Liste des présents envoyés à Siam.
Mercure Galant d'avril 1687, pp. 185-217.
J'ai poussé trop loin tout ce qui regarde l'ambassade de Siam en France pour ne pas achever en vous apprenant ce qu'il y a longtemps que vous désirez savoir, et dont il m'a été impossible d'être plutôt informé de la manière que je le souhaitais. On peut dire que c'est la seule chose qui manquait au journal de cette ambassade, après les quatre lettres que je vous ai écrites là-dessus, et ce que je vous ai appris dans ma dernière, touchant ce qui s'est passé à Brest avant l'embarquement des ambassadeurs, et dans le temps qu'ils se sont embarqués. Je vous envoie donc cette liste des présents si désirée, et dont la richesse marque la grandeur du roi. Il y a beaucoup de choses parmi le grand nombre d'articles que vous allez voir, qui sont pour la princesse reine.
- 150 pièces de drap de toutes sortes de couleurs, des plus fins et des plus beaux qui se soient trouvés en Europe.
- 80 pièces de draps d'or et de brocarts d'or de différents dessins, d'une grande richesse et d'un grand prix.
- 100 fusils qui tirent chacun six coups. Ils sont d'un travail très singulier. Il y en a beaucoup dont les ornements sont d'or, les autres sont enrichis d'argent, et la plupart ont été faits par M. Piraube (1) .
- 20 paires de pistolets, dont plusieurs tirent aussi six coups, qui sont autant de chef-d'œuvres de l'art et de la magnificence, ainsi qu'un très grand nombre d'autres armes à feu. Il y a aussi des cuirasses et d'autres ornements de guerre d'un très beau travail, et d'une très grande beauté, tant à cause des divers ouvrages de ciselure que de la nouvelle manière qu'on a trouvée d'y appliquer l'or et l'argent. Le tout est garni d'une infinité de pierreries, de sorte que le travail et la richesse les rendent d'un fort grand prix.
- 12 vestes ou chemises à l'usage des Siamois, pour la princesse reine. La plupart sont de point de France et toutes d'une pièce. On met des étoffes d'or ou de couleur dessous, ce qui en fait paraître le dessin. Les ouvrages dont je vous parle sont d'une beauté et d'une délicatesse si surprenante qu'on n'a jamais rien vu en Europe de ce travail qui en ait approché.
- 12 mouchoirs du même ouvrage, mais dont les dessins sont différents.
- Douze pendules faites par M. Thuret (2), entre lesquelles il y en a trois d'or, ciselées de bas-reliefs d'un très beau travail. Elles montrent le mouvement annuel et le diurne, la longueur des jours et des nuits pendant toute l'année, le lever et le coucher du soleil pour l'horizon de Siam, l'âge de la lune et la manière de compter les mois à la siamoise par lunaison, ayant deux lunes, dont l'une marque 30 jours et l'autre 29, et ainsi successivement.
- 4 montres d'or, ou pendules émaillées de couleurs différentes.
- Deux horloges sonnantes dont les boîtes sont enrichies de très beau bas-reliefs. Elles sont émaillées de diverses couleurs, et montrent l'âge de la lune, et la manière de compter les mois à la siamoise.
- 36 montres d'or, de diverses manières, enrichies de pierreries, avec leurs boîtes garnies de diamants et de clous d'or.
- Deux globes faits par Balthazar Martinot, horlogeur de la défunte reine mère du roi (3) . L'un est céleste, et représente le mouvement du firmament, où sont attachées les étoiles fixes de plusieurs grandeurs, posées selon leur longitude et latitude. Ces étoiles sont d'or, et de relief, et sont appliquées sur le globe qui est d'argent gravé. On y voit les constellations célestes par figures exactement posées. Le mouvement des globes est de tourner sur ses deux pôles arctique et antarctique. Le zodiaque est placé sur la ligne écliptique en la manière ordinaire sur laquelle ligne le soleil fait son tour en un an, et ainsi il fait son ascension oblique d'un tropique en un autre tropique. Il fait connaître son lever et son coucher par toute la terre par le moyen d'un cercle déclinant et mobile qui se met selon la hauteur des climats et des lieux où l'on s'en veut servir. Le soleil et la lune sont emportés en 24 heures avec le premier mobile au firmament, lequel fait son cours en 366 jours, et par conséquent les étoiles fixes ont leur mouvement ordinaire, et l'on y voit leur lever et coucher sur l'horizon comme les autres planètes. La lune a son mouvement naturel qui rétrograde et se renouvelle tous les 29 jours ½, ce qui fait connaître ses aspects au soleil et ses situations dans chaque degré des signes par chaque jour et chaque heure. Ce globe est suspendu en l'air par le pôle arctique. Il chemine par sa pesanteur, et remonte en poussant la main par-dessous. Son premier méridien est fixe, et les heures sont posées fixes au droit de la ligne équinoxiale sur un cercle horizontal, coupé de deux cercles verticaux, angle droit et d'un cercle oblique déclinant, qui sert à connaître le passage des astres vers l'horizon. L'horloge qui est dedans peut souffrir telle agitation qu'on voudra, et aller sur la mer. Elle marque les minutes, qui peuvent être utiles pour la navigation et pour connaître les longitudes et les latitudes. Le globe terrestre est d'argent sur un pied très propre où sont gravées en langue siamoise les principales parties du monde, et la division géographique fort exacte. Il y a dedans une pendule sonnante qui vit huit jours et qui fait mouvoir par l'endroit de la ligne équinoxiale un zodiaque placé en écliptique, qui est emporté en 24 heures. On y voit deux cercles d'argent. L'un porte les douze signes, et l'autre les douze mois à la manière siamoise. Le soleil est entre eux et fait son cours naturel, parcourant tous les degrés des signes de degré en degré, et faisant connaître les parties de la terre qui sont éclairées selon les saisons. À l'un des pôles, qui est l'Antarctique, est un cadran d'horloge qui marque encore les minutes, les heures, les jours, les mois et les lunes, de sorte que les mêmes motions se trouvent. Ce globe s'arrête comme le céleste, mais les manières de mettre en pratique sont fort différentes. C'est un travail de spéculation particulière, auquel M. Martinot s'est fort appliqué, et il a outre ces deux globes trois fort belles pendules avec les heures en siamois, et plusieurs fort belles montres faites par le même.
- Un sabre garni de fort beaux diamants, de grosses émeraudes et de très beaux rubis.
- Un sabre dont la poignée est d'or massif et garnie aussi bien que le fourreau de turquoises de la Vieille roche, et de plus de 90 pierres d'une grosseur surprenante.
- Un autre sabre dont la poignée est aussi d'or massif, sur laquelle sont enchâssées douze grosses émeraudes, divers gros diamants et beaucoup d'autres pierreries.
- Cinq miroirs de cristal de roche, dont les bordures sont très artistement travaillées, et garnies de pierreries.
- Plusieurs autres miroirs, quantité de boîtes d'or, et beaucoup de poignards dont les poignées sont d'or massif et d'or de rapport, faits par M. Bains, fort estimé pour ces sortes d'ouvrages.
- 4 cabinets, 4 écritoires d'or massif et de filigrane d'or, servant de toilettes, avec toutes les garnitures, qui consistent en un très grand nombre de petites boîtes d'or d'un très beau travail, enrichies de diamants et de diverses autres pierreries.
- 12 tasses à prendre du thé et du café, et d'autres liqueurs, faites à l'usage des Siamois, toutes d'or. Elles sont émaillées de plusieurs couleurs, et garnies de pierreries, avec leurs boîtes de filigrane d'or et de vermeil doré et d'une très belle ciselure.
- Une couronne d'or garnie de gros diamants, et de gros rubis diamants et de gros rubis d'Orient, avec un tour de fort grosses perles. Cette couronne est d'un travail très beau et très délicat, et les pierreries en sont parfaites.
- Plusieurs petits cabinets d'ambre, avec des bas-reliefs très délicatement travaillés, et des figures de même matière qui en font le couronnement.
- 2 miroirs à bordure d'ambre avec des glaces des plus grandes qui se puissent faire. On ne peut rien ajouter à la beauté des bordures, qui sont très larges. On y voit une infinité de bas-reliefs, et de figures différentes, aussi bien que divers ornements convenant à l'ambre sur lesquels ils sont ciselées, car il y en a de diverses sortes. C'est le travail de plusieurs années.
- 12 grands lustres de cristal de roche.
- 12 girandoles du même cristal, et fort hautes.
- 12 tapis faits à la manufacture de Chaillot appelée Savonnerie. Ils sont à fonds d'or d'un très beau dessin, et fort grands.
- 4 tentures de tapisserie à fond d'or de la manufacture royale des Gobelins. Elles représentent les maisons royales et plusieurs histoires.
- 48 cartes d'une invention très rare, toutes dotées et enrichies d'ornements extraordinaires par les plus habiles ouvriers du royaume.
- Une très grande quantité d'instruments de mathématique pour la navigation, pour les eaux et pour tout ce qui concerne cette science, les uns d'or, les autres d'argent, et les autres de cuivre doré. Tous ces instruments sont très bien travaillés.
- Quantité de compas de proportion.
- Plusieurs selles, housses et fourreaux de pistolet, les unes brodées d'or et les autres d'or et d'argent.
- Plusieurs brides et autres harnais garnis de pierreries.
- Une housse de cheval et une housse d'éléphant d'une très belle broderie, dont une partie du dessin est formé par un très grand nombre de pierreries.
- Plusieurs justaucorps, vestes, casaquins et baudriers à la façon des Siamois, tous délicatement brodés et semés de perles.
- Plusieurs miroirs ardents d'une construction nouvelle, et qui bien qu'ils n'aient qu'un pied de diamètre, font autant d'effet et ont autant d'activité que tous ceux qu'on a vus jusqu'à présent.
On peut aisément distinguer parmi ces articles les choses qui conviennent à la princesse reine, comme des chemises de point, des montres, des pendules, des miroirs, des écritoires, des cassettes, des cabinets et généralement tout ce qui regarde les toilettes, soit pour l'usage, soit pour l'ornement.
Comme M. Constance est catholique, il y a une très belle chapelle pour lui avec quantité d'autres présents qui lui conviennent. Il y a aussi un habit du roi pour le même M. Constance, accompagné de tout ce qui regarde le reste de l'habillement. Il avait témoigné aux ambassadeurs avant leur départ qu'il souhaitait avec passion avoir un des habits de ce prince. Tous ces présents sont accompagnés de plusieurs autres, au nom de Mgr le Dauphin et de Mme la Dauphine.
Je vous ai marqué la manière galante dont Monsieur a fait des présents quelque temps avant le départ des ambassadeurs. Un jeune prince qui n'est pas moins estimé par son esprit que par la grandeur de sa naissance, a fait aussi un présent très considérable au roi de Siam. C'est un grand livre où toutes les conquêtes du roi, depuis le commencement de son règne, sont peintes sur du vélin, et vis-à-vis de chaque tableau, qui représente ou la prise d'une place, ou le gain d'une bataille, ou quelque action éclatante et guerrière, l'histoire de ce tableau est écrite et toute renfermée dans la page. Il y a une autre page blanche qu'on a laissée pour y mettre la traduction que l'on doit en faire en siamois.
Présents de Sa Majesté aux ambassadeurs.
- Plusieurs portraits du roi, d'or émaillé, et garnis de diamants.
- Plusieurs chaînes d'or avec la médaille de Sa Majesté.
- 6 lustres de cristal de roche à chacun des trois ambassadeurs.
- Plusieurs pièce de drap fin de diverses couleurs.
- Plusieurs pièces de draps d'or et de brocarts d'or.
- Plusieurs fusils, pistolets, et autres armes, très riches et très curieuses. Une infinité d'autres présents à leur usage, comme des sabres et des poignards garnis d'or.
- Des tasses d'or à prendre du thé et du café.
- Des cartes, des compas, et des machines de toute sortes, pour les cieux, pour la navigation, pour les fortifications, et pour divers autres arts.
- 3 cabinets de cristal de roche taillé à facettes, un peu plus grands que des cassettes ordinaires, mais beaucoup plus élevés. Ils sont entourés de colonnes de vermeil doré de divers ordres d'architecture, et de plusieurs autres ornements. Les dedans sont d'une très belle gravure, parce que la ciselure y aurait incommodé. Ces cabinets, quoique carrés, ont des couvercles élevés qui les font paraître à demi en dômes, et ne s'ouvrent que par le dessus.
- Plusieurs tables de marbre de diverses couleurs, et de diverses manières.
M. de Croissy et de Seignelay ont aussi envoyé de très beaux présent à M. Constance, qui leur en avait envoyé de Siam. Parmi ceux qui sont partis, il y a des miroirs d'une grandeur et d'une beauté surprenante, plusieurs vases, buiresCruche en terre ou en métal, à large panse et de grande capacité, utilisée autrefois pour l'eau, l'huile, le lait, etc. Par extension : Vase à bec évasé et à anse, en métal, verre ou pierre dure (agate, albâtre, onyx, etc.) destiné autrefois à contenir des boissons, quelquefois des parfums, et devenu objet de décoration., bassins et bocaux de vermeil doré, dont la ciselure est très belle. Il y a aussi plusieurs ouvrages des manufactures de France, et de tout ce qui s'y fait de plus rare et de plus beau.
Présents des jésuites au roi de Siam.
- 2 grandes machines, l'une pour les planètes, et l'autre pour les éclipses. J'en ai donné la description, et celle des leurs effets dans ma lettre de Siam où je parle de l'Observatoire. On a ajouté à cette machine un mouvement d'horloge qui donne de soi-même tous les jours la situation des planètes dans le ciel, et ne laisse pas de faire connaître le passé et l'avenir, par l'état présent des planètes dans le ciel, comme on faisait aux machines qui ont précédé celle-ci.
- Un globe suspendu allant par son propre poids.
- 2 très belles horloges allant sur un plan incliné.
- 4 grandes pendules, façonnées comme celles de l'Observatoire.
- 4 autres portatives.
- Un mouvement qu'on nomme parallactique, pour servir à observer avec de grands verres sans tuyaux et plusieurs autres instruments de mathématique et d'astrologie.
- Des montres qui peuvent se remonter sans qu'on s'en aperçoive et sans qu'on sache qu'on les remonte, et qui se trouvent remontées pourvu qu'on les ouvre seulement une fois le jour pour voir l'heure. Quand on les ouvre plus souvent, on ne les remonte qu'à proportion du temps qu'on a été sans les ouvrir.
Tous ces ouvrages ont été faits par M. Thuret, dont le génie est admirable pour ces sortes de choses, et qui n'est pas moins connu et estimé chez les étrangers qu'il l'est en France. Ils feront connaître aux peuples d'Orient que les beaux-arts fleurissent beaucoup plus en ce royaume qu'à la Chine et au Japon, et les Indiens, qui croient surpasser en richesse tous les peuples de la terre, verront par les présents du roi, sortis de la seule Cour de France, que les Indes n'en fournissent pas autant à toutes les autres nations pendant des siècles entiers. La plupart de tous ces ouvrages ont été vus chez M. Alvarez (4) qui a conduit particulièrement ceux qui sont enrichis de pierreries, dont il a fourni un fort grand nombre. Son activité a fait voir son zèle. Il a tout fait mettre dans des caisses de plomb, scellées avec d'autre plomb, de sorte que tout ce que ces caisses renferme est impénétrable à l'air de la mer (5).
NOTES :
1 - Bertrand Piraube (1635-1725), armurier ordinaire du Roi, demeurant aux Galeries du Louvre. ⇑
2 - Isaac Thuret (1630-1706), horloger du roi, était chargé de l'entretien des machines de l'Académie des sciences. En 1675, pour satisfaire une commande de Christiaan Huygens, Isaac Thuret exécuta la première montre à ressort spiral réglant, autrement appelée montre marine capable de mesurer des longitudes à bord d’un bateau. (Source Widipédia). ⇑
3 - Balthazar Martinot, dit l'Aîné, (1636-1714), écuyer, valet de chambre-horloger ordinaire de la reine mère Anne d'Autriche en 1665, puis horloger ordinaire du roi, était considéré de son temps comme l'un des plus fameux horlogers de toute l'Europe. (Source Wikipédia). ⇑
4 - Louis Alvarez, qui se titrait baron de Coursan, était un très riche banquier, traitant et fournisseur, qui avait eu les charges de joaillier du roi et de trésorier des Cent-Suisses. (A. M. de Boislile : Mémoires des intendants sur l'état des généralités dressés [sic] pour l'instruction du duc de Bourgogne, 1881, note 9 p. 245). ⇑
5 - Malgré tous les soins, la plupart des présents arrivèrent en mauvais état à Brest, puis au Siam, comme le relate le père Tachard dans son Second voyage de Siam […] (1689, pp. 9-10) : … les ballots furent très longtemps à venir. Il vinrent enfin, les uns par mer, les autres par terre par des rouliers. Les derniers furent les plus tôt venus, mais soit qu'ils fussent mal emballés, soit que les charrettes eussent versé, soit qu'on ne les eût pas choyés en les déchargeant, ils arrivèrent en si mauvais état qu'il n'y avait presque rien d'entier ; surtout les miroirs, les pendules, les ouvrages d'ambre et de corail furent extrêmement endommagés. Ceux qui vinrent par mer ne furent pas exempts d'accidents. On trouva en les déballant à Siam beaucoup de glaces brisées en morceaux, des pièces d'étoffe et des tapisseries toutes gâtées, en quoi Messieurs de la Compagnie perdirent près de quarante mille livres. ⇑
16 février 2019