VII - Préparatifs de départ.

Page de la Relation du chevalier de Chaumont

Le mardi 26, j'eus audience particulière pour la quatrième fois, et le roi me témoigna l'estime qu'il faisait de la nation française, après plusieurs autres discours dont j'ai pareillement rendu compte au roi. Le soir j'allai voir une fête que les Siamois font au commencement de leur année, qui consiste en une grande illumination. Elle se fait dans le palais, dans une grande cour à l'entour de laquelle il y a plusieurs cabinets pleins de petites lampes, et au devant de ces cabinets il y a de grandes perches plantées en terre, où pendent tout du long des lanternes de corne peinte. Cette fête dure huit jours (1).

Le dimanche 2 décembre, M. Constance m'envoya des présents ; il en fit aussi à M. l'abbé de Choisy et aux gentilshommes qui m'accompagnaient. Ces présents étaient des porcelaines, des bracelets, des cabinets de la Chine, des robes de chambre et des ouvrages du Japon faits d'argent, des pierres de bézoard (2), des cornes de rhinocéros et autres curiosités de ce pays-là.

Le 10, j'allai voir la grande chasse des éléphants, qui se fait en la forme suivante : le roi envoie grand nombre de femelles en compagnie, et quand elles ont été plusieurs jours dans les bois et qu'il est averti qu'on a trouvé des éléphants, il envoie trente ou quarante mille hommes qui font une très grande enceinte dans l'endroit où sont les éléphants. Ils se postent de quatre en quatre, de vingt à vingt-cinq pieds de distance les uns des autres, et à chaque campement on fait un feu élevé de trois pieds de terre ou environ. Il se fait une autre enceinte d'éléphants de guerre, distants les uns des autres d'environ cent et cent cinquante pas, et dans les endroits par où les éléphants pourraient sortir plus aisément, les éléphants de guerre sont plus fréquents. En plusieurs lieux il y a du canon, que l'on tire quand les éléphants sauvages veulent forcer le passage, car ils craignent fort le feu. Tous les jours on diminue cette enceinte, et à la fin elle est très petite, et les feux ne sont pas à plus de cinq ou six pas les uns des autres. Comme ces éléphants entendent du bruit autour d'eux, ils n'osent pas s'enfuir, quoique pourtant il ne laisse pas de s'en sauver quelqu'un, car on m'a dit qu'il y avait quelques jours qu'il s'en était sauvé dix. Quand on les veut prendre, on les fait entrer dans une place entourée de pieux, où il y a quelques arbres entre lesquels un homme peut facilement passer. Il y a une autre enceinte d'éléphants de guerre et de soldats, dans laquelle il y entre des hommes montés sur des éléphants, fort adroits à jeter des cordes aux jambes de derrière des éléphants qui, lorsqu'ils sont attachés de cette manière, sont mis entre deux éléphants privés, outre lesquels il y en a un autre qui les pousse par derrière, de sorte qu'il est obligé de marcher, et quand il veut faire le méchant, les autres lui donnent des coups de trompe. On les mena sous des toits et on les attacha de la même manière que le précédent. J'en vis prendre dix, et on me dit qu'il y en avait cent quarante dans l'enceinte. Le roi y était présent, il donnait ses ordres pour tout ce qui était nécessaire (3). En ce lieu-là, j'eus l'honneur d'avoir un long entretien avec lui, et il me pria de lui laisser à son service M. de Forbin, lieutenant de mon navire (4). Je le lui accordai et je le lui présentai. Dans le même temps que le roi lui eut parlé, il lui fit un présent d'un sabre dont la poignée et la garde étaient d'or et le fourreau garni d'or, d'un justaucorps de brocart d'or d'Europe, garni de boutons d'or. Alors le roi me fit aussi présent d'une soucoupe et d'une coupe couverte d'or. Il me fit servir la collation dans le bois, où il y avait nombre de confitures, de fruits et des vins.

Le lendemain 11, je retournai à cette chasse sur des éléphants. Le roi y était. Il vint deux mandarins me chercher de sa part pour lui aller parler. Il me dit plusieurs choses, et il me demanda le sieur de la Mare, ingénieur que j'avais à ma suite, pour faire fortifier ses places. Je lui dis que je ne doutais pas que le roi mon maître n'approuvât fort que je le lui laissasse, puisque les intérêts de Sa Majesté lui étaient très chers, et que c'était un habile homme dont Sa Majesté serait satisfaite. J'ordonnai au sieur de la Mare de rester pour rendre service au roi, qui lui parla et lui donna une veste d'une étoffe d'or. Le roi me dit qu'il voulait envoyer un petit éléphant à Mgr le duc de Bourgogne, qu'il me montra, et, après avoir fait un peu de réflexion, il me dit que s'il n'en donnait qu'à Mgr le duc de Bourgogne, il appréhendait que Mgr le duc d'Anjou n'en fût jaloux (5), c'est pourquoi il voulait en envoyer deux ; et comme je faisais état de partir le lendemain pour me rendre à bord, je lui présentai les gentilshommes qui étaient avec moi pour prendre congé de Sa Majesté. Ils le saluèrent, et le roi leur souhaita un heureux voyage. M. l'évêque voulut lui présenter MM. l'abbé de Lionne et le Vacher, missionnaires, pour prendre congé de lui, qui s'en venaient avec moi, mais il dit à M. l'évêque qu'à l'égard de ces deux personnes ils étaient de sa Maison, qu'il les regardait comme ses enfants et qu'ils prendraient congé de lui dans son château. Après, le roi se retira et je le conduisis jusqu'au bout du bois, prenant le chemin de Louvo, parce que le roi avait une maison dans le bois, où il demeure durant qu'il s'occupe à cette chasse d'éléphants.

Le mercredi 12, le roi me donna audience de congé. M. l'évêque y était. Il me dit qu'il était très content et très satisfait de moi et de toute ma négociation. Il me donna un grand vase d'or qu'ils appellent bossette : c'est une des marques des plus honorables de ce royaume-là, et c'est comme si le roi en France donnait le cordon bleu (6). Il me dit qu'il n'en faisait point les cérémonies, parce qu'il y aurait peut-être eu quelque chose qui ne m'aurait pas été agréable, à cause des génuflexions que les plus grands du royaume sont obligés de faire en pareil rencontre. Il n'y a d'étrangers en sa Cour que le neveu du roi de Cambodge qui ait eu une semblable marque d'honneur, qui signifie que l'on est oyas, dignité qui est en ce pays-là comme duc en France. Il y a plusieurs sortes d'oyas que l'on distingue par leurs bossettes. Ce monarque eut la bonté de me dire des choses si obligeantes en particulier que je n'oserais les raconter, et dans tout mon voyage j'en ai reçu des honneurs si grands que j'aurais peine d'être cru, s'ils n'étaient uniquement dus au caractère dont Sa Majesté avait daigné m'honorer. J'ai reçu aussi mille bons traitements de ses ministres et du reste de sa Cour. MM. l'abbé de Lionne et le Vacher prirent en même temps congé du roi qui, après leur avoir souhaité un bon voyage, leur donna à chacun un crucifix d'or de tambac (7) avec le pied d'argent. Au sortir de l'audience, M. Constance me mena dans une salle entourée de jets d'eau qui était dans l'enceinte du palais, où je trouvai un très grand repas servi à la mode du royaume de Siam. Le roi eut la bonté de m'envoyer deux ou trois plats de sa table, car il dînait en même temps. Sur les cinq heures je me mis dans une chaise dorée portée par dix hommes, et les gentilshommes qui m'accompagnaient étaient à cheval. Nous entrâmes dans nos balons ; il y avait nombre de mandarins qui m'accompagnaient aussi. Les rues étaient bordées de soldats, d'éléphants et de cavaliers mauresques. Elles étaient de la même manière le matin quand je fus à l'audience. Tous les mandarins qui m'avaient accompagné jusqu'à mon balon se mirent dans les leurs et vinrent avec moi. Il y avait environ cent balons, et j'arrivai le lendemain 13 à Siam, sur les trois heures du matin. La lettre du roi de Siam et ses ambassadeurs pour la France étaient avec moi dans un très beau balon, accompagnés de plusieurs autres. Le roi me fit présent de porcelaines pour six à sept cents pistoles, deux paires de paravents de la Chine, quatre tapis de table en broderie d'or et d'argent de la Chine, d'un crucifix dont le corps est d'or, la croix de tambac, qui est un métal plus estimé que l'or dans ce pays-là, et le pied d'argent, avec plusieurs autres curiosités des Indes. Et comme la coutume de ces pays est de donner à ceux qui portent les présents, j'ai donné aux conducteurs des balons du roi qui m'avaient servi d'environ huit à neuf cents pistoles. À l'égard de M. Constance, je pris la liberté de lui donner un meuble que j'avais porté de France, et à Mme sa femme (8) une chaise à porteurs très belle, qui me coûtait en France 200 écus, avec un miroir garni d'or et de pierreries d'environ 60 pistoles. Le roi a aussi fait pour environ 700 ou 800 pistoles de présents à M. l'abbé de Choisy, en cabinets de la Chine, ouvrages d'argent du Japon, plusieurs porcelaines très belles et autres curiosités des Indes.

Le 14, sur les cinq heures du soir, je partis de Siam, accompagné de M. Constance, de plusieurs mandarins et nombre de balons, et j'arrivai à Bangkok le lendemain de grand matin. Les forteresses qui étaient par les chemins, et celles de Bangkok me saluèrent de toute leur artillerie. Je restai un jour à Bangkok, parce que le roi m'avait dit dans une audience que, comme j'étais homme de guerre, il me priait d'en voir les fortifications et de dire ce qu'il y avait à faire pour les bien fortifier et d'y marquer une place pour y bâtir une église. J'en fis un petit devis que je donnai à M. Constance.

Le 16 au matin, j'en partis, accompagné des mandarins. Les forteresses me saluèrent, et sur les quatre heures, j'arrivai à la barre de Siam dans les chaloupes des deux navires du roi où je m'étais mis. J'arrivai à bord sur les sept heures.

Le 17, la frégate du roi de Siam dans laquelle étaient ses ambassadeurs et sa lettre pour le roi de France vint mouiller proche de mon navire. J'envoyai ma chaloupe, qui amena deux des ambassadeurs, et après je renvoyai encore la même chaloupe qui apporta l'autre ambassadeur et la lettre du roi, qui était sous un dais ou pyramide toute dorée et fort élevée. La lettre était écrite sur une feuille d'or roulée et mise dans une boîte d'or. On salua cette lettre de plusieurs coups de canon, et elle demeura sur la dunette de mon navire avec des parasols par-dessus jusqu'au jour de notre départ. Quand les mandarins passaient proche d'elle, ils la saluaient à leurs manières, leur coutume étant de faire de grands honneurs aux lettres de leur roi. Le lendemain ce navire partit, remontant la rivière, et dans le même temps parut un autre navire du roi de Siam, qui vint mouiller proche de nous, dans lequel était M. Constance. Il vint à mon bord le lendemain 19, où il dîna, et l'après-dîné, il s'en retourna à terre dans ma chaloupe. Je le fis saluer de vingt et un coups de canon. Nous nous séparâmes avec peine, car nous avions déjà lié une très étroite amitié et une extrême confiance. C'est un homme qui a extrêmement de l'esprit et du mérite, et je puis dire qu'on ne peut pas avoir de plus grands égards que ceux qu'il a eus pour moi. J'étais étonné de n'entendre point de nouvelles de M. le Vacher, missionnaire, du chef de la Compagnie française et de mon secrétaire, qui devaient venir à bord. Ayant appris qu'ils étaient partis de la rivière de Siam dès le 16, avec sept des gentilshommes qui devaient accompagner les ambassadeurs du roi de Siam et plusieurs de leurs domestiques, cela me fit croire qu'ils étaient perdus et me fit prendre la résolution de partir, car le vent était fort favorable. Mais M. Constance me pria d'attendre encore un jour, pendant qu'il allait envoyer sur la côte pour apprendre de leurs nouvelles.

Le lendemain 20, une partie de ces gens-là revint à bord. Quatre des gentilshommes des ambassadeurs du roi de Siam et la plupart de leurs domestiques n'ayant voulu s'embarquer dans un bateau qu'ils avaient pris par les chemins, parce qu'il était un peu bas de bord, ils me dirent que, le même jour 16, ils étaient venus proche du bord sur les onze heures de nuit et que, croyant mouiller l'ancre, ils n'avaient pas assez de câble dans leur bateau, ce qu'ils aperçurent en voyant le bateau s'éloigner du vaisseau. Lors il s'éleva un vent fort grand qui fit grossir la mer, et les courants devinrent contraires, ce qui fit qu'ils allèrent à plus de 40 lieues au large, avec grand risque de se perdre. Ils dirent qu'ils avaient laissé les autres à plus de 25 lieues, échoués sur un banc de vase d'où il n'y avait pas apparence qu'ils pussent venir à bord sitôt. C'est ce qui me fit prendre la résolution de partir dès le lendemain au matin. Je crois en cet endroit devoir faire mention des pères jésuites qui s'étaient embarqués avec nous à Brest et que nous laissâmes à Siam ; c'étaient les pères Fontenay, Tachard, Gerbillon, le Comte, Bouvet et un autre (9), aussi habiles que bons religieux, et que le roi avait choisis pour envoyer à la Chine y faire des observations mathématiques. Je crois leur devoir la justice d'en parler et de dire que, lorsque nous fûmes arrivés au cap de Bonne-Espérance, le gouverneur hollandais leur fit beaucoup d'amitié et leur donna une maison dans le jardin de la Compagnie, fort propre, pour y faire des observations, où ils portèrent tous leurs instruments de mathématiques. Mais comme je ne restai que six ou sept jours dans ce lieu-là, ils n'eurent pas le temps d'en faire un grand nombre. Ces bons pères m'ont été d'un grand secours dans mon voyage jusqu'à Siam, par leur piété, leurs bons exemples et l'agrément de leur conversation. J'avais la consolation que presque tous les jours on disait cinq ou six messes dans le vaisseau, et j'avais fait faire une chambre exprès aux pères pour y dire la messe. Toutes les fêtes et les dimanches nous avions prédication ou simple exhortation. Le père Tachard, l'un d'eux, faisait trois fois la semaine le catéchisme à tout l'équipage, et ce même père a fait beaucoup de fruit dans tout le vaisseau, car, s'entretenant familièrement avec tous les matelots et les soldats, il n'y en a pas eu un qui n'ait fait souvent ses dévotions. Il accommodait tous les démêlés qui y survenaient. Il y avait deux matelots huguenots qui, par ses soins, ont abjuré l'hérésie entre les mains du père Fontenay, qui était leur supérieur. Ces pères allaient à Siam dans le dessein de s'embarquer sur des vaisseaux portugais que l'on y trouve ordinairement de Macao et qui retournent à la Chine. Ces pères y trouvèrent M. Constance, ministre du roi de Siam, qui aime fort les jésuites et qui les protège. Il les a fait loger à Louvo dans une maison du roi, et les défraye de toutes choses.

Dans une audience que le roi me donna, je lui dis que j'avais amené avec moi six pères jésuites qui s'en allaient à la Chine faire des observations mathématiques, et qu'ils avaient été choisis par le roi mon maître comme les plus capables en cette science. Il me dit qu'il les verrait, et qu'il était bien aise qu'ils se fussent accommodés avec M. l'évêque. Il m'a parlé plus d'une fois sur cette matière. M. Constance les lui présenta quatre ou cinq jours après et, par bonheur pour eux, il y eut ce jour-là une éclipse de lune. Le roi leur dit de faire porter leurs instruments de mathématiques dans une maison où il allait coucher à une lieue de Louvo, où il est ordinairement quand il prend le plaisir de la chasse. Les pères ne manquèrent pas de s'y rendre et se postèrent avec leurs lunettes dans une galerie où le roi vint sur les trois heures du matin, qui était le temps de l'éclipse. Ils lui firent voir dans cette lunette tous les effets de l'éclipse, ce qui fut fort agréable au roi (10). Il dit bien des honnêtetés aux pères et leur dit qu'il savait bien que M. Constance était de leurs amis, aussi bien que du père de La Chaize. Il leur donna un grand crucifix d'or et de tambac, et leur dit de l'envoyer de sa part au père de La Chaize (11). Il en donna un autre plus petit au père Tachard (12), en leur disant qu'il les reverrait une autre fois. Sept ou huit jours devant mon départ, M. Constance proposa aux pères que, s'ils voulaient rester deux à Siam, le roi en serait bien aise. Ils répondirent qu'ils ne le pouvaient pas, parce qu'ils avaient ordre du roi de France de se rendre incessamment à la Chine. Il leur dit que, cela étant, il fallait qu'ils écrivissent au père général d'en envoyer douze au plus tôt dans le royaume de Siam, et que le roi lui avait dit qu'il leur ferait bâtir des observatoires, des maisons et églises. Le père Fontenay m'apprit cette proposition ; je lui dis qu'il ne pouvait mieux faire que d'accepter ce parti, puisque par la suite ce serait un grand bien pour la conversion du royaume. Il me dit que, sur mon approbation, il avait envie de renvoyer le père Tachard en France pour ce sujet, ce que j'approuvai, le père Tachard étant homme d'un grand esprit et qui ferait indubitablement réussir cette affaire, les lettres ne pouvant lever plusieurs obstacles que l'on pourrait y mettre, ce qui a fait que je le ramène. Ce père m'a été encore d'un grand secours, ainsi qu'aux gentilshommes qui m'ont accompagné, auxquels il a appris avec un très grand soin les mathématiques durant notre retour. Je ne dirai rien des grandes qualités de M. l'évêque de Métellopolis, non plus que des progrès de MM. des Missions Étrangères dans l'Orient, puisque, suivant leur coutume, ils ne manqueront pas de donner au public une relation exacte touchant ce qui concerne la religion dans ce pays-là. J'aurais eu une extrême joie d'y rencontrer M. l'évêque d'Héliopolis (13). Le roi de Siam me dit un jour qu'il serait mort de joie s'il avait vu dans son royaume un ambassadeur de France arriver, mais Dieu n'a pas permis que nous eussions l'un et l'autre cette consolation, et nous avons appris qu'il avait terminé dans la Chine ses longs travaux par une mort très sainte. Mais avant de faire le récit jusqu'à notre arrivée à Brest, je crois à propos de raconter ce que (dans le peu de temps que j'ai resté dans le royaume de Siam) j'ai pu remarquer touchant les mœurs, le gouvernement, le commerce et la religion.

Ici s'intercale une longue parenthèse intitulée État du gouvernement, des mœurs, de la religion et du commerce du royaume de Siam, dans les pays voisins, et plusieurs autres particularités. (pp. 115 à 184 dans l'édition Seneuze et Horthemels de 1686). Afin de ne pas nuire à la continuité du récit, nous l'avons reportée à la fin de la relation proprement dite.

◄  Page précédente
La relation du chevalier de Chaumont
Visites protocolaires et tourisme
Page suivante  ►
La relation du chevalier de Chaumont
Départ de la rade de Siam

NOTES

1 - Le père Tachard évoque cette fête dans sa relation (Voyage de Siam des pères jésuites, 1686, p. 294) : Le lendemain, nous allâmes sur le soir au palais avec M. l'ambassadeur. Nous y vîmes une illumination qui s'y fait tous les ans au commencement de l'année. Elle consistait en dix-huit cents ou deux mille lumières, dont les unes étaient rangées sur de petites fenêtres pratiquées exprès dans les murailles de l'enceinte du palais, et les autres en des lanternes dans un ordre assez beau et assez particulier. Nous admirâmes surtout certains grands falots de la Chine en forme de globes, qui sont d'un seul morceau de corne transparente comme le verre, et quelques autres d'une espèce de verre de la Chine fait de riz. Ces illuminations étaient accompagnées du son des tambours, des fifres et des trompettes. Durant tout le temps que le roi assista à ce spectacle, la princesse en donnait un semblable aux dames de la cour dans un autre côté du palais. La nouvelle lune tombait le 26 novembre 1685. Il s'agissait sans doute de la fête de con parian, le hissage des lanternes, évoquée dans l'ouvrage Siamese State Ceremonies de H. G. Quaritch Wales, Londres, 1931. Gerolamo Emilio Gerini lui consacre un paragraphe dans l'Encyclopædia of Religion and Ethics, Hastings, volume V, Edinburgh, New York, 1912 : Les lampes sont hissées sur des mâts le jour de la nouvelle lune et allumées à la nuit, jusqu'au deuxième jour du déclin. Elles sont gardées allumées pour éloigner les esprits, et aussi pour empêcher l'eau d'envahir les rizières alors que les épis de riz n'ont pas atteint leur maturité. Gerini voit dans cette fête une transposition du Dipavali, la fête des lumières qui marque le passage du nouvel an hindou. Cette fête ne doit pas être confondue avec Loy Krathong (ลอยกระทง), qui a lieu à la pleine lune du 12ème mois lunaire. 

2 - Le bézoard est une concrétion calculeuse qui se forme dans l’estomac, les intestins et les voies urinaires de certains animaux, autour de laquelle se forment des couches concentriques. Lorsqu'il atteint ou dépasse la grosseur d'un œuf de poule, le bézoard constitue un objet d'immense valeur. C'est la grande curiosité du XVIe siècle, d'autant plus que la découverte du Nouveau Monde en a fait connaître de nouvelles espèces. Au XVIIe siècle, on distingue le bézoard oriental, connu en Europe depuis le XIIe siècle comme un excellent remède contre les poisons, du bézoard occidental provenant d'Amérique. Ce dernier est souvent de taille plus importante mais moins efficace sur le plan curatif. Pour l'usage médical le bézoard est broyé en poudre et ingurgité. Même réduit en poudre il vaut extrêmement cher. On explique les vertus médicales du bézoard par le fait que les animaux chez lesquels il se forme consomment de grandes quantités d'herbes vénéneuses et fabriquent ainsi le précieux antidote concentré dans le calcul. Dans les cabinets princiers ils sont parfois ornés de monture d'or ou d'argent comme par exemple ceux de la collection de Rodolphe II à Prague. (Antoine Schnapper, Le géant, la licorne, la tulipe : Collections françaises au XVIIe siècle, Paris, Flammarion, 1988).

ImageBézoard. Fin du XVIIe siècle. Kunsthistorisches Museum, Vienne. 

3 - Un dessin colorié est consacré à la chasse aux éléphant dans le recueil anonyme intitulé Usages du Royaume de Siam, cartes, vues et plans : sujets historiques en 1688 conservé à la Bibliothèque nationale. Il est ainsi légendé : Chasse pour prendre les éléphant. On fait une estacade ou palissade de gros pieux ou arbres entiers dont l'enceinte est triangulaire et a quelquefois deux lieues de tour ou de circuit. On laisse la base de ce triangle ouvert pour la fermer quand on veut, on a des pieux tout prêts à terre. Vis à vis de cette enceinte, on fait dans la forêt une battue de plusieurs milliers d'hommes à quelques lieues de cette palissade ; il font un très grand cercle et avec des tambours, des trompettes et des mousquets il épouvantent et font fuir les éléphants sauvages, les conduisant vers l'estacade où, les ayant réduits, ils les renferment avec les pieux préparés et pour les prendre et les apprivoiser on a une porte à l'endroit le plus étroit et l'on y fait entrer un éléphant docile qui va badiner avec le premier éléphant sauvage auquel on jette une corde au col et l'on le joint à l'éléphant domestique. On les fait sortir de cette enceinte et l'on les laisse ainsi jusqu'à ce qu'ils soient apprivoisés.

ImageChasse pour prendre les éléphants. Dessin anonyme (1688).
ImageDétail du dessin Chasse pour prendre les éléphants. 

4 - S'il faut en croire les Mémoires du comte de Forbin (1730, I, pp. 123 et suiv.), le désir de le retenir au Siam était bien davantage l'idée de Phaulkon que celle du roi Naraï : Dès lors le père Tachard eut tout le secret de l’ambassade, et il fut déterminé qu’il retournerait en France avec les ambassadeurs siamois. Tout étant ainsi arrêté, mon retour était regardé par Constance comme l’obstacle qui pouvait le plus nuire à ses desseins : en voici la raison. Dans les différentes négociations où mes fonctions de major de l’ambassade m’avaient engagé auprès de lui, il avait reconnu dans moi une humeur libre et un caractère de franchise, qui, ne m’ayant jamais permis de dissimuler, me faisait appeler tout par son nom. Dans cette pensée, il appréhenda que n’ayant pas une fort grande idée de Siam et du commerce qu’on pourrait y établir, ce que j’avais donné à connaître assez ouvertement, quoique je ne me doutasse en aucun sorte de son dessein, il appréhenda, dis-je, qu’étant en France, je ne fisse de même qu’à Siam, et, qu’en divulguant tout ce que je pensais de ce pays, je ne ruinasse d’un seul mot un projet sur la réussite duquel il fondait toutes ses espérances.

Et s’il faut dire la vérité, il n’avait pas tort de ne pas se fier à moi sur ce point ; car ne n’aurais jamais manqué de dire toute ce que j’en savais, ayant assez à cœur l’intérêt du roi et de la nation pour ne vouloir pas donner lieu par mon silence à une entreprise d’une très grande dépense et de nul rapport. Appréhendant donc qu’en disant la vérité, je ne gâtasse tout ce qu’il avait conduit avec tant d’art, il fit tout ce qu’il put pour me retenir, ainsi que j’ai déjà dit.

Voilà au vrai quelles furent ses raisons, dont je ne commençai à être instruit qu’après le départ des ambassadeurs, dans une longue conversation que j’eus avec lui, et dans laquelle il me laissa entrevoir une grande partie de ce que j’ai rapporté, et, pour le reste, j’en ai été instruit dans la suite, en partie dans des conversations particulières que j’ai eues avec des personnes qui en étaient informées à fond, et en partie par la suite des évènements dont il m’a été aisé de démêler le principe, à mesure que je les voyais arriver.

ImageLe comte de Forbin, amiral de Siam. 

5 - Louis de France, fils du Grand Dauphin et de Marie-Anne de Bavière et petit fils de Louis XIV, né à Versailles le 6 août 1682, mourra prématurément de la rougeole en 1712. Il sera le père du futur Louis XV. Son frère cadet, Philippe de France, né le 19 décembre 1683, deviendra roi d'Espagne sous le nom de Philippe V el Animoso. Il mourra à Madrid le 9 juillet 1746. 

ImageLouis de France, duc de Bourgogne. Gravure de Larmassin. 

6 - Croix de l'ordre du Saint-Esprit, l'ordre de chevalerie le plus prestigieux sous l'Ancien régime. 

7 - Alliage d'or et de cuivre. Voir sur ce site l'article qui lui est consacré : Le tambac

8 - Maria Guyomar de Pinha, que les Français appelaient Marie Guimard, d’origine portugaise et japonaise. Fille de bonne famille catholique, elle avait à peine seize ans lorsque Phaulkon l’épousa et abjura la religion protestante. 

9 - Il s'agissait de Claude de Visdelou (1656-1737), qui deviendra vicaire apostolique de Guizhou, en Chine, et évêque de Claudiopolis. 

10 - Il y eut une éclipse totale de lune dans la nuit du 10 au 11 décembre. Elle est évoquée par l'abbé de Choisy dans son Journal du 11 décembre et le père Tachard indique qu'elle fut observée depuis Thale Chubson (ทะเลชุบศร) également appelé Prathinang Yen (พระตี่นั่งเย็น : la résidence fraîche), un faubourg situé à environ trois kilomètres du centre de Lopburi où le roi Naraï avait fait construire un pavillon (Tamnak Kraisorn-Sriharaj : (ตำหนักไกรสรสีหราช). Une gravure de la relation du père Tachard illustre cette scène :

ImagePalais de Louvo d'où le roi de Siam observe l'éclipse de lune.
ImageLe pavillon Kraisorn-Sriharaj à Thale Chubson. 

11 - François d'Aix de la Chaize, (1624-1709), jesuite et confesseur de Louis XIV depuis 1675 jusqu'à sa mort. 

12 - Ce crucifix aurait dû revenir à l'abbé de Choisy, ainsi qu'il l'explique dans ses Mémoires pour servir à l'histoire de Louis XIV (1727, II, p. 45) : ... je ne voulus pas quitter ma retraite, et je laissai faire le père Tachard, qui par là me souffla un beau crucifix d’or que le roi de Siam me devait donner à l’audience de congé, et dont le bon père fut régalé avec justice, puisque le chevalier de Chaumont et moi n’étions plus que des personnages de théâtre et qu’il était le véritable ambassadeur, chargé de la négociation secrète. Je ne sus tout cela bien au juste qu’après être arrivé en France. Mais quand je me vis dans mon pays, je fut si aise que je ne me sentis aucune rancune contre personne. 

13 - Ignace Cotolendi, évêque in partibus de Métellopolis, décédé à Machilipatnam le 16 août 1662. 

Banniere bas retour
Page mise à jour le
24 janvier 2019