Du 21 au 30 novembre 1687.

Le 21, Mgr de Métellopolis fit la solennité de la dédicace de la chapelle de l'église de M. Constance à la Sainte Vierge, laquelle dédicace a servi de préparation une octave pendant laquelle il y a eu chaque jour grand-messe, sermon et vêpres et salut, toutes lesquelles prières on a toujours chantées en musique, le Domine salvum fac regem de la même manière qu'on en use en France. Sur la fin du jour, nous allâmes voir la maison que l'on bâtit pour les pères jésuites. Nous y trouvâmes trois corps de logis fort beaux, bâtis de dorique, avec une tour octogone pour servir d'observatoire. Ce bâtiment ne devait avoir qu'un étage, mais M. Constance a résolu d'y en faire un second (1).

Quoique M. Constance eût hier accepté l'ordre de Saint-Michel, il ne laissa pas de dire aux pères Le Royer et Saint-Martin qu'il hésitait encore à recevoir l'ordre de Saint-Michel, comme s'il avait eu envie de le refuser et qu'il voulait prier le père Tachard de se charger de l'excuser auprès du révérend père de La Chaize, afin qu'il fît trouver bon au roi son refus. Le père Tachard et M. Constance sont allés ce soir voir le roi à Thlee Pousson et ledit sieur Constance dit qu'il saurait la volonté du roi son maître touchant l'acceptation où le refus de l'ordre de Saint-Michel.

Le 22, M. Constance fit présent au sieur Desfarges d'un cordon de chapeau de filigrane d'or garni d'un assez beau diamant au milieu du nœud. Sur le soir, en retournant de chez M. Constance, je rencontrai dans la rue le sieur Desfarges qui me dit qu'il m'attendait depuis longtemps, disant qu'il avait envie de m'entretenir. Je le conviai d'entrer au logis mais il ne le voulut point faire, et nous demeurâmes dans la cour où il fit tomber la conversation sur la bonne foi et la confiance réciproque qu'il devait avoir avec M. Constance (2), qu'il n'y avait point de meilleur parti à prendre pour le service du roi que celui-là, qu'il répondait au roi de la ville de Bangkok, qu'il l'écrirait à Mgr le marquis de Seignelay, que les troupes siamoises qui étaient restées dans Bangkok ne l'inquiétaient point parce qu'il prendrait de si bonnes précautions qu'il n'en arriverait aucun inconvénient. Mgr de Métellopolis vint chez nous, et dans la conversation nous dit qu'avant l'arrivée du chevalier de Chaumont, le roi de Siam lui avait témoigné plusieurs fois la peur où il était que les Hollandais ne s'emparassent de Bangkok parce que ses sujets n'étaient pas aguerris, qu'il ne savait à quoi songeaient les Français, que de son vivant ils pourraient, s'ils le voulaient, tout obtenir dans son royaume par l'estime extraordinaire qu'il avait pour le roi, et qu'il craignait qu'après sa mort ce ne serait pas la même chose à l'égard des Français, et il pressa fort ledit évêque d'en écrire, lequel s'excusait sur ce que ces sortes de négociations n'étaient pas de son caractère. Le roi l'en pria si fort et si souvent qu'il s'engagea à le faire, que le chevalier de Chaumont arriva dans ces dispositions qui remplit d'abord toute la Cour d'une joie qui se modéra visiblement, qu'à notre arrivée la joie avait aussi paru fort grande et qu'elle ne la paraissait plus tant.

Dans les conversations que nous avions eues avec Mgr de Métellopolis, nous avions fait tous nos efforts pour l'engager d'envoyer deux pères jésuites au Tonkin, mais nous n'avions pu encore obtenir cela de lui, mais seulement qu'il consulterait Mgr de Rosalie, et en effet (3). il lui écrivit à Siam pour le faire venir à Louvo où le dit seigneur évêque de Rosalie est arrivé aujourd'hui. M. de La Loubère l'a été voir seul parce que j'étais incommodé mais, quelques raisons qu'il pût lui dire, il s'est déterminé à ne se point mêler absolument de l'affaire du Tonkin et à la laisser entièrement à la décision de Mgr de Métellopolis.

Aujourd'hui, le sieur de La Loubère a fait rendre par son secrétaire au sieur Constance la lettre du roi touchant l'ordre de Saint-Michel, et il lui a envoyé, par le sieur de Fretteville, les instructions afin qu'il pût avertir Mgr de Métellopolis d'officier et faire préparer la chapelle.

Le dimanche 23 au matin, le sieur de La Loubère étant allé voir si la chapelle était en état, il trouva qu'il manquait une estrade sous le fauteuil et il y en fit mettre une. Le portrait du roi était sous le dais. Mgr l'évêque était déjà prêt, et tous les officiers français qui attendaient le sieur de La Loubère étant survenus, il prit sa place en un prie-dieu qu'on avait préparé pour lui au milieu de la chapelle. Mgr l'évêque commença le Veni creator et puis la messe, au milieu de laquelle le père Le Royer a prêché. La messe étant dite, le sieur de La Loubère s'est levé et, étant précédé de quelques officiers et suivi des autres, est allé prendre sa place dans le fauteuil qui était sous le dais et du côté de l'Évangile. Le sieur Constance, vêtu de l'habit dont le roi lui avait fait présent, est venu alors, mené par les sieurs de Fretteville et de Joncoux (4) que le sieur de La Loubère avait choisis pour cet effet, et le diacre ayant porté le livre des Évangiles, il a prêté le serment accoutumé, et le reste de la cérémonie s'est passé dans les formes ordinaires. Le fils aîné de Monsieur Desfarges  (5) a attaché la croix et le sieur de La Loubère, en donnant l'accolade audit sieur Constance lui a dit en portugais qu'il était bien aise de le voir devenir chevalier français. Le sieur Constance a donné à dîner à tous les officiers français.

L'après-dînée, comme le secrétaire du sieur de La Loubère l'est allé trouver pour le prier de sceller l'acte d'acceptation du collier de l'ordre de Saint-Michel qu'il avait signé dès le matin, il se l'est fait lire et interpréter par le père Maldonat, jésuite flamand de la mission portugaise et son confesseur (6), et quoiqu'il en eût vu la formule dans les instructions, il a fait fort le pointilleux et le difficile à se trop engager avec le roi, et puis a scellé par le conseil des jésuites qui lui ont dit que cela ne l'engageait en rien, et qu'il n'y avait rien à craindre. Le soir, Mgr l'évêque de Rosalie alla souper chez les jésuites, et au retour du souper a passé chez nous et a persisté toujours dans les sentiments de ne se mêler de rien touchant l'envoi des jésuites au Tonkin.

Le lundi 24, le matin, nous avons résolu d'envoyer prier le père Tachard de nous venir voir pour le préparer à un mémoire que nous croyions devoir donner au sieur Constance, parce que jusqu'à cette heure, nous n'avons pu traiter avec lui de vive voix, ni par écrit, à cause qu'il ne nous a montré que des aigreurs et que nous l'avons voulu laisser engager sur le commerce. Nous avons donc proposé au révérend père quatre principaux points qui devaient être le sujet du mémoire. Le premier était de demander la publication du traité de la religion fait par M. de Chaumont ; il a dit qu'il avait représenté au roi lui-même que ce traité ne pouvait être publié, que Sa Majesté avait approuvé qu'il ne le fût pas et que dans la relation de son voyage en France, il en avait rendu compte au sieur Constance, que, néanmoins, si nous avions cet ordre dans nos instructions, nous devions le suivre, mais que le roi lui avait dit à lui-même qu'il ne fallait pas publier ce traité. Nous lui avons répondu que depuis que le roi avait envoyé des troupes en ce pays-ci, il était temps que la religion s'enhardît et demandât à jouir des privilèges qu'on lui a accordés. Contre quoi il a répété les mêmes raisons qu'il avait dites quelques jours auparavant au sieur de La Loubère et qui ont été racontées ci-dessus.

Le second article a été l'envoi des troupes à Mergui, sur quoi il a répondu que cela se ferait quand nous voudrions, mais que le sieur Constance lui avait dit que cette saison était la plus propre parce que les eaux des pluies n'étant pas encore séchées, on trouve de quoi boire dans les terres qu'il faut traverser, et qu'il n'y a qu'un seul inconvénient qui est qu'en prenant la terre à Pipely (7), il y a six journées de chemin par terre sans gîte, et par conséquent fâcheuses pour les troupes ; qu'en allant par mer jusques à Qouy (8), il n'y a plus que trois journées par terre, mais que la mer de Qouy est grosse en cette saison et qu'il y aurait grand danger d'aller donner dans la côte, sur quoi nous avons proposé qu'au moins le sieur Du Bruant partît avec moi et tel nombre de soldats, qu'avec quelques soins le sieur Constance pût leur rendre le passage supportable, jusqu'à ce qu'on pût faire passer le reste.

Le troisième point a été que tandis qu'on songeait à faire une place fort considérable de Bangkok, les Français demeuraient exposés aux insultes des ennemis qu'ils peuvent avoir tous les jours puisque les traités de paix ne durent guère en Europe, que le roi nous avait ordonné de demander au roi de Siam de ses sujets pour soulager et avancer le travail et la dépense des fortifications et que Sa Majesté entendait que ses troupes se missent bientôt hors d'insulte. Il nous a soutenu deux faits : que le sieur Desfarges se trouvait hors d'insulte et qu'il répondait au roi de la place ; et l’autre fait qu'il nous a soutenu était que le roi ne voulait pas faire la dépense des fortifications de Bangkok. Enfin, il a ajouté que sur ces trois articles, le sieur Constance nous répondrait ce qu'il venait de nous dire. Nous lui avons répondu que nous ne consultions pas ce que le sieur Constance nous répondrait, mais pour savoir de Sa Révérence comment, puisqu'il le connaissait mieux que nous, par quelle voie nous lui pourrions faire nos propositions, c'est-à-dire au roi de Siam par lui, sans qu'il se fâchât, parce qu'il était juste que des ministres usent de quelques moyens de faire des propositions dans les Cours où ils sont envoyés. Je dis alors à M. de La Loubère que le père m'avait assuré que le sieur Constance ne se fâcherait point d'un mémoire par écrit. — Il est vrai, a dit le père, et il y répondra par de fort bonnes raisons. Sur quoi nous avons dit que cela suffisait et qu'il était inutile de raisonner entre nous sur le quatrième article qui était celui des Siamois dans Bangkok.

Sur le troisième point, c'est-à-dire de mettre les forts hors d'insulte, le père dit, entre autres choses, que quand la France aurait la guerre on ne viendrait pas attaquer les Français qui servent le roi de Siam, comme en cas de guerre avec les Suisses on n'irait pas attaquer les Suisses qui sont en France. Nous lui avons répondu qu'il s'en fallait beaucoup que les Français ne fussent à Siam comme les Suisses en France et que, quand cela serait, les autres nations ne le pourraient croire de bien longtemps et attaqueraient fort bien les Français à Siam mieux qu'ailleurs.

Le même jour, le roi, sans y assister, nous a donné le spectacle du combat d'un tigre contre un éléphant (9). Le sieur de La Loubere n'y a point assisté sous prétexte de maladie, et pendant ce temps-là a reçu chez lui une visite de Mgr de Métellopolis sur le sujet de la religion, dans laquelle il n'y a point eu de résolution prise.

Le 25, M. Constance m'envoya prier de venir chez les pères jésuites pour voir les présents que doit porter le père Tachard en France. J'y allai aussitôt et pris occasion de lui donner le mémoire pour le traité du commerce. Sur le soir, mon dit sieur Constance vint nous voir en visite et soupa avec nous. Il nous dit que le roi nous donnerait une audience particulière où il n'y serait point parlé d'affaires.

Le 26, ce matin, nous avons été au palais avec le même accompagnement que le jour de l'audience pour les présents de Monseigneur (10), mais il n'y avait dans le palais ni éléphants, ni chevaux, ni soldats, ni aucune sorte d'apparat. Il y a dans le jardin une salle qui reçoit le jour de tous côtés, où le roi tient son conseil. Elle a à chacun des trois côtés une porte et des fenêtres qui sont ouvertes presque jusqu'au bas. Elle est entourée d'une terrasse assez large et la salle a presque autant d'élévation que la terrasse sur le jardin. En arrivant, on voit la porte qui est opposée au fond de la chambre, c'est-à-dire au côté de la salle qui tient au reste du bâtiment et par où la salle ne reçoit point de jour. C'est à une fenêtre à main gauche de cette porte que parut le roi quand il donna audience aux sieurs de Vaudricourt et Duquesne, et eux et leur suite demeurèrent au bas dans le jardin à dix pas de la terrasse, et le roi était dans un fauteuil de bois doré. Aujourd'hui, toute la terrasse était couverte de tapis de pied, et devant la porte de devant et la porte de main gauche étaient deux dais soutenus de quatre quenouilles (11) d'argent, comme le ciel d'un lit sans rideaux. Les quenouilles étaient un peu plus grosses que le bras et l'argent qui les couvrait paraissait assez épais. Du côté de la main droite où nous avons eu notre audience était une tente, attachée au bâtiment, qui couvrait tout ce côté-là comme un grand ciel de lit. Quelques mandarins y étaient prosternés devant la porte et nos petits placets (12) nous y attendaient vis-à-vis la fenêtre qui était à main droite de la porte. Le sieur Constance était prosterné à la main droite des placets et, un peu en arrière, le père Tachard, qui nous a reçus hors de la porte du jardin, était assis sur les tapis de pied de la terrasse, derrière le sieur de La Loubère, et mon fils de la même façon derrière moi. Peu après que nous avons été assis, le roi s'est montré en ouvrant tout doucement la fenêtre.

Il avait à ses doigts des diamants qui paraissaient grands et brillaient beaucoup. Ceux de son bonnet, qui étaient en grand nombre, ne faisaient guère plus d'effet que le gros émail de Nevers (13). Je remarquai un assez beau rubis balais (14) à son aigrette. Sa Majesté, après nous avoir demandé l'état de notre santé et comme nous nous trouvions de l'air de Siam, nous fit plusieurs questions touchant les lieux où nous avions été l'un et l'autre, tant en Europe que dans les autres parties du monde, auxquelles nous répondîmes le mieux qu'il nous fut possible. Sur la fin de l'audience, le roi nous parla, sur le sujet de la Compagnie, de l'infidélité des commis, des mauvais conseils qu'ils avaient suivis jusqu'à présent, pour insinuer de prendre des conseils du sieur Constance et de soumettre les commis à sa direction. Puis il nous a parlé de la facilité que la Compagnie aurait à faire ici plusieurs bons commerces et même à construire des vaisseaux à Ténassérim et à Bangkok que l'on vendrait dans les Indes fort chèrement. Nous répondîmes à tout cela en approuvant le tout sans nous engager en rien. Le roi finit la conversation en nous témoignant sa joie sur l'arrivée du vaisseau la Normande, et son déplaisir de la perte de ceux qui étaient morts. Nous lui dîmes que les Français lui étaient infiniment obligés et qu'ils tâcheraient de mériter ses bontés par beaucoup de zèle pour son service.

M. de La Loubère dit à M. Constance que s'il jugeait à propos, il pouvait prendre cette occasion pour dire au roi son maître que nous avions ordre de lui témoigner que la principale vue que le roi avait dans le commerce des Indes était l'avancement de la religion chrétienne, et comme le sieur Constance hésitait, le sieur de La Loubère lui a répété que s'il ne l'approuvait, il lui dît telle autre chose qu'il lui plairait. Le sieur Constance a répondu qu'il le lui allait dire, et puis a fait un long discours au roi où il a nommé la Castille, la Hollande et Santa-Maria-de-Loretta (15), et le roi, sans répondre aux discours du sieur Constance, nous a promis d'autres audiences et a fermé sa fenêtre. Nous nous sommes levés pour le saluer et, sans nous rasseoir, nous sommes éloignés de trois ou quatre pas pour nous dire que le sieur Constance n'avait pas dit au roi ce que nous lui avions dit, au moins que le roi n'avait pas voulu y répondre, et cependant le sieur Constance, qui n'avait pas bougé de sa place, rendait compte au père Tachard de ce qu'il avait dit au roi, lequel recevait ces paroles avec admiration. Nous nous sommes donc rapprochés, voyant qu'ils ne partaient pas, et le sieur Constance nous a dit qu'il avait dit à son roi que le roi de France n'était devenu si puissant que parce qu'il n'a pas voulu faire des conquêtes au loin comme l'Espagne et la Hollande et que, de plus, il se recommandait de Notre-Dame de Lorette et avait toujours maintenu la religion. Par-là, il nous apparut que le sieur Constance n'ose rien dire à son roi pour la religion chrétienne et qu'il n'est pas plus hardi à cette heure sur cette matière qu'il l'était du temps du chevalier de Chaumont.

Nous avons oublié de dire que quand le roi s'est montré, comme après l'avoir salué nous demeurions debout, attendant qu'il nous fît quelque signe de nous asseoir, le sieur Constance nous a pressés, deux ou trois fois, avec précipitation, de nous asseoir et parce que le sieur de La Loubère a regardé au placet qui était fort bas, crainte de le manquer en voulant s'asseoir, le sieur Constance l'a tiré par le bas du justaucorps en lui disant derechef de s'asseoir, comme s'il l'eût voulu faire asseoir de force.

L'après-dînée, les officiers du roi de Siam qui gardent les meubles à sa garde-robe et qui ont droit de toucher à son bonnet sont venus recevoir de nous les présents de Mme la Dauphine pour la princesse (16) comme ils avaient reçu, suivant les fonctions de leur charge, les présents du roi et de Monseigneur pour le roi de Siam. Ces officiers nous ont dit que la princesse se sentait fort obligée à Mme la Dauphine et qu'elle était bien marrie que ses incommodités, qui la retenaient à Siam, l'avaient empêchée de suivre ici le roi son père et de nous donner audience, que d'ailleurs ses officiers étant peu propres à paraître devant nous, elle nous envoyait ceux du roi son père pour recevoir les présents de Mme la Dauphine. Nous avons répondu que la princesse était la vraie maîtresse de ces présents et qu'elle en pouvait ordonner à sa volonté, que Mme la Dauphine serait extrêmement fâchée d'apprendre qu'elle eût été indisposée et qu'en notre particulier, outre la douleur que nous en avions par l'intérêt que nous devions prendre en une santé aussi précieuse que la sienne, nous avions un déplaisir très sensible d'être privés de l'honneur de son audience, et que nous rendrions compte à Mme la Dauphine de tout ce que la princesse nous ordonnerait de lui témoigner de sa part.

Le même jour, M. Desfarges me vint rendre visite. Je pris cette occasion pour lui dire que, m'en retournant en France, Mgr le marquis de Seignelay pouvait me demander en quel état est la place de Bangkok et si les troupes y sont en sûreté et hors d'insulte, que n'y ayant pas fait assez de séjour pour connaître l'état de la place, outre que n'étant point homme de guerre, je ne pouvais pas moi-même rendre bien sûrement compte de cet article, ce qui m'obligeait de m'adresser à lui pour le prier de me dire son sentiment sur l'état de ladite place, afin de m'y conformer dans mon rapport en France. Il me répondit qu'il se défendrait bien dans cette place, quoique très méchante. Je le priai ensuite de me dire s'il la jugeait en état de défense. Il me répliqua qu'il se défendrait derrière un rideau de gaze. Je lui dis alors que je ne lui demandais pas s'il se défendrait, étant bien persuadé de sa valeur et de son expérience, mais que je le priais de me dire si la place de Bangkok était en état de soutenir en cas d'attaque. Il ne me voulut rien dire de plus, sinon qu'il ferait son devoir (17). Je ne le pressai pas davantage et me réduisis à m'en informer du sieur Vollant, ingénieur du roi. Je vis le même jour ledit sieur Vollant, et lui ayant demandé en quel état était la place et s'il la croyait hors d'insulte, il me dit qu'il la croyait ainsi et qu'en faisant quelques réparations de peu de conséquence il la trouvait en état de soutenir si elle était attaquée. Je le priai de m'en donner une déclaration contenant le mémoire de ce qu'il y trouvait nécessaire. Il me le promit et même, sur-le-champ, il prit une plume et dressa la déclaration, laquelle étant faite, il la donna à mon secrétaire pour la mettre au net, ensuite de quoi il s'en alla sans la signer.

Le lendemain, il me vint voir et commença par me faire ses excuses s'il ne pouvait signer la déclaration ou mémoire qu'il avait fait la veille, parce que ne l'ayant pas voulu faire sans en parler à M. Desfarges, il l'avait beaucoup querellé de me l'avoir promis, et qu'il lui avait dit que s'il l'avait donné, il le perdrait. Je lui répondis qu'il m'avait promis de me donner cette déclaration qui était de son fait et qu'il ne la signerait point s'il ne voulait, qu'il me suffisait de savoir son sentiment pour en faire le rapport et que si Mgr le marquis [de Seignelay] me demandait la raison pourquoi ledit sieur Vollant n'avait pas voulu signer la déclaration, comme il me l'avait promis, je ne pouvais pas me dispenser de le rapporter, et ne lui en parlai pas davantage. Cependant, le même jour, au soir, il demanda à mon secrétaire s'il avait mis au net cette déclaration et l'ayant prise il la signa.

Le jeudi 27, l'après-dînée, le révérend père Tachard, accompagné du révérend père Le Royer (18) et du père Bouchet (19), après lesquels est survenu le père Saint-Martin (20) qui est venu nous rendre une visite qui a paru pleine d'amitié, et après avoir pris congé, nous a demandé de lui rendre la lettre que le sieur Constance lui a adressée pour donner au roi la garde de Bangkok et de Mergui et que le père nous remit à bord le 16 du mois d'octobre. Nous lui avons répondu que cette lettre était un acte au profit du roi et la seule réponse que nous avons eue de la négociation que nous lui avions envoyé faire avec le sieur Constance. Il a répliqué que cette lettre était à lui puisqu'elle lui était adressée et que nous la lui avions prise. Nous lui avons dit que ce n'était pas une conséquence, que cette lettre était au roi et non pas à lui, que nous en étions chargés et que si Sa Révérence venait à la perdre, nous ne laisserions pas d'en répondre, et parce qu'il s'échauffait, disant qu'il la rendrait au roi aussi bien que nous, nous lui avons offert, pour le mettre à couvert auprès de Sa Majesté, de lui donner un aveu par écrit comme il nous avait demandé cette lettre et comme nous n'avions pas voulu la lui rendre.

Pendant que le sieur de La Loubère écrivait cet aveu de sa main, le père, continuant de plaider sa cause, a dit qu'il était venu ici en vertu de sa lettre de créance, qu'en vertu de cette lettre il avait dit au sieur Constance ce qu'il lui avait plu suivant les ordres qu'il avait du roi et que c'était à lui à rendre compte au roi de ce qu'il avait fait et à lui rapporter les pièces de sa négociation. — N'avez-vous pas, nous dit-il, ordre de suivre mes conseils ? Nous lui avons dit simplement que non, sur quoi il a ajouté qu'il n'avait pas aussi ordre de nous obéir, et a voulu voir cet article de nos instructions qui dit que nous l'enverrions le premier à terre et lui donnerions nos instructions. Il a chicané sur la distinction d'instruction et d'ordre et nous lui avons répondu que nous n'avions que cet article sur cette matière et que nous n'en prétendions pas davantage. — Cet article, a-t-il repris encore, veut dire que vous n'agiriez pas sans moi. — Eh bien, lui avons-nous répondu, prétendriez-vous, en ce cas-là, que les ordres partissent de vous ou qu'ils partissent de nous ? — Moi, a-t-il dit, je ne prétends rien Et ayant reçu le billet du sieur de La Loubère qui était conçu en ces termes et déjà signé de nous : Nous confessons que le révérend père Tachard nous a demandé que nous lui rendissions la lettre que le sieur Constance lui a adressée par laquelle il s'engage de procurer au roi la garde de Bangkok et de Mergui, que le révérend père nous a remis à bord le 16 octobre 1687, et que nous l'avons prié de trouver bon que nous ne la lui rendissions pas et ne la lui avons pas rendue. Fait à Louvo le 27 novembre 1687.

Quand le père a vu que devant le nom de Constance il n'y avait que « sieur » : — Oh ! pour cela, a-t-il dit, le « sieur Constance », cela est bien fort ! Il y fallait bien « Seigneur » Nous avons dit alors que le billet n'était pas fait pour M. Constance, et néanmoins, en même temps, j'y ajoutai un « g » au billet pour signifier « seigneur » — Pour cela, dit le père, il faut bien que je lui montre le billet, puisqu'il me demande la lettre. Par où nous avons juste sujet de penser qu'il voulait rendre le sieur Constance maître de la lettre. Alors, il avait repris le billet et ayant trouvé ces mots, « la lettre qu'il a rendue à bord », il a rejeté le billet et a dit qu'il ne nous l'avait pas remise mais que nous la lui avions volée. Nous lui avons, sans nous émouvoir, offert le billet tel qu'il était, et comme il a refusé de le prendre, le sieur de La Loubère l'a déchiré et gardé les pièces, et le père s'en est allé fort fâché. Les autres pères l'ont suivi. Pendant la conversation, il nous a offert de nous donner copie de cette lettre. Nous lui avons dit que nous lui en donnerions aussi une copie.

Pendant que nous étions à la Tabanque près de Siam, le sieur de La Loubère, redemandant au père la relation du chevalier de Chaumont, il ajouta que puisque les instructions que nous lui avions données à bord avaient été inutiles, il ferait bien de nous les rendre. Il promit de rendre la relation et ajouta aussi qu'il nous rendrait nos instructions pourvu que nous lui rendissions sa lettre de M. Constance, sur quoi M. de La Loubère ayant répondu « fort bien » sans y penser, le père dit qu'il fallait que nous lui donnassions copies des instructions signées de nos mains. Sur quoi je lui répondis qu'il valait tout autant qu'il gardât les originaux qu'il avait et cette conversation tomba comme inutile. Lorsque le soir, en repassant cela dans mon esprit, je dis au sieur de La Loubère : — Vous lui avez promis de lui rendre cette lettre ; il faut bien s'en garder. Et le sieur de La Loubère avoua que ç'avait été une surprise, et que non seulement il se garderait bien de la rendre, mais qu'il était bien fâché que le père eût repris l'original des articles qu'il était venu proposer de la part du sieur Constance. Aujourd'hui, le père a reproché cette promesse au sieur de La Loubère. Le sieur de La Loubère l'a avoué et ajouté qu'ayant fait la faute de promettre, il ne voulait pas faire celle de tenir sa promesse. Le soir, le père Le Royer étant revenu chez nous, il nous avoua bonnement qu'il voulait la lettre pour le sieur Constance.

Le 29, le sieur Vollant vint me trouver au logis, fort échauffé et outré de douleur. Il me dit que le sieur Desfarges lui venait de donner ordre de retourner à Bangkok et qu'il l'avait fort mal traité de paroles (21). J'essayai d'adoucir son chagrin en lui représentant qu'il devait souffrir de son général et qu'il fallait se servir de la voie de l'obéissance et de la soumission pour l'apaiser, s'il avait quelque chagrin contre lui. Il me répliqua que M. Desfarges lui avait dit que M. Constance s'était plaint que lui, Vollant, lui avait fait la grimace, et qu'il l'avait prié de le renvoyer à Bangkok comme un homme qui lui déplaisait, ajoutant que M. Constance ayant cette pensée sans fondement, qu'il chercherait toutes les occasions de lui faire donner du chagrin par M. Desfarges et qu'il ne voyait point de meilleur ni plus sûr moyen de s'en garantir qu'en demandant son congé pour retourner en France. Je lui remontrai qu'il fallait bien se donner de garde d'avoir cette pensée, que le roi l'avait envoyé à Siam pour son service et qu'il fallait bien au contraire s'appliquer de son mieux aux fonctions de son emploi, qu'il n'avait point d'autre parti à prendre que celui-là, et sur ce qu'il me demanda conseil de ce qu'il devait faire, je lui dis qu'il devait aller sur le soir trouver M. Desfarges pour lui demander ses ordres pour Bangkok et prendre cette occasion pour l'assurer que M. Constance ne lui rendait pas justice en l'accusant d'une chose d'où il n'avait jamais pensé. Après quoi, il ne fallait pas hésiter à s'en aller à Bangkok y exécuter les ordres qu'il y recevrait. J'ajoutai plusieurs autres choses pour remettre cet esprit alarmé et outré. Il me quitta plus tranquille et me promit de suivre mon conseil, et sur le soir il me vint trouver pour me dire adieu et me dit que M. Desfarges s'était adouci à son égard et lui avait fait entendre que le chagrin de M. Constance venait de ce qu'il venait souvent nous voir, M. de La Loubère et moi, en lui disant : — Vous faites tant votre cour à Messieurs les Envoyés du roi qu'ils vous tirent de cette affaire présentement. Je ne lui répondis autres choses, sinon que j'étais bien aise que M. Desfarges n'eût plus d'aigreur contre lui, ensuite de quoi il partit pour Bangkok après avoir vu M. de La Loubère.

Je ne fis pas grand cas de ce que ledit sieur Vollant me rapporta de M. Desfarges sur ce qui nous regardait, M. de La Loubère et moi. Cependant, il était véritable que depuis plus de quinze jours, aucun officier des troupes n'osait venir au logis, ce qui leur était imputé à crime et leur attirait au moins quelques railleries, en sorte que quoique notre table fût toujours servie pour trente couverts, il n'y avait que notre famille et les officiers des vaisseaux qui n'entraient point dans ces bagatelles de partialiser.

Le 30, nous donnâmes notre mémoire à M. Constance, auquel nous avons travaillé plusieurs jours depuis que nous avions dit au père Tachard que nous en voulions présenter un. Le même jour, le révérend père de Bèze nous vint voir et nous connûmes par sa conversation que le sieur Constance avait quelques inquiétudes sur le mémoire que nous lui avions présenté, principalement sur l'article où il est parlé des provisions et commissions. Nous apprîmes même qu'il y avait eu une grande dispute entre M. Constance et le père Tachard, mais comme les gens qui nous apprirent cette nouvelle ne le savaient pas d'original, ils ne purent nous dire précisément ni l'heure ni le sujet de la querelle.

Ce matin, j'ai reçu une lettre du sieur Véret datée d'hier, de Siam. Le sieur de La Loubère en a gardé un extrait. Cette lettre porte que le sieur Martineau (22), missionnaire, a communiqué audit Véret des semences de divisions de la part des Siamois de la garnison de Bangkok et du peuple de Bangkok à l'égard des Français. Nous avons cru que la chose était digne que le sieur Desfarges la sût, afin qu'il se déterminât d'aller à Bangkok, et parce qu'il ne suit que les conseils du père Tachard à cause qu'il en a l'ordre dans ses instructions, nous avons donné au père Le Royer un extrait de cette lettre afin qu'il le donnât au père Tachard et que le père Tachard s'en servît suivant notre dessein auprès du sieur Desfarges, car tout le monde nous assurait depuis dix jours que le sieur Constance même témoignait assez durement au sieur Desfarges qu'il devait aller à Bangkok à cause que le peu d'ordre fait, dit-on, qu'il y a bien des soldats malades et qu'il en meurt un assez grand nombre.

Ce soir, vers la fin du jour, comme nous étions avec Mgr de Métellopolis et les pères Le Royer et Duchatz, le père Tachard a frappé à la porte de la chambre. Il était accompagné des pères Bouchet et de Bèze, car il ne vient plus nous voir sans témoins. Il a débuté par nous parler de cet extrait de lettre et Mgr de Métellopolis est sorti et les pères Le Royer et Duchatz (23) l'ont accompagné jusque chez lui. Le père Tachard nous a dit que cet extrait de lettre était d'une très grande conséquence et qu'est-ce que nous prétendions qu'il en fît. Nous lui avons répondu que comme le sieur Desfarges m'avait fait voir cet endroit de ses instructions qui lui ordonne de prendre conseil du père Tachard, notre avis était que Sa Révérence fit part de cet extrait de lettre au sieur Desfarges et lui conseillât de s'en aller à Bangkok. — Moi, a dit le père, je n'ai rien à conseiller. Il a ordre de suivre mon conseil comme ceux des autres. — Pardonnez-moi mon père, lui dis-je. — S'il a ordre de suivre mes conseils, a repris le père, je n'ai pas ordre de lui en donner, mais, a-t-il ajouté, faites-le venir ici. Là-dessus, il a envoyé le père Bouchet au sieur Desfarges, lequel étant proche de là vint, accompagné du sieur Du Bruant.

J'expliquai au sieur Desfarges pourquoi on l'avait prié de venir et le contenu, en une lettre que nous avions reçue, qui portait que les soldats siamois de Bangkok avaient dit que, sans le respect de leur roi, ils battraient bien les Français. Le sieur Desfarges répondit qu'il les battrait bien, encore qu'il eût des gens malades. Le père dit : — Il faudrait voir l'original de la lettre. Je lui ai dit qu'elle était dans la main de mon secrétaire. Il a répondu qu'il n'était point authentique, et nous lui avons répondu qu'il l'était assez puisque nous l'assurions qu'il était extrait fidèlement. — C'est une affaire, a-t-il dit, Messieurs, d'une très grande conséquence et qu'il faudrait avérer, car si cela était prouvé, ce serait une vraie occasion de faire sortir les Siamois de Bangkok. — Nous l'avons dit comme cela au père Le Royer, avons-nous répondu, et que nous espérions que vous vous en serviriez. — Mais si c'est aussi une calomnie ? a dit le père. C'est pourquoi, a-t-il ajouté, il faudrait dire le nom de celui qui a dit cela. — Il n'est pas question, lui avons-nous dit, de faire un procès criminel. C'est un homme qui a dit bonnement, et afin qu'on y prît garde, ce qu'il a entendu, et il ne serait pas juste pour cela de le traiter de calomniateur, et nous nous garderons bien de dire son nom, quoiqu'il n'eût pas défendu de le dire. — J'entends bien cela, dit le père. Il importe de savoir la vérité, que Monsieur Desfarges et Monsieur Constance fassent leurs diligences pour la savoir, car si ce bruit est quelque chose, il sera bien aise si l'on veut de faire parler les Siamois encore une fois de la même sorte. Voulez-vous, a-t-il dit, que j'en parle à Monsieur Constance ? — Mais il vous demandera le nom de l'homme. Nous ne prétendons pas, avons-nous dit, être interrogés sur rien. Vous avez l'extrait d'une lettre que nous avons reçue. Monsieur Desfarges, Monsieur Constance et vous, mon père, en ferez ce qu'il vous plaira. Nous avons fait notre devoir en vous avertissant. — Mais si Monsieur Constance le sait, a dit le père, la chose sera publique. — Certes, avons-nous répliqué. Mon père, si elle devient publique cela ne servira qu'à échauffer les esprits et non à en savoir la venté. — Mais, a repris le père, si Monsieur Constance le sait, il faudra bien qu'il le dise au roi. — Eh bien! mon père, est-ce qu'une chose est publique dès que le roi de Siam et Monsieur Constance la savent ?

Le père voulant répliquer, je n'ai pu m'empêcher de lui dire que quelque chose qu'il pût dire, il ne saurait point le nom de cet homme s'il ne voulait être nommé, et certes, nous avions raison d'être fâchés, parce qu'il n'était venu que pour nous tendre un piège à son ordinaire, car il voulait nous forcer à faire un éclat qui aurait peut-être été dangereux ou avoir lieu de nous reprocher que nous ne lui voulions pas fournir de quoi faire sortir les Siamois de Bangkok. Le père, devenu muet d'une subite colère, est sorti peu de temps après et les jésuites l'ont suivi. Les sieurs Desfarges et Du Bruant sont sortis aussi après lui.

Dans le cours de la conversation, le père Tachard a trouvé moyen de faire jouer au sieur Desfarges son rôle, par lequel il nous a expliqué le service des Siamois dans Bangkok, et avant que ledit sieur Desfarges arrivât, comme le père Bouchet l'était allé quérir, je demandai au père Tachard s'il n'était pas vrai que le sieur Constance trouvait mauvais que le sieur Desfarges fût si longtemps ici. — Au contraire, a dit le père, il a ordre du roi de demeurer jusqu'à ce que vous vous en alliez, afin qu'il puisse rendre témoignage de ce qui se dit et se passe ici.

Nous sommes retournés ce soir chez Mgr de Métellopolis duquel nous obtînmes enfin une lettre adressante à Mgrs les évêques du Tonkin (24) pour l'envoi de deux pères jésuites en qualité de missionnaires apostoliques, à condition, néanmoins, que nous n'en parlerions point au père Tachard et a M. Constance. Il consentit seulement de le faire savoir au père Duchatz, supérieur de la maison de Louvo, et au père Le Royer, supérieur de la maison de Siam, entre les mains desquels nous remîmes cette lettre pour s'en servir lors que la saison le permettra. Et je promis à mon dit seigneur de Métellopolis de donner les ordres nécessaires pour envoyer au Tonkin une barque qui est à Siam, appartenant à la Compagnie, pour y continuer son commerce, et qu'il pourrait se servir de cette voie pour l'envoi desdits pères jésuites et des provisions qu'il jugerait nécessaires pour les évêques et missionnaires du Tonkin.

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Du 1er au 20 novembre 1687.
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Du 1er au 13 décembre 1687.

NOTES

1 - Le recueil anonyme intitulé Usages du Royaume de Siam, cartes, vues et plans : sujets historiques en 1688 conservé à la Bibliothèque nationale comporte une estampe coloriée représentant ce bâtiment.

ImageLa maison des jésuites à Lopburi.

Maison que le Roy de Siam avait fait bastir aux Jésuites mathematicfiens du Roy, il y avait un grand corps de logis à deux estages avec deux aisles et une grosse tour octogone de 60 pieds de diametres et à trois estages, le tout en terrasses plombées.
La croix que l'on voit est l'Église commencée qui est six pieds hors de terre. 

2 - Il semble que Desfarges ait changé d'avis sur Phaulkon au fil du temps et des événement. Il écrivait dans sa Relation des révolutions arrivée dans Siam dans l'année 1688 (1691, p. 9) : Il fallait du temps pour le bien connaître ; la suite m'a fait remarquer en lui un manque de droiture et sincerité, une ambition démesurée et une trop grand délicatesse à se choquer et à poursuivre ceux dont il se croyait méprisé, ce qui lui avait attiré la haine de tous ces peuples et de la plupart des étrangers. 

3 - Le Tonkin et la Cochinchine étaient les pays où les tensions entre missionnaires et jésuites étaient particulièrement exacerbées. Voir à ce sujet la note 16 de la 3ème partie

4 - Joncoux était enseigne sur le vaisseau le Gaillard. Il avait déjà fait le voyage de Siam deux ans plus tôt avec l'ambassade de Chaumont en qualité de garde-marine. 

5 - Desfarges était venu au Siam avec ses trois fils : l'aîné, le marquis de Desfarges, le cadet, le chevalier, et l'abbé, dont on ignore la place dans la fratrie. Le marquis et le chevalier restèrent au Siam avec leur père, l'abbé repartit en France avec l'escadre au début de janvier 1688. Le Journal de Dangeau du 10 novembre 1690 mentionne sa mort : L'abbé de Farges est mort ; il avait une abbaye de 5 ou 6 000 livres de rente auprès de Thouars ; il est fils de ce de Farges qui était à Siam, et que l'on ne sait ce qu'il est devenu. (Journal du marquis de Dangeau […], 1854, III, p. 247) 

6 - Jean-Baptiste Maldonat, (1634-1699), jésuite né à Mons, s'établit au Siam en 1673 et se trouve dès cette époque au cœur de la querelle qui oppose les jésuites aux évêques apostoliques français, à qui tous les religieux sont tenus de prêter serment. Le père Maldonat, d'abord réticent se range finalement aux consignes de Rome et fait allégeance à Mgr Laneau en 1681. Il se trouve au Siam en 1686 et entretient d'excellentes relations avec les six jésuites mathématiciens. Le père Tachard assure que c'est lui et le jésuite Antoine Thomas qui incitèrent Phaulkon à se convertir au catholicisme. Lors de la révolution de Siam et des persécutions qui la suivent, Maldonat assiste les prisonniers, parmi lesquels ne se trouve qu'un seul jésuite français, le père de la Breuille. 

7 - Aujourd'hui Phetchaburi (เพชรบุรี), sur le golfe de Siam, à l'extrémité nord de la péninsule malaise. 

8 - Kui Buri (กุยบุรี), sur le golfe de Siam, dans la province de Prachuap Khiri Khan (ประจวบคีรีขันธ์), à environ 140 km au sud de Phetchaburi. 

9 - Un semblable « divertissement » avait déjà été offert au chevalier de Chaumont lors de son ambassade. La Bibliothèque nationale conserve un recueil de dessins coloriés anonyme intitulé Usages du Royaume de Siam, cartes, vues et plans : sujets historiques en 1688. Il est mentionné sur la page de garde : Acquis du père Pourchot lors de la dissolution des Jésuites en 1762. Il apparaît donc que l'auteur de ces dessins faisait partie de l'ambassade Céberet-La Loubère. Ces 36 dessins sont des bijoux de fraîcheur et de naïveté. L'un est consacré au combat de l'éléphant contre le tigre, avec cette légende : Combat d'un tigre avec des éléphants. Quelquefois l'on voit l'éléphant prendre avec sa trompe le tigre par le milieu du corps et le jeter en l'air quand son cornac ou l'homme qui est dessus lui ordonne. Il le foule avec les pieds ou le reçoit sur ses dents. Le tigre tâche principalement de prendre la trompe avec ses griffes et l'éléphant [illisible].

ImageCombat d'un éléphant avec un tigre. Dessin colorié anonyme. 1688. 

10 - Louis de France, le Grand Dauphin, fils de Louis XIV et de Marie-Thérèse d'Autriche. 

11 - Quenouilles : bâtons d'une couche à haut piliers qui soutiennent le ciel et les rideaux (Furetière). 

12 - Tabouret, petit siege de femme, ou d'enfant, qui n'a ni bras, ni dossier (Furetière). 

13 - Des maîtres émailleurs s'étaient installés à Nevers au XVIe siècle et avaient fait de la ville un des hauts lieux de l'émail. La particularité des figures d’émail fabriqué selon la technique de Nevers, est un noyau en verre plus intense ou bien un squelette constitué d’un fil de fer tire-bouchonné d’un fil de cuivre de la finesse d’un cheveu. Sur ce bâti sont agencés en volumes successifs des bâtons de pâte de verre opaque coloré, appelés canons ou mailles qui sont fabriqués à la Verrerie Royale de Nevers. (site du Musée de la faïence et des Beaux-arts de Nevers). 

14 - On appelle rubis balais une espèce de rubis dont la couleur est moins rouge que celle du vrai rubis. Elle est mêlée d'un peu de bleu. Ce nom vient de Balasia, qui est un royaume en terre ferme entre Pégou et Bangala, où se trouvent ces rubis balais. (Dictionnaire universel de Furetière). 

15 - L'église Santa Maria di Loreto, à Rome, construite au XVIe siècle à l'emplacement d'une ancienne chapelle du XVe siècle, qui contenait une icône de la Vierge de Lorette. 

16 - Une liste de ces présents a été publiée dans le Mercure Galant de mai 1687. 

17 - On comprend l'agacement de Céberet de ne pouvoir obtenir autre chose que des réponses de matamore de la part de Desfarges, d'autant qu'il lui avait déjà posé la question le 16 octobre et n'avait pas reçu davantage de précision. 

18 - Abraham le Royer (1646-1715), supérieur des 14 jésuites-mathématiciens qui accompagnaient le père Tachard. 

19 - Jean Venant Bouchet (1655-1732), l'un des 14 jésuites mathématiciens envoyés par Louis XIV au roi Naraï. Après le coup d'État de Phetracha, il rejoignit la mission de Maduré, puis la mission de Carnate dont il fut nommé supérieur. 

20 - Pierre de Saint-Martin, l'un des 14 jésuites mathématiciens envoyés par Louis XIV au roi Naraï. Il fut le confesseur de Phaulkon et de son épouse, et mourut le 11 novembre 1688 – jour de la saint Martin – peu après le départ de la garnison française. Il fut inhumé dans une île du golfe de Siam, vraisemblablement Ko Sichang, à laquelle les Français donnèrent le nom d'île Saint-Martin. 

21 - Les rapports étaient constamment tendus entre le général matamore et l'ingénieur magouilleur, deux personnalités à l'ego également surdimensionné. Le major Beauchamp, qui détestait Vollant, rapportait avec jubilation cette anecdote : M. Desfarges fut fort surpris d'apprendre à son retour que Vollant, ingénieur, s'amusait à faire des maisons de plaisance ; qu'il débauchait sous main des ouvriers de la place ; qu'il en avait tiré jusqu'à trente en un seul jour ; qu'il avait fait démolir en partie une très belle maison que les missionnaires lui avaient prêtée pour la rendre plus spacieuse, comme aussi il en avait fait bâtir une entière à un quart de lieue de celle-là sur le bord de la rivière, à quatre pavillons, avec une grand ménagerie, ce qui fut cause que les Siamois qui travaillaient à Bangkok se plaignirent de lui à M. Desfarges, sur ce qu'il leur enlevait leurs travailleurs. Ce fut sur ces plaintes et sur ce que M. Desfarges s'aperçut qu'ils n'étaient plus si assidus aux travaux, qu'il lui dit qu'il ne prétendait pas qu'il quittât les travaux du roi pour bâtir des palais ; qu'il devait se ressouvenir que, manque d'application, les fortifications qu'il conduisait de la place ne valaient rien : que le batardeau qu'il avait fait construire pour retenir l'eau dans les fossés s'était éboulé, en un mot qu'il voulait qu'il fît ce qu'il était obligé de faire ; que ce n'était pas ainsi qu'on gagnait l'argent du roi, et que s'il continuait il en écrirait à la Cour. Vollant lui répondit brusquement qu'il s'en souciait fort peu et qu'il en écrirait aussi. M. Desfarges, indigné d'une telle réponse, le mit lui-même en prison, où il ne demeura que deux heures, parce qu'il pria le sieur de la Salle, commissaire, de dire à M. Desfarges qu'il lui demandait pardon et qu'il tâcherait de le mieux contenter à l'avenir. (Manuscrit BN Ms. Fr. 8210, ff° 514v°-515r°). 

22 - Bernard Martineau (1654-1695), prêtre des Missions Étrangères. Il fut laissé en liberté avec Jacques Chevreuil lors du coup d'État de 1688 et les deux missionnaires ne ménagèrent pas leurs efforts pour adoucir le sort de leurs compatriotes emprisonnés. 

23 - Jacques Duchatz ((1652-93), un des 14 jésuites-mathématiciens envoyés par Louis XIV au roi Naraï. 

24 - Jacques de Bourges, évêque d'Auren, vicaire apostolique du Tonkin occidental et François Deydier, évêque d'Ascalon, vicaire apostolique du Tonkin oriental. 

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28 février 2020