Livre VI - Suite.
Les mœurs et la religion des Siamois.

Page de la relation du père Tachard
Les hommes peuvent devenir dieux.

Les hommes peuvent devenir dieux, mais ce n'est qu'après un temps fort considérable, car il faut qu'ils aient acquis une vertu consommée. Ce n'est pas même assez d'avoir fait beaucoup de bonnes œuvres dans les corps où leurs âmes se sont trouvées, il faut encore qu'à chaque bonne action ils aient eu en vue de mériter la divinité, qu'ils aient marqué cette intention en invoquant et prenant à témoin au commencement leurs bonnes œuvres les anges qui président aux quatre parties du monde, qu'ils aient versé de l'eau, en implorant le secours de l'ange gardienne de la terre, appelée naang pphrathorani (1). Car ils croient, comme nous l'expliquerons dans la suite, qu'il y a différence de sexe parmi les anges aussi bien que parmi les hommes. Ceux qui souhaitent devenir dieux observent soigneusement cette pratique.

Les Siamois reconnaissent un état permanent de sainteté.

Outre cet état de divinité auquel les plus parfait aspirent, il y en a encore un moins élevé qu'ils appellent l'état de sainteté. Il suffit pour être saint, qu'après avoir passé dans plusieurs corps, on ait acquis beaucoup de vertus et que dans les actes qu'on en a pratiqués on se soit proposé d'acquérir la sainteté. Les propriétés de la sainteté sont les mêmes que celles de la divinité. Les saints les possèdent aussi bien que Dieu, mais dans un degré bien moins parfait ; outre que Dieu les a par lui-même, sans les recevoir de personne, au lieu que les saints les tiennent de lui par les instructions qu'il leur donne. C'est lui qui leur apprend tous ces secrets dont il a une connaissance parfaite. C'est pour cela que s'ils ne renaissent pendant qu'il est dans le monde, comme ils ne peuvent recevoir ses enseignements, ils ne sont point sanctifiés, aussi ont-ils coutume dans leurs bonnes oeuvres de demander la grâce de renaître en même temps que leur dieu. Ce que nous avons dit de la divinité, qu'elle n'est consommée que lorsque Dieu mourant sur la terre monte au ciel pour ne plus paraître ici-bas, se doit pareillement entendre de la sainteté. Car elle n'est parfaite que lorsque les saints meurent pour ne plus renaître et que leurs âmes sont portées dans le paradis pour y jouir d'une éternelle félicité.

Les Siamois croient un paradis et un enfer.

Voilà quels sont à peu près les sentiments de ces peuples touchant la divinité. Et comme ils sont assez éclairés pour reconnaître que le vice doit être puni et la vertu récompensée, ils croient un paradis où les justes goûtent le plaisir que leurs bonnes œuvres ont méritées et un enfer où les méchants reçoivent le châtiment dû à leurs crimes. Ils placent le paradis dans le plus haut ciel, et l'enfer dans le centre de la terre. Les plaisirs du paradis et les supplices de l'enfer ne sont point éternels, on ne demeure dans l'un et dans l'autre qu'un certain temps, qui est plus long ou plus court selon qu'on a fait plus de bonnes œuvres ou qu'on a commis plus de péchés.

Ce que les Siamois croient de l'enfer.

Ils disent qu'il y a dans l'enfer des anges administrateurs de la justice qui ont soin de marquer exactement toutes les mauvaises actions des hommes, qui les examinent après leur mort et les en punissent avec une extrême sévérité. Ils ont au sujet du jugement qui se fait alors une imagination ridicule, ils se persuadent que le premier de ces juges, qu'ils appellent Prayomppaban (2), a un livre où la vie de chaque homme en particulier est écrite, qu'il le relit continuellement et que lorsqu'il est arrivé à la page qui contient l'histoire de cette personne, elle ne manque jamais d'éternuer. C'est pour cela, disent-ils, que nous éternuons sur la terre, et de là est venu la coutume qu'ils ont de souhaiter une heureuse et longue vie à tous ceux qui éternuent (3).

L'enfer est divisé en huit demeures, qui sont comme huit degrés de peine. Ils croient même qu'il y a un feu qui brûle les damnés.

Ce qu'ils croient du paradis.

Ils se figurent aussi dans le ciel huit différents degrés de béatitude. Ils y mettent les mêmes choses que sur la terre : ils assurent qu'il y a des rois, des princes, des peuples, qu'on y fait la guerre, qu'on y donne des batailles, qu'on y remporte des victoires, que le mariage même n'en est pas banni, que dans la première, la seconde et la troisième demeure, les saints peuvent avoir des enfants, que dans la quatrième enfin il n'y a plus ni concupiscence ni mariage ; et c'est ainsi que la pureté augmenté toujours jusqu'au dernier ciel, qui est proprement le paradis, appelé en leur langue Niruppan (4), où les âmes des saints et des dieux vivent dans une pureté parfaite et une souveraine félicité.

Ils soutiennent que tout ce qui arrive de bien ou de mal aux hommes est l'effet de leurs bonnes ou de leurs mauvaises actions, et qu'on n'est jamais malheureux et innocent tout ensemble. Ainsi les richesses, les honneurs, la sainteté et la divinité sont la récompense d'une vie vertueuse, et au contraire l'infamie, la pauvreté, les maladies, la mort, l'enfer, sont la punition des péchés que l'on a commis. Et soit qu'on renaisse sous la figure humaine ou sous la figure de quelque animal, ils attribuent les avantages avec lesquels on vient au monde, comme sont la bonté, la bonne grâce, l'esprit, la noblesse, au mérite des bonnes œuvres, et les défauts naturels comme la laideur, la mutilation des membres, au dérèglement de cette vie ou des autres qui l'ont précédée. Toutes ces choses, disent-ils, sont autant de marques certaines qui nous font connaître quelle vie les hommes ont menée avant que de naître en cet état, et voilà la source de cette prodigieuse diversité qui paraît dans leurs conditions, dans leurs vies et dans leur mort. Prévenus de ces erreurs, ils méprisent ce qu'on leur dit du péché originel et de ses effets, et ils traitent de visions la désobéissance et la punition de notre premier père.

Les Siamois respectent par un motif de religion les personnes distinguées par leur qualité, leur fortune ou par leurs avantages de corps ou d'esprit.

Les âmes des hommes qui renaissent dans le monde sortent de trois endroits différents, du ciel, de l'enfer ou du corps des animaux. Ceux dont les âmes viennent du ciel ont quelques marques avantageuses qui les distinguent, ils ont en partage la vertu, la beauté, la santé, les richesses, et ils naissent grands princes bien faits. Voilà le principe du respect que ces peuples ont pour les personnes élevées en dignité ou d'une naissance illustre, parce qu'ils les regardent comme devant bientôt être divinisés ou sanctifiés puisqu'ils ont fait assez de bonnes œuvres pour mériter ce haut rang de gloire où ils les voient. Ceux dont les âmes sortent des corps des animaux sont moins parfaits que les premiers, mais beaucoup plus cependant que ceux qui viennent de l'enfer. Ils considèrent ces derniers comme des scélérats que leurs crimes rendent dignes de toutes sortes de malheurs. De là vient aussi l'horreur que les Siamois ont pour la croix de Jésus-Christ (5), car enfin, répondent-ils, quand on leur en parle, s'il eût été juste, sa justice et ses bonnes œuvres l'eussent garanti du supplice honteux qu'il a souffert, et défendu de la fureur de ses ennemis.

Ils reconnaissent la peine et la coulpe du péché.

Ils distinguent deux choses dans le péché : la coulpe (6) et la peine réservée dans l'enfer à celui qui pèche. La peine peut bien être remise ou diminuée en cette vie par les bonnes oeuvres et par la bonne volonté, mais la coulpe n'est jamais effacée qu'on n'en ait été auparavant puni par la mort ou par les autres misères. Dans la punition que l'on tire des péchés, la loi du talion est exactement observée. Car si vous avez tué un homme, vous mourrez vous-même de mort violente dans cette vie ou dans une autre. Si vous avez tué un serpent, un serpent vous fera mourir par sa morsure. Si vous avez enlevé de leur nid les petits de quelque oiseau, vous serez un jour, après une ou plusieurs transmigrations, arraché d'entre les bras de vos parents dans votre plus tendre jeunesse, et abandonné de ceux qui pouvaient vous donner quelque secours. Leur dieu même n'a pu s'exempter de cette dure loi, car il fut mis à mort âgé de quatre-vingt deux ans (7) par un monstre appelé Man (8), qu'il avait autrefois tué à pareil âge sous la figure d'un cochon (9).

Si la faute que l'on a commise pendant la vie est légère, on peut mériter que la peine qu'on devait souffrir dans enfer soit remise, ou entièrement, ou du moins en partie, par le bien qu'on fait et même par la volonté de bien faire. Mais si le péché est grief, il n'est point de bonnes œuvres qui puissent l'effacer ; il faut l'expier dans l'enfer et y souffrir tout le châtiment qu'il mérite. C'est ce qui a donné lieu à cette tradition reçue parmi eux, que Dieu n'a pu et ne peut encore délivrer son frère des peines de l'enfer auxquelles il a été condamné.

Ainsi il n'y a aucune bonne action qui ne soit récompensée dans le ciel et il n'y a aucun crime qui ne soit puni dans l'enfer. De là ils concluent que lorsqu'un homme meurt sur la terre, il acquiert une nouvelle vie dans le ciel afin d'y jouir du bonheur qui est dû à ses bonnes œuvres, et que le temps de sa récompense étant fini, il meurt dans le ciel, pour renaître dans l'enfer, s'il est chargé de quelque péché considérable ; et s'il n'est coupable que d'une faute légère, il rentre dans le monde sous la figure de quelque animal, et ayant satisfait dans cet état à la justice, il redevient homme comme auparavant. C'est ainsi qu'ils expliquent la métempsycose, qui est un des points fondamentaux de leur religion, en sorte que la vie de l'homme se passe dans de continuelles transmigrations jusqu'à ce qu'il se soit sanctifié ou qu'il ait mérité d'être dieu. Ils admettent des esprits, mais ces esprits ne sont autre chose que des âmes qui informent toujours quelque corps jusqu'à ce qu'elle soient parvenues à la sainteté ou à la divinité.

Ils croient que les anges sont corporels.

Les anges sont corporels, et comme il y en a de différent sexe, ils peuvent avoir des fils et des filles (10). Jamais ces anges ne sont sanctifiés ni divinisés, c'est à eux seulement de veiller éternellement à la conservation des hommes et au gouvernement de l'univers. Ils les distribuent en sept ordres ou hiérarchies, dont les unes sont plus parfaites et plus nobles que les autres, et ils les placent en autant de cieux différents. Chaque partie du monde a une de ces intelligences qui préside à ce qui s'y fait. Ils en donnent aussi aux astres, à la terre, aux villes, aux montagnes, aux forêts, au vent même et à la pluie. Et parce qu'ils sont persuadés que ces anges examinent avec une application continuelle la conduite des hommes et qu'ils sont témoins de toutes leurs actions pour récompenser celles qui sont louables, en vertu des mérites de leur dieu ; c'est à ces intelligences et non pas à leur dieu qu'ils ont coutume de s'adresser dans leurs nécessités et dans leurs misères, et ils les remercient des grâces qu'ils croient en avoir reçues.

Ils ne connaissent point d'autres démons que les âmes des damnés.

Il ne reconnaissent point d'autres démons que les âmes des méchants, qui sortant de l'enfer où elles étaient détenues, errent pendant un certain temps dans le monde et font aux hommes tout le mal qu'elle peuvent. Ils mettent encore au nombre de ces esprits malheureux les enfants mort-nés, les mères qui meurent en couche, ceux qui sont tués en duel, ou qui sont coupables de quelques autres crimes de cette nature.

Ils racontent des choses merveilleuses de certains anachorètes.

Ils racontent des choses merveilleuses de certains anachorètes qu'ils appelles pra rasi (11), lesquels retirés dans d'affreuse solitude et dans d'épaisses forêts mènent une vie très sainte et très austère. Ces solitaires ont, au rapport de leurs livres, une parfaite connaissance des secrets les plus cachés de la nature. Ils savent faire l'or, l'argent et les métaux les plus précieux. Il n'est point de miracle si étonnant qui soit au-dessus de leurs forces. Ils prennent toutes les figures qu'ils veulent, ils s'élèvent en l'air et se trouvent en un instant où il leur plaît. Mais quoique ces hommes extraordinaires puissent se rendre immortels, parce qu'ils savent le moyen de se prolonger la vie, ils la sacrifient cependant à dieu de mille ans en mille ans, en se consumant eux-mêmes sur un bûcher, à la réserve d'un seul qui reste pour ressusciter les autres par la vertu de ses charmes. Il n'est pas moins dangereux que difficile de trouver ces ermites miraculeux, on court risque de la vie quand on les rencontre. On apprend néanmoins dans les livres des talapoins le chemin qu'il faut tenir et les moyens dont on doit se servir pour parvenir aux lieux où ils sont.

Leur créance sur l'éternité du monde.

Ils estiment que le ciel et la terre sont incréés et éternels et ne comprennent pas que le monde ait jamais commencé ni qu'il puisse jamais finir. Ils veulent que chaque étoile et chaque planète soit la demeure d'une intelligence particulière. Ils ne comptent que sept planètes, et les noms qu'ils leur donnent servent aussi aux sept jours de la semaine, comme dans la langue latine. Du reste, les astres ne sont attachés à aucun corps, ils sont suspendus en l'air et ont leurs mouvements particuliers.

La terre est plate et carrée, selon le sentiment des Siamois.

La terre n'est point ronde, selon eux, ce n'est qu'une superficie plane. Ils la divisent en quatre parties carrées, lesquelles ils appellent Thavip. Les eaux, dont ces quatre parties sont séparées, n'étant pas navigables à cause de leur extrême subtilité, empêchent le commerce qu'elles pourraient avoir entre elles. Toute la terre est environnée d'une muraille extrêmement forte et d'une hauteur prodigieuse. Sur ce mur sont gravés en gros caractères tous les secrets de la nature, et c'est là que ces ermites merveilleux dont j'ai parlé, apprennent ce qu'ils savent de plus admirable. Car ils s'y transportent aisément avec cette agilité surprenante dont ils sont doués. Pour les hommes des trois autres parties du monde, il ont le visage bien différent du nôtre, car les habitants de la première ont le visage carré, ceux de la seconde l'ont rond, et ceux de la troisième triangulaire (12).

Quelque différence qu'il y ait pour le visage entre les habitants de ces trois parties de la terre, on se ressemble cependant si fort dans chacune en particulier qu'on ne pourrait s'y reconnaître si l'on n'avait d'ailleurs un moyen pour distinguer ceux avec qui on vit. La différence des inclinations que l'on a pour les différentes personnes est la règle de ce discernement ; ainsi un père distingue son fils d'avec sa femme et son ami parce qu'il sent pour son fils un amour tout autre que celui qu'il sent pour sa femme ou pour son ami. Il y a encore cette différence entre ces trois parties du monde et la nôtre, que tous les biens abondent dans celle-là sans nul mélange de maux, et que les choses que l'on y mange prennent le goût que l'on veut par la vertu d'une certain arbre qu'on invoque lorsqu'on est en quelque besoin. De là vient qu'on ne peut y exercer ni la charité ni aucune autre vertu, et parce qu'il n'y a aucune occasion de mériter, les hommes ne peuvent y acquérir la sainteté ni y recevoir aucun châtiment, ce qui leur fait désirer ardemment de renaître dans la partie que nous habitons, où l'on trouve plusieurs occasions de bien faire. Ils obtiennent cette grâce quand ils la demandent par les mérites du dieu qui a parcouru ces lieux quoiqu'ils nous soient inaccessibles.

Système des Siamois.

Il y a au milieu des quatre parties du monde une très haute montagne, appelée en siamois Ppukhau Pprasamen  (13). Elle est appuyée sur trois pierres précieuses fort petites à la vérité, mais cependant assez fortes et assez solides pour la soutenir. C'est autour de cette montagne que le soleil et la lune tournent continuellement, et c'est par la révolution journalière de ces deux astres que se fait le jour et la nuit. Cette grand montagne est environnée de trois rangs de montagnes moins élevées, l'une desquelles est toute d'or (14). La grande montagne est inaccessible, à cause que l'eau qui l'entoure n'est pas navigable. Pour la montagne d'or, un gouffre affreux en rend l'approche très difficile. Il est vrai qu'un homme riche y arriva autrefois, mais ce fut avec un extrême danger de perdre la vie dans cet abîme où toutes les eaux se rendent et d'où elles sortent ensuite pour former la mer et les fleuves.

Toute la masse de la terre a au-dessous d'elle une étendue immense d'eaux qui la soutiennent, comme la mer soutient un navire : ces eaux inférieures ont communication avec celles qui coulent sur la terre, par ce gouffre dont on vient de parler. Un vent impétueux tient les eaux de dessous la terre suspendues, et ce vent, qui est par lui-même et qui n'a aucune cause, soufflant de toute éternité avec une effroyable violence, les repousse continuellement et les empêche de tomber. Quand le temps sera venu auquel le dieu des Siamois a prédit qu'il cesserait de régner, alors le feu du ciel tombant sur la terre, réduira en cendre tout ce qu'il y trouvera et la terre ainsi purifiée sera rétablie en son premier état. Mais voici ce qui doit précéder ce renouvellement universel.

Ils disent que les hommes autrefois, lorsque Dieu vivait encore sur la terre, avaient une taille de géant, jouissaient d'une santé parfaite durant plusieurs siècles, n'ignoraient rien et sur tout instruits des obligations de la loi, menaient une vie pure et innocente et étaient religieux observateurs de leurs promesses. Dans la suite ils ont perdu insensiblement tous ces avantages et ils deviendront à la fin si faibles et si petits qu'à peine auront-ils la hauteur d'un pied. Leur vie sera très courte en cet état, et cependant on les verra croître en malice jusqu'à ce qu'enfin dans les derniers temps ils s'abandonneront aux crimes les plus honteux. Alors ils n'auront plus ni loi, ni écritures, et ensevelis dans l'ignorance la plus profonde, ils oublieront jusqu'au nom de la vertu. C'est ce qui leur fait dire que la fin du monde approche, parce qu'ils n'y trouvent plus que corruption et qu'il y a si peu de sincérité et de fidélité parmi les hommes, qui semblent être arrivés au comble de la malice. Au reste ces grands changements se remarqueront dans les animaux aussi bien que dans les hommes qui dégénéreront peu à peu. Ils ont même déjà perdu l'usage de la parole, laquelle, pendant que Dieu vivait encore sur la terre, leur avait été accordée en vertu de ses mérites. Ils donnent de la liberté aux bêtes, les croyant capables de bien et de mal et dignes de punition et de récompense.

Prodiges que les Siamois attendent avant la naissance d'un nouveau dieu.

Dans les trois derniers siècles six nouveaux soleil paraîtront consécutivement, et chacun d'eux éclairera le monde l'espace de 50 ans. Ces six nouveaux astres dessécheront la mer peu à peu, feront mourir les arbres et les animaux et consumeront les hommes mêmes. Après tous ces prodiges, un feu, qu'ils nomment Phaï Balatran (15), descendu du ciel, brûlera la terre. Les hauteurs en seront aplanies et n'y aura plus d'inégalité. Alors la terre couverte de cendre et de poussière sera purifiée par le souffle d'un vent impétueux qui enlèvera ces restes de l'embrasement du monde, après quoi elle exhalera une odeur si douce qu'elle attirera du ciel un ange femelle qui mangera de cette terre purifiée. Ce plaisir lui coûtera cher, car pour l'expier elle sera obligée de demeurer ici-bas sans pouvoir jamais remonter au ciel. Cette intelligence concevra du morceau qu'elle aura mangé douze fils et douze filles qui repeupleront le monde. Les hommes qui en naîtront seront ignorants, grossiers, ne se connaîtront pas d'abord eux-mêmes, et après s'être connus, ils ignoreront encore la loi et ils n'en auront la connaissance qu'après un long espace de temps qu'ils appellent Cap. Pour faire entendre la durée de ce temps, ils supposent un puits profond et carré dont chaque côté a vingt brasses. Si tous les ans on jette dans ce puits un grain de sénevé, le temps qu'il faudra pour le remplir est ce qui s'appelle Cap (16).

Cet espace de temps étant écoulé, il renaîtra un dieu qui dissipera les ténèbres de l'ignorance où ils étaient en leur enseignant la véritable religion, en leur faisant connaître les vertus qu'il faut pratiquer et les vices qu'il faut fuir, et en leur apprenant toutes les autres sciences. Il leur donnera des écritures où ces choses seront expliquées, et la loi sainte effacée depuis longtemps de l'esprit des hommes y sera de nouveau gravée par les soins et les mérites de cette divinité. Voilà l'unique emploi qu'ils jugent digne de Dieu pendant qu'il est sur la terre, car ils estiment qu'il est au-dessous de lui de vaquer au gouvernement du monde, de prendre soin des hommes et des animaux et de produire tout ce qui se voit dans l'univers. Et c'est ainsi que le monde sera renouvelé de temps et temps durant toute l'éternité (17).

Sommono-khodom est le dernier dieu des Siamois.

J'ai cru devoir expliquer toutes ces choses avant que de parler de Sommonokhodom (c'est ainsi que les Siamois appellent le dieu qu'ils adorent à présent (18) parce qu'elles sont nécessaires pour l'intelligence de son histoire. Cette histoire au reste est un mélange monstrueux de christianisme et des plus ridicules rêveries. On y suppose d'abord que Sommonokhodom naquit dieu par sa vertu propre et qu'incontinent après sa naissance, sans aucun maître qui l'instruisît, il acquit par une simple vue de son esprit une connaissance parfaite de tout ce qui regarde ciel, la terre, le paradis, l'enfer et des secrets les plus impénétrables de la nature ; qu'il se souvint au même temps de tout ce qu'il avait jamais fait dans les différentes vies qu'il avait menées, et qu'après avoir enseigné aux peuples ces grandes choses, il les laissa écrites dans des livres afin que la postérité en profitât.

Fables que les talapoins racontent de leur dieu.

C'est dans ces livres qu'il raconte de lui-même, qu'étant devenu dieu, il souhaita un jour de manifester aux hommes sa divinité par quelque prodige extraordinaire. Il était alors assis sous un arbre appelé Ton ppò (19), que les Siamois pour cette raison respectent comme quelque chose de sacré et qu'ils regardent comme un présage heureux pour les endroits où il croît, persuadés que ce serait faire un grand péché que de causer à cet arbre le moindre dommage. Il ajoute qu'aussitôt il se sentit porté en l'air dans un trône tout éclatant d'or et de pierreries qui sortit de terre au lieu même où il était, et que les anges étant à l'instant descendus du ciel lui rendirent les honneurs et les adorations qui lui étaient dues.

Thévathat, cadet de Sommonokhodom lui fait la guerre.

Son frère Thévathat (20) et ses sectateurs ne purent voir sans une extrême jalousie la gloire et la majesté qui l'environnaient. Ils conjurèrent sa perte, et ayant soulevé contre lui les animaux, ils commencèrent à lui faire la guerre. Quoiqu'il fût seul, cette multitude d'ennemis ne l'étonna point, il résista sans s'ébranler à tous leurs efforts, et par la vertu de ses bonnes oeuvres qui le défendaient, les traits qu'on lançait contre lui se changèrent en autant de fleurs qui, bien loin de lui nuire, ne servirent qu'à l'honorer. Il avoue cependant que dans le plus fort du combat, lorsqu'il était le plus en danger, ce fut inutilement qu'il eut recours aux bonnes œuvres qu'il avait pratiquées en gardant les neuf premiers commandements de la loi qu'il connut n'être pas suffisant pour le défendre de cette pressante nécessité. Mais s'étant armé du dixième précepte, qu'il avait inviolablement observé et qui ordonne d'exercer la charité à l'égard des hommes et des animaux, il triompha sans peine de ses ennemis, et voici comment il remporta la victoire.

Sommonokhodom secouru par l'ange gardienne de la terre triomphe de ses ennemis.

L'ange gardienne de la terre (21), (car nous avons déjà distingué deux sexes parmi les anges) s'étant rendue auprès de lui, l'adora d'abord, puis se tournant vers Thévathat et ses adhérents, elle leur signifia que Sommonokhodom était véritablement devenu Dieu. Elle leur dit qu'elle avait été témoin de ses bonnes œuvres et pour les en convaincre, elle leur montra sa propre chevelure encore toute mouillée des eaux qu'il versait au commencement de ses bonnes actions. De là est venue la coutume superstitieuse des Siamois de verser de l'eau au commencement de leurs bonnes œuvres, dont nous avons déjà parlé plusieurs fois, et que les Siamois observent religieusement depuis ce temps-là. Enfin elle les exhorta à lui rendre les adorations qu'il méritait, mais les trouvant endurcis et obstinés à ne point écouter ces remontrances, elle pressa ses cheveux mouillés et en fit sortir une mer immense où ils furent tous submergés.

◄  Page précédente
Début du livre VI
Les mœurs et la religion des Siamois
Page suivante  ►
Fin du livre VI
Les mœurs et la religion des Siamois

NOTES

1 - Nang Phra Thorani (นางพระธรณี), ou plus affectueusement Mae Thorani, équivalent siamois de Sundharivanida, occupe toujours une place importante dans la tradition thaïlandaise. Lorsque le Bouddha atteignit l'illumination, son prestige rendit jaloux le démon Mara (มาร) qui lui envoya ses trois filles, les Trois-Poisons, afin de le tenter, et de le faire renoncer à la méditation. Mais ni les descriptions enchanteresses du monde, ni la musique, ni même la concupiscence ne purent détourner le Bouddha. Alors Mara, dépité, résolut d'utiliser d'autres moyens, il leva une armée de cent mille géants et attaqua militairement le Bouddha. Mais les flèches qu'on lui décochait se transformaient en fleurs tout autour de lui. C'est alors que la déesse de la terre, Phra Mae Thorani, sortant des profondeurs, tordit sa longue chevelure mouillée et il en sortit tant d'eau qu'elle causa une formidable inondation qui mit en déroute Mara et son armée.

ImageMae Thorani noyant les armées de Mara. 

2 - Yom (ยม) est la forme thai de Yama, le dieu hindou de la mort, les phra yom (พระโยม) seraient donc les prêtres de la mort, les satellites des enfers ainsi évoqués par Mgr Pallegoix (op. cit. pp. 457-458)) : Ceux qui pendant leur vie ont fait de bonnes actions par le corps, par les paroles, par l'esprit, renaîtront après leur mort parmi les hommes nobles et riches ou dans quelque ordre des cieux. Mais ceux qui, pendant leur vie, ont commis de mauvaises actions par le corps, les paroles et l'esprit, iront, après leur mort, dans le lieu de douleur, ou dans l'enfer, ou dans la région des monstres, ou deviendront animaux privés de raison, ou bien fantômes. Ceux qui ont commis beaucoup de péchés descendront aussitôt dans les enfers ; mais ceux qui ont des péchés mêlés de bonnes actions naîtront dans la région du roi des enfers. Alors les satellites des enfers les prendront par les bras et les traîneront au palais du roi des enfers, qui leur demandera s'ils n'ont jamais vu les députés des anges, c'est-à-dire un petit enfant dans l'ordure, un vieillard décrépit, un malade, un prisonnier chargé de chaînes, un condamné flagellé et un mort. Si vous en avez vu, pourquoi n'avez-vous donc pas pensé à la mort et à faire des actes méritoires ? Alors il leur rappellera les bonnes actions de leur vie passée, et s'ils peuvent se les rappeler, ils sont délivrés des enfers ; s'ils en ont perdu le souvenir, les satellites les attachent et les conduisent dans quelqu'un des enfers, selon qu'ils le méritent. 

3 - On trouve une similitude avec la tradition occidentale du Dieu vous bénisse, dont les origines sont suffisamment obscures pour alimenter des discussions sans fin. Flaubert recommandait dans son Dictionnaire des idées reçues : Après qu'on a dit : « Dieu vous bénisse », engager une discussion sur l'origine de cet usage...

Théodore de Jolimont (1787-18..) écrivit au XIXe siècle un curieux ouvrage intitulé De l'usage de saluer et d'adresser des souhaits à ceux qui éternuent (1844), dont nous citons ici un court extrait :

(...) la superstition qui de tout temps a exercé tant d'influence sur l'esprit des humains, et joué un si grand rôle dans la comédie universelle, imagina bientôt une foule de mystères cachés dans ce phénomène naturel. Les Égyptiens, les Grecs, les Latins, regardèrent l'éternuement comme une sorte d'oracle qui, dans les diverses circonstances de la vie, les avertissait du parti qu'ils avaient à prendre du bien ou du mal qui devait leur arriver. – Aristote et Cicéron rangent l'éternuement au nombre des signes auguraux : de là on conçoit qu'il doit y avoir de bons et de mauvais éternuements. Si la lune dans le signe du Taureau, du Lion, de la Balance, du Capricorne, ou des Poissons, il est bon d'éternuer ; dans les autres constellations, mauvais présage. – On a tout à craindre si l'on éternue avant midi, et surtout prenez garde si vous penchez du côté droit ou du côté gauche. – Lorsque les Romains éternuaient après leur sommeil ou leur repas, ils s'efforçaient de se rendormir ou recommençaient à manger, pour écarter, disaient-ils, les infuences du mauvais quart d'heure. – Thémistocle, offrant un sacrifice aux dieux avant de livrer bataille à Xerxès, entendit éternuer à droite ; ce fut le présage heureux de la victoire. – Xénophon haranguait un jour l'armée grecque, un soldat éternue, augure favorable, Xénophon est élu général. – Le même, dans une situation périlleuse, délibérait s'il devait combattre ; il entendit éternuer, sa résolution est bientôt prise, et l'on s'empresse de rendre à Jupiter de solennelles actions de grâces. À vos souhaits ! 

4 - Le nireuphan ou niphan (นิพพาน) est la traduction siamoise du mot sanscrit nirvana, qui signifie littéralement soufflé, éteint comme une bougie. Mgr Pallegoix (op. cit., I, p. 457) décrit ainsi cet état : Le niphan est l'extinction de la forme du corps, du goût et des autres sens, de l'expérience des choses, de notre constitution selon le mérite ou le démérite de l'âme ou de l'esprit. Toutes ces choses sont entièrement anéanties, et il n'y aura pas de nouvelle naissance ; la fin de l'existence, la fin des maladies et de toute tristesse, cet anéantissement, selon les bouddhistes, est la souveraine et parfaite béatitude

ImageBouddha dans l'état de nirvana. Peinture murale au Wat Tha Thanon à Uttaradit. 

5 - Quelques pages plus loin, le père Tachard explique que la croix de Jésus évoque pour les Siamois le supplice de Devadatta (Phra Thevathat : พระเทวทัต), cousin et rival du Bouddha, précipité en enfer). Néanmoins, s'il faut en croire l'abbé de Choisy, le roi Naraï avait un crucifix dans sa chambre : Il [le roi] nous a fait entendre que M. d'Héliopolis et les missionnaires n'étaient entrés à la Chine que par son moyen, et cela est vrai. Il a témoigné de la joie d'apprendre la réunion des missionnaires à la Chine et dans les Indes. Il fait bâtir des églises : il va accorder incessamment de grands avantages pour la religion : il a un crucifix dans sa chambre : il lit l'Évangile que M. de Métellopolis lui a donné traduit en siamois : il parle de Notre-Seigneur Jésus-Christ avec grand respect : il va avoir des conférences avec M. l'évêque. Tout cela ne suffit pas pour me faire demeurer ici comme ministre du roi, mais cela suffit pour nous donner une grande consolation. Prions bien Dieu pour ce bon roi de Siam : je suis assuré que si vous l'aviez vu, vous l'aimeriez de tout votre cœur. (Journal de l'abbé de Choisy du 19 novembre 1685). 

6 - La coulpe signifie au sens large la faute, et en terme de dogme, la souillure du péché qui fait perdre la grâce. 

7 - Bien que les avis ne soient pas unanimes en ce domaine, l'année 1956 fut considérée comme marquant le 2500ème anniversaire de la mort de Bouddha, à l'âge de 80 ans, selon la tradition, et non de 82 comme l'indique le père Tachard. 

8 - Man (มาร) est l'équivalent siamois de Mara, le roi Vassadi Mara qui symbolise le Malin, le Démon dans la tradition indienne. Avant même l'avènement du bouddhisme, Mara était connu dans la mythologie védique comme le dieu ambigu de l'amour et de la mort. Réapproprié par le bouddhisme, il représente le tentateur, l'ennemi de la Loi divine. Il est le père des Trois-Poisons, Désir, Haine et Ignorance, qui essayèrent de faire succomber le Bouddha à la tentation alors qu'il méditait sous son arbre. 

9 - Cette version provient sans doute des Jatakas, ces innombrables contes et légendes écrits pour la plupart entre le IIIe siècle avant J.C. et le IIIe siècle après J.C., qui racontent de façon très mythologique les vies antérieures de Bouddha. En tout état de cause, ce serait Thevathat, le cousin indigne, plutôt que Mara le tentateur, qui aurait ainsi attenté à la vie de Bouddha. 

10 - Mgr Pallegoix (op. cit., I, pp. 442-443) énumère les différentes catégories de ces anges, effectivement très nombreux : Les anges qui habitent sur les arbres et les montagnes sont appelés anges de la terre, ceux qui traversent les airs dans des palais mobiles se nomment anges de l'air ; ceux qui ont leur demeure sur le sommet de Jukhunthon ou dans la partie supérieure de l'air égale à la hauteur de cette montagne, sont appelés les quatre grands rois et anges en même temps (c'est le premier ordre des cieux proprement dits). Ceux qui habitent sur le sommet du mont Meru sont appelés anges davadung (second ordre des cieux) ; les anges jama (troisième ordre des cieux) ; les anges dusit (quatrième ordre des cieux) ; les anges nimmanaradi (cinquiéme ordre des cieux) ; les anges paranimit (sixième ordre des cieux)

11 - Les rùsi (ฤๅษี) étaient à l'origine des créatures mythologiques qui demeuraient dans les forêts Himaphan (หิมพานต์ ), avec les jaksi (ยักษี), les naghas (นาคา), les kinon (กินร) et le roi des lions. Les Phra Rùsi désignent des prêtres solitaires, ermites, tenus en grande vénération et à qui l'on attribue de grands pouvoirs magiques. Tous les écoliers thaïlandais connaissent bien l'image de ces anachorètes, car c'est le mot qui sert traditionnellement dans les abécédaires pour illustrer la lettre "Sô" (ษ).

ImageSo rusi, nuat yaho (l'hermite à la longue barbe). 

12 - Le mot Thawip (ทวีป) signifie effectivement continent. Mgr Pallegoix (op. cit., I, p. 431) décrit ainsi ce monde mythologique : Un monde a au milieu le Meru, roi des monts, qui est entouré de sept rangées de montagnes ; il a quatre grandes îles ou thavib, situées aux quatre points cardinaux; il y a deux mille petites îles qui entourent les grandes ; et il est lui-même entouré de hautes montagnes qui sont comme ses murailles, et la circonférence de ce monde s'appelle un élément de l'univers.

On trouve une description similaire chez Nicolas Gervaise (Histoire naturelle et politique du royaume de Siam, 1688, p. 210) : La terre est divisée en quatre parties égales, apellées Tavip, qui ont chacune mille lieues de tour, elles sont séparées par la même mer qui enveloppe le Cau Presomeratcha [le mont Meru], et comme elle n'est navigable dans aucun endroit, il est impossible que les habitants d'une partie aient communication avec ceux de l'autre. Les hommes et les animaux de ces quatre parties n'ont pas le visage taillé de la même façon ; ceux qui sont au Septentrion et au midi l'ont rond ; les Orientaux l'ont approchant de l'ovale, et les Occidentaux l'ont carré

13 - Phukhau Phra Su Mehn (ภูเขาพระสุเมรุ) désigne le mont Meru, qui est le centre du monde dans la cosmographie bouddhiste. 

14 - Ce ne sont pas trois montagnes qui encercle le mont Meru, mais sept, dont Mgr Pallegoix (op. cit., I, p. 432-433) donne ainsi le détail : La première chaîne de montagnes qui entoure le Meru, s'appelle Jukhunthon [ยุขุนทร] ; elle a la forme de muraille et s'élève de 42 000 lieues au dessus de la mer. Elle est à 84 000 lieues de distance de Meru. La seconde, appelée Isinthon [อิสินธร], a 20 000 lieues de hauteur au dessus de la mer, elle entoure la chaîne Jukhunthon, à la distance de 75 000 lieues. La troisième chaîne, appelée Karavik [กรวิก], s'élève de 10 100 lieues au-dessus de la mer, et entoure les monts Isinthon, à une distance de 2 100 lieues. La quatrième, appelée Suthat [สุทัศน์], a 5 250 lieues de hauteur, elle entoure les monts Karavik, à une distance de 10 500 lieues. La cinquième, appelée Neminthon [เนมินธร], a 2 625 lieues de hauteur, elle entoure les monts Suthat, à la distance de 4 250 lieues. La sixième, nommée Vinatok [วินันตก], a 1 312 lieues de hauteur, elle entoure les monts Neminthon, à une distance de 2 625 lieues. La septième, appelée Assakan [อัศกรรณ], a 656 lieues de hauteur, elle entoure les monts Vinatok, à une distance de 1 312 lieues. Ces sept chaînes de montagnes sont la demeure des Jak [ยักษ์], des Kumphan [กุมภัณฑ์] et des Suban [สุบรรณ]. 

15 - Le Faï pralaï khan (ไฟประลัยกัลป์) le feu destructeur et purificateur, est un des quatre instruments de destruction des mondes. Nous empruntons cette explication à Mgr Pallegoix (op. cit., I, pp. 421 et suiv.) : Les mondes sont détruits par parties, comme ils sont réorganisés par parties, et à chaque fois les dix millions de millions de mondes sont détruits les uns après les autres dans la direction du même point de l'horizon (mais tour à tour et graduellement). La destruction des mondes se fait tantôt par le feu, tantôt par l'eau et même par le vent, de sorte que cette destruction est successive et continuelle. (...) Lorsque le temps de la destruction d'un monde approche, il apparaît une grande nuée illusoire à laquelle succède une sécheresse de dix mille ans ; quelques anges, prévoyant la destruction du monde, descendent tous les cent ans sur la terre pour prédire la destruction du monde aux hommes et aux animaux qui, s'étant convertis de leurs péchés et étant enlevés par la famine, transmigrent dans les cieux supérieurs. Les damnés et les impies transmigrent dans les enfers d'autres mondes qui ne seront pas encore détruits, alors se lèvent deux soleils qui brûlent tour à tour la terre, de sorte qu'il n'y a pas de nuit, mais un jour continuel sans nuages ; toutes les rivières et tous les fleuves sont desséchés, excepté les cinq grands fleuves. Ensuite se lève un troisième soleil qui dessèche les grands fleuves. Les sept grands lacs sont desséchés par un quatrième soleil qui survient. À l'arrivée d'un cinquième soleil, la mer (dont la profondeur est de quatre-vingt mille lieues, la lieue étant composée de huit mille toises) se dessèche peu à peu. Mais quand un sixième soleil se lève, le monde répand de la fumée pendant cent dix mille ans, et lorsque le septième soleil se lève, le monde s'enflamme et brûle entièrement. Il faut remarquer que ce n'est pas seulement un monde qui est consumé par le feu, mais qu'en même temps dix millions de millions de mondes sont brûlés par soixante-dix millions de millions de soleil. La combustion des mondes s'augmente encore par l'huile de grands poissons de sept espèces, dont les uns ont huit cents lieues de longueur, d'autres neuf cents, d'autres mille. Le feu est si ardent qu'il consume les six cieux inférieurs, et trois degrés des cieux supérieurs. Il ne reste rien, pas même de la cendre, de cette épouvantable conflagration à laquelle succèdent des ténèbres très épaisses pendant des siècles innombrables. 

16 - Le mot cap (กัป) désigne une longue période de temps. La chronologie bouddhiste la fixe traditionnellement à 4.320.000.000 ans, d'autres sources disent 3,3 × 1030 ans. Mgr Pallegoix explique ainsi ces différentes périodes (op. cit., I, pp. 428-429) : L'espace de temps depuis la construction des mondes jusqu'à leur embrasement forme une première époque. Après la conflagration, l'espace de temps pendant lequel des ténèbres très épaisses occupent la place des mondes jusqu'à l'apparition de la grande nuée, compose la seconde époque. De l'apparition de la nuée jusqu'à l'apparition du soleil, c'est la troisième époque. Le temps qui s'écoule depuis l'apparition du soleil jusqu'à l'apparition de la nuée illusoire qui annonce la fin du monde, forme la quatrième époque. Chacune de ces quatre époques comprend soixante-quatre âges intermédiaires, et ces quatre époques prises collectivement s'appellent maha kab [มหากัป], c'est-à-dire le grand âge. L'âge dans lequel paraîtra un seul Bouddha s'appelle sarakab [สารกัป] ; celui qui en verra fleurir deux prend le nom de manthakab [มัณฑกัป] ; s'il y en a trois, varakab [วรกัป] ; s'il y en a quatre, saramanthakab [สารมัณฑกัป], et l'âge dans lequel on verra fleurir cinq Bouddhas (comme dans le nôtre) se nomme phatthakab [ภัททะกัลป์], âge heureux. 

Statue de Bouddha

17 - C'est encore à Mgr Pallegoix que nous empruntons cette description et cette explication de la reconstruction des mondes (op. cit., I, pp. 424 et suiv.) : Lorsque l'époque de la reconstruction des mondes approche, il apparaît une grande nuée qui répand une pluie fine sur tout l'espace des mondes détruits ; les gouttes de pluie grossissent peu à peu, de sorte qu'elles deviennent bientôt d'immenses cataractes. Il y a un certain vent qui retient ces eaux comme dans un vase, pour qu'elles ne se répandent pas, jusqu'à ce que les eaux atteignent les cieux supérieurs qui n'ont pas souffert de l'incendie, et alors les pluies cessent. Par la vertu des mérites antérieurs, un vent violent souffle sur les eaux qui deviennent plus épaisses ; quand ces eaux sont aussi épaisses que l'argile d'un potier, ce vent les réduit en masses qui occupent l'espace des cieux, et ces masses forment de nouveaux cieux par étages. Mais lorsque les eaux sont diminuées jusqu'au lieu que doit occuper la terre, alors se forme la surface du globe ; mais, avant tout, le trône de Bouddha se forme à l'ombre d'un grand peuplier de l'Inde. Près de ce trône naît un nymphéa qui, s'il n'a pas de fleurs, indique qu'il n'y aura pas de Bouddha ; s'il n'a qu'une seule fleur, c'est signe qu'il n'y aura qu'un Bouddha, et en général il y aura autant de Bouddha que de fleurs.

Ensuite plusieurs des anges supérieurs, leurs mérites étant anéantis, ont pris naissance sur la terre, dans un âge et une forme parfaite comme des anges, sans distinction de sexe, brillants, glorieux, revêtus d'ornements et d'habits précieux, doués de vertus et de courage, pouvant se transporter à leur gré dans les airs, vivant de joie au lieu de nourriture, et ils ont passé ainsi longtemps une vie fortunée.

Après cela, il y en eut un d'entre eux qui, poussé par la gourmandise, voulut goûter la saveur de la terre. Cette saveur se répandit de suite dans tout son corps. D'autres, le voyant, l'imitèrent, et ils furent bientôt en proie à la concupiscence, ils perdirent leur éclat, leur gloire et leur ancienne vertu et demeurèrent dans les ténèbres, jusqu'à ce qu'enfin un soleil de cinquante lieues de diamètre se leva et les éclaira.

Quand le soleil se coucha, le globe de la lune, ayant quarante-neuf lieues de diamètre, parut ; ensuite parurent ensemble toutes les autres constellations. Après cela se formèrent le Meru, roi des montagnes, les montagnes qui entourent la terre et qui en sont comme les murailles, les autres montagnes, la mer, les lacs et les fleuves, les arbres et les plantes.

La saveur de la terre disparut peu à peu, parce que les premiers habitants de la terre avaient du mépris les uns pour les autres. Alors, on vit paraître une espèce de champignons agréables, odoriférants et savoureux, que les hommes mangèrent jusqu'à ce que cette nourriture disparut peu à peu, à cause de leur orgueil. Ensuite on vit croître des plantes rampantes, belles et savoureuses, qui servirent de nourriture aux hommes, jusqu'à ce que leur orgueil les fît disparaître entièrement. Après cela on vit croître une espèce de froment appelé sali [สาลี], avec de grands épis, des grains blancs et sans écorces, que l'on moissonnait aujourd'hui et qui, le lendemain, repoussaient et parvenaient à maturité, et ainsi continuellement. Ce froment avait tous les goûts selon la volonté de celui qui le mangeait, néanmoins il contenait un résidu grossier ; de là vinrent les voies excrétoires et la différence des sexes, puis les mariages et les enfantements. À cause de la paresse des hommes, le froment sali fut changé en riz, que l'on voit encore aujourd'hui ; on fut obligé de labourer et de cultiver les champs. C'est dans ce temps que prirent naissance les vols, les calomnies, les mensonges, les disputes et les combats. Les vieillards, ayant tenu conseil, se créèrent un roi à qui ils payèrent la dîme des récoltes.

Quelques hommes, pleurant sur les péchés des autres, se retirèrent dans les forêts et les déserts, errant et mendiant, ou bien habitant des cellules au milieu des bois ; de là l'origine des brames. 

18 - On trouve de nombreuses variantes dans les relations et dans la littérature occidentales, Sommona-codom, Nacodom, Somma Cuddom, etc., toutes dérivant de la même origine : le mot pali s'ramana, qui signifie ascète et le nom Gautama, ou Gotama, qui désignait un ancien clan aryen établi dans la région de Kapilavastu, aujourd'hui au Népal. Parmi les tribus de ce clan se trouvait celle des Sakyas, à laquelle appartenait le Bouddha. Le nom Sommonakhodom signifierait donc l'ascète Gotama. On appelle aujourd'hui généralement le Bouddha Gautama Çakyamuni, le Gotama de la tribu des Sakya, ou Gautama Siddharta, nom qui lui fut donné à sa naissance par son père, le roi Suddhodana Gautama et qui signifie celui qui a atteint son but ou celui dont tous les désirs sont comblés

19 - Ton Phô (ต้นโพ) ou Maha-Phô (มหาโพ) est le nom de l'arbre sous lequel Bouddha atteignit l'illumination. Cet arbre était sans doute le banian, figuier indien Ficus Indica ou Ficus bengalensis, appelé en sanscrit l'ajapalanigrodha. Tous les wat de Thaïlande abritent un ou plusieurs banians, qui sont particulièrement vénérés.

ImageFigure de Bouddha sculptée dans la racine d'un banian au Wat Mahatat à Ayutthaya. 

20 - Le prince Phra Thevathat (พระเทวทัต) est l'équivalent siamois de Devadatta, cousin et beau-frère du Bouddha, dont il fut d'abord le disciple, puis le rival, le combattant sans merci, avant de se repentir et d'être précipité dans l'enfer. 

21 - Nang Phra Thorani (นางพระธรณี). Voir ci-dessus la note n° 1. 

Banniere bas retour
Page mise à jour le
5 février 2019