Chapitre VIII
De l'éducation des enfants siamois,
et premièrement de leur politesse

Page de la Relation de La Loubère
I. Amour des enfants siamois pour leurs parents.

Les enfants siamois ont de la docilité et de la douceur pourvu qu'on se garde de les rebuter. Leurs parents savent s'en faire beaucoup aimer et respecter et leur inspirer une extrême politesse. Leurs leçons sont merveilleusement aidées par le pouvoir despotique que j'ai dit qu'ils ont dans leur famille, mais aussi les parent répondent-ils au prince des fautes de leurs enfants. Ils ont part à leurs châtiments, et surtout ils sont obligés de les livrer quand ils ont failli, et quoique le fils s'en soit enfui, il ne manque jamais de revenir se livrer lui-même quand le prince s'en prend à son père ou à sa mère, ou même à ses autres parents collatéraux, mais plus vieux que lui et auxquels il doit du respect ; et c'est une grande preuve de l'amour des enfants siamois envers leurs parents.

II. Politesse nécessaire aux Siamois.

Quant à la politesse, elle est si grande par tout l'Orient, même à l'égard des étrangers, qu'un Européen qui y a demeuré longtemps a bien de la peine à s'accoutumer derechef aux familiarités et au peu d'égards de ce pays-ci. Comme les princes indiens sont fort adonnés au commerce, ils aiment à attirer chez eux les étrangers et ils les protègent même contre leurs sujets, et de là vient que les Siamois, par exemple, paraissent sauvages et qu'ils fuient la conversation des étrangers. Ils savent qu'ils sont censés avoir toujours tort et qu'ils sont toujours châtiés dans les querelles qu'ils ont avec eux. Les Siamois élèvent donc leurs enfants dans une extrême modestie, parce qu'elle est nécessaire dans le commerce et encore davantage dans le service qu'ils rendent six mois de l'année à leur roi ou aux mandarins, par ordre du roi.

III. Leur penchant à se taire.

Le silence n'est pas plus grand parmi les Chartreux qu'il l'est dans le palais de ce prince ; les seigneur ne s'en dispensent pas plus que les autres. La seule envie de parler n'emporte donc jamais les Siamois à rien dire qui puisse déplaire. Il faut qu'ils soient bien persuadés que vous voulez savoir la vérité de quelque chose pour s'enhardir à vous la dire contre ce que vous en pensez. Ils n'affectent en rien de paraître mieux instruits que vous, non pas même dans les choses de leur pays, quoique vous soyez étranger.

IV. De la raillerie parmi eux.

Ils m'ont paru éloignés de toute sorte de raillerie, parce qu'ils n'en entendaient aucune peut-être par la faute des interprètes. C'est principalement en matière de raillerie qu'est véritable cet ancien mot des Indiens, que les choses les mieux pensées, quand elles sont dites par interprète, sont une source pure qui passe dans de la bourbe. Le plus sûr est de railler peu avec les étrangers, même avec ceux qui entendent notre langue, parce que les railleries sont la dernière chose qu'ils en entendent et qu'il est aisé qu'ils se blessent d'une raillerie qu'ils n'entendront pas. Je ne doute donc point que les Siamois ne sachent se railler poliment les uns les autres. L'on m'a assuré qu'ils le font souvent entre personnes égales, et même en vers, et qu'autant les femmes que les hommes, il sont tous exercés à l'impromptu (1) dont la matière la plus ordinaire est chez eux une raillerie continuée où paraît à l'envi la vivacité des réparties et des répliques. J'ai vu la même chose parmi le peuple d'Espagne.

V. Politesse de la langue siamoise.

Mais quand ils rentrent dans le sérieux, leur langue est bien plus capable que la nôtre de tout ce qui marque le respect et les distinctions. Ils donnent par exemple de certains titres à de certains officiers, comme sont chez nous les titres d'Excellence et de Grandeur ; de plus, ces mots de je et moi, indifférents en notre langue, s'expriment par plusieurs termes dans la langue siamoise, dont l'un est du maître à l'esclave et l'autre de l'esclave au maître. Un autre est d'un homme du peuple à un seigneur, et un quatrième s'emploie entre personnes égales, et enfin il y en a qui ne sont que dans la bouche des talapoins. Le mot de vous et de lui ne s'expriment pas en moins de manières (2). Et quand ils parlent des femmes (parce que dans leur langue il n'y a point de distinction de genres en masculin et féminin), ils ajoutent au masculin le mot de nangNang : นาง, qui en langue pali veut dire jeune pour signifier le féminin, comme si nous disions par exemple jeune prince au lieu de dire princesse (3). Il semble que leur politesse les empêche de comprendre que les femmes puissent jamais vieillir.

VI. Les noms des Siamoises.

Par ce même esprit de politesse, ils les nomment par les choses les plus précieuses ou les plus agréables de la nature, comme jeune diamant, jeune or, jeune cristal, jeune fleur. La princesse fille du roi s'appelle Nang fâนาง ฟ้า, jeune Ciel. S'il avait un fils, on l'appellerait, dit-on, Seigneur du Ciel, Tcháou fâChao fa : เจ้า ฟ้า. Il est certain que l'éléphant blanc que M. de Chaumont vit à Siam et qui était mort quand nous y arrivâmes, avait atteint une extrême vieillesse (4) ; cependant, parce que c'était une femelle et qu'ils croient d'ailleurs que dans le corps des éléphants blancs il y a toujours une âme royale, ils l'appelaient mot à mot Tcháou fâChao fa : เจ้า ฟ้าJeune prince éléphant blanc, Nang payà Tchang peüacNang phraya chang phueak : นางพระยาช้างเผือก.

VII. Les paroles dont les Siamois se servent en saluant.

Les paroles dont ils se servent pour saluer sont ca váï TcháouKha wai chao : ข้าไหว้เจา, je salue Seigneur. Et, si c'est véritablement un seigneur qui salue un inférieur, il répondra simplement Ráou vaïRao wai : เราไหว้, je salue, ou ca váïKha wai : ข้าไหว้ qui veut dire la même chose, quoique le mot de caKha : ข้า qui signifie moi ne doive être naturellement que dans la bouche d'un esclave parlant à son maître, et que le mot de RáouRao : เรา, qui signifie aussi moi, marque quelque dignité en celui qui parle. Pour dire Comment vous portez-vous ? ils disent Tgiou di ?Yu di : อยู่ดี, Kin di ? กินดี, c'est-à-dire Demeurez-vous bien ? Mangez-vous bien ?

VIII. Comment il leur est permis de demander des nouvelles de la santé de leur roi.

Mais c'est une observation singulière qu'il ne soit pas permis à un Siamois de demander à un autre qui lui est inférieur des nouvelles de la santé de leur roi, comme si c'était un crime à celui qui approche davantage de la personne du prince d'en être moins informé qu'un autre qui s'en doit tenir plus éloigné (5).

IX. Comment ils s'assoient.

Leur manière civile de s'asseoir est comme s'asseyent les Espagnoles en croisant les jambes, et ils y sont si bien accoutumés que, même sur un siège lorsqu'on leur en donne, ils ne se placent pas autrement.

X. Leur contenance.

Quand ils forment un cercle, ils ne se tiennent jamais debout, mais s'ils ne sont assis les jambes croisées, ils s'accroupissent par respect des uns pour les autres. Les esclaves et les serviteurs devant leurs maîtres, et les gens du peuple devant les seigneurs, se tiennent à genoux, le corps assis sur les talons, la tête un peu inclinée et les mains jointes à la hauteur de leur front. Un Siamois qui passe devant un autre à qui il veut rendre du respect passera tout incliné et les mains jointes plus ou moins élevées, et ne le saluera pas autrement.

XI. Leurs cérémonies dans les visites.

Dans les visites, si c'est un homme fort inférieur qui la rend, il entre courbé dans la chambre, il se prosterne et demeure à genoux et assis sur ses talons de la manière que je viens de dire, mais il n'ose parler le premier. Il doit attendre que celui à qui il rend visite lui parle, et ainsi les mandarins qui nous venaient voir de la part du roi de Siam attendaient toujours que je leur parlasse le premier. Si c'est une visite entre égaux, ou si le supérieur va voir l'inférieur, le maître du logis le reçoit à la porte de la salle, et à la fin de la visite il l'accompagne jusque là, et jamais plus loin. D'ailleurs, il marche ou droit ou courbé selon le degré de respect qu'il doit à celui qui le vient voir. Il observe aussi de parler le premier ou le dernier, selon qu'il le peut ou qu'il le doit, mais il montre toujours sa place à celui qu'il reçoit chez lui et il l'invite à la prendre. Il lui fait servir ensuite du fruit et des confitures, et quelquefois même du riz et du poisson, et surtout il lui sert de sa main de l'arec et du bétel et du thé. Le menu peuple n'oublie pas l'arak, et les gens de condition s'en accommodent quelquefois. À la fin de la visite, l'étranger témoigne qu'il s'en veut aller, comme parmi nous, et le maître du logis y consent avec des paroles honnêtes, et il faudrait qu'il fût fort au-dessus de celui qui lui rend visite pour lui dire de s'en aller.

XII. À quel point le lieu le plus éminent est le plus honorable.

Le lieu le plus haut est tellement le plus honorable selon eux qu'il n'osaient monter au premier étage, même pour le service de la maison, quand les envoyés du roi étaient dans la salle basse. Dans les maisons que les étrangers bâtissent de briques à plus d'un étage, ils observent que le dessous de l'escalier ne serve jamais de passage, de peur que quelqu'un ne passe sous les pieds d'un autre qui montera ; mais les Siamois ne bâtissent qu'à un étage, parce que le bas leur serait inutile, personne parmi eux ne voulant ni passer ni loger sous les pieds d'un autre. Par cette raison, quoique les maisons siamoises soient élevées sur des piliers, ils ne se servent jamais du dessous, non pas même chez le roi, dont le palais étant sans plain-pied a des pièces plus élevées les unes que les autres, dont le dessous pourrait être habité. Il me souvient que quand les ambassadeurs de Siam arrivèrent à une hôtellerie de la Piçote, près de Vincennes, comme on avait logé le premier au premier étage et les autres au second, le second ambassadeur s'étant aperçu qu'il était au-dessus de la lettre du roi son maître que le premier ambassadeur avait auprès de lui, sortit bien vite de sa chambre, se lamentant de sa faute et s'arrachant les cheveux de désespoir (6).

XIII. Le côté droit plus honorable à Siam que le gauche.

La droite est à Siam plus honorable que la gauche ; le fond de la chambre opposé à la porte est plus honorable que les côtés de la chambre, et les côtés le sont plus que le mur où est la porte ; et le mur qui est à la droite de celui qui est assis au fond est plus honorable que celui qui est à sa gauche. Ainsi dans les tribunaux, personne n'est assis sur l'estrade attachée au mur qui est vis-à-vis la porte, sinon le président, lequel seul a voix délibérative. Les conseillers, qui n'ont jamais que voix consultative, sont assis sur d'autres estrades plus basses le long des murs des côtés, et les autres officiers le long du mur de la porte. De même si quelqu'un reçoit une visite importante, il place celui dont il est visité seul au fond de la chambre et il se met le dos tourné vers la porte ou vers l'un des côtés de la chambre.

XIV. Pourquoi à la Chine les villes sont toutes sur un modèle.

Ces cérémonies et beaucoup d'autres sont si précises à la Chine qu'il faut que les entrées des maisons et les chambres où les particuliers reçoivent leurs visites, et celles où ils donnent à manger à leurs amis, soient toutes sur un modèle, pour y pouvoir observer les mêmes civilités. Mais cette uniformité de bâtir, et même de tourner les bâtiments au midi de telle sorte qu'on regarde au nord en y entrant, a été encore plus indispensable dans les tribunaux et dans toutes les autres maisons publiques, si bien que dans ce grand royaume, qui voit une ville les voit toutes.

XV. Exactitude des Siamois dans les cérémonies.

Or les cérémonies sont aussi essentielles et presque en aussi grand nombre à Siam qu'à la Chine. Un mandarin se tient autrement devant ses inférieurs, et autrement devant ses supérieurs. S'ils sont plusieurs Siamois ensemble et qu'il en survienne un autre, il arrive souvent que la posture de tous change. Ils savent devant qui et à quel point ils doivent se tenir courbés ou redressés, ou assis ; s'ils doivent joindre leurs mains ou non, et les tenir basses ou hautes ; si, étant assis, ils peuvent avancer un pied, ou tous les deux, ou s'ils doivent les tenir tous deux cachés en s'asseyant sur leurs talons. Et les fautes en ces sortes de devoirs peuvent être punies du bâton par celui envers qui elles sont commises, ou par ses ordres, ou sur-le-champ, si bien qu'il ne s'introduit point parmi eux de ces airs de familiarité qui attirent dans les divertissements les grossièretés, les injures, les coups et les querelles, et quelquefois l'intempérance et l'effronterie ; ils sont toujours retenus par des égards réciproques. C'est une chose assez plaisante que ce que l'on dit du chapeau des Chinois. Il n'a point de bord ni par-devant ni par-derrière, mais seulement par les côtés, et ce bord, qui se termine en ovale, est si peu attaché au corps du chapeau qu'il tombe et rend un homme ridicule au premier mouvement irrégulier qu'il fait de sa tête. Tant ces peuples ont compris que moins les hommes sont gênés, plus ils font de fautes.

XVI. Ils s'y accoutument dès l'enfance.

Or toutes ces pratiques, qui nous paraîtraient fort pénibles ne le leur paraissent pas tant, parce qu'on les y accoutume de bonne heure. L'accoutumance leur rend aussi les distinctions moins dures qu'elles nous le seraient, et encore plus la pensée qu'ils en peuvent jouir à leur tour, celui qui est aujourd'hui supérieur ou inférieur changeant demain de condition suivant la prudence ou le caprice du prince. Les distinctions héréditaires que la naissance donne ici à tant de personnes qui sont quelquefois sans mérite ne paraîtrait guère moins rudes à souffrir à qui n'y serait pas accoutumé ou à qui ne comprendrait pas que la plus précieuse récompense de la vertu est celle que l'on espère de faire passer à ses descendants.

XVII. Comment les grands les peuvent épargner aux petits.

L'usage est donc à Siam et à la Chine que quand le supérieur veut ménager l'inférieur et lui témoigner beaucoup de considération (comme il arrive quelquefois dans les intrigues de cour), le supérieur affecte d'éviter en public la rencontre de l'inférieur pour lui épargner les soumissions publiques dont il ne le dispenserait pas s'ils se rencontraient. D'ailleurs l'affabilité envers les inférieurs, la facilité de se montrer à eux ou d'aller au-devant d'eux passent pour faiblesse dans les Indes.

XVIII. Certaines choses indécentes parmi nous ne le sont pas parmi eux, au contraire.

Les Siamois ne se contraignent point à retenir les rapports d'estomac dans la conversation, ni ils ne détournent leur visage pour cela, ni ils ne mettent rien devant leur bouche, non plus que les Espagnols. Ce n'est pas aussi une incivilité parmi eux d'essuyer la sueur de son front avec ses doigts et puis de les secouer contre terre. Nous employons à cela notre mouchoir, et peu de Siamois en ont, ce qui est cause qu'ils font assez malproprement tout ce à quoi le mouchoir est nécessaire. Ils n'oseraient cracher ni sur les nattes, ni sur les tapis de pied, et parce qu'il y en a dans toutes les maisons un peu meublées, ils se servent de crachoirs qu'ils portent à la main. Chez le roi, ni ils ne toussent, ni ils ne crachent, ni ils ne se mouchent. Le bétel qu'ils mâchent toujours et dont ils avalent le suc quand il leur plaît les en empêche ; néanmoins, ils ne peuvent prendre du bétel en présence du prince, mais seulement continuer de mâcher celui qu'ils ont déjà dans leur bouche. Ils ne refusent rien de ce qu'on leur offre et n'oseraient dire J'en ai assez.

XIX. Quel est le plus grand de tous les affronts chez les Siamois.

Comme le lieu le plus éminent est toujours chez eux le plus honorable, la tête comme la partie du corps la plus haute y est aussi la plus respectée. Toucher quelqu'un à la tête ou aux cheveux, ou lui passer la main par-dessus la tête, c'est lui faire le plus grand de tous les affronts. Toucher à son bonnet, s'il le laisse quelque part, est une grande incivilité. La mode de ce pays-là, parmi les Européens qui y demeurent, est de ne laisser jamais son chapeau en lieu bas, mais de le donner à un domestique qui le porte plus haut que sa tête, au bout d'un bâton et sans y toucher, et ce bâton a un pied, afin qu'il puisse demeurer debout si celui qui le porte est obligé de le laisser.

XX. Quelles situations sont plus ou moins respectueuses.

La posture la plus respectueuse, ou pour mieux dire la plus humble, est celle où ils se tiennent tous, et toujours devant leur roi, en quoi ils lui portent plus de respect que les Chinois n'en portent au leur. Ils se tiennent prosternés sur les genoux et sur les coudes, les mains jointes à la hauteur du front et le corps reculé sur les talons, afin qu'il porte moins sur les coudes et qu'il soit possible (sans s'aider des mains, mais en les tenant toujours jointes à la hauteur du front) de se relever sur les genoux, et de se remettre sur les coudes, comme ils font trois fois de suite toutes les fois qu'ils veulent reprendre la parole pour parler à leur roi. J'ai même remarqué que, quand ils sont ainsi prosternés, ils penchent le derrière d'un côté ou d'autre, autant qu'ils le peuvent sans déplacer les genoux, comme pour s'anéantir davantage (7).

Par le même principe, non seulement il est plus honorable selon eux d'être assis sur un siège haut que de l'être sur un siège bas, mais il est encore plus honorable d'être debout que d'être assis. Quand M. de Chaumont eut sa première audience, il fallut que les gentilshommes français qui l'accompagnaient entrassent les premiers dans le salon, et s'y assissent sur les talons avant que le roi de Siam se montrât, afin que ce prince ne les vît pas un moment debout (8). On leur défendit même de se lever pour le saluer quand il paraîtrait. Jamais ce prince n'a souffert aux évêques ni aux jésuites de paraître debout devant lui dans les audiences (9). Il n'est même pas permis de se tenir debout en nul endroit du palais, sinon en marchant, et si dans ce dernier voyage de 1687, à la première audience des envoyés du roi, les gentilshommes français eurent l'honneur d'entrer lorsque le roi de Siam était déjà visible, ce ne fut que parce que les mandarins qui avaient accompagné en France les ambassadeurs de Siam étaient entrés dans la galerie de Versailles lorsque le roi était déjà sur le trône qu'il y avait fait élever.

XXI. Comment le roi de Siam accommoda les cérémonies de sa cour à celle de la cour de France.

Le roi de Siam eut ce respect pour le roi de lui faire dire par M. de Chaumont que s'il y avait quelque usage dans sa cour qui ne fût pas de la cour de France, il le changerait, et lorsque les envoyés du roi arrivèrent en ce pays-là, le roi de Siam affecta en effet de leur faire une réception différente en plusieurs choses de celle qu'il avait faite à M. de Chaumont, pour la conformer davantage à celle qu'il apprit que le roi avait faite à ses ambassadeurs. Il fit même une chose, quand M. Desfarges le salua, qui n'avait jamais eu d'exemple à Siam, car il voulut que les officier de sa cour se tinssent debout en sa présence, comme se tenaient M. Desfarges et les autres officiers français qui l'accompagnaient (10).

XXII. Pourquoi j'aimais mieux parler debout qu'assis au roi de Siam.

Se souvenant donc que M. de Chaumont avait demandé à le complimenter assis (11) et sachant que ses ambassadeurs avaient parlé debout au roi (honneur dont il faisait un fort grand cas) (12), il me fit dire qu'il me donnait la liberté de lui parler assis ou debout. Je pris le parti de prononcer debout tous mes compliments, et si j'eusse pu m'élever davantage, j'eusse reçu plus d'honneur. Ç'a été aussi au roi de Siam, à ce qu'ils m'ont dit, une marque de respect pour les lettre du roi de ne les avoir pas reçues debout, mais assis.

XXIII. Autre civilité siamoise.

Mettre sur sa tête une chose que l'on donne ou que l'on reçoit, c'est à Siam et en beaucoup d'autres pays une très grande marque de respect. Les Espagnols, par exemple, sont obligés par loi expresse de rendre ce respect aux cédules (13), c'est-à-dire aux ordres par écrit qu'il reçoivent de leur roi. Le roi de Siam eut du plaisir à me voir mettre sur ma tête la lettre du roi en la lui rendant ; il se récria, et demanda où j'avais appris cette civilité de son pays. Il avait porté à la hauteur de son front la lettre du roi que M. de Chaumont lui rendit, mais ayant su par le rapport de ses ambassadeurs que cette civilité était inconnue à la cour de France, il l'omit à l'égard de la lettre du roi que j'eus l'honneur de lui rendre.

XXIV. Manière de saluer chez les Siamois.

Quand un Siamois salue, il lève ou ses deux mains jointes, ou au moins sa main droite à la hauteur de son front, comme pour mettre sur sa tête celui qu'il salue. Toutes les fois qu'ils prennent la parole pour parler à leur roi, ils recommencent toujours par ces mots : Prá poutì Tcháou-ca, co rap pra ouncan sáï cláou sáï cramòmPhra phutthi chao kha khorap phra racha ongkan sai klao sai kramom : พระพุทธิเจ้าข้า ขอรับพระราชโองการใส่เกล้าใส่กระหม่อม, c'est-à-dire : Haut et Excellent Seigneur de moi ton esclave, je demande de prendre ta royale parole, et de la mettre sur mon cerveau et sur le haut de ma tête. Et c'est de ces mots Tcháou-caChao kha : เจ้าข้า, qui veulent dire Seigneur de moi ton esclave, qu'est venue parmi les Français cette façon de parler faire chocà pour dire Ta váï bang comThawai bangkhom : ถวายบังคม, c'est-à-dire se prosterner à la Siamoise. Faire la zombaye (14) au roi de Siam veut dire lui présenter un placet, ce qui ne se fait pas sans faire chocà. Je ne sais d'où les Portugais ont pris cette façon de parler. Si vous tendez la main à un Siamois pour toucher dans la sienne, il porte ses deux mains à la vôtre et par-dessous, comme pour se mettre tout entier en votre puissance. C'est une incivilité selon eux de ne donner qu'une main comme aussi de ne tenir pas à deux mains ce qu'ils vous présentent et de ne pas prendre à deux mains ce qu'ils reçoivent de vous. Mais c'est assez parlé de la politesse que les Siamois inspirent à leurs enfants, quoique je n'aie pas épuisé cette matière.

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NOTES

1 - Thème latin qui a passé tout pur en français, pour signifier un ouvrage fait sans préparation, et sur-le-champ, par la vivacité de l'esprit, une prompte repartie. (Dictionnaire de Trévoux, 1732, III, p. 1005). L'impromptu est justement la pierre de touche de l'esprit, disait Cathos dans les Précieuses ridicules

2 - La Loubère pointe là une des grandes difficultés du thaï, langue dont la structure est par ailleurs relativement simple. Le linguiste Joseph Robinson Cooke a recensé 27 pronoms personnels à la 1ère personne, 22 à la deuxième, et 8 à la troisième. (Pronominal reference in Thai, Burmese and Vietnamese. Berkeley, University of California Press, 1968). Dans une société hiérarchisée à l'extrême, l'utilisation de ces pronoms (dont certains, très spécialisés, sont réservés aux moines ou aux personnes de la famille royale) est fonction de la position hiérarchique, de l'âge, du statut social, du prestige, de la naissance, du degré d'affection, de parenté, de sujétion, etc. du locuteur par rapport à son interlocuteur. L'étranger qui, sans une profonde connaissance de la culture thaïe, se hasarderait à utiliser d'autres termes que les quelques pronoms passe-partout neutres (phom, shan, khun, khao, rao, etc.) qu'on apprend dans les cours de langue, risquerait, soit d'être ridicule, ce qui n'est pas très grave, soit d'offenser la personne à qui il s'adresse, ce qui pour un Thaï, est impardonnable. 

3 - Il semble que La Loubère fasse une confusion entre deux mots aux consonances très proches. Nang (นาง) signifie femme ou fille, on peut l'utiliser pour Madame. Jeune – plus jeune, cadet – se dit nong (น้อง). 

4 - Il s'agissait sans doute de l'éléphant blanc capturé à Nakhon Sawan vers 1660 et élevé au rang prestigieux de Phraya (พระยา), largement évoqué dans les Chroniques royales (Cushman et Wyatt, The Royal Chronicles of Ayutthaya, 2006, pp. 290-291). L'abbé de Choisy, qui eut l'occasion de le voir en 1685, le décrit ainsi dans son journal du 18 octobre : Il est assez grand, fort vieux, ridé, et a les yeux plissés. Il y a toujours auprès de lui quatre mandarins avec des éventails pour le rafraîchir, des feuillages pour chasser les mouches et des parasols pour le garantir du soleil quand il se promène. On ne le sert qu'en vaisselle d'or et j'ai vu devant lui deux vases d'or, l'un pour boire et l'autre pour manger. On lui donne de l'eau gardée depuis six mois, la plus vieille étant la plus saine. On dit, mais je ne l'ai pas vu, qu'il y a un petit éléphant blanc tout prêt à succéder au vieillard quand il viendra à mourir. 

5 - Lors de son deuxième voyage au Siam, le père Tachard s'informa en arrivant de la santé du roi et fut fort surpris par l'attitude des Siamois : … je m'informai en leur langue de la santé du roi de Siam. À cette demande, chacun regarda son voisin, comme étonné de ma demande, et personne ne me répondit rien. Je crus manquer à la prononciation ou à l'idiome propres des gens de cour. Je m'expliquai en portugais par un interprète, mais je ne pus rien tirer du gouverneur ni d'aucun de ses officiers. À peine osaient-ils prononcer le mot de roi entre eux fort secrètement. Quand je fus arrivé à Louvo, je racontai à M. Constance l'embarras où je m'étais trouvé, voulant savoir l'état de la santé du roi de Siam et de la sienne, sans que personne eût voulu m'en apprendre la moindre chose. Je lui ajoutai que le trouble, que ceux de qui je m'en étais informé m'avaient fait paraître, et la peine qu'ils avaient eue à me répondre, m'avaient donné beaucoup d'inquiétude, craignant qu'il ne fût arrivé à la Cour quelque changement considérable. Il me répondit qu'on avait été fort étonné de la question que j'avais faite parce que ce n'est point la coutume parmi les Siamois de faire de pareilles demandes, ne leur étant pas permis de s'informer de la santé du roi leur maître, dont la plupart même ne savent pas le nom propre, et ils n'oseraient le prononcer quand ils le sauraient. Il n'appartient qu'aux mandarins du premier ordre de prononcer un nom qu'ils regardent comme une chose sacrée et mystérieuse. (Second voyage du père Tachard […], 1689, pp. 146-147). 

6 - Les ambassadeurs siamois couchèrent à Vincennes dans la nuit du 29 au 30 juillet 1686. Le Mercure Galant relate cet incident dans son numéro extraordinaire de septembre 1686 (pp. 80 et suiv.) : On alla le soir coucher à Vincennes. Les ambassadeurs auraient couché dans le château voisin s'il n'eût point été rempli d'ouvriers qui y travaillaient à quelques raccommodements. On les logea dans la maison du lieu qu'on trouva la plus commode. On avait marqué une chambre pour le troisième ambassadeurs au-dessus de celle du premier. M. Storf le mena voir cette chambre qui lui plût beaucoup à cause de la vue. Après qu'il l'eut bien considérée et qu'il eut aussi regardé Paris et l'arc de triomphe qui est hors la porte de Saint-Antoine, il s'avisa de demander qui était celui qui devait coucher au-dessous de cette chambre. On lui répondit que c'était le premier ambassadeur, et aussitôt, changeant de visage et ne pouvant déguiser le trouble qui l'agitait, il sortit avec précipitation, comme s'il lui fût arrivé quelque malheur extraordinaire. On lui en demanda la cause et il dit que la lettre du roi de Siam devait être dans la chambre qui était au-dessous de celle que l'on voulait lui donner, et que devant être toujours plus bas que la lettre, il n'avait garde de coucher au-dessus d'un lieu où il savait bien qu'on la mettrait. Quoiqu'il ne fût pas aisé de trouver une autre chambre dans tout ce logis qui convînt à la dignité d'ambassadeur, il aima mieux être incommodé et mal logé que de ne pas satisfaire à un respect qu'il regardait comme un devoir indispensable et auquel il ne pouvait manquer sans commettre un crime capital

7 - Cette tradition grotesque avait été abolie en 1873 par le roi Chulalongkorn qui la trouvait humiliante et fort pénible physiquement, et souhaitait qu'on exprimât le respect dû au roi par une simple inclinaison du buste. Elle fut remise en usage dans les années 1950 sous le gouvernement du dictateur Sarit Thanarat. Un observateur occidental ne peut que souscrire aux propos du naturaliste et explorateur Henri Mouhot qui écrivait à la fin du XIXe siècle : Pendant dix longues années, j'ai séjourné en Russie ; j'y ai été témoin des effets affreux du despotisme et de l'esclavage. Eh bien ! ici j'en vois d'autres résultats non moins tristes et déplorables. À Siam, tout inférieur rampe en tremblant devant son supérieur ; ce n'est qu'à genoux ou prosterné et avec tous les signes de la soumission et du respect qu'il reçoit ses ordres. La société tout entière est dans un état de prosternation permanente sur tous les degrés de l'échelle sociale : l'esclave devant son maître, petit ou grand, celui-ci devant ses chefs civils, militaires ou religieux, et tous ensemble devant le roi. Le Siamois, si haut placé qu'il soit, dès qu'il se trouve en présence du monarque, doit demeurer sur ses genoux et sur ses coudes aussi longtemps que son divin maître sera visible. Le respect au souverain ne se borne pas à sa personne, mais le palais qu'il habite en réclame une part ; toutes les fois qu'on passe en vue de ses portiques, il faut se découvrir ; les premiers fonctionnaires de l'État sont alors tenus de fermer leurs parasols, ou tout au moins de les incliner respectueusement du côté opposé à la demeure sacrée ; les innombrables rameurs des milliers de barques qui montent ou descendent le fleuve doivent s'agenouiller, tête nue, jusqu'à ce qu'ils aient dépassé le pavillon royal, le long duquel des archers, armés d'une sorte d'arc qui décoche fort loin des balles de terre fort dure, se tiennent en sentinelles pour faire observer la consigne et châtier les délinquants. Ajoutons, comme dernier trait, que ce peuple, toujours à plat ventre, — dont un grand tiers au moins, la moitié peut-être, si l'on en excepte la colonie chinoise, est esclave de corps et de biens —, se donne à lui-même le nom de Thaie, qui signifie hommes libres !!! (Voyage dans les royaumes de Siam, de Cambodge, de Laos et autres parties centrales de l'Indochine. [...], 1868, pp. 9-10).

Le roi Rama X recevant le gouvernement. 16 juillet 2019 (Photo Bangkok Post). 

8 - Si les gentilshommes qui accompagnaient Chaumont se soumirent à cette contrainte, ils n'en gardèrent pas moins leur esprit français, à en croire le chevalier de Forbin qui relata cette audience : Lorsque tout fut prêt, un gros tambour battit un coup. À ce signal, les mandarins qui n'avaient pour tout habillement qu'un linge qui les couvrait depuis la ceinture jusqu'à demi-cuisse, une espèce de chemisette de mousseline et un panier sur la tête d'un pied de long, terminé en pyramide et couvert d'une mousseline, se couchèrent tous et demeurèrent à terre appuyés sur les genoux et sur les coudes. La posture de ces mandarins avec leurs paniers dans le cul l'un de l'autre fit rire tous les Français. (Mémoires du comte de Forbin, 1729, I, pp. 107-108). 

9 - Les protocoles des audiences des évêques français avec le roi Naraï firent l'objet de longues négociations. En 1673, François Pallu arrivant de France avec des lettres de Louis XIV et du Pape dut parlementer pendant plusieurs mois avant d'obtenir des conditions qu'il jugeait conformes à sa dignité : Après que Sa Majesté eut été suffisamment informée de la qualité et de la grandeur des deux souverains qui lui écrivaient, il fit dire à nos prélats que, pour marquer l'estime qu'il en faisait, il voulait les recevoir avec une pompe extraordinaire dans une audience publique. Cette résolution fit naître un nouvel embarras touchant la manière avec laquelle les deux évêques François Pallu et Pierre Lambert de la Motte] paraîtraient en sa présence, parce que personne n'y peut être assis, ni debout, ni chaussé, ni autrement que prosterné contre terre, ce qui est chez eux une coutume si inviolable que les ambassadeurs même n'en sont pas exempts. Les évêques lui firent représenter, pendant trois ou quatre mois que cette affaire demeura indéterminée, qu'il y avait plusieurs choses dans les cérémonies qu'on leur avait marquées qu'il ne leur était pas permis d'accepter, étant bien aises de s'exempter par là de tout ce qui pouvait blesser l'honneur de la religion, la dignité de leurs personnes et la gloire de la France dont le grand monarque remportait en ce temps-là des victoires si éclatantes que le bruit en retentissait jusqu'aux extrémités du monde. Le roi voulut bien se relâcher sur chapitre. Il consentit qu'ils demeureraient chaussés et seraient assis en particulier sur un tapis richement brodé, et qu'ils feraient leurs civilités à la mode de l'Europe. (Launay, Histoire de la Mission de Siam, 1920, I, p. 43). 

10 - Dans la relation de son second voyage, le père Tachard relate ainsi l'audience que donna le roi Naraï au général Desfarges, à laquelle il assistait : Ce prince était assis dans un fauteuil couvert de lames d'or et porté sur les épaules de huit mandarins. Il s'avança sur le pont, ayant douze gardes armés de lances, fort richement vêtus, dont les quatre premiers qui étaient entre ce prince et nous lui tournaient le visage, et à nous le dos, ce qui nous parut assez extraordinaire : peut-être qu'ils observent cette coutume pour être plus en état de recevoir et d'exécuter ses ordres au moindre signe qu'il leur en donne. Dès qu'il vit M. Desfarges, qui lui fit de loin une très profonde révérence avec tous les officiers qui l'accompagnaient, gens choisis, bien faits et fort propres, il lui dit de s'approcher, qu'il était bien aise de voir les Français de près. M. Desfarges répondit à l'honnêteté de ce prince, avec beaucoup de présence d'esprit, qu'il remerciait très humblement Sa Majesté et son particulier, et au nom de tous ses officiers, de l'honneur qu'elle leur faisait, et qu'il osait même l'assurer qu'il n'y en avait pas un qui ne s'efforçât aussi bien que lui de mériter par leurs services, et au péril même de leur vie, une faveur si particulière. Il ajouta ensuite beaucoup d'autres sentiments qu'il expliqua fort noblement. Sa bonne mine, son air ouvert, ses manières naturelles plurent extrêmement au roi de Siam qui crut voir dans le fond du cœur de ce général encore plus de courage, de fidélité et d'attachement qu'il n'en faisait paraître par toutes ces expressions. (Second voyage du père Tachard […], 1689, pp. 217-218). 

11 - Chaumont négocia longtemps avec Phaulkon pour fixer les détails du protocole de l'audience. L'abbé de Choisy notait dans son journal du 17 octobre 1685 : M. Constance est venu ici ce matin pour achever de régler quelques petites difficultés, car quoique le roi de Siam ait résolu de faire toutes choses pour honorer M. l'ambassadeur, les coutumes de ces pays-ci sont si différentes des nôtres qu'à tout moment il faut s'arrêter. Chaumont ne voulut rien concéder et finit par obtenir satisfaction : Nous disputâmes longtemps, et je ne voulus rien relâcher des manières dont on a coutume de recevoir les ambassadeurs en France, ce qu'il m'accorda. (Relation de l'ambassade de M. le chevalier de Chaumont […], 1686, pp. 47-48). Ces entorses répétées au protocole accordées par le roi Naraï pour satisfaire les exigences des Français mécontentèrent nombre de dignitaires siamois. L'abbé de Choisy écrivait dans son journal du 13 octobre 1685 : Ce matin, le roi de Siam a fait assembler tous ses grands mandarins et leur a fait dire par M. Constance qu'ils ne devaient point s'étonner s'il faisait des choses extraordinaires et inouïes pour honorer l'ambassadeur de France ; qu'il connaissait parfaitement combien le roi de France, et par sa puissance et par son mérite personnel, était au-dessus des autres rois et qu'il ne croyait pas pouvoir donner trop de marques de distinction à son ambassadeur. Tous les mandarins ont mis ces royales paroles sur le sommet de leur tête et s'en sont allés contents, car on dit qu'il y en avait quelques-uns qui murmuraient et qui faisaient difficulté d'aller au-devant de M. l'ambassadeur, alléguant qu'on ne l'avait jamais fait aux ambassadeurs de l'empereur de la Chine ni à ceux du Moghol et du roi de Perse. Il est probable que parmi ces mandarins qui murmuraient se trouvaient quelques-uns de ceux qui initièrent le coup d'État de 1688. 

12 - Louis XIV n'appréciait nullement de voir des gens prosternés à ses pieds. Le missionnaire Bénigne Vachet en fit l'expérience lorsqu'il lui présenta deux envoyés siamois en 1684 : C'était dans la grande salle des miroirs que cette action se devait passer. Elle était déjà quasi remplie de tous les courtisans de l'un et de l'autre sexe, quand y arriva le roi que nous attendions à l'autre bout. Nos Siamois, qui étaient accoutumés à ce profond respect et à ce grand silence que l'on garde en présence de leur roi, étaient dans une surprise extraordinaire d'entendre un murmure confus et de voir qu'on s'empressait si fort pour s'approcher de la personne du prince. Les uns le devançaient, d'autres le suivaient, et la plus grande partie était à ses côtés, en sorte que n'étant plus qu'à cinq ou six pas de nous, il fallut nous dire : Voilà le roi ! Aussitôt, je fis prosterner les Siamois le visage à terre et les mains jointes, de la manière que je les avais vus devant le roi de Siam. (…) … le roi, ne pouvant souffrir ces Siamois dans cette posture, me dit de les faire lever… (Mémoires de Bénigne Vachet, Launay, op. cit., I, pp. 142-143). 

13 - Les Reales cédulas étaient des ordonnances rendues par le roi d'Espagne entre les XVe et XIXe siècles. 

14 - Les mots sombaye, ou zombaye, fréquemment employés dans les relations françaises, sont des transpositions du portugais zumbaia (on trouve également sumbra, çumbaya, sumbaïa sumba, etc.) L'origine en reste obscure. Il pourrait s'agir d'une déformation du mot malais sěmbah, une salutation, une respectueuse adresse, l'acte de salutation ou d'hommage consistant à élever les mains au visage, (Dictionnaire anglais-malais de R. J. Wilkinson, Singapour, 1901, pp. 20 et 697) ou de son dérivé sěmbah-yang (vénération de dieu, prière, rituel). Le dictionnaire Hobson Jobson de Yule et Burnell (1903, p. 851) cite les mots Somba, et Sombay, du malais samhah-an : présent, cadeau. Peut-être est-ce le même mot que le Sěmbah de Wilkinson, les cadeaux, les présents étant habituellement offerts en Asie aux personnes à qui l'on souhaite rendre hommage. Le Marseillais Vincent Leblanc, qui se trouvait au Siam une cinquantaine d'années avant La Loubère, décrit une autre manière de faire la sumbaya : … les rois sujets étaient tenus d’aller tous les ans en personne reconnaître le prince, lui payer tribut et faire la Sumbaya, qui était baiser un cimeterre qu’il portait à son côté (Les voyages fameux du sieur Vincent Leblanc, Marseillais […], 1648, p. 155). 

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18 mai 2020