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ÉPÎTRE
 
Au roi,

lettrine

ire,

C'est par votre commandement exprès que je rends compte au public d'un voyage qui a été entrepris par votre ordre pour l'utilité de toutes les nations et pour la publication de l'Évangile, je n'aurai pas de peine à justifier la liberté que j'ose prendre de le faire paraître sous le nom auguste de Votre Majesté, et de lui rendre ce premier tribut de la reconnaissance que lui doit notre Compagnie de lui avoir confié une entreprise si avantageuse à la religion et aux sciences. Le Ciel semble veiller avec une attention particulière à votre grandeur et à votre gloire, parce qu'il la veut faire servir à la sienne, et que c'est par votre piété, par votre puissance et par votre sagesse, qu'il a destiné d'établir le seul vrai culte de la divinité dans toute la terre. C'est pour cela, Sire, qu'il a mis dans votre personne sacrée tant de qualités héroïques si propres à vous acquérir l'amour et l'admiration de tout l'univers ; qu'il vous a inspiré le choix de ministres si vigilants, si laborieux, si effectifs, si attachés au bien de votre État, et d'autant plus éclairés que leurs lumières sont plus dépendantes des vôtres ; qu'il vous a donné presque autant de sujets capables de commander des armées qu'il y a d'officiers dans vos troupes ; qu'il a élevé l'esprit et le cœur de votre noblesse à toutes sortes de grandes entreprises ; qu'il a mis jusque dans vos moindres soldats l'intrépidité, l'amour de la vertu et de la discipline, et qu'il a répandu le respect et la terreur de votre auguste nom dans toutes les nations de la terre. C'est aussi pour cela, Sire, que la sagesse suprême qui fit connaître autrefois aux rois et aux peuples d'Orient Jésus-Christ naissant et mourant, par une nouvelle étoile et par une éclipse extraordinaire, a voulu qu'entre mille glorieux avantages dont elle comble tous les jours votre règne, ce fût par votre moyen que les Cieux annonçassent en ce temps-ci la gloire de Dieu d'une façon particulière.

Cette même sagesse nous découvre encore aujourd'hui de nouveaux astres et de nouvelles constellations, et elle met entre les mains de vos sujets des moyens inconnus aux siècles passés de prédire les éclipses, de rendre certaines les distances des terres et des mers, de perfectionner et d'assurer la navigation et d'acquérir à Jésus-Christ, par les plus nobles de tous les arts, les nations les plus nombreuses, les plus polies et les plus spirituelles du monde. Il est difficile, Sire, de dire si l'injustice des hérétiques a été plus grande lorsqu'ils ont cru pouvoir affaiblir les vérités catholiques et décrier l'Église en lui reprochant la sainte simplicité de ses prêtres, ou lorsque, souffrant impatiemment l'érudition solide et universelle des hommes apostoliques dans les lieux et dans les temps où elle était plus nécessaire, ils ont voulu qu'on prît l'ignorance des ministres de l'Évangile pour le titre le plus légitime de leur mission. Mais il est certain que comme Dieu a élevé la bassesse et l'ignorance des premiers des apôtres à une science sublime pour confondre la vaine sagesse des philosophes, il ne s'est pas moins servi, dans tous les siècles de l'Église, de la sagesse des philosophes, perfectionnée par les lumières de la foi, pour abolir les erreurs du paganisme, pour détruire les sophismes des hérétiques, et pour défendre et affermir son Église dans les conciles. Du moins ne peut-on douter, Sire, que ce dernier moyen d'attirer les peuples à la connaissance et à l'amour de Jésus-Christ crucifié ne soit le plus conforme à la volonté de Dieu, lorsque le plus grand et le plus sage roi du monde, le plus chéri du Ciel, le plus zélé pour l'augmentation et pour l'union de toute l'Église, emploie pour la conversion des âmes ces mêmes sciences consacrées par le saint usage qu'en a fait dès les commencements du christianisme l'apôtre des gentils, et que l'apôtre des Indes, et ceux qui ont suivi avec tant de bénédictions du Ciel son esprit et ses maximes, en ont fait encore dans ce dernier siècle.

C'est, Sire, cette assurance qui me fit partir il y a deux ans par vos ordres avec ceux dont je présente ici les curieuses observations à Votre Majesté, pour aller, par ces mêmes sciences, enseigner celle du salut dans le plus grand et le plus florissant empire du monde. C'est elle aussi qui m'a fait revenir bientôt après des extrémités de l'Asie pour recevoir de Votre Majesté de nouveaux ordres et de nouveaux secours qu'elle est toujours prête de répandre libéralement lorsqu'il s'agit du service de celui qui lui a donné le pouvoir et le désir de le faire adorer en esprit et en vérité par toutes les nations. C'est enfin, Sire, dans cette même assurance que je retourne, animé de votre piété et de votre zèle, où Dieu m'appelle et où Votre Majesté a la bonté de m'envoyer pour prêcher, autant qu'il me restera de vie, aux rois et aux peuples des Indes Jésus-Christ crucifié qui fait toute votre gloire et toute votre confiance, et auquel j'offrirai incessamment, pour la conservation et pour l'heureux règne de Votre Majesté, des vœux aussi ardents que m'y engagent la plus parfaite reconnaissance qu'on puisse avoir de vos bontés royales et le dévouement parfait avec lequel je suis,

Sire,

De Votre Majesté,

Le très humble, très obéissant et très obligé serviteur et sujet,
Guy Tachard, de la Compagnie de Jésus.

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De Brest au cap de Bonne-Espérance

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5 mars 2019