Troisième cahier. 1ère partie. Septembre 1694 à janvier 1696. Madagascar. Mohéli. Goa. Les reliques de François Xavier. Surate.
[1 - 174r°] Nous éprouvâmes dans l'occasion que je vais dire qu'on ne saurait trop se précautionner contre l'incertitude des courants et la position des terres. Nous faisions notre route avec un petit vent assez favorable lorsque le 6 septembre à 15° 32' de latitude sud au lever du soleil, nous découvrîmes la terre ferme d'Afrique dont nous croyions être fort éloignés par le chemin que nos pilotes croyaient avoir fait ; mais la force des courants qui règnent sur la côte de Sofala (1) nous avait jetés sur ces terres avec beaucoup de péril. En effet, cette côte nous parut fort basse et pleine de brisants, et malgré les efforts que nous fîmes pour nous mettre au large, la mer nous rejetait vers la terre avec précipitation, de sorte que nous eussions été obligés le lendemain de mouiller si le vent ne fût devenu plus fort et plus favorable pour refouler ces violentes marées. Ce contretemps nous parut d'autant plus fâcheux que les gens des équipages tombaient malades chaque jour, et que les malades mouraient en grand nombre. La mort de l'aumônier, du chirurgien major et de quelques officiers mariniers de la Zélande affligèrent beaucoup tout le monde et faisaient encore plus craindre pour l'avenir à cause de l'arrière-saison.
Nos craintes se dissipèrent à la vue de l'île de Mohéli (2) que nous aperçûmes le 11 du même mois [septembre 1695]. L'espérance d'être à terre, d'y trouver de l'eau à discrétion et des rafraîchissements consolèrent extrêmement toute l'escadre. On força de voiles pour attraper le mouillage et nous nous y rendîmes le même jour sur les [2 - 174v°] trois heures du soir. Le Florissant, qui nous avait quittés avant la reconnaissance du cap de Bonne-Espérance, y était mouillé depuis quatre jours. Il est bon de remarquer ici que les îles de Mohéli et d'Anjouan sont assurément plus occidentales qu'elles ne sont marquées sur les cartes ordinaires. La situation qu'on leur donne entre elles n'est pas juste, comme on le pourra voir dans la carte particulière de ces îles que j'ajoute ici, corrigée sur l'estime de nos pilotes et sur nos observations (3).
L'île de Mohéli est considérable par bien des endroits, par sa situation, par l'abondance de vivres qu'on y trouve et par son port. Sa figure est assez irrégulière, elle est d'une grandeur raisonnable, on lui donne ordinairement 30 lieues de circuit. La vue en paraît agréable quand on la considère du milieu de la rade, parce qu'elle paraît couverte de bois de haute futaie qu'on y trouve toujours verts, et son terrain inégal étant entrecoupé de petites montagnes ne laisse pas d'être extrêmement fertile en fruits, en bétail et en gibier. Quand on l'aborde en venant de Madagascar, on la trouve environnée de plusieurs petites îles qui forment une rade très belle et très sûre et qu'on pourrait même appeler un bon port, où l'on entre par trois passes différentes. Ce lieu serait admirable si le mouillage était moins profond, car les vaisseaux médiocres ne peuvent guère mouiller qu'à 4-5 brasses de fond à une lieue de terre, mais fort près de plusieurs brisants qu'on ne découvre que dans les basses marées et qui s'étendent près d'une demi-lieue au large. Cette île a encore cet avantage que dans la nécessité, on y pourrait caréner un vaisseau à une petite anse que l'on trouve [3 - 175r°] au-delà de la barre, comme le plan exact que j'ajoute du port et du mouillage le fera aisément comprendre.
M. de Serquigny avait donné le rendez-vous à tous les vaisseaux de l'escadre en cas de séparation à l'île d'Anjouan (4), où comme disent les naturels du pays, Anguan ; on devait s'y attendre les uns les autres en faisant de l'eau et du bois. Cependant, M. de Serquigny se voyant à Mohéli avec un équipage presque tout malade, prit le parti d'y rester quelques jours pour s'y rafraîchir, et d'envoyer le Florissant au Médemblick. Nous avions quitté ce dernier vaisseau deux jours auparavant, parce qu'il était méchant voilier et nous avions pris les devants pour nous fournir des choses les plus nécessaires qui nous manquaient.
On apprit des gens de Mohéli qu'un navire forban, où il y avait plusieurs Français, avait malheureusement péri dans cette rade depuis quatre ou cinq mois (5). Comme chacun est le maître dans ces sortes de vaisseaux, le capitaine ayant fait appareiller contre le sentiment du pilote et du maître, quand l'ancre eut quitté le fond, au lieu d'éventer les voiles et de se mettre au large, ces officiers prirent querelle les uns contre les autres. Ils disputaient encore si cette manœuvre était faite à propos lorsque le vaisseau porté par le courant sur les brisants heurta rudement et demeura échoué. Quelques grands efforts et quelque diligence qu'on pût faire dans cette occasion où tout le monde s'accorda pour se tirer d'affaire, il fut impossible de sauver le navire. Chacun prit ce qu'il y avait de meilleur, et on eut le temps de sauver à terre quelques poudres, des armes et du riz. Quelques jours après ce malheur, trois navires anglais [4 - 175v°] passèrent à Mohéli . Ils firent même semblant d'attaquer les flibustiers dans le retranchement qu'ils avaient fait sur la pointe de l'île pour partager entre eux les sommes considérables qu'ils avaient mis à terre selon le rapport des habitants, mais ayant appris que ce petit nombre de Français attendaient leurs ennemis de pied ferme et qu'ils les invitaient même de les aller visiter, les Anglais se contentèrent de mettre le feu au vaisseau échoué et firent dire à leurs ennemis en se retirant que le roi de Mohéli ne leur avait pas voulu permettre de les aller attaquer. Ce prétexte était bon, et il eût été à souhaiter pour bien des raisons que le vaisseau anglais qui fut à Anjouan eût eu la même déférence pour le roi de cette île à l'occasion des 6 ou 7 Français échappés du naufrage. Ils étaient allés à Anjouan chercher quelque navire qui les pût prendre pour les ramener en Europe, et ce vaisseau anglais leur avait promis cette grâce (6). Ces flibustiers étaient déjà descendus de la montagne pour s'embarquer sur la parole donnée, lorsqu'on les fit saisir et conduire au vaisseau où ils furent tenus aux fers jusqu'à Surate et remis entre les mains des Maures.
Il y a certains droits d'humanité qu'on ne doit jamais violer à l'égard des plus grands ennemis. Le gouverneur de Surate, par ordre du grand Moghol, avait fait remettre en prison les chefs du comptoir que la Compagnie d'Angleterre entretient dans cette ville, parce que les Maures prétendaient que ce directeur s'entendait avec les forbans anglais qui avaient pillé au retour de la Mecque et de Perse plusieurs vaisseaux richement chargés et appartenant aux marchands [5 - 176r°] de Surate et au Moghol. D'ailleurs, il ne faut pas beaucoup de vraisemblance aux infidèles quand ils sont les plus forts pour susciter une avanie aux Européens. Voici la principale occasion que les Maures prirent de maltraiter si indignement les Anglais avec leur chef à Surate.
Un riche marchand des Indes attendait au Bander Abassi (7) une occasion favorable de faire voile pour Surate avec un vaisseau où il y avait beaucoup d'argent et bien des marchandises de prix, lorsqu'un petit bâtiment anglais y arriva. Le capitaine ayant appris par le marchand même le dessein qu'il avait de partir, lui donna des lettres pour le chef des Anglais à Surate, qu'il lui recommanda très expressément de rendre en main propre, parce qu'elles étaient de grand importance. Le marchand indien, après lui avoir promis de s'acquitter fidèlement de cette commission, se disant ami particulier du chef de ce comptoir anglais, mit à la voile peu de temps après avoir pris cette commission. Mais à peine ce Maure était-il hors de la vue du Bander Abassi, que le capitaine anglais ayant remarqué que l'aire de vent que le navire marchand tenait pour faire sa route lève l'ancre sur le soir et se met à le suivre. Les navires anglais sont ordinairement fins de voiles, et ceux des Maures sont fort pesants. Ainsi, l'Anglais eut bientôt atteint l'autre, il l'attaque , il le fait aborder et le pille sans ménagement. Le capitaine fait venir le marchand et lui redemande les lettres, mais celui-ci répondit avec serment que dès [6 - 176v°] qu'il avait vu le vaisseau venir à lui, il l'avait pris pour un forban sans le connaître autrement, que dans ce premier embarras il avait jeté tous les papiers aussi bien que les lettres dont on l'avait chargé. L'Anglais se contenta de cette déposition et le laissa faire sa route, mais celui-ci, dès qu'il fut arrivé à Surate, mit les lettres du capitaine anglais entre les mains du gouverneur, et lui porta ses plaintes avec celles de son équipage qu'on avait volé impitoyablement et maltraité avec beaucoup de violence. On fait expliquer les lettres en présence des Anglais et de leur chef, il n'y avait rien de plus convaincant en apparence et de plus exprès que le contenu de ces lettres. Le capitaine forban rendait compte au chef du comptoir de plusieurs marchandises vendues en divers endroits des Indes et de Perse, et de quelques prises qu'il avait faites sur les Moghols. Mais le chef protesta que ce capitaine anglais était son ennemi déclaré, et qu'il lui avait joué ce tour plein de perfidie pour le perdre auprès des Maures. En effet, il y avait bien de l'apparence qu'on accuserait à tort le président, par beaucoup d'autres raisons que les Anglais alléguèrent dans leur justification. Cependant, le gouverneur, bien loin d'y avoir égard, trouvant son compte à s'assurer de ces Européens, ordonna qu'on les mît aux fers dans leur propre loge. On y établit dans la cour et dans les salles un corps de garde fort nombreux au dépens des accusés, qu'on rendit responsables de toutes les pertes que les pirates avaient causées aux marchands du pays.
[7 - 177r°] Le procédé du gouverneur de Surate et le pitoyable état du chef du comptoir et de ses commis ayant été su en Angleterre, on fit partir de Londres quelques vaisseaux, soit pour se saisir des forbans, soit pour délivrer les prisonniers à quelque prix que ce fût. Un de ces bâtiments ayant surpris à Anjouan, comme nous avons déjà dit, 6 ou 7 Français, les menèrent à Surate où ils les livrèrent au gouverneur comme les seuls auteurs, ou du moins comme les complices de tous les pillages qu'on avait faits dans les mers des Indes. Le gouverneur fit venir les marchands et les matelots de divers vaisseaux qu'on avait pris, pour leur faire reconnaître les prisonniers, mais tous protestèrent que ce n'était pas les Français qui les avaient volés, qu'ils ne se pouvaient plaindre que des Anglais, qu'enfin ils n'avaient jamais vu les Européens qu'on leur présentait. Ainsi, malgré toutes les précautions de nos ennemis, ces pauvres Français furent justifiés par les Maures, et ils se sauvèrent quelque temps après des mains des Anglais par adresse.
Nous demeurâmes à l'île de Mohéli environ dix jours, où nos malades avaient peine à se remettre, quoiqu'ils eussent des rafraîchissements à souhait, car outre les bœufs, les cabris et les poules, les chasseurs trouvaient dans le bois beaucoup de pintades, des ramiers et des tourterelles. On apportait encore des oranges aigres, des citrons, des [8 - 177v°] giraumons (8), des bananes, des cocos, des tamarins et quelques autres fruits des Indes qui sont autant de remèdes souverains contre le scorbut. On leva l'ancre le 22 septembre et nous allâmes mouiller le lendemain à Anjouan avec le Lonray parce que le Faucon et le Pontchartrain ne purent se mettre à la voile en même temps que nous, et ce retardement fit perdre le voyage au dernier vaisseau, car quelque diligence et quelque précaution que put prendre M. Desmonts, capitaine des vaisseaux de la Royale Compagnie et fort entendu dans son métier, il lui fut impossible de gagner le mouillage d'Anjouan. Il parut à la pointe occidentale de l'île, mais comme le vaisseau gouvernait mal et était mauvais voilier, les courants l'emportèrent vers le sud de l'île et l'empêchèrent absolument de nous rejoindre de toute la campagne. Ce ne fut pourtant pas la faute du capitaine ni des officiers du vaisseau, car il était aussi tôt appareillé que nous, mais se trouvant mouillé près d'un brisant où la marée le portait sans pouvoir se mettre au large, il fut obligé de laisser tomber son ancre et d'attendre le lendemain un temps plus favorable.
Le Médemblick et le Florissant nous attendaient à la rade d'Anjouan où nous demeurâmes 12 jours entiers, persuadés que nos malades se rétabliraient plus facilement. D'ailleurs, il est encore plus aisé d'avoir des [9 - 178r°] vivres et d'y faire de l'eau parce qu'on est mouillé fort proche de la terre. Cette île n'est pas si grande que Mohéli, mais elle est plus habitée. La rade est fort commode, comme on le peut voir par le plan que je joins ici avec quelques remarques utiles aux navigateurs.
Quand on fit embarquer nos malades pour partir, nous fûmes surpris de les trouver plus mal qu'à notre arrivée. Beaucoup de nos matelots, et même de nos officiers, revinrent de terre avec un violent mal de tête accompagné de fièvre et de vomissements. On ne peut attribuer cet accident qu'au serein (9) et aux brumes qui étaient fort épaisses à terre durant la nuit, d'où vient que les personnes qui n'avaient point découché du vaisseau ne sentirent aucune de ces incommodités.
Après avoir attendu inutilement le Pontchartrain, on résolut dans le Conseil de mettre à la voile le 4 octobre à 8 heures du matin, ne pouvant différer davantage sans s'exposer à perdre la saison qui n'était déjà que trop avancée. À peine eut-on quitté la vue des îles que nos malades commencèrent à mourir avec de très grands symptômes de venin et de peste, car cinq jours après, nous comptions dans notre seul vaisseau 120 hommes attaqués d'une fièvre très dangereuse, et comme j'étais seul prêtre dans le bord depuis la mort de l'aumônier, [10 - 178v°] et qu'il nous mourait 5 ou 6 hommes chaque jour, M. de Serquigny m'obligea de faire venir un de nos pères qui était sur le Médemblick pour partager les fatigues de la nuit et du jour. Ce fut le père Mandaist (10) qui s'offrit de bon cœur et il fut par son assiduité et par son zèle d'une grande consolation à tout notre équipage.
Les pilotes du 1er quart du jour remarquèrent une comète le 27 octobre, deux heures avant le lever du soleil. Nous ne la pûmes voir que le 31 à 4 heures du matin dans le Corbeau,
. Elle avait environ 20° d'étendue et le lendemain, elle parut avoir beaucoup rétrogradé.Nous fûmes extrêmement surpris le 13 de ce mois [octobre 1695], lorsque sur les 6 heures du soir, nous découvrîmes une haute montagne à 10 ou 12 lieues vers le nord. Le lendemain, nous en approchâmes pour la reconnaître plus sûrement, et on ne douta plus que ce ne fût la terre ferme de l'Arabie heureuse et que la montagne que nous avions vue la première fois ne fût le cap de Curia Muria (11). Ce promontoire est marqué dans les cartes à 79° de longitude ; notre latitude était assez juste, mais les courants nous avaient causé une erreur de plus de cent lieues dans l'estime de la longitude, d'où il est aisé de conclure que les courants dans cette mer des Indes et en la saison où nous étions portent ordinairement vers l'ouest [11 - 179r°] avec beaucoup de rapidité. Nos pilotes en furent encore mieux convaincus les jours suivants, où après avoir dressé leur route pour s'éloigner de la terre, ils s'aperçurent nonobstant le chemin qu'ils croyaient avoir fait, que nous en étions encore fort proches, car nous vîmes clairement les trois îles que les cartes placent ordinairement devant le cap de Curia Muria, et qui sont là très mal marquées, .
Il est difficile de s'imaginer la désolation de nos équipages persécutés par la maladie dans ce contretemps fâcheux, où les vents et les courants nous étaient contraires. On fut en délibération de relâcher dans un port de la Mer Rouge, ou de faire route vers la côte de Malabar. Ce dernier parti fut suivi, et on s'aperçut alors que dans le Conseil tenu à Port-Louis avant notre départ, où on avait résolu d'aller à Surate, parce qu'il était trop tard pour gagner Bengale, on n'avait pas fait assez d'attention aux saisons et aux vents des Indes, qui rendaient le voyage de Bengale très aisé et celui de Surate très difficile,
On observa une éclipse de Lune le 21. Elle commença à 9 heures 45 minutes du soir (j'avais monté au soleil couchant une pendule à minutes). Cette éclipse finit à 12 minutes après minuit. Sa quantité fut de 6 doigts (12), c'est-à-dire que la moitié de la Lune fut [12 - 179v°] obscurcie. Cette observation fut assez conforme au calcul que nous en avions fait le jour précédent par les tables astronomiques de M. de la Hire, et au type que nous en avions donné auparavant. Le livre de M. Lefèvre intitulé la Connaissance des temps doigts (13) avait marqué [pour le … éclipse] 5 heures 52 minutes du soir (14). Si l'observation de Paris répond à celle que nous fîmes de cette éclipse en ce parage, les cartes de Pitre Goos (15) marquent assez exactement la véritable longitude de cette partie orientale de l'Arabie par 79° de longitude.
(16),
Quinze jours après, c'est-à-dire le 6 décembre, nous observâmes une autre éclipse de soleil très considérable. Par le calcul que j'avais fait le jour précédent, en me servant des mêmes tables astronomiques, elle devait commencer à 9 heures 56 minutes du matin ; mais nous aperçûmes le disque du soleil un peu obscurci à 9 heures 45 minutes. Cette éclipse dura plus de trois heures, puisqu'elle ne finit qu'à 48 minutes après midi. L'obscurité dans l'air fut très sensible quoique le temps fût beau et le ciel sans nuages. Sa grandeur fut de près de 11 doigts, de sorte que presque tout le soleil fut caché par l'interposition de la Lune.
[13 - 180r°] On remarqua le 18, étant par 16° 3' de latitude nord, et par 96° 23' de longitude, que les eaux de la mer étaient fort changées, paraissant d'un vert blanchâtre, ce qui nous causa beaucoup de joie par l'espérance de trouver bientôt la sonde, et ensuite la terre . Le lendemain, le Lonray qu'on avait commandé pour aller à la découverte, fit signal qu'il avait trouvé le fond à 62 brasses, et le soir nous n'en trouvâmes que 48. La sonde diminua toujours jusqu'à la vue de la côte de Malabar où l'on ne trouva que 30 brasses de fond d'un sable vaseux. Ce fut le 19 décembre que nous découvrîmes la terre étendue devant nous à 5 lieues de distance, à la hauteur de 16° 15'. Et le 21 du même mois, jour de saint Thomas, apôtre des Indes, nous allâmes mouiller à la barre de Goa, sous le fort de l'Agoade (17), par six brasses d'eau
En faisant route avec pavillon blanc pour entrer au mouillage, le fort portugais qui avait aussi arboré son pavillon, nous tira un coup sans balle, et comme il ne vit point venir de chaloupe à terre, il tira un second coup à balle. Cette manœuvre ne plut guère à nos officiers qui s'imaginaient qu'on ne devait pas ainsi traiter le pavillon [14 - 180v°] français. Mais j'appris ensuite que c'était une sage précaution de M. le vice-roi, le comte de Vilaverde (18), car à l'occasion d'un vaisseau de la Royale Compagnie, lequel après s'être courageusement défendu contre quatre gros vaisseaux arabes, était entré à Goa pour s'y rétablir, ce sage vice-roi avait donné ordre au commandant de l'Agoade de ne laisser approcher aucun vaisseau, sous quelque pavillon que ce fût, qui n'eût auparavant envoyé sa chaloupe à terre pour se faire reconnaître . Il craignait que les ennemis de la France ne vinssent avec pavillon français insulter ou enlever ce navire marchand sans qu'on pût le secourir.
Notre chaloupe fut à terre et M. de Serquigny me pria d'accompagner et d'y servir d'interprète à l'officier qui alla faire compliment de sa part au gouverneur du fort, et convenir avec lui du salut. Ce fut dans cette occasion que nous apprîmes la raison qu'on avait eue de nous tirer à balle dont nous avions été scandalisés. Cette précaution obligeante, accompagnée de mille honnêtetés, nous seulement des habitants et des officiers portugais, mais surtout de M. le vice-roi, firent aisément oublier à tous nos Français les fatigues et les misères passées.
Dès le lendemain, notre commandant envoya M. de Bourguisson, qui faisait fonction de major de l'escadre, complimenter Son Excellence. [15 - 181r°] parlait français avec beaucoup de politesse. On ne saurait expliquer avec quelle ouverture de cœur il reçut cet officier, les offres qu'il lui fit et le zèle empressé qu'il lui marqua de rendra service au roi en la personne du commandant et des officiers de l'escadre, et assura que les Français pourraient disposer de tout ce qu'il y avait dans la ville et le pays de son gouvernement comme s'ils étaient dans une province de France. Ces paroles si gracieuses furent suivies de preuves effectives et on n'eût osé s'attendre à toutes les facilités qu'on trouva pour soulager nos malades, nous rafraîchir, avoir des provisions et des bateaux pour faire le bois et l'eau avec toute la diligence imaginable.
On n'eut pas besoin d'interprète dans cette occasion, parce que M. le vice-roiJ'avais souvent entendu parler de Goa, et dans les trois voyages précédents que j'avais faits aux Indes, je n'avais point trouvé d'occasion de voir cette capitale de l'empire portugais si fameuse par son assise, par ses grands édifices, par son commerce, par sa puissance et surtout par le corps de saint Xavier, apôtre des Indes (19). L'espérance de voir un si précieux dépôt me causa une joie singulière, quand le Conseil de guerre résolut d'y relâcher à cause du grand nombre de nos malades et de l'extrémité où nous étions, manquant de toutes sortes de rafraîchissements. Ainsi, dès le premier jour de mon arrivée, je songeai aux moyens de contenter ma dévotion. M. le comte de Vilaverde ma donna une fort longue audience dans son cabinet avec toutes [16 - 181v°] les marques de cette bonté et de cette confiance particulière dont il honore les jésuites. Cet accueil favorable me fit prendre la liberté de le supplier qu'il voulût bien s'intéresser pour nous obtenir une grâce que je lui demandais au nom de tous mes compagnons. C'était de voir et de vénérer le corps de saint François Xavier dont les exemples nous avaient portés à le venir imiter jusqu'aux extrémités de la terre. Il n'eut pas de peine à promettre qu'il emploierait volontiers son autorité pour nous faire accorder la faveur que nous demandions avec tant de justice et d'empressement, mais il m'ajouta que les supérieurs de notre Compagnie étaient extrêmement réservés depuis quelque temps à faire voir ces saintes reliques
Le père Quenein (20), qui avait été fort mal depuis Anjouan, était venu avec moi des premiers à terre pour se rétablir. Nous allâmes ensemble à la maison professe de notre Compagnie où nous fûmes reçus par le révérend père provincial appelé Xavier d'Almeida, par le révérend père supérieur et par tous nos pères avec des démonstrations de joie, d'estime et d'affection extraordinaires.
M. le vice-roi avait fait paraître son zèle et une attention si particulière à prévenir M. de Serquigny sur toutes les choses qui lui pouvaient faire plaisir, que ce commandant crut être obligé de venir en personne [17 - 182r°] marquer son Son Excellence sa reconnaissance pour tant d'honnêtetés et de bienfaits. Aussitôt que le comte de Vilaverde eut appris la résolution du commandant, il donna ordre qu'on préparât son palais qui est dans la ville, où il voulait recevoir cette visite. La plupart des officiers de l'escadre avec leurs habits dorés accompagnèrent M. de Serquigny, que la mine et les manières nobles faisaient reconnaître parmi cette foule de gens de qualité. Cette entrevue donna une grande idée aux Portugais et aux Indiens de la magnificence et de la politesse de la noblesse française, et nos officiers eurent tous les sujets du monde d'être contents du bon accueil et des honneurs qu'on leur fit dans cette occasion.
Au sortir de l'audience, M. de Serquigny vint avec son cortège à la maison professe. Nos pères, qui s'estimèrent fort honorés de cette visite, firent entendre le carillon de leurs cloches et ils se tinrent à la porte de la maison pour les recevoir. On entra dans l'église et ensuite dans la maison. L'un et l'autre de ces édifices parurent grands et somptueux à nos officiers, et avec beaucoup de raison.
On donna le temps de reposer après midi à ceux qui y étaient accoutumés selon l'usage des Indes, et on vint avertir que tout était disposé dans l'église pour montrer les reliques de saint François Xavier. Ce corps saint est [18 - 182v°] élevé sur un riche piédestal qui peut avoir quinze ou seize pieds de hauteur, placé derrière une chapelle qui porte son nom à la gauche du maître-autel. Ce fut avec une consolation très particulière que je vis ce corps miraculeux, et j'eus le loisir de le contempler longtemps, car j'y demeurai près de deux heures. Il est vrai que nous ne pûmes le regarder qu'au travers des glaces qui l'environnent et qui sont enchâssées dans de l'argent et ornées de tous côtés de beaucoup de pierreries (21). Il paraît encore de la chair aux joues, et je me souviens d'y avoir remarqué quelques poils de barbe. Le dessus du nez est un peu noir et comme entamé et le reste du visage fort desséché aussi bien que la main gauche. Il semble que la providence qui avait conservé si longtemps ce saint corps, non seulement sans corruption, mais avec une couleur vive et animée, a permit qu'il ait perdu cette vivacité et qu'il se soit même beaucoup flétri depuis qu'on lui a coupé le bras par ordre du Pape qui voulait honoré Rome d'une si belle relique (22). Quelques-uns de nos pères me protestèrent qu'ils voyaient l'œil droit ouvert et que la prunelle en paraissait brillante ; cependant, quelque attention et quelque effort que je fisse pour m'en assurer, il me fut impossible de découvrir cette merveille. J'avoue même que rien ne me frappa [19 - 183r°] davantage que la parfaite intégrité de ses pieds. Ils me parurent très semblables à ceux d'un homme qui vient d'expirer, au second doigt près du pied gauche dont une phalange ne tient au reste que par un peu de peau. Cette partie coupée est fort noire. On nous dit qu'autrefois, quand on exposait le corps miraculeux en public et que tout le monde allait lui baiser les pieds avec respect, une femme par un excès de dévotion, faisant semblant de baiser le pied gauche, lui mordit ce second doit qu'elle prétendait couper à belles dents (23). Mais elle fut saisie dans cette action d'un si violent tremblement qu'elle ne put l'arracher et se retira en demandant publiquement pardon de sa faute. Depuis ce temps-là, on ne permet à personne de voir ces reliques qu'au travers du cristal, on ne les fait même voir que très rarement. Le corps est revêtu des habits sacerdotaux, le bonnet en tête. Il est couché sur le dos, les pieds tournés du côté du maître-autel. Il n'y a que le visage, la main gauche et les pieds de découverts, .
Nos pères et moi restâmes à la maison professe jusqu'au départ de nos vaisseaux, et nous eûmes tout le loisir de voir les beautés de la ville qui consistent principalement dans les édifices publics et les maisons religieuses, car la ville de Goa n'est pas à [20 - 183v°] beaucoup près si peuplée qu'elle l'a été autrefois, d'où vient aussi que son commerce et ses richesses ont bien diminué. Nous y vîmes pourtant divers vaisseaux et un grand nombre de galiotes. Il ne tient qu'aux Portugais d'y attirer encore toutes les richesses de l'Orient, car il est difficile de trouver une situation plus commode et un port plus assuré et plus spacieux, et des dehors plus agréables. Je me figurais le premier jour que je vins à Goa après avoir quitté notre vaisseau et passé la barre, être encore à la côte de Gênes en voyant dans 5 ou 6 lieues de chemin une infinité de beaux édifices, des maisons de plaisance, des forteresses et des campagnes cultivées, Goa ayant encore cet avantage sur cette superbe ville d'Italie que toutes ces beautés et ces ornements sont des deux côtés du rivage, ce qui fait un effet merveilleux et très surprenant quand on est au milieu de la rivière. Je mets en petit dans la cartes des Indes le plan de cette capitale levé par le frère Moricet, avec les différents voyages que j'y fis et à l'île de Salseste (24), ce qu'on remarque par des points avec l'explication de divers endroits les plus considérables.
Nous appareillâmes pour sortir de la rade de l'Agoade le 3 janvier 1696, pour aller à Surate. La saison de faire ce voyage était passée, ainsi nous employâmes [21 - 184r°] treize jours entiers à faire environ 150 lieues, parce qu'il fallait presque toujours étaler les marées, c'est-à-dire mettre à la voile quand la marée nous était favorable, et ensuite mouiller. Cette manœuvre incommode beaucoup l'équipage, à cause de la peine qu'il y a de lever l'ancre deux ou trois fois durant le jour et durant la nuit, mais ce voyage est assez agréable et même désennuyant, puisqu'on navigue presque toujours terre à terre, et qu'on voit à toutes les heures du jour des pays nouveaux.
En entrant le 16 janvier [1696] dans la rade de Surate, on aperçut 8 ou 10 vaisseaux qui y étaient mouillés, mais dès que nous en fûmes reconnus, trois se détachèrent d'eux avec pavillon anglais, qui allèrent se réfugier entre les bancs de Soali (25). Le 3ème, qui était hollandais, fut mouiller à l'embouchure de la rivière contre terre, pour se mettre en état de passer jusqu'à la forteresse et à la ville de Surate, si nous eussions entrepris de l'insulter. Les autres vaisseaux arborèrent pavillon maure, la couleur est rouge avec deux coutelas en forme de ciseaux, et aussitôt qu'ils eurent vu nos navires à l'ancre, ils les saluèrent chacun de trois coups de canon. M. de Serquigny les fit remercier tous ensemble de [5] coups.
[22 - 184v°] La rade de Surate est fort étendue et assez sûre hors les temps de l'ouragan, qu'ils appellent éléphant ou olifant ; on y appréhende cet orage deux fois l'année aux mois d'avril et de mai, et en automne aux mois de septembre et d'octobre. Pour l'éviter, on doit se mettre au large, ou il faut entrer dans la rivière dont l'embouchure est pleine de sables, et on trouve sur la barre si peu d'eau qu'il faut décharger les gros navires pour les y faire passer sans danger. De l'embouchure de la rivière à la forteresse, où commence la ville, il y a environ 6 ou 7 lieues. Cette forteresse est de pierre de taille et flanquée de quatre bastions, et environnée d'un large fossé du côté de la ville jusqu'à la rivière qui passe aux pieds des murailles.
Je ne m'étendrai point à faire la description de Surate, parce que plusieurs relations imprimées en parlent dans un si grand détail qu'on ne peut rien y ajouter. Je dirai seulement que c'est la plus belle, la plus riche et la plus grande ville de commerce que j'aie vue dans les Indes, je n'en excepte ni Batavia ni Goa, car dans ces deux dernières qui sont à la vérité mieux situées et plus régulièrement fortifiées, on ne voit ordinairement que des vaisseaux portugais ou hollandais, mais à Surate, la ville, le port et la rade sont pleins d'étrangers. C'est un agréable divertissement et à peu de frais à un homme nouvellement débarqué [23 - 185r°] qui n'a connu que des Européens, de voir ce concours prodigieux d'hommes sur le port et dans les rues, dont l'habit et les manières sont aussi différentes que le langage.
Je trouvai à Surate trois de nos pères, à savoir le père Le Vert (26), ancien missionnaire d'Arabie et de Perse ; le père Diusse y était depuis deux ans, et enfin le père Bouvet envoyé en France par l'empereur de la Chine. Il y avait plus de dix ans que je l'avais quitté à Siam, lorsqu'il était sur le point de partir pour la Chine, et la providence nous rejoignit à Surate avec beaucoup de plaisir et de consolations réciproques (27). La venue de l'escadre lui causa bien de la joie, car il ne comptait d'arriver en France que dans deux ans, et avec beaucoup de périls. Le passage qu'il avait tenté par la mer rouge et par l'Égype lui avait paru impraticable, et il fut obligé de venir de Gedda [Djeddah] à Surate pour prendre une meilleure voie.
Ainsi, quand nos pères qui venaient d'Europe au nombre de neuf furent débarqués et que nous fûmes joints par le père Beauvoilier (28) et Martin (29) qui avaient pris la voie de Perse, nous nous trouvâmes dans la résidence de notre Compagnie quatorze jésuites avec deux Français séculiers, dont l'un était peintre, et l'autre sculpteur, et un Siamois jardinier que j'avais amené de Paris. Mais comme il y a presque toujours [24 - 185v°] la peste dans la ville de Surate, surtout depuis qu'elle est fermée de murailles, à cause des chaleurs excessives, de la multitude et de la malpropreté de la plupart des habitants, nous eûmes dans notre maison trois personnes attaquées de peste, et qui en moururent dans trois jours.
NOTES
1 - Sofala était un port de l'ancien empire de Monomotapa, aujourd'hui au Mozambique, sur la côte orientale de l'Afrique.
2 - Tachard orthographie Moëli ou Moéli. Mohéli, ou Mwali est l'une des quatre principales îles qui composent l'archipel des Comores. Tachard y avait déjà fait escale en juin 1690 lors de sa traversée avec l'escadre Duquesne-Guitton. ⇑
3 - Aucune carte n'est jointe au manuscrit. ⇑
4 - Une des îles de l'archipel des Comores, que Tachard orthographie Amjouan, à une soixantaine de kilomètres de Mohéli.
5 - Il s'agissait sans doute de la Ballestrelle, un navire flibustier commandé par Isaac Veyret, dit Desmarestz. Nous avons trouvé nombre de renseignements fort intéressants sur la page : De la mer des Antilles à l'océan Indien - L'odyssée du flibustier Desmarestz (1688-1700) qui reproduit un texte de Jacques Gasser publié en quatre parties en 1992 et 1993 dans le Bulletin du Cercle généalogique de Bourbon (nos 38, 39, 40 et 41). L'auteur, qui malheureusement ne cite pas précisément toutes ses sources, indique : Poussée par les vents favorables de la mousson, la Ballestrelle réussit à gagner l'île de Mohéli, aux Comores. Cette île offrait des commodités pour caréner et était très peu fréquentée. (…) Début 1695, radoubée et réparée, la Ballestrelle est prête pour la dernière traversée, le retour à la Martinique. L'instant que semblait attendre la fatalité. En sortant du port de Mohéli, la frégate française est drossée par les courants sur un banc de roches et, dans un craquement infernal, s'échoue. La Ballestrelle est irrémédiablement perdue et les flibustiers ne réussissent qu'à sauver leurs armes et leur butin. Une détresse encore accrue par la perte de la gourabe achetée à Rajahpur. Après son naufrage, Desmarestz envoya la gourabe avec 40 hommes à l'île d'Anjouan pour trouver par n'importe quel moyen un nouveau bâtiment. Mais la gourabe y est elle-même surprise par un pirate anglais de 46 canons et de 120 hommes. Les Français sont contraints de se rendre après lui avoir tué un homme. Les Anglais pillent la gourabe et prennent de force à leur bord les 40 Français. ⇑
6 - Dans l'article cité note précédente, Jacques Gasser reproduit quelques paragraphes, sans doute extraits d'un journal de campagne de Serquigny d'Aché que nous n'avons pas pu identifier ni localiser, qui montrent que les forbans réfugiés à Anjouan cherchèrent également du secours auprès de l'escadre Serquigny, qui refusa de les prendre à son bord, comportement que le père Tachard passe soigneusement sous silence : Après quelques présents au roi de l'île, qui est Arabe de nation, on a mis 400 scorbutiques à terre et rafraîchis de toutes sortes de commodités. Les gens du pays nous ont fait voir qu'ils ont beaucoup profité d'un vaisseau forban de 50 canons que trois frégates ayant poursuivi jusqu'à terre dans leur rade, l'ont fait échouer et perdre, l'équipage s'étant sauvé à terre avec tout leur butin qui était considérable pour avoir pillé quantité d'or et d'argent depuis la côte de Guinée jusqu'à la mer Rouge. Les Anglais prétendant les faire donner au roi du pays, ils ont pris la fuite à l'île d'Anjouan au nombre de 140 hommes. (…) Durant 7 jours que l'on a été à se rafraîchir, les flibustiers ont fait leur possible pour s'embarquer sur l'escadre, mais les gens de la Compagnie [des Indes orientales] s'y sont opposés, disant que cela leur ferait des affaires auprès du Moghol qui pourrait les rendre responsable de ses pertes. On s'est contenté de les aider de quelques commodités en payant, et, le 5 octobre, à la pointe du jour, on fit voile pour Surate. ⇑
7 - Aujourd'hui Bandar Abbas, ville portuaire iranienne située au bord du golfe Persique. Elle occupe une position stratégique sur le détroit d'Ormuz. (Wikipédia). ⇑
8 - Variété de potiron appartenant à l'espèce Cucurbita maxima de la famille des Cucurbitaceae. Sa forme et ses couleurs très particulières lui ont valu le surnom de potiron turban ou de bonnet turc. (Wikipédia).
9 - On appelle communément serein l'humidité dont l'air est chargé, principalement en été et après les jours les plus sereins, quelques heures après le coucher du soleil, lorsque le vent est au midi et qu'on n'estime communément que par un sentiment de froid qu'éprouvent ceux qui y sont exposés. Le serein n'est autre chose que la rosée du soir, ou la rosée commençante, qui n'est pas devenue encore sensible par l'accroissement qu'elle reçoit pendant la nuit, et qui est parvenue à son complément peu de temps après le lever du soleil ; c'est une erreur populaire que l'opinion qui fait regarder le serein comme une émanation séche, plus nuisible que la rosée proprement dite. (Encyclopédie de Diderot et d'Alembert). ⇑
10 - On retrouve mention de ce père Mandaist au feuillet 194r°, mais le nom est barré et remplacé par Mauduist. Peut-être s'agit-il de Pierre Mauduit (1664-1714) qui partit pour la mission des Indes en 1695. On trouve une courte biographie de ce prêtre dans la Liste alphabétique des missionnaires du Carnatic de la Compagnie de Jésus au XVIIIe siècle de Léon Besse (Revue historique de l'Inde française, volume 2, 1918, p. 221-222). ⇑
11 - L'Arabie heureuse désignait le sud de l'Arabie, l'actuel Yémen. Les îles Khuriya Muriya, ou Kuria Muria sont un groupe de cinq îles dans la mer d'Arabie, à 40 km au large des côtes sud-est du Sultanat d'Oman. (Wikipédia).
12 - Depuis l'Antiquité, l'ampleur des éclipses se mesurait en doigts, l'éclipse totale correspondant à 12 doigts. ⇑
13 - Jean Le Fèvre (1652-1706), astronome et mathématicien autodidacte qui collabora à la publication annuelle La connaissance des temps, créée en 1679 par Joachim d'Alencé et spécialisée dans les éphémérides astronomiques.
14 - La Connaissance du temps 1695 annonçait (p. 36) : Nous aurons la seconde éclipse de la Lune le vingtième jour de novembre à 7 heures 17 minutes 35 secondes du soir. Son commencement arrivera à 5 heures 52 minutes 44 secondes. Sa fin à 8 heures 42 minutes 26 secondes. Sa durée : 2 heures 49 minutes 42 secondes. Sa grandeur : 6 doigts 38 minutes. ⇑
15 - Pieter Goos (1616–1675), géographe, cartographe, graveur et éditeur hollandais. Il publia notamment en 1666 un Atlas de la mer ou du Monde aquatique (De Zee-Atlas Ofte Water-Weereld).
16 - Ras al Hadd, cap positionné à la conjonction du golfe d'Oman et de la mer d'Arabie (ou mer d'Oman). ⇑
17 - Le Fort Aguada, construit par les Portugais en 1612. ⇑
18 - António Luís Coutinho da Câmara, comte de Vila Verde, après avoir été gouverneur du Brésil, fut vice-roi des Indes portugaises de 1697 à 1701. ⇑
19 - François Xavier (1506-1552) fut l'un des fondateurs de la Compagnie de Jésus. Ses nombreux voyages qui le mèneront en Inde, à Malacca, aux Moluques, en Chine et au Japon le feront surnommer l'Apôtre des Indes, et ses succès apostoliques susciteront d'innombrables vocations. Mort le 3 décembre 1552 sur l'île de Shangchuan, en Chine, son corps fut transféré à Goa en 1613, d'abord au Collège Saint-Paul, puis à la maison professe des jésuites, et enfin dans la basilique du Bon Jésus en 1624. Béatifié en 1619, François Xavier sera canonisé trois ans plus tard par Grégoire XV.
20 - Pierre Quencin, de la province d'Aquitaine. Partit en 1695 ; était à Chandernagor en 1698 avec le père Charles de la Breuille. Il fut curé de 1699 à 1706. Il mourut le 25 mai 1706, tué par la foudre. (Léon Besse, Liste alphabétique des missionnaires du Carnatic de la Compagnie de Jésus au XVIIIe siècle, op. cit. p. 229). ⇑
21 - En 1637 le corps est placé dans une châsse en argent raffinement décorée de scènes de la vie du saint. Le monument trouve sa forme définitive en 1698 : Cosme III de Médicis, grand-duc de Toscane, envoie à ses frais marbre et artiste-marbrier à Goa pour élever un mausolée à saint François Xavier. Le monument — mausolée de marbre, sarcophage et châsse en argent contenant le corps du saint — trouve sa place définitive dans le transept droit de l’église du Bon Jésus. (Wikipédia).
22 - Le 3 novembre 1614, sur ordre du pape Paul V, le bras droit de François Xavier fut coupé et divisé quatre partie. La plus grande fut transférée dans l'église du Gesù à Rome. (José Nicolau da Fonseca, An historical and archæological sketch of the city of Goa, preceded by a short statistical account of the territory of Goa, 1878, p. 297, note *). ⇑
23 - L'anecdote remonte à 1554, lorsqu'une dame portugaise nommée dona Isabel de Carom voulut s'approprier par ce procédé un morceau de la dépouille du saint. (Source : José Nicolau da Fonseca, op. cit., p. 297, note ↕). ⇑
24 - L'île de Salsette, sur la côte occidentale de l'Inde, qui abrite la métropole de Bombay. ⇑
25 - Swally (Suvali), du nom d'un village près de Surate, aujourd'hui dans l'État du Gujarat. ⇑
26 - Sans doute s'agit-il de Jean-Pierre Levert, qui s'illustra par son abnégation lors de la grande peste de Marseille en 1720. La peste de Marseille venait, en 1720, de porter l'épouvante dans le Midi et le deuil dans toute la France. Les jésuites étaient tenus à l'écart, mais à Marseille une occasion s'offrait à leur charité, ils la saisirent. (…) Le fléau tue plus de mille personnes par jour ; il a frappé dix-huit jésuites de Marseille (…) Un seul de cette résidence survit ; c'est un vieillard octogénaire, Jean-Pierre Levert, qui a plus d'une fois bravé la peste aux Missions d'Égypte, de Perse et de Syrie. Dans la désolation générale, le père Levert s'associe aux hommes dont la terreur n'a pas paralysé le courage. (…) Il prie pour les mourants, il fortifie le peuple encore plus par son exemple que par ses conseils. (…) Levert avait affronté tous les périls, une grande pensée de charité soutenait l'énergie du vieillard ; quand le fléau eut cessé ses ravages, le missionnaire, dont une pareille surexcitation a dévoré les dernières forces, expire dans les bras de Belzunce en bénissant ce peuple qu'il avait consolé. (Jacques Crétineau-Joly, Histoire religieuse, politique et littéraire de la Compagnie de Jésus, 1846, IV, p. 388). ⇑
27 - Joachim Bouvet (1656-1730) était l'un des six jésuites-mathématiciens qui accompagnaient l'ambassade du chevalier de Chaumont au Siam en 1685. Leur destination était la Chine, où cinq d'entre eux arrivèrent en 1687 après bien des difficultés. Tachard, le sixième, revint en France avec l'ambassade. En janvier 1696, Bouvet se trouvait à Surate en mission pour l'empereur K'ang Hi. Il allait en France recruter un nouveau groupe de jésuites. ⇑
28 - Antoine de Beauvoilier, de la province d'Aquitaine, né le 2 juillet 1657, entré dans la Compagnie le 7 septembre 1672, partit pour l'Orient par la voie de Perse, avec le père Pierre Martin, en 1691. En 1695 est à Alep. En 1697, il s'arrête à Surate, d'où il gagna la Chine. Il se rendait de Chine en Portugal lorsqu'il mourut en mer en janvier 1708. (Léon Besse, op. cit., p. 181). ⇑
29 - Pierre Martin (1665-1716). Il partit pour la Grèce en 1693, puis vint aux Indes par la Perse. Dans ses voyages, il apprit le turc, le persan, l'arabe, le bengali et le portugais. En 1698, il passa cinq mois au Bengale, puis à l'université de Nadia pour y étudier l'hindouisme. Il passa ensuite à Orissa où il resta seize mois. Il y donna cent baptêmes. De là, il vint à Pondichéry et fut enfin cédé au Maduré. (…) Il mourut à Rome le 28 juin 1716 en grande renommée de sainteté (Léon Besse, op. cit., p. 221). ⇑
5 octobre 2019