Du 10 février au 30 septembre 1687.
Je partis de Paris le 10 février 1687 et me rendis à Brest le 23 par la route de Nantes, et passai au Port-Louis pour y donner les ordres nécessaires pour le départ des vaisseaux le Président et les Jeux appartenant à la Compagnie des Indes orientales qui devaient partir cette année, le premier pour la côte de Coromandel et le second pour Surate. En arrivant à Brest, je trouvai les vaisseaux du roi le Gaillard, l'Oiseau, la Loire, le Dromadaire et la Normande en rade et prêts à faire voile pour le voyage de Siam. Ils étaient si chargés d'eau et de vivres qu'il était impossible d'y rien embarquer, et cependant tous les ballots des présents du roi, les provisions pour les troupes qui devaient rester à Siam, les ballots des commissions que la Compagnie avait faits pour le roi de Siam (1), le bagage de MM. les ambassadeurs dudit roi (2) et ceux de M. de La Loubère et le mien étaient encore à Brest en partie, et le reste était attendu de moment en moment du Havre-de-Grâce où il avait été embarqué sur la frégate de la Compagnie, le Champluisant pour y être rendu à Brest. Le lendemain de mon arrivée, après avoir entretenu M. Desclouzeaux, intendant de Brest, et MM. les capitaines des vaisseaux (3), j'allai à bord avec le sieur de Vaudricourt, et après avoir vu l'état où étaient les vaisseaux et qu'il était impossible que l'on y embarquât tout ce qui était absolument nécessaire pour le voyage de Siam, il fut résolu dans un conseil tenu à cet effet chez ledit sieur intendant que M. de La Loubère, mon collègue, et moi, ferions équiper le vaisseau la Maligne qui sortait de carène afin d'y embarquer ce qui ne pouvait entrer dans les cinq autres vaisseaux (4), ne pouvant attendre des ordres de la Cour sur cela sans manquer le voyage, ce qui fut exécuté avec tant de diligence que le dernier jour de février, les vaisseaux se trouvèrent en état de lever l'ancre pour entreprendre le voyage.
Nous mîmes à la voile devant Brest le 1er mars et sortîmes du goulet le même jour à midi. Nous mouillâmes l'ancre devant Camaret, ayant la marée contraire et le vent calmé. Le lendemain, le 2 mars, au point du jour, le vent étant favorable, nous mîmes tous à la voile et fîmes route pour aller reconnaître l'île de Madère. Le 8, le vent étant venu du nord-ouest, il devint si violent que les vaisseaux ne pouvaient porter d'autres voiles que la misaine. En peu d'heures, la mer devint furieuse, en telle sorte que les vaisseaux, qui étaient trop chargés, coururent risque. Il n'y eut que le Gaillard qui ne fut point incommodé de ce coup de vent ; les cinq autres eurent leurs mâts endommagés, et principalement l'Oiseau auquel la maîtresse jumelle (5) de son grand mat fut cassée. Ce coup de vent dura trente-six heures, après lesquelles, le temps étant devenu supportable, on continua la route.
Nous passâmes la ligne équinoxiale le 18 avril par les 358° de longitude, après y avoir beaucoup souffert à cause des grands calmes qui durèrent pendant quinze jours. Nous eûmes connaissance du Cap le 11 juin à midi, et nous nous trouvâmes à quatre lieues de la montagne du Lion sans l'avoir vue à cause d'un brouillard. Le même jour, nous entrâmes sur le soir dans la baie de la Table où nous mouillâmes vis-à-vis et environ trois quarts de lieue du fort. Nous trouvâmes en y arrivant le vaisseau la Loire qui s'était séparé de nous le 8 mars, lors du coup de vent, ce qui nous donna bien de la joie, en étant en peine parce que plusieurs personnes de l'escadre avaient dit que pendant le mauvais temps, on s'était aperçu que ce navire avait [amerlé ?] son grand mât de hune, qui faisait craindre qu'il ne lui soit arrivé quelque accident qui l'aurait obligé de relâcher à Lisbonne. M. de Vaudricourt envoya à terre, dès qu'il eut mouillé, pour convenir avec le gouverneur du fort pour le salut et pour demander la permission de faire de l'eau, du bois, acheter des vivres et rafraîchissements, et aussi de mettre les malades à terre, qui étaient en grand nombre, et principalement sur le vaisseau le Dromadaire où il y avait plus de cent hommes hors de service (6). Le gouverneur reçut fort honnêtement le sieur de Saint-Clair, premier lieutenant de M. de Vaudricourt, et lui accorda ce qu'il avait demandé. Le sieur de Lasalle, commissaire de la Marine, était aussi allé avec le sieur de Saint-Clair afin de disposer toutes choses pour mettre les malades à terre le lendemain, afin de ne point perdre de temps et de se mettre au plus tôt en état de partir pour continuer notre voyage.
Le lendemain 12, on débarqua les malades et chacun alla se rafraîchir d'une si longue navigation qui, néanmoins, avait été fort heureuse, n'ayant employé que trois mois et onze jours à se rendre de Brest audit Cap (7). J'eus l'honneur d'écrire à Mgr le marquis de Seignelay dudit lieu du Cap de Bonne-Espérance, en commun avec M. de La Loubère, et nous lui avons rendu compte de toutes choses jusqu'alors, et quoique je ne doute point que notre lettre n'ait été rendue, après l'arrivée du vaisseau la Maligne, par lequel nous l'avons envoyée, je ne laisserai pas d'enjoindre ici une copie par duplicata.
Les vaisseaux se trouvant soulagés de leur charge par la consommation d'une grande quantité de vivres, je pris la résolution de faire décharger la Maligne et embarquer ce qu'elle contenait dans les autres vaisseaux, à la place des vivres consommés, et de renvoyer en France ledit vaisseau.
Nous étions prêts à partir du Cap de Bonne-Espérance le 25 juin, et tout le monde s'était rendu à bord pour cet effet, mais le vent étant contraire et forcé, il ne fut pas possible d'exécuter le projet ; ainsi, nous fûmes obligés d'y demeurer jusqu'au 28 que nous mimes à la voile pour aller a Batavia.
Nous courûmes au sud en partant du Cap jusques à 28° ½ sud pour trouver les vents du sud-ouest, et les ayant rencontrés, le vent et la mer devinrent si fâcheux que le vaisseau l'Oiseau, où j'étais embarqué, se trouva séparé des autres par le mauvais temps et les brouillards. Nous eûmes beaucoup de mauvais temps jusqu'à ce que nous fûmes parvenus à la longitude de Madagascar, et nous eûmes plusieurs fois des voiles emportées, et même la nuit du 10 juillet, la grande vergue fut rompue en deux. M. Duquesne fit promptement sauver les pièces de ladite vergue et la fit raccommoder, en sorte qu'au bout de 24 heures elle fut en état de servir.
Le dimanche 13 juillet, nous vîmes un navire sous le vent de nous, ce qui nous fit arriver (8), croyant que ce pouvait être un de ceux de l'escadre et, en effet, il se trouva être la Loire qui s'était aussi séparée des autres. Notre navigation devint plus tranquille et, en continuant notre route à l'est, le 4 août, sur les 3 à 4 heures après midi, nous nous trouvâmes près de la terre de la Concorde, laquelle nous parut à quatre lieues de nous sous le vent (9). La brume qui la cachait s'étant un peu éclaircie, tout le monde fut un peu surpris de cette vue parce que les pilotes s'estimaient en être encore éloignés de près de 300 lieues. On avait eu bonne hauteur à midi, et nous étions par 31° de latitude sud. On revira promptement le bord au large, et en revirant on jeta la sonde, mais on ne trouva point de fond. La figure de la terre nous parut telle qu'elle est marquée sur la carte et nous sembla très belle, étant d'une bonne élévation et toute couverte de verdure, quoique nous fussions alors au milieu de l'hiver de ce pays-là.
Après avoir mis au large pour éviter les dangers de cette côte dont on n'a point encore de connaissances bien certaines, M. Duquesne fit assembler ses pilotes et nous convia, M. de La Loubère et moi, d'y assister pour savoir quel parti ils devaient prendre. Il fut résolu que l'on ferait route droit au nord pour passer entre la Nouvelle-Hollande et les rochers nommés les Trials (10), et cette résolution fut fondée sur ce que les terres de la Nouvelle-Hollande ayant été découvertes par les Hollandais qui étaient partis de Batavia pour cet effet, il était à présumer qu'elles étaient mieux marquées sur leurs cartes par respect à Java que par le Cap de Bonne-Espérance. Ainsi nous continuâmes notre route pour aller reconnaître l'île de Java dont nous eûmes connaissance le 18 août. Nous approchâmes de la côte pour la mieux reconnaître et, en étant à trois ou quatre lieues, tous les pilotes reconnurent leur longitude être bonne suivant la figure de la terre qui est très bien marquée sur la carte que Monseigneur m'a fait remettre à Versailles (11) avant mon départ et dont on se servit jusques au détroit de la Sonde où nous entrâmes la nuit du 20 à la faveur de la lune qui nous convia de nous servir du vent favorable pour entrer dans ce détroit qui est souvent très difficile en cette saison où les vents se trouvent presque toujours contraires.
Nous allâmes le même jour au soir mouiller jusqu'à un petit îlot qui est nommé Le Chapeau (12). Le lendemain, nous appareillâmes au point du jour pour aller à Banten, où M. de Vaudricourt avait donné rendez-vous aux autres navires en cas de séparation dans la route du cap de Bonne-Espérance à Batavia. Nous entrâmes dans la rade de Banten le 23 [août], et le même jour au soir, nous mouillâmes devant la ville, environ à une demi-lieue de terre. Le sieur Duquesne envoya le sieur Descartes, son premier lieutenant, à terre, au gouverneur, pour convenir du salut et pour avoir la permission de faire de l'eau et d'acheter des vivres et rafraîchissements. Le gouverneur hollandais reçut fort honnêtement ledit sieur Descartes mais il lui dit que pour ce qu'il demandât il n'en était point le maître et qu'il fallait s'adresser au roi de Banten, qu'il n'était là que pour faire le commerce de la Compagnie et qu'il ne se mêlait point d'autre chose, et envoya aussitôt un de ses officiers donner avis au roi de Banten de l'arrivée de ce vaisseau et de ce qu'on demandait. Ledit officier revint quelque temps après avec un officier du roi de Banten que l'on dit être son capitaine des gardes, lequel dit à M. Descartes que le roi son maître donnait permission de prendre de l'eau et des vivres ce qu'il en pouvait faire pendant vingt-quatre heures, passées lesquelles il voulait que le vaisseau sortît de la rade, ne le voulant point souffrir plus longtemps (13).
Le sieur Descartes revint a bord aussitôt donner avis à son capitaine de ce qui s'était passé. Nous prîmes cette réponse comme un refus que faisait honnêtement le gouverneur hollandais de nous accorder ce que nous demandions, se servant du prétexte du roi de Banten qui n'a aucun pouvoir que celui que les Hollandais lui donnent, étant absolument les maîtres de Banten et du roi même qu'ils gardent comme prisonnier avec une grosse garde sous prétexte de lui faire honneur (14). Cette réponse du gouverneur nous fit prendre le parti d'aller à Batavia pour y prendre de l'eau et des vivres dont nous avions besoin, et le lendemain au point du jour nous partîmes. La nuit, le gouverneur hollandais envoya à bord des volailles, quelques bœufs et quantité de fruits en présent à M. Duquesne, ce qui nous fut très utile pour aller jusqu'à Batavia où nous mouillâmes le 26 août. Nous y trouvâmes treize vaisseaux hollandais en rade et deux flûtes qui étaient mouillées au large qui partirent le même jour, l'une pour Siam et l'autre pour la côte de Coromandel. M. Duquesne envoya aussitôt le sieur Descartes au général hollandais (15) pour convenir du salut et pour demander la même permission qu’il avait demandée à Banten. Le général le reçut assez mal et lui refusa d'abord ce qu'il demandait. Cependant, après lui avoir représenté que les États de Hollande étant en paix avec Sa Majesté, il ne pouvait faire ce refus sans contrevenir à l'union et à l'alliance des deux États, le général revint un peu et donna permission d'acheter des vivres et promit d'envoyer à bord de l'eau, mais que pour le salut, qu'il le ferait rendre par le vaisseau du commandant hollandais. Le sieur Descartes répondit que ce n'était pas là le salut qui était dû aux vaisseaux du roi, qu'il demandait que la forteresse rendît le salut coup pour coup, sans quoi M. Duquesne ne pouvait la saluer (16). Le général répliqua que puisque le vaisseau du commandant de l’escadre devait arriver dans peu de jours, qu'il fallait attendre son arrivée et qu'il le saluerait. Après quoi le sieur Descartes revint à bord rendre compte à son capitaine de ce qui s'était passé, lui ajoutant que le général ne voulait point permettre que personne du vaisseau mît pied a terre (17). Cependant, le lendemain, on alla prendre des rafraîchissements et nous avons demeuré dans cette rade pendant douze jours.
Le 29 dudit mois, nous eûmes nouvelle, par Banten, que le vaisseau du roi le Gaillard y avait passé avec deux autres vaisseaux du roi et que le gouverneur dudit Banten avait envoyé à bord dudit commandant une lettre que M. Duquesne avait laissée audit gouverneur avant de partir dudit lieu, pour être rendue à M. de Vaudricourt lorsqu'il viendrait, par laquelle il lui donnait avis de ce qui s'était passé et de la nécessité où il avait été d'aller à Batavia où il l'attendrait jusqu'au commencement de septembre, suivant que l'on était convenu au cap de Bonne-Espérance.
Le 1er septembre, les trois vaisseaux du roi parurent à la vue de la rade de Batavia où ils mouillèrent l'ancre le même jour à midi. M. de Vaudricourt envoya le sieur de Saint-Clair (18) au général pour lui faire civilité et pour le salut mais, quoiqu'il eût promis de rendre le salut au commandant, il n'en voulut rien faire et lorsque l'officier lui représenta que les saluts étaient réglés en Europe et qu'il n'y avait aucune difficulté, que même le gouverneur du cap de Bonne-Espérance n'en avait faite aucune, il répondit que les traités faits en Europe ne passaient point la ligne. Ainsi, le sieur de Vaudricourt ne salua point la forteresse non plus que M. Duquesne.
Le lendemain, M. de Vaudricourt me vint voir à bord où j'étais resté, parce que M. de La Loubère avait besoin de s'aller rafraîchir incognito et que nous ne voulions point aller tous deux à terre dans une ville étrangère. Le sieur de Vaudricourt me fit connaître que la saison nous pressait beaucoup et que si on prenait le parti de mettre les malades des flûtes à terre pour les remettre, nous courions risques, par ce retardement, de manquer la saison. Je lui répondis que mon sentiment était de savoir des capitaines des deux flûtes le Dromadaire et la Loire (qui avaient joint Monsieur de Vaudricourt à la vue de Java) en quel état étaient leurs équipages, leurs malades et ce qu'ils avaient besoin d'eau et de vivres avant de prendre résolution pour le départ de l'escadre. Sur cette réponse, ledit sieur de Vaudricourt fit signal auxdits capitaines de venir à bord de l'Oiseau et étant arrivés, ils dirent que leurs malades avaient besoin de quinze jours au moins de rafraîchissements à terre, suivant le sentiment de leurs chirurgiens, et qu'il serait inutile de les y débarquer pour moins de temps, que ce transport leur ferait plus de mal que de bien, que pour leur eau et leurs vivres ils pouvaient en trois ou quatre jours s'en pourvoir suffisamment pour se rendre à Siam. M. de Vaudricourt était de sentiment que si les vaisseaux demeuraient quinze jours à Batavia, il n'y avait pas d'apparence que nous arrivassions cette année à Siam. M. Duquesne et les autres capitaines se trouvèrent de ce sentiment, ce qui m'obligea de dire à M. de Vaudricourt que de tous les maux il fallait éviter le pire qui était celui de manquer la saison de se rendre à Siam, que n'ayant point de lieu de retraite pour hiverner et trouver des vivres, qu'il y avait danger que la meilleure partie de l'escadre ne pérît faute de subsistance et que, venant à manquer de monde, les navires auraient peine à s'en retourner en France, ayant leurs équipages déjà fort faibles, sur quoi il fut résolu que les vaisseaux mettraient à la voile pour Siam le 7 septembre, pendant lequel temps on se pourvoirait avec toute diligence d'eau et de vivres, ce qui fut exécuté, en sorte que le 7 septembre nous mîmes à la voile de la rade de Batavia pour faire route pour Siam. M. de Vaudricourt laissa à Batavia une lettre pour rendre au sieur de Courcelles lors qu'il arriverait avec le navire la Normande audit lieu de Batavia, car nous n'avions point eu de nouvelles de ce navire depuis notre séparation. Notre navigation fut très heureuse et nous passâmes le détroit de Banka sans qu'il arrivât aucun accident à nos vaisseaux.
Dans quelques conversations que j'avais eues avec le père Tachard pendant le voyage et au cap de Bonne-Espérance, il me dit qu'il ne croyait pas que Opra Vissiti Sompton, premier ambassadeur du roi de Siam (19), fût beaucoup porté pour l'établissement des Français audit royaume, étant très attaché à sa religion, et qu'il était persuadé que ledit ambassadeur se tournerait à Siam suivant qu'il trouverait les affaires disposées, en sorte que s'il trouvait les affaires favorables pour les Français, il témoignerait de l'empressement pour les servir ; que si au contraire il arrivait le premier et qu'il trouvât quelques dispositions contraires, il suivrait son inclination qui ne nous était pas favorable. Cette raison, et encore celle de gagner du temps, qui nous était très nécessaire, me fit prendre la résolution de proposer au consentement de M. de La Loubère et M. de Vaudricourt, à Batavia, de détacher le vaisseau l'Oiseau comme étant meilleur voilier, et d'y embarquer ledit révérend père Tachard avec nous, afin d'aller les premiers pour prendre les devants et pour disposer toutes choses afin qu'à l'arrivée des autres vaisseaux, qui ne pouvait être que de quelques jours après l'Oiseau, les affaires se trouvassent en état de pouvoir débarquer les troupes à Siam, lesquelles avaient un extrême besoin de secours et de rafraîchissements. M. de Vaudricourt y consentit et jugea seulement à propos de partir tous ensemble de Batavia et de faire route jusques à ce que nous eussions passé le détroit de Banka, après quoi il détacherait le navire l'Oiseau pour aller devant à Siam.
Lorsque nous eûmes passé le détroit de Banka, mon dit sieur de Vaudricourt exécuta ce qu'il avait promis et détacha ledit navire l'Oiseau sur lequel le révérend père Tachard s'embarqua avec M. de La Loubère et moi (20). Les ambassadeurs de Siam agréèrent ce détachement, fondé sur le besoin des troupes, et envoyèrent sur l'Oiseau un des mandarins pour descendre à terre avec le révérend père Tachard. Pendant notre voyage de Banka à Siam, nous eûmes le loisir de rédiger l'instruction que nous avions projetée dès Batavia où mon dit sieur de La Loubère me remit le projet desdites instructions pour les examiner. Je les trouvai bien et conformes à nos instructions, à la réserve de quelques articles :
- 1. Que nous demandassions Mergui en même temps que Bangkok parce que, ne demandant que Bangkok, il aurait été de mauvaise grâce de revenir à la charge pour demander Mergui et il semblerait que le nombre des demandes deviendrait infini (21).
- 2. Que je trouvais nécessaire d'employer dans lesdites instructions les mêmes termes portés par les nôtres pour ce qui regardait l'obéissance que les troupes du roi devaient rendre au roi de Siam sans les changer en aucune manière (22).
- 3. Que nous ne parlassions point des bombes ni des bombardiers dans l'énumération des choses que le roi envoyait au roi de Siam, parce que ledit roi ne manquerait pas de les vouloir garder, et je n'étais pas de sentiment de les laisser à Siam, premièrement parce que je savais qu'il y avait un ordre du roi pour le commandant des bombardiers de se rembarquer avec son détachement, et en second lieu parce que je ne croyais pas qu'il fût utile au service du roi de donner connaissance aux sujets du roi de Siam de cette sorte d'artillerie qui ne pouvait être que très nuisible par la suite s'il arrivait quelques changements de dispositions pour les Français (23).
Ces trois remarques se trouveront apostillées de ma main sur la minute de M. de La Loubère. Cependant, comme par mes instructions j'avais ordre de me conformer aux sentiments de M. de La Loubère pour ce qui regardait les affaires du roi, je me contentai d'appuyer mon sentiment de toutes ces raisons qui en étaient le fondement. M. de La Loubère me dit qu'il y ferait réflexion et qu'il fallait communiquer ces instructions audit père Tachard, ce qui a été fait, et les mémoires furent communiqués audit révérend père qui y fit ses remarques.
M. de La Loubère jugea à propos de donner deux mémoires ou instructions au père Tachard, l'un qu'il devait communiquer à M. Constance, et l'autre qu'il devait tenir secret (24). Il y eut plusieurs entretiens entre M. de La Loubère et le père Tachard, et quelques fois j'étais de la conversation, mais tout ne tendait qu'à convenir avec le père Tachard de la forme et du contenu desdites instructions, pendant lequel temps il nous dit qu'il n'avait point ordre de nous obéir, ni de suivre nos ordres dans la négociation qu'il devait faire, mais que puisque nous l'assurions que nos instructions portaient précisément qu'il descendrait à terre pour agir sur nos instructions, que cela suffisait. Cependant, lorsque nos avis ne se trouvaient pas conformes aux siens dans le projet des mémoires, il nous dit plusieurs fois qu'il savait ce qu'il avait à dire et à faire, et que le roi et Mgr le marquis de Seignelay lui avaient expliqué ce qu'il devait faire, que M. Constance était un homme avec lequel il fallait négocier à cœur ouvert et auprès duquel toute l'industrie de la négociation était inutile. Nous faisions tout notre possible, M. de La Loubère et moi, pour l'engager à quelques ménagements de confidence, mais il n'était pas possible de le persuader, et comme il regardait M. Constance comme son meilleur ami pour lequel il n'avait rien de caché, nous fûmes obligés de lui dire que l’on pouvait bien dire son secret à son ami, mais qu'il n'était pas permis de dire celui de son maître. Tout cela était inutile, car il concluait toujours en nous disant qu'il avait ses ordres. Cependant, nous convînmes avec lui desdites instructions.
Le 26 septembre, nous approchâmes de la rade de Siam et le 27 au matin, le père Tachard et le père d'Espagnac partirent du vaisseau pour aller à terre, et le sieur Mazuyer (25) avec eux pour aller faire compliment à M. Constance et lui rendre une lettre de notre part. Cette lettre était en langue portugaise, ce qui n'était point de mon sentiment, parce que je ne croyais pas qu'il nous convînt de traiter en autre langue que la nôtre, parce que non seulement c'est un avantage très grand que de traiter en sa langue qu'on entend toujours mieux, mais encore ce n'est pas de l'usage de traiter en langue étrangère. Cependant, M. de La Loubère s'y opiniâtra et me dit que Mgr le marquis de Seignelay lui en avait donné la permission. Cette réponse m'y fit consentir. Nous écrivîmes aussi par cette voie à Mgr de Métellopolis et lui envoyâmes une lettre de la part de Mgr le marquis de Seignelay.
Nous engageâmes le sieur Du Bruant (26) de s'embarquer avec lesdits pères jésuites, afin d'avoir par son moyen promptement une bonne et sure relation de l'état de Bangkok. Le sieur Vollant (27), ingénieur, que nous avions pris avec nous sur l'Oiseau à Banka, était trop malade pour aller à terre. Ainsi ledit sieur Du Bruant partit avec lesdits pères, et ce sous prétexte de les accompagner jusqu'à Bangkok. Nous fûmes obligés de nous reposer entièrement sur le savoir faire et sur l'expérience dudit sieur pour ce qui regardait l'état de la place de Bangkok et de la garnison.
Le révérend père Tachard partit, ainsi qu'il est dit ci-dessus, avec deux instructions, l'une qu'il devait mettre entre les mains de M. Constance et l'autre qu'il devait tenir secrète. Il nous dit qu'il portait une relation qu'il avait faite de son voyage de France pour la montrer à M. Constance, laquelle il ne nous fit point voir sous prétexte de plusieurs choses sécrètes qui touchaient le révérend père de La Chaize. Il se contenta de nous en lire quelques fragments qui nous parurent être bons sur ce qui regardait Bangkok.
Nous apprîmes, le lendemain de notre arrivée à la barre de Siam, que le chevalier de Forbin n'était plus au service du roi de Siam depuis huit ou dix mois, qu'il s'était retiré à la côte de Coromandel dans le comptoir de la Compagnie (28), que le roi de Siam était en guerre avec les Anglais, que ledit roi avait fait fortifier Bangkok et les villes de Singor et Ligor (29) par le sieur La Mare (30). On nous dit aussi que les Anglais avaient été égorgés à Mergui (31), mais on contait cette affaire d'une manière si extraordinaire qu'on ne pouvait juger de la vérité, sinon qu'il était constant que tous les Anglais qui étaient à Mergui avaient été égorgés et que le sieur Constance avait envoyé audit lieu de Mergui, pour y commander, le sieur de Beauregard, jeune homme d'environ vingt ans, fils d'un commissaire de Marine à Brest, que le chevalier de Chaumont avait laissé à Siam avec le chevalier de Forbin (32). Cette nouvelle ne laissa pas de nous donner espérance que nous serions bien reçus, dans le besoin de secours où était le roi de Siam.
Le 30 septembre, le sieur Du Bruant revint de Bangkok avec la chaloupe du vaisseau qui avait porté à terre le père Tachard. Il nous rendit une lettre dudit père, datée du 28 du même mois, par laquelle, se remettant de tout le détail de Bangkok sur le dit sieur Du Bruant, il nous marquait sommairement combien la conjoncture était favorable pour le succès de l'affaire pour laquelle nous étions venus, et ajoutait la retraite du chevalier de Forbin à Pondichéry, la défaite des Macassars, le massacre des Anglais à Mergui, la guerre des Anglais contre le roi de Siam, le bruit qui courait que les Hollandais envoyaient des troupes au secours du roi de Siam, la grandeur du crédit du sieur Constance en cette Cour et son amitié pour les Français, jusqu'à avoir fait le sieur de Beauregard gouverneur de Bangkok, après la retraite du chevalier de Forbin, et avoir depuis envoyé le dit de Beauregard à Mergui avec le titre d'okphra (33) et de général de cette mer-là et le pouvoir de traiter avec les Anglais, toutes circonstances qui lui donnaient une vive impatience d'aller embrasser M. Constance.
NOTES
1 - Outre les présents que Louis XIV envoyait au roi Naraï, les vaisseaux emportaient également une partie de l'impressionnante commande que le souverain siamois avait chargé le père Tachard de faire fabriquer en France. Le père Tachard, ambassadeur et homme d'affaires tout ensemble, avait l'ordre de placer les marchandises et d'acheter, au nom du roi de Siam, 4 000 glaces ou miroirs destinés à la décoration des palais de Louvo et 36 660 pièces de verrerie et cristal, sans parler des armes, coffres, globes et étoffes, et d'une très importante commande de 54 chapeaux blancs, bleus, verts, noirs, rouges, violets, couleur vin, vinaigre et feuilles mortes, souples ou non souples, à grands poils ou à poils ras, de treize et de sept pouces. Comme le disait plus tard Frédéric II du comte de Brühl, c'étaient là bien des coiffures pour un homme sans tête ! (Lucien Lanier, Étude historique sur les relations de la France et du royaume de Siam, 1883, pp. 139-140).
Un document manuscrit conservé au Archives Nationales (A.N. Col. C1/26 f° 166r°-166v°) donne le détail des sommes engagées par la Compagnie pour satisfaire les commandes du monarque. Le total des marchandises embarquées sur les navires de l'escadre pour le compte du roi de Siam et de Phaulkon se montait à 202 403 livres 9 sols. Beaucoup d'articles commandés n'étant pas entièrement terminés au départ de la flotte, un second chargement, d'un montant de 48 556 livre 1 sol fut envoyé sur l'Oriflamme parti de Brest le 12 février 1688. Outre ces chargements, les directeurs firent encore au commencement de l’année 1689 exécuter plusieurs mémoires qui leur avaient été remis par ledit père Tachard dont les achats montèrent à la somme de 159 286 livres d’une part, et 19 624 livres d’autre part, suivant les factures qui furent arrêtées et signées par ledit père Tachard le 13 mars et 22 octobre 1689, portant promesse de leur faire payer comptant lesdites sommes par le roi de Siam ou au porteur de leurs ordres. Ces dernières marchandises ne furent point chargées pour Siam, parce que les directeurs furent informés à la fin de cette année-là des révolutions qui étaient arrivées au royaume de Siam, desquelles on a déjà parlé. On fut obligé de les envoyer l’année suivante pour le compte de la Compagnie dans les comptoirs des Indes où elles ont toutes dépéri, sans espérance de les y pouvoir vendre, n’étant point propres pour la consommation des Indes, à l’exception d’une chirole d’argent qui a été vendue 15 055 livres. ⇑
2 - L'escadre ramenait au Siam les trois ambassadeurs, Okphra Visut Sunthon (ออกพระวิสุทธิสุนทร), Okluang Kanlaya Rachamaïtri (ออกหลวงกัลยาราชไมตรี) et Okkhun Siwisan Wacha (ออกขุนศรีวิสารวาจา) qui étaient arrivés en France avec l'ambassade de Chaumont le 18 juin 1686. ⇑
3 - Le père Tachard donne le détail des officiers commandant chaque navire (Second voyage du père Tachard, 1689, pp. 14 et suiv.) : Le premier vaisseau nommé le Gaillard, de 52 pièces de canon, et de 150 hommes d'équipage, était monté par M. de Vaudricourt, qui commandait toute l'escadre, ayant sous lui M. de Saint-Clair, capitaine de frégate légère, M. de la Lève, lieutenant, MM. de Chamoreau, de Joncous et de Lonbus pour ses enseignes. (…) Le second de nos vaisseaux s'appelait l'Oiseau, celui qui avait déjà fait le voyage. Il était monté de 46 pièces de canon et commandé par M. Duquesne, qui avait sous lui MM. Descartes et de Bonneuil, lieutenants, MM. de Tivas et de Fretteville. (…) Le troisième était une flûte nommé la Loire, de 24 pièces de canon, commandée par M. de Joyeux, qui avait M. de Brêmes pour lieutenant et M. de Questily pour enseigne. (…) Le quatrième était une autre flûte nommée la Normande, commandée par M. de Courcelles, ayant sous lui M. du Tertre et M. de Machefolière. (…) Le cinquième fut le Dromadaire, flûte beaucoup plus grande que les autres, commandée par M. d'Andennes, qui avait sous lui MM. de Marcilly et Beauchamp. ⇑
4 - La Maligne ne devait pas aller jusqu'au Siam, mais seulement accompagner l'escadre jusqu'au cap de Bonne-Espérance. Une bonne partie des vivres étant alors consommés, ce qui libérait de la place sur les autres vaisseaux, sa présence n'était plus nécessaire et elle devait retourner en France. ⇑
5 - Terme de marine. Pièce de bois appliquée sur une autre pour la conserver ou pour la fortifier. (Littré). ⇑
6 - Voir la relation du père Tachard (op. cit., pp. 35-36) : L'inconstance et l'incommodité de la saison, la corruption de l'eau et des vivres et surtout la longueur de la navigation firent tant d'impression sur les équipages déjà fort affaiblis par les chaleurs excessives qu'ils avaient souffertes, que la plupart en tombèrent malades. (…) La maladie fut si générale, que vers le 30° de latitude méridionale, à peine avions-nous la moitié des équipages en état de faire la manœuvre. La fièvre, le scorbut et la colique dont presque personne n'était exempt, en firent mourir un grand nombre, particulièrement dans le Dromadaire. ⇑
7 - Mais qui avait, en quelques semaines, coûté la vie à de nombreux marins : Nous avons perdu 26 personnes de l'équipage depuis la ligne jusqu'au Cap. (Tachard, op. cit., p. 39). ⇑
8 - Arriver, en terme de marine, signifie obéir au vent. Pour arriver, on pousse la barre du gouvernail sous le vent, et on manœuvre comme si on voulait prendre le vent en poupe, lorsqu'on ne veut plus tenir le vent ; ainsi, on fait arriver le vaisseau pour aller à bord d'un autre qui est sous le vent, ou encore pour éviter quelque banc. (Aubin, Dictionnaire de marine, 1702, p. 46). ⇑
9 - Une relation anonyme (peut-être du jésuite Jean Richaud, qui voyageait sur l'Oiseau) relate ainsi cet incident : Lundi 4 août, le cap étant à l'est, on découvrit vers les 4 heures du soir avec la surprise de presque tout le monde, surtout des pilotes qui s'en croyaient éloignés de 200 lieues, on découvrit, dis-je, les terres australes ou de la Nouvelle Hollande, lesquelles parurent devant nous à 3 ou 4 lieues seulement. C'est pourquoi on vira de bord incontinent, et quittant la route de l'est, on prit celle du nord-ouest, laquelle on continua tout le lendemain. Nonobstant cela, le lendemain matin, on voyait encore ces mêmes terres australes, ce qui marque qu'elles vont un peu en cet endroit du midi à l'occident. (Bibliothèque Nationale, ms. fr. 17.239, f° 99r°). Cette terre, que Céberet appelle Terre de la Concorde, et qu'on trouve souvent ailleurs sous le nom de Terre d'Eendracht, était la côte ouest de l'Australie, au lieu appelé aujourd'hui Shark Bay. En octobre 1616, le capitaine hollandais Dirk Hartog qui commandait le navire Eendracht (la Concorde) aborda pour la première fois sur ce rivage qu'il baptisa du nom de son navire. De nombreux autres marins hollandais abordèrent également les côtes australiennes dans les années suivantes : Houtman en 1619, Carstensz en 1623, Nuyts en 1626-27, Thijssen en 1627, Pelsaert en 1629, Tasman en 1642, etc. ⇑
10 - Ce groupe de rochers a été ainsi appelé suite au naufrage en 1622 du Tryal, vaisseau anglais qui ralliait Batavia depuis le cap de Bonne-Espérance. Sur les 139 passagers et membres d'équipage, 46 furent sauvés, dont John Brookes, le capitaine. Le récif était indiqué approximativement sur de nombreuses cartes et mentionné sur les routiers, mais pendant plus de trois siècles on chercha en vain à le localiser précisément, au point qu'on finit même par douter de son existence. Il fallut attendre 1969 pour qu'une expédition retrouve l'épave du Tryal et identifie l'amas rocheux nommé Ritchie's Reef, ou Greyhound's Shoal, à 14 km au nord-ouest des îles Montebello (Latitude : -20° 15' S et longitude : 115°23' E).
11 - Monseigneur désigne très probablement le marquis de Seignelay, ministre de la marine de Louis XIV. ⇑
12 - L'île du Chapeau de Brabant (Brabants Hoedje), également appelée la Petite Toque sur les cartes françaises. Les cartes de l'époque la situent au sud-est de l'île du Milieu (Dwars in den weg, À travers la route en Hollandais, aujourd'hui Sangiang, dans le détroit de la Sonde, à mi chemin entre Java et Sumatra). L'île du Chapeau de Brabant est le pendant de l'île du Chapeau de Toppers (Toppers Hoedje, la Grande Toque), au nord-est de l'Île du Milieu.
13 - Deux ans plus tôt, le chevalier de Chaumont avait eu la même déconvenue : Le chevalier de Forbin vient de revenir fort mal content de son ambassade. Le commandant hollandais a fait le malade et son lieutenant lui a tenu le même discours qu'à Joyeux, et a dit net, que le roi du Banten ne souffrirait point qu'on fît aucun rafraîchissement, mais que nous n'avions qu'à aller à Batavia où rien ne nous manquerait. De sorte que bon gré mal gré il faut aller à Batavia. (Journal de Choisy du 18 août 1685). ⇑
14 - À la faveur d'un conflit entre le sultan Ageng et son fils, Haji, les Hollandais avaient pris le contrôle de Banten en 1683 et en avaient chassé les Anglais, qui y possédaient un comptoir depuis 1603. Bien qu'officiellement indépendant, le sultanat était passé sous domination hollandaise, toutefois, la VOC délaissa vite cette place pour établir son siège à Batavia (actuelle Jakarta), ce qui entraîna le déclin de Banten. ⇑
15 - Johannes Camphuys (1634–1695), qui fut gouverneur général de la VOC de 1684 à 1691. Il avait fort bien reçu l'ambassade de Chaumont deux ans plus tôt. ⇑
16 - La question du salut revêtait une importance toute particulièrement puisque le titre 1 de l'article III de l'ordonnance de 1689 ne contenait pas moins de 29 articles consacrés à ce sujet. Si l'on s'en réfère à l'article 1er (p. 65), il semble bien que c'était à la forteresse de saluer la première : Les vaisseaux du roi, portant pavillon d'amiral, de vice-amiral, cornettes et flammes, salueront les places maritimes et principales forteresses des rois, et le salut leur fera rendu coup pour coup à l'amiral et au vice-amiral, et aux autres par un moindre nombre de coups, suivant la marque de commandement. Les places et forteresses de tous autres princes et des républiques, salueront les premières l'amiral et le vice-amiral, et le salut leur fera rendu d'un moindre nombre de coups par l'amiral, et coup pour coup par le vice-amiral. Les autres pavillons inférieurs salueront les premiers. Mais les places de Corfou, Zante et Céphalonie, et celles de Nice et de Villefranche en Savoie, seront saluées les premières par le vice-amiral. Au reste nul vaisseau de guerre ne saluera une place maritime, qu'il ne soit assuré que le salut lui fera rendu. ⇑
17 - Les Français semblaient naïvement s'étonner de cet accueil pour le moins mitigé, et paraissaient ne pas mesurer, dirait-on, combien la politique d'annexion agressive de Louis XIV et surtout la répression des protestants qui avait suivi la révocation de l'Édit de Nantes avaient ulcéré les pays calvinistes ou luthériens et préparé la Guerre de la Ligue d'Augsbourg qui allait éclater l'année suivante. ⇑
18 - Saint-Clair était capitaine de pavillon du Gaillard, le vaisseau amiral de l'escadre. Il avait le commandement du navire, tandis que Vaudricourt, avec le grade d'amiral sur le même navire, avait le commandement de la flotte. ⇑
19 - Okphra Visut Sunthon (ออกพระวิสุทธิสุนทร) dit Kosapan (โกษาปาน). Voir au chapitre Les personnages la page qui lui est consacrée : Kosapan.
Ooc Pravisoutsonthoon Raatchathoud, Ambassadeur du Roy de Siam, envoyé au Roy en 1686. Il estoit Frère du premier Ministre du Roy de Siam et fit son entrée à Paris le 12 Août 1686 dans les carosses de Sa Majesté conduis par Mr le Mareschal Duc de la Feuillade. A Paris, chez F. Jollain rue St Jacques à la Ville de Cologne. ⇑
20 - La relation anonyme BN ms. fr. 17.239 relate ainsi ce transfert : Le 14, jour de dimanche, le révérend père Tachard quitta le Gaillard et vint à l'Oiseau, et le père Bouchet et moi allâmes prendre sa place dans le Gaillard. Depuis ce temps-là, l'Oiseau nous quitta et prit le devant, pour arriver le premier à la rade de Siam. (f° 103v°). Cet épisode marqua le moment où le père Tachard prit véritablement les rênes de l'expédition, entravant et contrariant les négociations de Céberet et La Loubère et rendant leur mission quasi impossible. De son côté, le jésuite ne présenta évidemment pas cette initiative comme le moyen de se concerter avec Phaulkon avant tout le monde sur les modalités de la prise de contrôle de Bangkok et Mergui, mais comme une nécessité dictée par le besoin d'organiser la réception matérielle de l'escadre et la prise en charge des malades : On délibéra s'il ne serait point expédient de détacher l'Oiseau pour aller en diligence à Siam faire préparer des rafraîchissements pour l'escadre et des logements pour les malades, qui étaient en grand nombre, surtout dans les flûtes, parce que les difficultés que les Hollandais de Batavia nous avaient faites avaient été cause qu'on n'avait mis à terre que ceux de l'Oiseau. Ces messieurs jugèrent bien que puisque M. de Rosalie [l'abbé de Lionne] ne pouvait pas quitter les ambassadeurs siamois, je devais m'embarquer dans l'Oiseau pour aller devant le reste de l'escadre à Siam solliciter toutes les choses dont nous avions besoin. (op. cit., p. 138).
Personne ne fut dupe de ce prétexte, et surtout pas l'abbé de Lionne qui écrivit dans un lettre au missionnaire Bernard Martineau : Dans le retour des ambassadeurs de Siam, tout ce qu'il y avait de gens dans l'escadre, et les envoyés du roi eux-mêmes, regardaient le père Tachard comme l'âme de cet envoi. Étant arrivé à Batavia, le père Tachard, qui avait jusqu'alors été dans le vaisseau où étaient les ambassadeurs, passa sur un autre vaisseau qui partit aussitôt, afin de pouvoir arriver à Siam avant les autres. Étant donc descendu le premier à terre, il alla trouver M. Constance. Je ne sais pas ce qu'ils se dirent, mais je sais seulement qu'à notre arrivée à la rade, le père Tachard nous étant venu voir dans notre vaisseau, me dit comme en secret qu'on donnerait Bangkok aux Français, c'est-à-dire qu'on les mettrait dans cette place à certaines conditions que résolurent le père Tachard et M. Constance. Ces conditions, ou ne plurent pas aux envoyés du roi, ou ne furent pas exécutées, ce qui fit que les envoyés se brouillèrent avec M. Constance et avec le père Tachard ; mais comme ce sont des choses qui se passaient entre ces messieurs, dont je n'ai pris aucune connaissance, je ne me hasarderai pas à en parler. Ce que je puis dire seulement, parce que cela est de notoriété publique, est que le père Tachard eut toujours la principale part à tout ; c'était le favori et le serviteur de M. Constance, car sa qualité de supérieur des pères jésuites français dans les Indes ne l'empêcha pas de faire la fonction de secrétaire de M. Constance dans des actes même bien particuliers, et hors de la route commune. (Launay, Histoire de la Mission de Siam, 1920, p. 199). ⇑
21 - Les Archives Nationales conservent les Instructions que le roi veut être mises aux mains des sieurs de La Loubère et Céberet que Sa Majesté a nommés pour ses envoyés extraordinaires auprès du roi de Siam datées du 25 janvier 1687 qui démontre que les deux places étaient d'égale importance pour la France : Le poste de Mergui est aussi considérable pour le commerce de Coromandel et pour celui des Indes que celui de Bangkok l'est pour le commerce du golfe de Siam et de la côte de la Chine ; ainsi ils doivent pareillement demander qu'il y soit établi un gouverneur et une garnison française. (f° 10v°). Il semble que le débat ait porté sur la question de savoir si l'on devait les investir l'une après l'autre, ou simultanément. À la lumière des événements, et au vu de la débâcle de la garnison de Mergui, la décision des envoyés n'était peut-être pas la meilleure. Compte tenu du petit nombre de troupes, concentrer dans un premier temps toutes les forces à Bangkok afin de s'y établir solidement aurait peut-être été plus judicieux. ⇑
22 - Sur ce point encore, les Instructions citées note précédente avaient encadré les modalités d'une éventuellement prestation de serment : En cas que ledit roi de Siam voulût exiger un serment de celui qui y sera établi gouverneur, il peut le prêter sans difficulté pourvu qu'il ne contienne autre chose que de ne rien faire pour les ennemis du roi de Siam et de lui rendre toute sorte de service contre eux. (f° 10r°). ⇑
23 - L'escadre du roi avait amené à Siam des bombes, des mortiers et dix bombardiers sous les ordres du sieur Du Laric. L'Ordre du Roy remis à ce dernier à Brest, lui enjoignait formellement de se rembarquer avec les bombardiers, quand les vaisseaux seraient près de revenir en France, « Sa Majesté n'estimant pas que leur présence fût nécessaire en ce pays (Siam) après le départ des vaisseaux. » Les instructions de Desfarges et des ambassadeurs étaient rédigées dans le même sens. (Lanier, Étude historique sur les relations de la France et du royaume de Siam de 1662 à 1703, 1883, p. 124). Conformément à ces instructions, les envoyés refusèrent de livrer ces armements à Phaulkon et les conservèrent à bord de l'Oiseau au grand mécontentement du roi qui comptait dessus pour réprimer un soulèvement à Pattani. Ces bombardiers, instamment demandé par Phaulkon, constituèrent un point d'achoppement qui envenima les rapports entre M. Constance et les envoyés pendant tout leur séjour au Siam. ⇑
24 - L'un de ces mémoires, sans doute le mémoire secret, signé La Loubère et Céberet et daté : À la rade de Siam, le 27e septembre 1687, est conservé à la Bibliothèque Nationale sous le titre Mémoire pour servir d'instruction au père Tachard sur ce qu'il doit représenter et proposer aux ministres du roi de Siam en vertu de la lettre de créance dont le roi l'a honoré. (BN, ms. fr. 15.476, f° 50-53). ⇑
25 - Ce sieur Mazuyer, ou Mazuier, selon le père Tachard, (Second voyage… p. 145) servait de gentilhomme à M. de La Loubère, sans doute une sorte de secrétaire. Le Mercure Galant de novembre 1687, qui orthographie Masurier, le présente comme un gentilhomme lyonnais. ⇑
26 - L'officier qui devait commander la garnison destinée à prendre possession de Mergui. ⇑
27 - Jean Vollant des Verquains, officier et ingénieur. On lui doit une Histoire de la révolution de Siam arrivée en l’année 1688 publiée à Lille chez Jean Chrysostome Malte en 1691, qu'on pourra lire sur ce site. ⇑
28 - Le chevalier de Forbin avait été laissé au Siam, sur la demande du roi Naraï, et contre sa volonté, pour commander les troupes siamoises de Bangkok. La date de départ n'est pas précisément connue. On peut la situer en décembre 1686. On sait par les Mémoires de François Martin (II, p. 455) qu'il arriva à Pondichéry en janvier 1687. On pourra lire sur ce site les pages de ses Mémoires consacrées à son séjour au Siam et consulter la page qui lui est consacrée : Le chevalier de Forbin. ⇑
29 - Singor : Songkhla (สงขลา), sur le golfe de Siam, à l'extrême sud de la Thaïlande. Ligor : Nakhon Si Thammarat (นครศรีธรรมราช), sur le golfe de Siam, au-dessous de l'isthme de Kra. ⇑
30 - La Mare, ou Lamare, était un ingénieur qui demeura au Siam après le départ de l'ambassade et y entreprit de nombreux travaux. Dans son ouvrage L'Europe et le Siam du XVIe siècle au XVIIIe siècle - Apports culturels, L'Harmattan, 1993, Michel Jacq-Hergoualc'h énumère les projets de fortifications élaborés par l'ingénieur : Nakhon si Thammarat (Ligor), Phattalung (Bourdelun), Songkhla (Singor), Inburi (Inbourie) Lopburi (Louvo), Mergui, etc. Mais c'est Bangkok, la clé du royaume, qui devrait constituer pour lui une priorité. Toutefois, les travaux n'avancèrent guère, et lorsque l'ambassade Céberet - La Loubère arriva au Siam en 1687, presque rien n'était fait. L'ingénieur Vollant des Verquains, particulièrement imbu de lui même, accabla de reproches et de sarcasmes le pauvre La Mare, accusé de grave incompétence. Sa relation de la révolte des Macassars (peut-être retouchée par le père Tachard) est fort intéressante et livre certains détails qu'on ne trouve nulle part ailleurs. ⇑
31 - Le 28 avril 1687, L'East India Company adressa au roi de Siam une réclamation détaillée de 65 000 livres pour dommages subis par les sujets britanniques du fait de la guerre entre Siam et Golconde et en remboursement des avances faites à l'ambassadeur de Perse. La demande était accompagnée d'une lettre très amicale à Phra Naraï, couplée cependant avec la menace de s'emparer de ses navires et de ses sujets et du blocus du port de Mergui en représailles, jusqu'à ce que la somme demandée soit payée. N'obtenant pas satisfaction, le roi James II rédigea une proclamation ordonnant à tous les Anglais de Mergui enrôlés dans le service du royaume de s'en aller. Cette proclamation fut lue par Antony Weltden, capitaine de la frégate le Curtana qui mouillait dans la rade de Mergui. Les Anglais de Mergui se préparèrent à obéir, et une trêve de soixante jours fut proclamée pour permettre à la proclamation du roi d'Angleterre d'arriver à Ayutthaya. Après l'annonce de cette trêve, les Siamois entreprirent logiquement des travaux pour défendre le port. En réponse, le capitaine Weltden s'empara d'un navire siamois, le Resolution. Dans la nuit du 14 juillet 1687, le gouverneur siamois de Mergui, exaspéré par les manœuvres de Weltden et craignant que tous les Anglais ne fassent cause commune avec leurs compatriotes, ouvrit le feu sur le James, une frégate anglaise, et parvint à le couler. Cette même nuit, des expéditions furent menées pour tuer tous les Anglais de Mergui. Weltden, qui était à terre, s'en tira de justesse mais fut laissé pour mort. Une cinquantaine de ses compatriotes furent massacrés. ⇑
32 - Beauregard était un jeune officier venu au Siam en 1685 avec l'ambassade du chevalier de Chaumont et qui y était resté. Voir sur ce site la page qui lui est consacrée : Beauregard. ⇑
33 - Okphra (ออกพระ), une haute dignité siamoise. ⇑
28 février 2020