Heureux qui comme Ulysse…

NCÊTRE tout à la fois du guide touristique et du grand reportage, la relation de voyage est un genre littéraire qui remonte à plus haute antiquité. Dès le Ve siècle avant J.-C., Hérodote rédige ses Histoires. Un siècle plus tard, le navigateur grec Pytheas nous donne une Description de l'Océan. Viendront Ibn Hauqal, voyageur arabe du Xe siècle, puis bien sûr Marco Polo et son Devisement du Monde, Cortès et sa Conquête du Mexique, Magellan, Jacques Cartier, Fernando Mendez Pinto, qui ouvriront la voie aux James Cook, Bougainville, La Pérouse, Lamartine, Gérard de Nerval, et plus près de nous Blaise Cendrar, Maxime du Camp, André Gide, Michel Leyris, Claude Levy-Strauss… Les buts de ces ouvrages peuvent être multiples : témoigner et faire partager ce qu'on a vu, ce qu'on a cru voir, ce qu'on compris, ce qu'on a cru comprendre, c'est le récit de voyage ; être utile à ceux qui suivront plus tard les mêmes routes, en leur indiquant les dangers, les « bons plans », dirions-nous aujourd'hui, les bons restaurants, les hôtels pas trop chers, et les curiosités locales, c'est le guide touristique ; justifier de l'accomplissement de la mission dont on était investi, c'est le rapport, le bilan d'activité... Et tout cela avec le charme de l'écriture que ne rendront jamais ni la pellicule photo, ni le camescope.

Les relations qui se trouvent ici réunies représentent toutes les espèces de voyageurs qui pouvaient se rendre au Siam dans les siècles passés, chacun avec ses motivations particulières. Il est amusant de constater qu'on retrouve de nos jours à peu près les mêmes catégories parmi les gens qui atterrissent à Suwanaphum, l'aéroport international de Bangkok. Vincent Leblanc voyage par plaisir, il incarne le touriste, c'est notre routard d'aujourd'hui. Jean-Baptiste Tavernier voyage pour l'argent, c'est le commerçant indépendant, le chercheur de fortune, débrouillard, aventurier (et pas toujours très honnête ?). Joos Schuten voyage pour son travail, c'est l'ancêtre de nos cadres supérieurs, représentants de grandes sociétés et de grands intérêts, voiture de fonction et lourdes responsabilités. Jacques de Bourges voyage par idéal, le missionnaire serait aujourd'hui dans le secteur humanitaire, la Croix-Rouge, l'Unesco ou Médecins Sans Frontières. Quant à La Loubère, il voyage pour l'État, tapis rouge et réceptions, c'est le diplomate, le politique, le négociateur.

Notre carte d'embarquement en main, au moment de franchir le portillon et d'accéder à l'avion qui, en moins de douze heures, nous déposera à Bangkok, ayons une petite pensée pour ces lointains ancêtres. Partis pour signer des contrats, pour signer des traités, pour servir Dieu ou devenir riches, ils ont traversé les mers, sillonné les terres pendant de longs mois, en butte à tous les dangers, à toutes les menaces de la nature et des hommes ; mieux encore, ils nous en ont laissé de précieux témoignages.

Qu'à travers les siècles ils en soient remerciés.