VII. Les talapoins.
Les deux frères de Phra-Phu-Thi-Chau lui succédèrent l'un après l'autre dans la dignité de chef des talapoins. Je suis persuadé qu'il vous tarde de connaître ces singuliers personnages ; je vais vous satisfaire (je suis obligé de me servir des termes employés dans l'Église catholique pour désigner la dignité et les différents grades des talapoins ; j'en suis bien fâché, mais je ne puis autrement exprimer ma pensée). Les talapoins forment une espèce d'ordre religieux et hiérarchique ; ils ont un général, des provinciaux, des prieurs, de simples religieux, des novices et des postulants ou disciples, et enfin des savants et des docteurs. D'après leurs statuts, le simple talapoin doit obéir en tout au chef de la pagode. Vers quatre heures du matin, ils donnent le signal pour avertir les Siamois de leur préparer du riz. Vers six heures, ils vont demander l'aumône ; les dévots Siamois et surtout les femmes attendent dans une posture respectueuse le passage des talapoins. Elles leur donnent du riz, des fruits, de la viande, des gâteaux, quelquefois de l'argent : ils doivent tout recevoir, sans rien dire, sans remercier et même sans saluer. Il paraît qu'ils sont fidèles à leur règlement en ce point. Rentré dans la pagode, le talapoin quêteur va se prosterner aux pieds du supérieur, et lui fait sa confession. Les péchés des talapoins sont d'une espèce particulière : par exemple, avoir regardé par côté, avoir porté ses regards devant soi au-delà de cinq coudées, avoir rendu un salut, avoir par mégarde tué quelque insecte. La confession faite, le supérieur inflige une pénitence convenable. Ils enseignent cependant que tuer un animal quelconque, même par mégarde, sans qu'il y ait de sa faute, est un péché irrémissible, mais la contradiction n'est pas ce qui les embarrasse.
Quand tous les talapoins sont revenus de la quête, le supérieur de la pagode fait entrer toute la communauté dans le réfectoire. Si le produit de la quête a été considérable, on se gorge de viande ; ils mangent encore à midi, le reste du jour est consacré au jeu et au sommeil. De midi au lendemain matin, les talapoins ne peuvent plus rien manger, mais les mauvaises langues les accusent d'avoir dérogé à ce point, comme à bien d'autres, de la règle primitive. Vers six heures du soir, on bat la caisse pour les réunir. On annonce tous les exercices au son du tambour : dans l'intervalle de six à neuf heures du soir, ils récitent une formule de prière qui dure une grande heure, et que presque aucun d'eux ne comprend. On prétend que ce n'est pas une véritable prière, mais un récit des actions fabuleuses de leurs dieux, dont quelques-unes ne sont rien moins qu'édifiantes : dans quelques pagodes, les talapoins prient tous les matins l'espace d'un quart d'heure : on dit que cet usage n'est pas ancien, ils ont voulu en cela imiter les chrétiens. Les talapoins sont habillés de jaune. Ils se rasent la tête et les sourcils deux fois le mois, savoir le premier et le quinzième jour de la lune. D'après leurs règles, ils ne devraient point porter de robe de soie, ils devraient coucher sur une planche ; lorsqu'ils sortent, ils ne devraient parler à personne, avoir un éventail devant les yeux qui ne leur permît de voir qu'à la distance de cinq coudées. Un laïque armé d'un gros bâton devrait toujours être à côté d'eux pour les frapper rudement s'ils manquaient à quelque point de leur règle, mais le roi, qui se dit chef suprême de la religion, les a dispensés de toutes ces observances et les talapoins n'ont pas cru devoir réclamer contre cette innovation. Le laïque correcteur ne les accompagne plus que lorsqu'ils entrent dans le palais du roi. Les talapoins peuvent être regardés comme les prêtres ou les ministres de la religion siamoise : ils donnent au peuple une espèce d'eau lustrale à laquelle ils attribuent une grande vertu. Il faut que les nouveaux mariés se présentent devant eux pour être aspergés avec cette eau. Ils ont plusieurs rites qu'ils ont imités des chrétiens : ils ont un carême, une pâque, un cierge pascal, un chapelet, des reliques, de l'eau bénite, comme nous. Ils écrivent les noms de leurs dieux sur un morceau de papier qu'ils enveloppent dans un linge ; ils y attachent de petites bandelettes ; ils donnent ces prétendues reliques aux Siamois qui doivent les porter toujours sur eux. C'est, disent-ils, un préservatif contre toutes sortes de maux ou de fâcheux accidents ; ils ont aussi une ordination.
L'admission des laïques à la profession de talapoin a lieu à l'entrée de leur carême, c'est-à-dire, dans leur neuvième mois, qui répond à notre mois de juillet (1). Un peu avant cette époque, le prince fait porter en pompe, à certaines pagodes, de l'arec, du bétel, pour les talapoins, un morceau de bois pour leur nettoyer les dents et des fleurs de nymphæa pour les nouveaux profès. Le jour fixé pour la réception est ordinairement le quinzième de la lune. On place le récipiendaire dans une barque avec un ancien talapoin : les parents l'accompagnent et les curieux aussi. Le cortège se dirige vers la pagode au son des instruments. On chante des chansons licencieuses en l'honneur des dieux, mais dans une langue que heureusement les assistants n'entendent pas (2). Dès son arrivée à la pagode, le récipiendaire est introduit dans la salle des cérémonies. Le supérieur vient s'asseoir sur une natte ou un tapis, à peu près comme les tailleurs ; d'une main il tient un éventail dont il couvre un peu son visage, de l'autre il tient un maillet de bois doré. Le récipiendaire se prosterne devant lui, ayant à ses côtés ses parents, dont l'un porte une marmite vide, un second, un éventail et un troisième, une pièce de toile jaune. Les assistants se placent à peu près de même, en faisant un demi-cercle. Après les premières questions d'usage, le supérieur dit au postulant : — Quelle a été votre conduite dans le monde ? êtes-vous marié ? êtes-vous débiteur ? vos créanciers consentent-ils à votre entrée dans la pagode ? et vos parents, etc. ? Il finit par l'engager à rejeter loin de lui cet habit profane (il est habillé de blanc), et à se revêtir de l'habit jaune qui va le rendre dieu. À l'instant, on déshabille le récipiendaire, on l'affuble de l'habit jaune, on lui met un éventail et une marmite dans les mains ; dès lors il s'appelle Phra (Dieu) (3). On l'adore, et de plus il a le droit de demander l'aumône. Les talapoins ne saluent personne, pas même les princes, mais les simples particuliers doivent les saluer ou plutôt les adorer, car ils les appellent dieux. La manière de les saluer consiste à joindre les mains et les porter au front. Les plus pressés se tournent par côté et portent leur main derrière l'oreille ; le plus grand nombre ne fait rien. Ces étranges divinités ne sont pas inamovibles. C'est la robe qui les rend dieux ; s'ils la quittent ou si on la leur enlève de force, ils redeviennent hommes. Un talapoin qui a fait profession doit rester au moins trois mois dans la pagode ; après cet intervalle de temps, il peut abandonner son état et le reprendre à volonté. Pour avancer en grade, un talapoin doit reprendre l'habit séculier et rentrer une seconde fois dans la pagode. Les talapoins ne peuvent faire profession qu'à l'âge de vingt ans. Avant ce temps ils ne sont que postulants. Le provincial, qui a parmi eux la même autorité que les évêques dans l'Église catholique, a deux assistants. Il exerce sa juridiction sur un certain nombre de pagodes. On dit que lorsqu'il est mort, le conseil s'assemble ; un laïque nommé par le roi le préside, il recueille les suffrages et choisit qui bon lui semble pour remplir la place vacante. Le général, qui est en même temps le chef de tous les talapoins, a juridiction sur toutes les pagodes du royaume de Siam (4). Il a quatre assistants. À sa mort, le roi choisit son successeur parmi les quatre assistants.
Les talapoins habitent les pagodes ; ils sont logés dans une maison contiguë au temple. Les pagodes des grands dignitaires sont distinguées des autres par de grandes colonnes qui sont élevées en face du temple (je vous expliquerai plus bas ce que désignent ces colonnes).
Les talapoins sont les dépositaires de la religion parmi les Siamois et les Birmans ; ils parlent pali quand ils l'entendent : c'est le latin des Siamois : cette langue est composée en grande partie de mots malabares et cambodgiens ; elle a aussi quelques termes malais et siamois. Les livres qui traitent de la religion sont écrits en cette langue. Ces livres ont une forme singulière : ce sont de légères tranches de branches ou de feuilles de palmier que les Siamois appellent Ton-tan (5) ; elles ont huit à dix pouces de long sur un pouce et demi de large. Ils gravent sur ces feuilles certains caractères qu'ils noircissent pour les rendre plus lisibles. Ces livres et ces caractères ressemblent beaucoup à ceux de la langue sanskrite, si toutefois ce ne sont pas les mêmes.
Les talapoins, comme je l'ai déjà dit, ont un carême, mais ce n'est pas pour eux un temps de mortification. Ce carême commence en juillet et finit en novembre (6) ; ils prêchent dans leurs pagodes et ailleurs pendant tout ce temps-là ; ils invitent les Siamois, au son du tambour, à venir les entendre. À l'heure fixée, un jeune talapoin paraît, portant un grand vase qui contient le livre de la religion enveloppé d'une étoffe précieuse. Le prédicateur le suit en silence et monte sur une chaire placée hors de la pagode. Les assistants, humblement prosternés, écoutent avec avidité des récits d'une absurdité révoltante, mêlés d'anecdotes obscènes inventées souvent par les talapoins eux-mêmes. À la fin du sermon, ils ont soin d'avertir les assistants que celui qui donnera au prédicateur tel mets, assaisonné de telle manière, acquerra beaucoup de mérite ; celui qui donnera tel ragoût en aura beaucoup moins ; c'est toujours le ragoût que le prédicateur n'aime pas. Le talapoin, après avoir fini son discours, emporte avec lui des corbeilles remplies de viande, de fruits, de gâteaux, de cierges auxquels sont attachées plusieurs pièces d'argent. Les gens riches invitent les talapoins à venir prêcher dans leurs maisons, et leur font les mêmes offrandes. Pendant tout le temps que dure leur carême, ils peuvent prêcher tous les jours et manger partout où on les invite. Le reste de l'année, ils ne prêchent que le huitième et le quinzième de la lune. Leur Pâque, qu'ils appellent Passa (7), tombe presque toujours dans le mois de novembre. À cette époque, le roi, accompagné de toute sa famille et des grands seigneurs de la Cour, va visiter les principales pagodes et offrir des robes neuves aux talapoins (8). C'est vraiment un spectacle magnifique que cette réunion de barques richement décorées et pavoisées de drapeaux, dont les unes sont dorées, les autres sont peintes de différentes couleurs. Les cris des rameurs se mêlent au son des instruments. Les gardes du corps et les soldats qui accompagnent le prince semblent glisser sur la surface de l'eau avec une vitesse que l'œil a peine à suivre ; mais de quelle douleur ne se sent-on pas le cœur pénétré quand on pense que cette pompe fastueuse est destinée à honorer le démon et ses ministres ! L'éléphant blanc, le singe, le cheval, le rat blanc sont invités à la cérémonie. On dirait que c'est la fête des animaux blancs. Le peuple, à son tour, va visiter les pagodes. Ce ne sont partout que des processions, des cris, un tumulte épouvantable. On chante, on rit. Arrivé à la pagode, on ne se met guère en peine des dieux ; on n'est pas venu là pour les prier, ni pour offrir des sacrifices. Tout le temps se passe à manger, à boire, et ce sont de vraies orgies qui durent pendant des nuits entières. C'est ainsi qu'ils sanctifient, pendant un mois, leur fête de Pâque. Quoique les Siamois fassent profession de croire qu'il n'est pas permis de prendre du poisson, ils tombent cependant tous les jours dans ce prétendu crime. Pour apaiser le dieu qui préside au fleuve, qui est fort irrité de tous ces meurtres journaliers et de bien d'autres griefs dont les Siamois se rendent coupables à son égard, tel que celui de jeter des ordures dans la rivière, de frapper l'eau en ramant, etc., pour l'apaiser, dis-je, ils lui font des offrandes ; ils lui donnent des fruits, des œufs, du riz, de l'arec, du bétel, des bougies, ils l'invitent à oublier son chagrin et à manger de bon appétit les mets qu'on lui offre. Cette dernière cérémonie a lieu en même temps que la précédente. Les talapoins se montrent à l'extérieur rigides observateurs de l'article de leur religion qui défend de tuer les animaux. Il n'est pas permis de prendre du poisson près de leurs pagodes. Ils chassent à coups de pierres les pêcheurs qu'ils peuvent rencontrer. Leurs maisons sont des hospices généraux où l'on reçoit toutes sortes d'animaux : les singes, les cochons, les poules, les corbeaux, les pigeons y sont en grand nombre. On dit que cela les expose à de grandes tentations, et plus d'une fois ils ont violé le droit de l'hospitalité au point d'égorger leurs hôtes et même de les manger. Outre les animaux que les Siamois placent dans leurs pagodes pour les préserver de la mort, les talapoins en nourrissent encore d'autres, par charité, disent-ils, envers leurs parents qui sont devenus chiens, chats, singes, oiseaux (9). Malheureusement, ces animaux ne se montrent pas toujours reconnaissants. Plus d'une fois ils ont dévoré leurs pères nourriciers. On prit à Siam, il y a quelque temps, un énorme tigre ; la pauvre bête courait risque de la vie, à cause de ses méfaits connus dans le voisinage. Les talapoins vinrent en corps demander grâce pour lui. Le gouverneur, obsédé par leurs instances réitérées, accorda, quoiqu'à regret, la vie au tigre, mais le féroce animal ne se montra pas reconnaissant envers ses libérateurs : le premier usage qu'il fit de sa liberté fut d'emporter un talapoin qu'il alla dévorer dans la forêt voisine.
Les talapoins n'exercent aucun acte de juridiction sur les Siamois, à moins qu'ils n'y soient invités par le roi ou par les particuliers. Ils bénissent les maisons, si on les en prie, ils vont visiter les malades pour leur apprendre, disent-ils, le chemin du ciel. Quand ils entrent dans la maison, on les adore et on leur lave les pieds. Tous ceux qui se chargent de cette fonction font une œuvre très méritoire. Après cela, on apporte dans la chambre du malade l'idole que chaque famille a toujours dans sa maison. Le talapoin fait avec cette statue grand nombre de cérémonies superstitieuses ; il force le moribond à crier avec lui à plusieurs reprises : Hora-Hang ! Hora-Hang ! C'est le nom d'un de leurs dieux (10).
Si le talapoin est invité à une cérémonie funèbre, il se place dans la même barque que le corps du défunt ; il lit un livre pendant le trajet : quand on est arrivé au lieu destiné pour brûler les morts, le talapoin retire le plus doucement qu'il peut le drap dont le cercueil est enveloppé ; il craint que le mort ne s'en aperçoive et qu'il ne le fasse mourir : le talapoin reçoit pour son honoraire le linceul et bien d'autres rétributions encore.
Toutes les années, pendant le mois de l'inondation, le roi envoie une députation de talapoins pour commander aux eaux de se retirer (11) ; ceux-ci, en hommes prudents, choisissent le moment où les eaux commencent à diminuer. Ils ne furent pas aussi heureux lorsqu'ils allèrent au port de Bangkok pour conjurer le choléra-morbus ; ils périrent tous, et plusieurs moururent pendant qu'ils faisaient leurs diaboliques cérémonies.
Voici ce qu'ils enseignent touchant leur état : être talapoin est une œuvre méritoire, l'être longtemps, est une œuvre encore plus méritoire ; être talapoin jusqu'à la mort est un grand péché. Si l'on meurt avec la robe jaune, quand même on n'aurait pas le temps de l'ôter, on est infailliblement damné : cette robe va en enfer où elle est suspendue à une grosse barre de fer qui se casse sept fois le jour, tant est grande la quantité de robes jaunes qui y sont suspendues.
Rien n'égale la folle vénération des Siamois pour cette espèce de religieux ; ils les méprisent et ils les adorent. Il arrive même qu'après la mort d'un talapoin, ils se disputent le corps : comme personne ne veut céder, ils placent une barque au milieu de la rivière, dans laquelle ils déposent le cadavre ; ils attachent deux autres barques à la première ; chaque parti rame dans un sens opposé, celui dont la corde se rompt est vaincu ; l'autre emporte le corps en triomphe et va le brûler.
Le roi lui-même leur est entièrement dévoué, quoiqu'il soit forcé de convenir que la conduite de ses dieux est fort scandaleuse (ce sont ses propres expressions). Il en nourrit tous les jours 350, il leur donne tout ce qu'il peut trouver de plus exquis, tandis que ses soldats meurent de faim, si je puis m'exprimer ainsi. Quand on lui fait présent de quelques fruits ou de quelques confitures, il ne les mange pas, mais il les envoie aux talapoins, il les leur donne de ses propres mains. Aucune espèce de mets n'est défendue aux talapoins. Ils mangent de la viande, pourvu qu'ils n'aient pas eux-mêmes tué l'animal, quoiqu'il passe en proverbe parmi eux que celui qui tue fait le péché, et que celui qui mange en subira la peine. Ils enseignent que leur mérite et celui de ceux qui font l'aumône augmente en proportion de la quantité d'aliments que le talapoin prend, aussi se gorgent-ils de viande pour acquérir ce prétendu mérite. On voit les chefs des pagodes, après avoir dévoré un boisseau de riz, des fruits, de la chair de porc, se faire comprimer le ventre par leurs disciples, pour pouvoir manger encore davantage (12). Un homme raisonnable ne pourrait jamais croire qu'une si brutale gloutonnerie pût être mise au rang des premières vertus, s'il ne le voyait de ses propres yeux. Ce qui est plus inconcevable encore, c'est l'aveuglement de ces infidèles qui ne donnent d'autre preuve de la divinité de leurs talapoins que leur insatiable voracité. Comment, me répondait un Siamois à qui je faisais sentir le ridicule de sa religion, comment nos talapoins ne seraient-ils pas dieux, puisqu'ils mangent tant ?
Nous n'avons pas seulement des talapoins, nous avons encore des talapoines. L'article qui les concerne sera fort court, et surtout moins ennuyeux : ce sont de vieilles femmes veuves, pour la plupart, qui, ne sachant que devenir, se retirent dans un couvent qu'elles appellent Haran (13). Elles sont habillées de blanc ; elles doivent réciter une espèce de chapelet, mais ce n'est pas pénible. On peut parler avec sa voisine, s'amuser même, pourvu que les grains du chapelet glissent dans les doigts. Elles ne sont pas déesses, elles ont cependant le droit de demander l'aumône, mais elles ne jouissent pas, à beaucoup près, de la même considération que leurs frères les talapoins. Le peuple les appelle Xi, c'est-à-dire personnes de la pagode (14). Leurs maisons sont près des temples, mais hors de leur enceinte ; elles sont en petit nombre. Quand elles prient, elles sont obligées de se tourner le dos.
NOTES
1 - Il s'agit bien du mois de juillet, mais c'est le 8ème mois du calendrier lunaire et non le 9ème. ⇑
2 - On peut se demander comment Bruguière sait qu'il s'agit de chansons licencieuses si même les Siamois ne comprennent la langue dans laquelle elles sont chantées. ⇑
3 - C'est là une des erreurs récurrentes de Barthélemy Bruguière qui explique beaucoup de ses incompréhensions. Le mot phra peut signifier Dieu, mais s'applique également aux moines, aux prêtres, et d'une façon générale à toute personne hautement révérée. Quant à la robe jaune des moines bouddhistes, si elle leur confère un caractère sacré, elle n'en fait en aucune façon des divinités. ⇑
4 - Le Sangkha rat (สังฆราช). ⇑
5 - Ton tan (ต้นตาล) : palmier de Palmyre (Borassus flabellifer. Ces feuilles, appelées baï lan (ใบลาน), étaient plutôt produites par le tallipot (Corypha umbraculifera), palmier géant de la famille des Arecaceae.
6 - Le carême bouddhiste dure 3 mois. Il se termine généralement en octobre, et très exceptionnellement en novembre. ⇑
7 - Phansa (พรรษา), qui désigne le carême bouddhiste. ⇑
8 - Il s'agit de la fête de Kathina (Kathin : กฐิน), une cérémonie bouddhiste qui a lieu dans les régions theravada durant le mois suivant la fin de la retraite monastique annuelle (octobre-novembre). À cette occasion, les laïcs offrent aux moines une pièce de tissu qu'ils doivent transformer en une nuit en une robe monastique. D'autres dons utiles ainsi qu’un repas sont également offerts. Traditionnellement, la pièce de tissu est tout d’abord paradée dans le village ou le quartier, parfois accompagnée d’un arbre à offrandes dans lequel sont accrochés d’autres dons. (Wikipédia). ⇑
9 - Dans son ouvrage Description du royaume thaï ou Siam (1854, II, p. 32 et suiv.), Jean-Baptiste Pallegoix cite quelques-uns des 227 commandements du Patimok (ปาฏิโมกข์), code qui fixe la conduite que doivent impérativement suivre les moines dans toutes les circonstances de leur vie. Mgr Pallegoix note néanmoins : Cette règle est si sévère et si minutieuse, qu'il est impossible aux phra de l'observer tout entière et avec fidélité. Elle donne une grande idée du détachement, de la mortification, de la patience et des autres vertus morales de Bouddha qui en est l'auteur. Parmi ces règles, il s'en trouve une qui semble en contradiction avec les affirmations de Barthélemy Bruguière : Ne nourrissez ni canards, ni poules, ni vaches, ni buffles, ni éléphants,ni chevaux, ni cochons, ni chiens, ni chats. Toutefois, Mgr Pallegoix écrit plus loin (p. 44-45) : Quand quelqu'un a des petits chiens ou des petits chats qu'il ne veut pas nourrir, il va les lâcher à la pagode, ou bien quelqu'un, par dévotion, va offrir aux phra un couple de paons, des oies, des poules et des coqs pour l'ornement du monastère ; d'autres vont lâcher dans les viviers des talapoins quelques centaines de gros poissons. Les pieux fidèles apportent quelquefois des cochons, des singes, des tortues et leur donnent la liberté dans les petits bois des pagodes. Mais souvent cette affluence d'animaux devient un grand sujet de tentation pour les luksit et pour les talapoins eux-mêmes ; car, lorsque les offrandes des fidèles ne sont pas abondantes, les luksit [les écoliers] ou les nen [les novices] font main basse sur ces hôtes qui sont très faciles à prendre. Il arrive aussi quelquefois que, la nuit, pendant le sommeil des talapoins, les gens du voisinage, munis d'un épervier, ou de quelque autre instrument de pêche, viennent dépeupler les étangs ; ou bien ils enlèvent lestement un cochon, au risque d'être accablés d'une grêle de p ierres, si les talapoins s'éveillent aux cris de détresse du pauvre animal qu'on emporte. ⇑
10 - Peut-être arahan (อรหันต์), l'état de nirvana, le but final de la pratique bouddhique. C'est un des qualificatifs du Bouddha. ⇑
11 - Ce rituel magique sans doute d'inspiration brahmanique s'appelait laï nam (ไล่น้ำ), littéralement chasser les eaux ou encore laï rua (ไล่เรือ : chasser le bateau) parce qu'elle se terminait généralement par une course de bateaux. C'était autrefois le roi en personne qui ordonnait aux eaux de se retirer, mais à l'époque de Bruguière, le souverain déléguait son pouvoir à des bonzes, son prestige risquant d'être écorné si les eaux continuaient à monter en dépit de ses royales injonctions, comme c'était souvent le cas. En 1854, Mgr Pallegoix évoquait lui aussi cette cérémonie dans sa Description du royaume de Siam (II, p. 56) : Lorsque l'inondation a atteint son plus haut point, et dès que les eaux commencent à se retirer, le roi députe plusieurs centaines de talapoins pour faire descendre les eaux du fleuve. Cette troupe de phra, montée sur de belles barques, s'en va donc signifier aux eaux l'ordre émané de Sa Majesté, et, pour en presser l'exécution, tous ensemble se mettent à réciter des exorcismes pour faire descendre la rivière; ce qui n'empêche pas que, certaines fois, l'inondation augmente encore en dépit des ordres du roi et des prières des talapoins.
D'après H. G. Quaritch Wales, (Siamese State Ceremonies, Their History and Function, London, 1931), ce rituel n'avait pas lieu tous les ans. Le dernier monarque à l'accomplir fut le roi Mongkut (Rama IV) en 1831, année où la mousson fut exceptionnellement abondante. La cérémonie fut définitivement abolie sous le règne du roi Phumiphon Adunyadet. ⇑
12 - Nous n'avons trouvé chez aucun autre auteur la moindre allusion à cette prétendue gloutonnerie. Au demeurant, elle va à l'encontre des commandements du Patimok (ปาฏิโมกข์), (voir ci-dessus note 9), qui prescrit : Ne faites pas d'excès dans le manger. ⇑
13 - Peut-être aram (อาราม), terme qui désigne un monastère en général. ⇑
14 - Nang Chi (นางชี). Chi désigne une nonne en général, quelle que soit sa religion. Gervaise traduit nang chi par dame dévote (Histoire naturelle et politique du royaume de Siam, 1688, p. 213). ⇑
12 septembre 2019