

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NOTES :

1 - Cadeau de Louis XIV à sa maîtresse, Mme de Montespan, le château de Clagny fut construit entre 1676 et 1680 sur des plans de Jules Hardouin-Mansart. Il était situé au nord-est de l'actuel château de Versailles. Il fut détruit en 1769 pour agrandir la ville. Tout près des ambassadeurs, sans qu'ils n'en sachent rien, se trouvaient des personnes de marque : Françoise-Marie de Bourbon, la seconde Mlle de Blois, fille de Louis XIV, et sa mère, Mme de Montespan. Sourches note dans ses Mémoires : La première nouvelle du mois d'octobre [1686] fut que Mlle de Blois, fille naturelle du roi, avait la petite vérole au château de Clagny, où Mme de Montespan, sa mère, alla s'enfermer avec elle. (Mémoires du marquis de Sourches, 1882, I, p. 445).

Image Vue et perspective du château de Clagny du côté du jardin. 

2 - Louis Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse (1678-1737), fils légitimé de Louis XIV et de Mme de Montespan. M. le comte est alors un enfant âgé de huit ans. 

3 - C'était la cour du vieux château de Louis XIII, sous les fenêtres de la chambre du roi. … comme Sa Majesté a eu cette piété pour la mémoire du feu roi son père de ne rien abattre de ce qu'il avait fait bâtir, tout ce que l'on y a ajouté n'empêche point qu'on ne voie l'ancien palais tel qu'il était autrefois, excepté que l'on a pavé la cour de marbre, qu'on l'a enrichie de fontaines et de figures, qu'on a orné les encoignures de volières, et les faces de balcons dorés, et qu'enfin l'on en a embelli toutes les parties, pour répondre en quelque sorte au reste des grands bâtiments qu'on y a ajoutés, et faire que la propreté et la délicatesse des ornements fît supporter ce qu'il y a de trop petit dans l'ancien bâtiment. (Félibien des Avaux, Description sommaire de Versailles ancienne et nouvelle, 1703, pp. 9-10).

Image La cour de marbre aujourd'hui. 

4 - On trouvera des renseignements sur ce personnage dans l'ouvrage de Thierry Sarmant : Les demeures du Soleil, 2003, dont nous extrayons ce paragraphe (p. 120) : Parfait inconnu, Philippe lefèvre ou Lefebvre fut un homme-clé des travaux de Versailles à l'apogée du règne. C'est sur lui que reposait le suivi des travaux. C'est avec lui que Louvois semble avoir entretenu la plus abondante correspondance. Il était pourtant une créature de Colbert, puisqu'en mai 1672 ce dernier l'établit à Versailles comme contrôleur en remplacement de Petit le père, préposé au contrôle des ouvrages de Versailles et de Saint-Germain, et lui fit donner une charge de contrôleur général des bâtiments. Lefèvre fut dès lors l'œil du contrôleur général des Finances dans le grand chantier du château, passant ses journées en inspections des différents ateliers, comptage des ouvriers, vérification des travaux et rédaction de rapports au surintendant.

ImageVersailles montré aux Siamois, détail d'un almanach de 1687. 

5 - Difficile de compter six faces à ce bassin. La description de Piganiol de la Force est plus pertinente (Description de Paris, de Versailles, de Marly […], VIII, pp. 95-96) : C'est un carré long qui peut avoir 60 toises en un sens, et 45 de l'autre, et dont les faces sont arrondies. Apollon est ici sur son char tiré par quatre coursiers, et est environné de tritons, de baleines et de dauphins, le tout de métal. L'œuvre a été réalisée par le sculpteur Giambattista Tubi, dit Jean-Baptiste Tuby (1635-1700).

Image Le bassin d'Apollon et le Grand canal au XVIIe siècle. 

6 - Plusieurs pages Internet mentionnent, parmi les pensionnaires de cette ménagerie, trois crocodiles qui auraient été offerts par le roi de Siam à Louis XIV en 1686, certains indiquent 1687. Il s'agit là d'une de ces informations erronées qui sont reprises par copier/coller et qui se colportent de sites web en sites web sans jamais être vérifiées. Aucun animal venu de Siam ne séjourna jamais à Versailles pendant cette période, malgré la volonté du roi Naraï d'offrir des éléphants à son ami le roi Soleil. Ainsi, deux éléphants furent envoyés en France avec l'ambassade de 1680 embarquée sur le Soleil d'Orient qui fit naufrage en décembre 1681 ou en janvier 1682 au large de Madagascar. Dans son article Le lion de Lopburi (Aséanie 4, 1999. p. 88) Michael Smithies émet l'hypothèse que ce naufrage ait pu être causé par les éléphants qui se seraient détachés : Il était en effet déjà arrivé que des éléphants aient percé les flancs des vaisseaux qui les transportaient du Siam aux Indes soit après s'être libérés de leurs entraves soit en étant renversés lors d'une tempête. En 1686, l'ambassade de Kosapan devait, elle aussi, emporter deux éléphanteaux, présents destinés aux deux petits-fils de Louis XIV, Louis de France, duc de Bourgogne, et Philippe de France, duc d'Anjou, âgés respectivement de quatre et trois ans. Faute de place, les pachydermes ne purent être embarqués sur les vaisseaux déjà surchargés. Enfin, le roi Naraï, qui avait décidément de la suite dans les idées, envoya à nouveau trois éléphants (le troisième petit fils de Louis XIV, Charles de France, duc de Berry, étant né entre temps) et un rhinocéros avec l'ambassade de 1687. Le père Tachard nous apprend que tous ces animaux moururent pendant le voyage, avant même d'arriver au cap de Bonne-Espérance.

Il y eut tout de même au moins un éléphant dans la ménagerie de Versailles. Il avait été offert à Louis XIV en 1668 par le roi du Portugal. Il fut disséqué en 1681 par le chirurgien et anatomiste Joseph-Guichard Du Verney (1648-1730). Le Journal des savants dans son numéro du 19 janvier 1699 (pp. 35-36) relate cette dissection : En l'année 1681, M. du Verney fit à Versailles la dissection d'un éléphant. Il avait 17 ans, et il y en avait 13 qu'il avait été donné au roi par le roi de Portugal. En ces 13 ans, il n'était cru que d'un pied, et il en avait sept et demi de hauteur, et à peu près autant de longueur. La tête était fort grosse, les yeux petits à proportion, les oreilles de trois pieds, la trompe de plus de cinq. L'extrémité était plus large que le reste, et il en sortait un doigt duquel les éléphants se servent comme d'une main, et celui-ci en défaisait le nœud d'une corde. À cette extrémité, il avait deux narines par lesquelles il respirait, attirait l'eau, coupait l'herbe et la jetait ensuite dans sa bouche. Ses défenses tenaient plus de la nature des cornes que de celle des dents. Le squelette du pachyderme fut exposé dans une galerie du Jardin royal des plantes médicinales à Paris, où les mandarins siamois eurent l'occasion de le voir.

Le Journal des savants mentionne également, ce même jour de 1681, la dissection d'un crocodile, d'origine non précisée : On disséqua au même temps et au même lieu un petit crocodile. Son estomac était rempli de quantité de pierres, et d'ailleurs était semblable à celui des oiseaux. Avant ce temps-là, l'on n'avait jamais vu en France de crocodile vivant, parce qu'ils ne vivent que dans les pays chauds, et qu'ils ne peuvent souffrir le froid. Pendant deux mois que celui-ci avait été à Versailles, il n'avait rien du tout mangé.

Image Vue et perspective de la ménagerie de Versailles du côté de la porte royale. 

7 - Une étrange histoire est attachée à ce cabinet, qui aurait été fermé en 1674, suite à un prétendu complot du cardinal de Retz contre Louis XIV, dévoilé par Antoine Blache, un prêtre janséniste. Même s'il s'agit vraisemblablement d'une pure affabulation, cette révélation s'inscrit dans le climat un peu hystérique qui régnait alors dans le royaume, secoué par les affaires et les rumeurs d'empoisonnement, et les procès retentissants d'empoisonneuses réelles ou supposées, la Brinvilliers, la Voisin, Marguerite Joly, Marie Bosse, etc. Selon Blache, le cardinal de Retz, qui avait déjà fait empoisonner Mazarin avec la complicité de la marquise d'Asserac et d'un certain d'Acqueville, projetait d'assassiner également Louis XIV et le Dauphin avec un poison olfactif, si tant est qu'une odeur puisse tuer. Il s'agissait d'offrir au roi, qui aimait beaucoup les parfums, une fragrance mortelle, l'élixir d'hérédité du signor Pietro. Informé du complot, Blache aurait écrit à la marquise d'Asserac, âme damnée du cardinal, pour l'informer que tout était découvert et qu'il fallait renoncer à ce régicide, avec copie de la lettre à Le Tellier, ministre de la guerre. Mme la duchesse d'Aiguillon jugea que M. Le Tellier, voyant par ma lettre écrite à la marquise que le complot était découvert, se contenterait de prendre des sûretés sur ce que j'avais marqué que le poison devait être présenté par des odeurs. Ce jugement se trouva si juste, que peu de jours après on entendit dire qu'on avait renversé le cabinet des parfums que le roi avait à Versailles, proche l'appartement de Mme de Montespan, M. Le Tellier ayant apparemment fait insinuer au roi par ses médecins que les odeurs étaient contraires à sa santé. Tout ceci arriva vers la fin de l'année 1674. La peur des suites de la découverte du complot fit disparaître les auteurs pour quelque temps. Le cardinal quitta l'abbaye de Saint-Michel et alla, dit-on, à Commercy pour être plus prêt à sortir du royaume. La marquise sortit du couvent, feignant d'aller à Montreuil où elle avait loué une maison il y avait longtemps, et alla je ne sais où. D'Acqueville disparut, je ne sais comme, jusqu'à ce qu'ils apprirent qu'on ne parlait de rien chez les ministres. (Mémoires de Blache in: Revue rétrospective, ou bibliothèque historique, 1833, p. 41). Quoi qu'il en soit, le cabinet était bel et bien ouvert en 1686, et ses fragrances flattèrent agréablement les narines des ambassadeurs siamois. 

8 - Ce groupe se trouve aujourd'hui dans la demi-lune arborée de l'arrière-plan du Bassin de Neptune.

Image La Renommée du roi, de Domenico Guidi. 

9 - Alessandro Algardi, dit l'Algarde (1595 ou 1598-1654), sculpteur, décorateur et architecte. 

10 - Jean-Baptiste de La Quintinie, (1626-1688). Avocat, jardinier et agronome. C'est lui qui créa le potager du château de Versailles. 

11 - Le jardin des Suisses, qui mesure 682 mètres sur 234, occupe une superficie de 13 hectares. La superficie actuelle du jardin des Tuileries, qui doit être sensiblement celle qu'il avait après son réaménagement par Le Nôtre en 1664, est de 25,5 hectares. 

12 - La copie en bronze de la Diane d'Éphèse, dite Diane de Versailles, avait été réalisée par le sculpteur et fondeur suisse Hans Johann Balthazar Keller vom Steinbock, dit Jean-Balthazar Keller (1638-1702). Elle se trouve à présent au centre du bassin du Jardin de Diane au château de Fontainebleau. L'original en marbre a été placé au musée du Louvre en 1798, mais une copie a été replacée dans la galerie des Glaces lors de la restauration de 2004-2007.

Image La Diane de Versailles dans le parc du château de Fontainebleau. 

13 - Dans son ouvrage publié en 1677 Le labyrinthe de Versailles illustré par des gravures de Sébastien Leclerc, Charles Perrault mentionne 39 fontaines, agrémentant 39 fables d'Ésope illustrées chacune par un quatrain de Isaac de Benserade. Ce labyrinthe fut détruit en 1775.

Image Plan du labyrinthe du château de Versailles.
Image Le lièvre et la tortue dans le labyrinthe de Versailles. 

14 - Étienne le Hongre, sculpteur, (1628-1690). L'Inventaire général des Musées royaux de 1824 recense ces quatre vases de plomb de 108 cm de hauteur sous les noms : Nymphes dansant, Bacchanale d’enfants, Triomphe de Neptune et d’Amphitrite, Triomphe marin d’enfants. (Source : Alexandre Maral, L'«Estat présant des figures » (1686) première description des sculptures des jardins de Versailles [...], 2012, p. 101). 

15 - Le groupe L'enlèvement de Proserpine sculpté par François Girardon qu'on peut voir aujourd'hui au centre de la Colonnade ne fut apporté à Versailles qu'en 1696 et installé d'abord au bout de l'Allée royale. Toutefois, en 1701, il avait bien été déplacé dans la Colonnade, ainsi qu'en atteste Piganiol de la Force dans sa Nouvelle description des châteaux et parcs de Versailles et de Marly (p. 296-297).

Image Le bosque de la Colonnade à Versailles. Gravure de J.-B. Scotin, 1715.

La Colonnade dans un des bosquets des jardins de Versailles, est un péristyle de figure circulaire de 20 toises et demie de diamètre, fermé par 32 colonnes de marbre de différentes couleurs, entre lesquelles sont 31 bassins de marbre blanc, d'où s'élève un jet d'eau de chacun, qui monte 16 pieds de haut. Au milieu de cette colonnade est un groupe de marbre blanc sur un beau piédestal, représentant Pluton qui enlève Proserpine, fait par Girardon. 

16 - Ce groupe en plomb doré a été sculpté par François Girardon (1628-1715). 

17 - Ce groupe en plomb doré est l'œuvre des frères Marsy, Gaspard (1624-1681) et Balthazar (1628-1674). 

18 - Effectivement, un petit dessin valant mieux qu'un long discours, nous reproduisons l'illustration figurant dans la Description du château de Versailles d'André Félibien, publiée en 1694.

Image La Salle des Festins. 

19 - Ce groupe a été sculpté par Gaspard Marsy.

ImageEncelade écrasé sous les rochers, par Gaspard Marsy. 
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16 février 2019