V - L'audience avec le roi Naraï.

Page de la Relation du chevalier de Chaumont

Le roi me fit dire ce même jour par M. Constance qu'il me voulait recevoir le lendemain 18. Je partis sur les sept heures du matin, en la manière que je raconterai, après avoir récité les honneurs que le roi de Siam fit rendre à la lettre de Sa Majesté. Il est vrai qu'il a coutume de rendre honneur aux lettres des potentats qu'il reçoit par leurs ambassadeurs, mais il a voulu, avec justice, faire une distinction de celle de notre grand monarque. Il vint 40 mandarins, des premiers de sa Cour, dont deux qui étaient oyas (1), c'est-à-dire comme sont les ducs en France, qui me dirent que tous les balons étaient à ma porte pour prendre la lettre de Sa Majesté et me mener au palais. La lettre était dans ma chambre, en un vase d'or couvert d'un voile de brocart très riche. Les mandarins étant entrés, ils se prosternèrent, les mains jointes sur le front, le visage contre terre, et saluèrent, en cette posture la lettre du roi par trois fois. Moi, étant assis sur un fauteuil auprès de la lettre, je reçus cet honneur, qui n'a jamais été rendu qu'à celle de Sa Majesté. Cette cérémonie finie, je pris la lettre avec le vase d'or, et, après l'avoir portée sept ou huit pas, je la donnai à M. l'abbé de Choisy, qui était venu de France avec moi (2). Il marchait à ma gauche, un peu derrière, et il la porta jusqu'au bord de la rivière où je trouvai un balon extrêmement beau, fort doré, dans lequel étaient deux mandarins du premier ordre. Je pris la lettre des mains de M. l'abbé de Choisy, et, l'ayant portée dans le balon, je la remis entre les mains d'un de ces mandarins qui la posa sous un dais fait en pointe, fort élevé et tout doré. J'entrai dans un autre fort magnifique, qui suivait immédiatement celui où était la lettre de Sa Majesté. Deux autres, aussi beaux que le mien, dans lesquels étaient des mandarins, étaient aux deux côtés de celui où l'on avait mis la lettre ; le mien, comme je viens de dire, le suivait. M. l'abbé de Choisy était dans un autre balon immédiatement derrière, et les gentilshommes qui m'accompagnaient et les gens de ma suite dans d'autres balons. Ceux des grands mandarins, pareillement fort beaux, étaient à la tête. Il y avait environ 12 balons tout dorés, et près de 200 autres qui voguaient sous deux colonnes. La lettre du roi, les deux balons de garde et le mien étaient dans le milieu. Toutes les nations de Siam étaient à ce cortège et toute la rivière, quoique très large, était toute couverte de balons. Nous marchâmes de cette sorte jusqu'à la ville, dont les canons me saluèrent, ce qui ne s'était jamais fait à aucun autre ambassadeur. Tous les navires me saluèrent aussi, et en arrivant à terre je trouvai un grand char tout doré qui n'avait jamais servi qu'au roi.

Je pris la lettre de Sa Majesté et je la mis dans ce char, qui était traîné par des chevaux et poussé par des hommes. J'entrai ensuite dans une chaise dorée portée par dix hommes sur leurs épaules ; M. l'abbé de Choisy était dans une autre moins belle. Les gentilshommes et les mandarins qui m'accompagnaient étaient à cheval, toutes les nations différentes qui demeurent à Siam marchant à pied derrière. La marche fut de cette sorte jusqu'au château du gouverneur, où je trouvai en haie des soldats des deux côtés de la rue, qui avaient des chapeaux de métal doré, une chemise rouge et une espèce d'écharpe de toile peinte qui leur servait de culotte, sans bas ni souliers. Les uns étaient armés de mousquets, les autres de lances, d'autres d'arcs et de flèches, d'autres de piques.

Il y avait beaucoup d'instruments, comme trompettes, tambours, timbales, musettes, des manières de petites cloches et de petits cors dont le bruit ressemblait à ceux des pasteurs en France. Toute cette musique faisait assez de bruit. Nous marchâmes de cette façon le long d'une grande rue bordée des deux côtés d'un grande quantité de peuples, et toutes les places remplies de même. Nous arrivâmes enfin dans une grande place qui était devant le palais du roi, où étaient rangés, des deux côtés, des éléphants de guerre. Ensuite, nous entrâmes dans la première cour du palais où je trouvai environ 2 000 soldats assis sur leur derrière, la crosse de leurs mousquets sur terre et tout droits, rangés en droite ligne à six de hauteur. Il y avait des éléphants sur la gauche, appelés éléphants armés en guerre. Nous vîmes ensuite 100 hommes à cheval, pieds nus et habillés à la mauresque, une lance à la main. Tous les soldats étaient habillés comme j'ai dit ci-devant. Dans cet endroit, les nations et tous ceux qui me suivaient me quittèrent, à la réserve des gentilshommes qui m'accompagnaient. Je passai dans deux autres cours qui étaient garnies de la même manière, et j'entrai dans une autre où était un grand nombre de mandarins, tous prosternés contre terre. Il y avait en cet endroit six chevaux qui étaient tenus chacun par deux mandarins très bien harnachés ; leurs brides, poitrails, croupières et courroies d'étriers étaient garnis d'or et d'argent, couverts de plusieurs perles, rubis et diamants, en sorte qu'on ne pouvait en voir le cuir. Leurs étriers et leurs selles étaient d'or et d'argent. Les chevaux avaient des anneaux d'or aux pieds de devant. Il y avait là aussi plusieurs éléphants harnachés de même que le sont des chevaux de carrosses. Leurs harnais étaient de velours cramoisi avec des boucles dorées. Les gentilshommes entrèrent dans la salle d'audience et se placèrent avant que le roi fût dans son trône, et quand il y fut entré, accompagné de M. Constance, du barcalon et de M. l'abbé de Choisy, qui portait la lettre du roi, je fus surpris de voir le roi dans une tribune fort élevée, car M. Constance était demeuré d'accord avec moi que le roi ne serait qu'à la hauteur d'un homme dans sa tribune et que je lui pourrais donner la lettre du roi de la main à la main. Alors je dis à M. l'abbé de Choisy : On a oublié ce que l'on m'a promis, mais assurément je ne donnerai point la lettre du roi qu'à ma hauteur. Le vase d'or où on l'avait mise avait un grand manche d'or de plus de trois pieds de long. On avait cru que je prendrais ce vase par le bout du manche pour l'élever jusqu'à la hauteur du trône où était le roi, mais je pris sur-le-champ mon parti, et je résolus de présenter au roi la lettre de Sa Majesté, tenant en ma main la coupe d'or où elle était. Étant donc arrivé à la porte je saluai le roi, j'en fis de même à moitié chemin, et lorsque je fus proche de l'endroit où je devais m'asseoir, après avoir prononcé deux paroles de ma harangue, je remis mon chapeau à la tête et je m'assis. Je continuai mon discours qui était en ces termes :

HARANGUE AU ROI DE SIAM.

Sire,

Le roi mon maître, si fameux aujourd'hui dans le monde par ses grandes victoires et par la paix qu'il a souvent donnée à ses ennemis à la tête de ses armées, m'a commandé de venir trouver Votre Majesté pour l'assurer de l'estime particulière qu'il a conçue pour elle.

Il connaît, Sire, vos augustes qualités, la sagesse de votre gouvernement, la magnificence de votre Cour, la grandeur de vos États, et, ce que vous vouliez particulièrement lui faire connaître par vos ambassadeurs, l'amitié que vous avez pour sa personne, confirmée par cette protection continuelle que vous donnez à ses sujets, principalement aux évêques, qui sont les ministres du vrai Dieu.

Il ressent tant d'illustres effets de l'estime que vous avez pour lui, et il veut bien y répondre de tout son pouvoir. Dans ce dessein, il est prêt de traiter avec Votre Majesté de vous envoyer de ses sujets pour entretenir et augmenter le commerce, de vous donner toutes les marques d'une amitié sincère et de commencer une union entre les deux couronnes autant célèbre dans la postérité que vos États sont éloignés des siens par les vastes mers qui les séparent.

Mais rien ne l'affermira tant en cette résolution et ne vous unira plus étroitement ensemble que de vivre dans les sentiments d'une même créance.

Et c'est particulièrement, Sire, ce que le roi mon maître, ce prince si sage et si éclairé, qui n'a jamais donné que de bons conseils aux rois ses alliés, m'a commandé de vous représenter de sa part.

Il vous conjure, comme le plus sincère de vos amis et par l'intérêt qu'il prend déjà à votre véritable gloire, de considérer que cette suprême majesté dont vous êtes revêtu sur la terre ne peut venir que du vrai Dieu, c'est-à- dire d'un dieu tout-puissant, éternel, infini, tel que les chrétiens le reconnaissent, qui seul fait régner les rois et règle la fortune de tous les peuples. Soumettez vos grandeurs à ce dieu qui gouverne le ciel et la terre ; c'est une chose, Sire, beaucoup plus raisonnable que de les rapporter aux autres divinités qu'on adore dans cet Orient, et dont Votre Majesté, qui a tant de lumières et de pénétration, ne peut manquer de voir l'impuissance.

Mais elle le connaîtra plus clairement encore si elle veut bien entendre durant quelque temps les évêques et les missionnaires qui sont ici.

La plus agréable nouvelle, Sire, que je puisse porter au roi mon maître est celle que Votre Majesté, persuadée de la vérité, se fasse instruire dans la religion chrétienne. C'est ce qui lui donnera plus d'admiration et d'estime pour Votre Majesté ; c'est ce qui excitera ses sujets à venir avec plus d'empressement et de confiance dans vos États, et enfin c'est ce qui achèvera de combler de gloire Votre Majesté, puisque par ce moyen elle l'assure d'un bonheur éternel dans le ciel après avoir régné avec autant de prospérité qu'elle fait sur la terre.

Cette harangue fut interprétée par M. Constance. Après cela, je dis à Sa Majesté que le roi mon maître m'avait donné M. l'abbé de Choisy pour m'accompagner et les douze gentilshommes que je lui présentai (3). Je pris la lettre des mains de M. l'abbé de Choisy et je la portai, dans le dessein de ne la présenter que comme je venais de me déterminer de le faire. M. Constance, qui m'accompagnait, rempant sur ses genoux et sur ses mains, me cria et me fit signe de hausser le bras de même que le roi. Je fis semblant de n'entendre point ce qu'on me disait et me tins ferme. Le roi alors, se mettant à rire, se leva et se baissa pour prendre la lettre dans le vase, et se pencha de manière que l'on lui vît tout le corps (4). Dès qu'il l'eut prise, je fis la révérence et je me retirai sur mon siège. Le roi me demanda des nouvelles de Sa Majesté ainsi que de toute la maison royale, et si le roi avait fait quelque conquête depuis peu. Je lui dis qu'il avait fait celle du Luxembourg, place presque imprenable et des plus importantes qu'eussent les Espagnols, qui fermait les frontières de France et ouvrait celles de ceux qui, de ce côté-là, pourraient devenir ses ennemis, et qu'après il avait de nouveau accordé la paix à toute l'Europe, étant à la tête de ses armées. Le roi me dit qu'il était bien aise de toutes les grandes victoires que Sa Majesté avait remportées sur ses ennemis et de la paix dont elle jouissait. Il ajouta qu'il avait envoyé vers elle des ambassadeurs qui étaient partis de Banten dans le Soleil d'Orient (5), qu'il chercherait tous les moyens pour donner satisfaction au roi sur tout ce que je lui proposais. M. l'évêque de Métellopolis était présent, qui interpréta plusieurs choses que le roi me demanda. Ce monarque avait une couronne enrichie de diamants, attachée sur un bonnet qui s'élevait au-dessus, presque semblable à ceux de nos dragons. Sa veste était d'une étoffe très belle, à fonds et fleurs d'or, garnie, au col et aux poignets de diamants, en sorte qu'ils formaient une espèce de collier et de bracelets. Ce prince avait beaucoup de diamants aux doigts. Je ne puis dire quelle était alors sa chaussure, ne l'ayant vu dans cette audience-là que jusqu'à la moitié du corps. Il y avait 80 mandarins dans la salle où j'étais, tous prosternés contre terre, qui ne sortirent jamais de cette posture durant tout ce temps-là.

Statue du roi Naraï

Le roi est âgé d'environ 55 ans, bien fait, mais quelque peu basané, comme le sont ceux de ce pays-là, ayant le visage assez gai (6). Ses inclinations sont toutes royales. Il est courageux, grand politique, gouvernant par lui-même, magnifique, libéral, aimant les beaux-arts, en un mot un monarque qui a su, par la force de son génie, s'affranchir de diverses coutumes qu'il a trouvées en usage en son royaume, pour emprunter des pays étrangers, surtout de ceux d'Europe, ce qu'il a cru plus digne de contribuer à la gloire et à la félicité de son règne.

Ces mandarins dont je viens de parler n'avaient ni bas ni souliers, et étaient habillés comme ceux dont j'ai parlé ci-devant, avec un bonnet sans couronne, de la même forme que celui du roi, et chacun avait une boîte où ils mettent leur bétel, arec, chaux et tabac. Par ces boîtes on distingue leurs qualités et leur rang, les unes étant différentes des autres (7). Après que le roi m'eut parlé pendant environ une heure, il ferma sa fenêtre et je me retirai. Le lieu de l'audience était élevé d'environ 12 à 15 marches. Le dedans était peint de grandes fleurs d'or depuis le bas jusqu'au haut, le plafond était de bossages dorés, le plancher couvert de tapis très beaux. Au fond de cette salle il y avait deux escaliers des deux côtés, qui conduisaient dans une chambre où était le roi, et au milieu de ces deux escaliers était une fenêtre brisée devant laquelle il y avait trois grands parasols par étages, depuis le bas de la salle jusqu'au haut. Ils étaient de toile d'or, et le bâton couvert d'une feuille d'or. L'un était au milieu de la fenêtre et les deux autres aux deux côtés. C'est par cette fenêtre que l'on voyait le trône du roi et par où il me donna audience (8). M. Constance me mena ensuite voir le reste du palais, où je vis l'éléphant blanc à qui on donne à boire et à manger dans de l'or ; j'en vis aussi plusieurs autres très beaux, après quoi je retournai à l'hôtel où je devais loger, dans la même pompe que j'étais venu. Cette maison était assez propre, et tout mon monde y était bien logé. J'appris que M. Constance avait ordonné, de la part du roi, à tous les mandarins des nations étrangères qui habitent dans son royaume de se rendre à cet hôtel qu'il avait fait préparer pour l'ambassadeur de France, et qu'y étant assemblés, il leur avait dit que le roi souhaitait qu'ils vissent la distinction qu'il faisait entre l'ambassadeur de France et les ambassadeurs qui venaient de la part des rois de leurs nations, cette distinction étant due au roi de France, monarque tout-puissant, et qui savait reconnaître les civilités que l'on lui faisait ; que ces mandarins avaient été tout étonnés, et lui avaient répondu qu'ils n'avaient jamais vu d'ambassadeur de France, et qu'ils étaient persuadés que la distinction que le roi faisait en sa faveur était due à un prince aussi grand, aussi puissant et aussi victorieux que l'est le roi de France, puisqu'il y avait longtemps que ses grandes victoires étaient connues par tout le monde, ce qui faisait qu'ils n'étaient pas surpris que le roi faisait de la distinction entre cet ambassadeur et ceux des rois ses voisins. Ce fut dans ce même temps que M. Constance leur ordonna, de la part du roi, de me venir saluer, comme je l'ai déjà dit.

Le même jour, sur le soir, M. Constance me vint encore voir, et ce fut lors que nous eûmes ensemble une plus longue conversation. Il y avait dans mon hôtel nombre de mandarins et de Siamois pour le garder, et pour nous faire fournir les choses dont nous pouvions avoir besoin, le roi nous défrayant de toutes choses.

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NOTES

1 - L'Oya, ou plutôt Okya (ออกญา) était un titre nobiliaire d'un rang élevé. On pourrait effectivement comparer l'Okya siamois au duc de l'Ancien régime. 

2 - Afin de donner un peu d'éclat à son rôle jusqu'ici bien subalterne, c'est l'abbé de Choisy qui avait proposé de porter la lettre, ainsi qu'il le raconte dans son Journal du 15 octobre : Il y a eu une grande difficulté. M. Constance voulait faire porter la lettre du roi en triomphe dans un balon toute seule, et qu'ensuite on la mît entre les mains d'un des grands mandarins du royaume pour la porter encore en triomphe dans la ville et dans les cours du palais. M. l'ambassadeur ne voulut point lâcher sa lettre et se tenait raide sur les coutumes d'Europe. Je n'ai pas manqué mon coup. J'ai dit qu'il fallait s'accommoder aux coutumes de l'Orient dans les choses qui bien loin d'être honteuses, étaient beaucoup plus honorables ; qu'on ne pouvait rendre de trop grands honneurs à la lettre du roi, et là-dessus, j'ai proposé à M. l'ambassadeur, au lieu de mettre la lettre entre les mains des mandarins siamois, de me la remettre à moi pour la montrer au peuple et la porter à l'audience. Il y a consenti, et cela a été bien aise de me faire plaisir, et M. Constance aussi qui voulait seulement que la lettre fût exposée à la vue de tout le monde. Par-là, je me suis donné un rang fort honorable, au lieu qu'auparavant j'étais assez embarrassé de ma personne, n'ayant qu'une maigre coadjuterie et un caractère en idée. Il faudra bien honorer celui qui touchera la lettre du plus grand roi du monde. On me donnera à moi seul un balon du roi, j'irai à l'audience à côté de M. l'ambassadeur et j'y aurai une place réglée et honorable. Le calcul n'était pas mauvais, car comme le note le père Tachard dans sa relation, la lettre était plus importante aux yeux des Siamois que la personne de l'ambassadeur : Car dans les ambassades d'Orient, on a bien un autre respect pour les lettres que les princes envoient que pour leurs ambassadeurs. On regarde la lettre comme la parole royale dont l'ambassadeur n'est que le porteur. (Voyage de Siam des pères jésuites, 1686, p. 227).

Toutefois, l'abbé avait peut-être présumé de ses force, car porter un vase en or, même s'il ne pesait vraisemblablement pas 50  kilos, était bien fatigant : Les honneurs coûtent cher. J'ai porté la lettre du roi ; les Siamois me regardent avec respect : mais je l'ai portée plus de trois cents pas dans un vase d'or qui pesait cent livres et j'en suis sur les dents. 

3 - Il n'y en avait que onze. Plus loin dans sa relation, Chaumont écrira : Il y avait un garde-marine qui était commandé qui n'est pas venu avec moi et qui est resté en France. 

4 - Cette scène a été illustrée par une gravure de Jean-Baptiste Nolin ainsi légendée : Audience solennelle donnée par le roy de Siam à M. le chevalier de Chaumont, ambassadeur extraordinaire de Sa Majesté auprès de ce roi, où il fut accompagné de M. l'évêque de Métellopolis et de M. l'abbé de Choisy et de deux gentilshommes français qui l'avaient suivi en ce voyage. Il présenta la lettre de Sa Majesté dans une coupe d'or, et le roi se baissa pour y atteindre tandis que M. Constance, son principal ministre, vêtu à la française et les premiers mandarins étaient prosternés. M. l'ambassadeur se couvrit et s'assit quand il eut salué le roi et commencé sa harangue, ce fut le 18 du mois d'octobre l'an 1685 que se fit cette cérémonie avec une distinction singulière pour ce ministre de France, qui fut visité de tous les ambassadeurs des autres pays et continuellement accompagné et servi par les principaux mandarins. Paris, chez Nolin, rue St Jacques, à la place de la Victoire.

ImageL'audience du chevalier de Chaumont. Gravure de J. B. Nolin. 

5 - Le roi Naraï avait envoyé en 1681 trois ambassadeurs en France. Il s'agissait de Okphra Pipat Racha Maïtri (ออกพระพิพัฒน์ราชไมตรี), Okkhun Sri Wisan (ออกขุนศรีวิสาร) et Okkhun Nakhon Sri Wichaï (ออกขุนนครศรีวิชัย). Il n'arrivèrent jamais à destination, leur navire, le Soleil d'Orient, fit naufrage au large de Madagascar fin 1681 ou début 1682. 

6 - Si nous avons en France des portraits de nos rois, sûrement un peu embellis, mais largement diffusés par des médailles, des tableaux, des gravures ou des statues, il n'en était pas de même au Siam en raison de la vénération qu'inspirait le caractère quasi divin des souverains dont on ne connaissait pas le nom et qu'on n'avait pas même le droit de regarder. Ce n'est qu'en 1873, sous le règne du roi Chulalongkorn, que le peuple aura le droit de regarder le visage du roi. Tachard décrivait ainsi le roi Naraï : Le roi de Siam qui règne à présent est âgé d'environ 55 ans. C'est sans contredit le plus grand prince qui ait jamais gouverné cet État. Il est d'une taille un peu au-dessous de la médiocre, mais fort droite et bien prise. Son air est engageant et ses manières pleines de douceur et de bonté, surtout pour les étrangers, et particulièrement pour les Français. Il est vif et agissant, ennemi de l'oisiveté et du repos, qui paraît si délicieux aux princes d'Orient, et qu'ils regardent comme le plus grand privilège de leur couronne. (Op. cit. p. 315). Le chevalier de Forbin, qui avait un regard plus incisif, notait : Ce prince était âgé d'environ 50 ans, fort maigre, de petite taille, sans barbe, ayant sur le côté gauche du menton une grosse verrue, d'où sortaient deux longs poils qui ressemblaient à du crin. (Mémoires du comte de Forbin, 1730, I, pp. 108-109). On trouve un autre portrait du roi Naraï dans un rapport de 1680 rédigé par André Boureau-Deslandes, directeur du comptoir de Siam pour la Compagnie des Indes orientales : Le roi est d'une stature médiocre ; ni blanc, ni noir, âgé de 40 ans ; un visage large et riant ; grand front, point de barbe ; le nez camus et épaté qui remue tant soit peu dans son parler ; ses lèvres sont assez grosses. Son habit était d'un satin rouge de Perse parsemé de petites fleurs d'or, en manière de veste, les manches comme d'une soutane sans boutonnière, et au-dessus une veste de même façon d'étoffe de bengale fort fine et très claire, avec un ouvrage manière dentelle aux coutures. Un criss à poignée d'or garni de pierreries à son côté gauche ; un sabre du Japon très richement orné sur ses genoux, et ses doigts ornés jusqu'à demi d'anneaux et de pierreries de toutes sortes de couleurs et très grosses. (Cité par Launay, Histoire de la Mission de Siam, 1920, I, p. 106, note 1). Le missionnaire Nicolas Gervaise donne lui aussi une description du souverain : Il a la taille médiocre, les épaules un peu hautes, le visage long, le teint basané, des yeux vifs et pleins de feu qui marquent beaucoup d'esprit, et dans toute sa personne il y a un certain air de grandeur et de majesté accompagné de tant de douceur et de bonté, qu'il est impossible de le voir sans le respecter beaucoup, et sans l'aimer encore davantage. (Histoire naturelle et politique du royaume de Siam, 1688, p. 242). Quant à l'ingénieur Vollant des Verquains, son évocation rédigée après la mort du monarque prend la forme d'un éloge funèbre : Au reste il était petit et maigre, mais d'une taille droite et bien prise, d'une physionomie agréable, ayant de grands yeux noirs, vifs, pleins d'esprit. Il parlait vite, ce qui causait souvent du désordre dans ses paroles, il avait le jugement bon, était habile, curieux, actif, vigilant et attentif à tout ce qui pouvait contribuer à la prospérité de ses affaires et à la gloire de son gouvernement. Il prenait son plus grand divertissement à la chasse des éléphants, il n'aimait pas la guerre parce qu'il aimait le soulagement et le repos de ses sujets : mais quand il ordonnait de prendre les armes, il se faisait craindre et respecter ; pour toutes ses bonnes qualités, il passait pour le plus grand et le meilleur prince qui eût jamais régné sur les Siamois. (Histoire de la révolution de Siam, 1691, pp. 101-102).

On sourira devant les représentations françaises largement fantasmées de ce monarque exotique, dont la plupart reproduisent d'ailleurs le même texte de légende : LE MAGNIFIQUE ET SUPERBE ROI DE SIAM, l'un des plus renommés rois des Indes et qui passe pour un des plus riches, ayant plus de douze millions d'or de revenus, outre les présents que lui font tous les seigneurs du pays, qui sont en grande abondance. Ce prince est fort puissant en armes puisqu'il a mis en campagne jusqu'à vingt mille chevaux et plus de deux cent cinquante mille hommes de pied et un très grand nombre d'éléphants. Il est magnifique en ses palais. On ne le voit que très rarement. Il est fort superbe en ses vêtements tout couverts de pierres précieuses. Les plus grands du royaume ne l'abordent presque point. Lorsque les ambassadeurs sont reçus à l'audience, il faut qu'ils soient déchaussés et prosternés la face en terre. Il n'y a eu que ceux qui ont été de la part du Pape et du roi de france en 1673 qui ont été reçus à l'audience étant chaussés et assis sur des tapis richement brodés et qui ont rendu leurs civilités suivant l'usage de l'Europe sans se prosterner, qui sont Messieurs les évêques d'Héliopolis, de Bérythe et de Métellopolis, qui ont conversé avec familiarité toute extraordinaire avec ce prince, ce qui fait espérer un grand progrès à nos illustres missionnaires pour l'avancement de la foi. Il a envoyé en 1686 trois ambassadeurs vers le roi très chrétien Louis le Grand avec de rares présents.

ImageLe magnifique et superbe roi de Siam - Gravure de Nicolas (II) de Larmessin.
ImageLe magnifique et superbe roi de Siam. Fin du XVIIe siècle.
ImageLe magnifique et superbe roi de Siam. Fin du XVIIe siècle.
ImageLe magnifique et superbe roi de Siam. Fin du XVIIe siècle.
ImageStatue du roi Naraï à Lopburi. 

7 - Ces boîtes étaient appelées des bossettes dans les relations françaises. Il s'agit sans doute des boîtes rondes ouvragées appelées tiap (เตียบ).

ImageBossette (tiap : เตียบ). Époque du roi Chulalongkorn. 

8 - Ayutthaya ayant été presque complètement détruite par les Birmans en 1767, il n'existe aucun vestige de ce palais. Toutefois, d'après la description de Chaumont, on peut penser que la salle d'audience ressemblait fort à celle qui se trouve dans le pavillon Dusitsawan Thanya Mahaprasart du Phra Narai Ratchanivet de Lopburi.

ImageL'intérieur du pavillon Dusitsawan Thanya Mahaprasart. 
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Page mise à jour le
24 janvier 2019