Chapitre III
De l'histoire et de l'origine des Siamois.
I. Les Siamois peu curieux de leur histoire. |
L'Histoire siamoise est pleine de fables. Leurs livres en sont rares, parce que les Siamois n'ont pas l'usage de l'impression, car d'ailleurs je doute de ce que l'on dit qu'ils affectent de cacher leur histoire, puisque les Chinois, que les Siamois imitent en bien des choses, ne sont pas si jaloux de la leur. Quoi qu'il en soit, ceux qui malgré cette prétendue jalousie des Siamois sont parvenus à lire quelque chose de l'histoire de Siam assurent qu'elle ne remonte pas bien haut avec quelque caractère de vérité.
II. L'époque des Siamois. |
Voici un abrégé chronologique fort sec que les Siamois en ont donné ; mais avant toutes choses, il faut dire que l'année courant 1689, à la commencer au mois de décembre 1688, est la 2233 de leur ère, dont ils prennent l'époque, c'est-à-dire le commencement de la mort de Sommona-Codom (à ce qu'ils disent) (1), mais je suis persuadé que cette époque a un tout autre fondement que j'expliquerai dans la suite.
III. Leurs rois. |
Leur premier roi eut nom Pra Poat gonne sourittep pennaratui sonanne bopitràPhra Pathom Suriyathep Narathai Suwan Bophit : พระปฐมสุริยเทพนรไทยสุวรรณบพิตร. Le premier lieu où il tint sa cour s'appelait Tcháï pappe MahànaconChaiburi Maha Nakhon ? ไชยบุรีมหานคร ?, dont j'ignore la situation, et il commença de régner en 1300 à compter de leur époque. Dix autres rois lui succédèrent, le dernier desquels nommé Ipoïa sanne Thora Thesma TeperatPhaya Sunthon Thet Maha Thep Racha ? : พญาสุนทรเทศมหาเทพราช ? (2) transféra son siège royal à la ville de Tasôo Nacorà LoüangThat Nakhon Luang ? : ธาตุนครหลวง ? (3), qu'il avait fait bâtir, et dont aussi la situation m'est inconnue. Le douzième roi après celui-ci, dont le nom fut Pra Poà Noome Thele SerìPhra Phanom Chai Siri ? : พระพนมไชยศิริ ?, obligea tout son peuple en 1731 à le suivre à Locontáï (4), ville sise sur une rivière qui descend des montagnes de Láos (5) et se jette dans le Menam un peu au-dessus de Porselouc (6) d'où Locontáï est éloignée de 40 à 50 lieues. Mais ce prince ne se tint pas toujours à Locontáï, car il vint bâtir et habiter la ville de Pipelì (7) sur une rivière dont l'embouchure est à deux lieues au couchant de la plus occidentale embouchure du Menam. Quatre autres rois lui succédèrent, dont RhamatilondìRamathibodi : รามาธิบดี (8), le dernier des quatre, commença de bâtir la ville de Siam en 1894, et y établit sa cour, par où il paraît qu'ils donnent 338 ans d'ancienneté à la ville de Siam (9). Le roi régnant est le vingt-cinquième depuis Rhamatilondì (10), et cette année 1689 est la 56ème ou la 57ème année de son âge (11). Ainsi ils comptent 52 rois en l'espace de 934 années, mais qui n'ont pas tout été d'un même sang.
IV. Race du roi d'aujourd'hui. |
M. Gervaise, dans son Histoire naturelle et politique du royaume de Siam (12), nous a donné celle du roi père de celui qui est aujourd'hui sur le trône (13), et Van Vliet nous l'a donnée encore beaucoup plus circonstanciée dans sa Relation historique du royaume de Siam imprimée à la fin du Voyage de Perse de Herbert (14). J'y renvoie le lecteur pour y voir un exemple des révolutions, qui sont ordinaires à Siam, car ce roi qui n'était pas de la race royale, quoique Vliet dise le contraire, ôta le sceptre et la vie à ses maîtres naturels et fit mourir tous les princes de leur sang, hormis deux qui restaient encore au temps que Vliet a écrit, mais desquels je n'ai pu apprendre aucune nouvelle (15). Sans doute cet usurpateur les fit enfin périr comme les autres. Et en effet, Jean Struys assure dans le premier tome de ses Voyages (16), que ce fut le fort de celui de ces deux princes qui vivait encore en 1650 et qui alors était âgé de 20 ans. Le tyran le fit mourir cette même année avec une de ses sœurs sur une accusation apparemment fausse (17). Mais une circonstance remarquable de l'histoire de son usurpation fut qu'étant entré à main armée dans le palais, il força le roi à l'abandonner pour se réfugier dans un temple, et qu'ayant tiré ce malheureux prince de ce temple et l'ayant ramené au palais prisonnier, il le fit déclaré déchu de la Couronne et indigne de régner pour avoir abandonné le palais. À cet usurpateur qui mourut en 1657 après avoir régné environ 30 ans (18) succéda son frère (19), parce que son fils ne put, ou n'osa pour lors lui disputer la Couronne. Au contraire, pour mettre sa vie en sûreté, il chercha un asile dans un cloître et se revêtit de l'habit inviolable de talapoin, mais dans la suite, il prit si bien ses mesures qu'il déposséda son oncle, lequel fuyant le palais sur son éléphant fut tué par un Portugais d'un coup de mousquet.
V. Autre exemple des révolutions de Siam. |
Fernand Mendez Pinto raconte que le roi de Siam, qui régnait encore en 1547, et auquel il donne de grandes louanges, fut empoisonné par la reine sa femme au retour d'une expédition militaire (20). Cette princesse prit le parti de prévenir ainsi la vengeance de son mari, parce que pendant qu'il était absent, elle avait eu un commerce amoureux dont elle était demeurée grosse. Et cet auteur ajoute qu'elle fit bientôt après mourir de la même manière le roi son propre fils, et qu'elle eut le crédit de faire couronner son amant le 11 novembre 1548, mais qu'en janvier 1549, ils furent tous deux assassinés dans un temple, et que l'on tira du cloître un prince bâtard frère et oncle des deux derniers rois pour le faire régner. Les Couronnes d'Asie sont toutes mal assurées, et celles des Indes, de la Chine et du Japon plus que les autres.
VI. Doute sur l'origine des Siamois. |
Pour ce qui est de l'origine des Siamois, il serait difficile de juger s'ils ne sont qu'un seul peuple qui descende directement des premiers hommes qui ont habité le pays de Siam ou si, dans la suite, quelque autre nation ne s'y est pas aussi établie malgré les premiers habitants.
VII. Deux langues à Siam. |
La principale raison de ce doute vient de ce que les Siamois connaissent deux langues : la vulgaire, qui est une langue simple presque toute de monosyllabes, sans conjugaison ni déclinaison, et une autre langue dont j'ai déjà parlé, qui à leur égard est une langue morte, connue seulement des savants, qu'on appelle la langue palie, et qui est enrichie d'inflexions de mots, comme les langues que nous connaissons en Europe (21). Les termes de religion et de justice, les noms des charges et tous les ornements de la langue vulgaire sont empruntés de la palie. Ils font même leurs plus belles chansons en pali, de sorte qu'il semble pour le moins que quelque colonie étrangère se soit autrefois habituée au pays de Siam et y ait porté un second langage. Mais c'est un raisonnement que l'on pourrait faire de toutes les contrées des Indes, car elles ont toujours comme Siam deux langues, dont l'une ne dure encore que dans les livres.
VIII. Ce que les Siamois disent de l'origine de leurs lois et de leur religion. |
Les Siamois assurent que leurs lois sont étrangères, et qu'elles leur viennent du pays de Láos (22), ce qui n'a peut-être d'autre fondement que la conformité des lois de Láos avec celles de Siam, comme il y a de la conformité entre les religions des deux royaumes, et même avec celle des Péguans. Or cela ne prouve pas précisément qu'aucun de ces trois royaumes ait donné ses lois et sa religion aux deux autres, puisqu'il se peut faire que tous les trois aient tiré leur religion et leurs lois d'une autre source commune. Quoi qu'il en soit, comme la tradition est à Siam que leurs lois et même leurs rois viennent de Láos, elle est à Láos que leurs rois et la plupart de leurs lois viennent de Siam.
IX. De la langue palie. |
Les Siamois ne nomment aucun pays où la langue palie, qui est celle de leurs lois et de leur religion, soit aujourd'hui en usage. Ils soupçonnent à la vérité, sur le rapport de quelques-uns d'entre eux qui ont été à la côte de Coromandel, que la langue palie a quelque ressemblance avec quelqu'un des dialectes de ce pays-là, mais ils conviennent en même temps que les lettres de la langue palie ne sont connues que chez eux. Les missionnaires séculiers établis à Siam croient que cette langue n'est pas entièrement morte, parce qu'ils ont vu dans leur hôpital un homme des environs du cap de Comorin qui mêlait plusieurs mots palis dans son langage, assurant qu'ils étaient en usage en son pays, et que lui n'avait jamais étudié et ne savait que sa langue maternelle (23). Ils donnent d'ailleurs pour certain que la religion des Siamois vient de ces quartiers-là, parce qu'ils ont lu dans un livre pali que Sommona-Codom, que les Siamois adorent, était fils d'un roi de l'île de Ceylan (24).
X. Les Siamois semblables à leurs voisins. |
Mais laissant à part toutes ces choses incertaines, la langue vulgaire des Siamois, pareille en sa simplicité à celle de la Chine, du Tonkin, de la Cochinchine et des autres États de l'Orient, marque assez que ceux qui la parlent sont à peu près du génie de leurs voisins. Joignez à cela leur figure indienne, la couleur de leur teint mêlé de rouge et de brun (ce qui ne convient ni au nord de l'Asie, ni à l'Europe, ni à l'Afrique) ; joignez encore leur nez court et arrondi par le bout, comme l'ont d'ordinaire leurs voisins, les os du haut de leurs joues gros et élevés, leurs yeux fendus un peu en haut, leurs oreilles plus grandes que les nôtres, en un mot tous les traits de la physionomie indienne et chinoise, leur contenance naturellement accroupie, comme celle des singes, et beaucoup d'autres manières qu'ils ont communes avec ces animaux, aussi bien qu'une merveilleuse passion pour les enfants. Car rien n'est égal à la tendresse que les grands singes ont pour tous les petits, sinon l'amour que les Siamois ont pour tous les enfants, soit pour les leurs, soit pour ceux d'autrui.
XI. Le roi de Siam aime les enfants jusqu'à l'âge de 7 à 8 ans. |
Le roi de Siam lui-même s'en environne, et il prend plaisir à les élever jusqu'à l'âge de sept ou huit ans, après quoi, à mesure qu'ils perdent l'air enfantin, ils perdent aussi ses bonnes grâces. Un seul, dit-on, s'y est maintenu jusqu'à l'âge de vingt à trente ans, et il est encore aujourd'hui son favori (25). Quelques-uns l'appellent son fils adoptif, d'autres le soupçonnent d'être son fils adultérin, il est au moins frère de lait de la princesse sa fille légitime (26).
XII. Que les Siamois ne sont pas venus de loin habiter leur pays. |
Que si l'on considère les terres de Siam, si basses qu'elles semblent échappées à la mer comme par miracle et qu'elles sont tous les ans sous les eaux des pluies pendant plusieurs mois, le nombre presque infini d'insecte très incommodes qu'elles engendrent et la chaleur excessive du climat sous lequel elles sont situées, il est difficile de comprendre que d'autres hommes aient pu se résoudre à les habiter, sinon ceux qui y sont venus de proche en proche, et l'on croira même qu'elles ne sont habitées que depuis peu de siècles si l'on en juge par le peu qu'il y en a de défrichées. D'ailleurs il faudrait remonter bien haut au nord de Siam pour trouver les peuples belliqueux qui auraient pu fournir de ces essaims innombrables d'hommes qui sont quelquefois sortis de leur pays pour en aller occuper d'autres. Et comment serait-il possible qu'ils ne se fussent pas arrêtés en chemin, chez quelqu'un de ces peuples mols et lâches qui sont entre le pays des Scythes et les forêts et les rivières presque impénétrables des Siamois ? Il y a donc apparence que les Petits Siamois dont nous parlons sont issus des Grands, et que les Grands se sont jetés dans les montagnes qu'ils habitent our se dérober à la tyrannie des princes voisins sous laquelle ils étaient nés.
XIII. Les étrangers venus à Siam. |
Toutefois, il est certain que le sang siamois est fort mêlé de sang étranger. Sans compter les Péguans et ceux de Láos qui sont à Siam et que je regarde presque comme une même nation avec les Siamois, on ne peut douter qu'il ne se soit autrefois réfugié à Siam un grand nombre d'étrangers de différents pays, à cause de la liberté du commerce et à cause des guerres de la véritable Inde, de la Chine et du Japon, du Tonkin, de la Cochinchine et des autres États de l'Asie méridionale. Ils disent encore que l'on compte dans la ville de Siam jusqu'à quarante nations différentes (27) ; mais comme Vincent Leblanc parle en ces mêmes termes de la ville de Martaban, ce nombre affecté de quarante nations me paraît une vanité indienne. L'anéantissement entier du commerce de Siam ayant fait chercher en ces dernières années des retraites nouvelles à la plupart des étrangers qui s'y étaient réfugiés, trois ou quatre canonniers qui sont de Bengale composent aujourd'hui une nation ; trois familles cochinchinoises en font une autre ; les Mores seuls, qui ne devraient être comptés que pour une seule, en sont plus de dix, tant pour être venus à Siam de différents pays, que sous le prétexte de leurs diverses conditions de marchands, de soldats et de laboureurs (j'appelle Mores, à la manière espagnole, non pas les Nègres, mais ces mahométans arabes d'origine que nos ancêtres ont appelés Sarrazins et dont la race s'est étendue presque par tout notre hémisphère). Et avec tout cela, quand les députés des étrangers, qu'on appelle à Siam les quarante nations, vinrent saluer les envoyés du roi, on ne compta que vingt et une nations en comptant comme les Siamois voulurent.
XIV. Le peuple du royaume de Siam peu nombreux. |
Elles habitent des quartiers différents dans la ville ou dans les faubourgs de Siam, et néanmoins cette ville est peu habitée eu égard à sa grandeur, et le pays l'est encore moins à proportion. Il faut croire qu'ils ne veulent pas un plus grand peuple, car ils le comptent tous les ans, et ils savent bien, ce que personne n'ignore, que l'unique secret de l'augmenter serait de le soulager dans les impôts et dans les corvées. Les Siamois tiennent donc un compte exact des hommes, des femmes et des enfants, et dans cette grande étendue de pays, ils n'avaient, de leur propre confession, compté la dernière fois que dix neuf cent mille âme, de quoi je ne doute pas qu'on ne doive retrancher quelque chose pour la vanité et le mensonge, caractères essentiels aux Orientaux. Mais d'autre part, il y faudrait ajouter les fugitifs qui cherchent dans les forêts un asile contre la domination.
NOTES
1 - L'ère Phutthasakkarat (พุทธศักราช), calculée d'après l'année supposée où Bouddha est entré dans le parinirvana (ปรินิพพาน), le stade ultime du nirvana, commence le 11 mars 545 avant j.-C. En Thaïlande, la différence entre le calendrier bouddhiste et le calendrier chrétien est aujourd'hui fixée à 543 ans, mais une différence de 544 ans était autrefois courante. (Source : J.C. Eade : The Calendrical Systems of Mainland South-East Asia, Brill, 1995, p. 15).
2 - La Loubère fait référence aux souverains de Nanchao (Anachak Nanchao : อาณาจักรน่านเจ้า), ancien royaume de la Chine méridionale supposé être le berceau de l'ethnie thaïe. S'appuyant sur l'Ethnographie des peuples étrangers à la Chine, ouvrage écrit au XIIIe siècle par l'historien chinois Ma-Touan-Lin (traduit en français par le marquis d'Hervey de Saint-Denys en 1883), Manich Junsai énumère 14 rois de Nanchao entre 679 et 1253 Popular History of Thailand, Chalermnit, s.d., pp. 7-8). Voir également sur ce site le chapitre de l'Histoire du Siam de W.A.R. Wood consacré aux Thaïs des premiers âges. ⇑
3 - Sans doute Talifu, l'ancienne capitale du royaume de Nanchao, aujourd'hui Dali, dans la province chinoise du Yunnan. ⇑
4 - Sans doute Sukhothaï (สุโขทัย), la première capitale du Siam dont l'histoire thaïe fixe la fondation à 1238. ⇑
5 - La Menam Yom (แม่น้ำยม), qui rejoint la Menam Ping (แม่น้ำปิง) à la hauteur de Nakhon Sawan (นครสวรรค์) pour former la Menam Chao Phraya (แม่น้ำเจ้าพระยา). ⇑
6 - Phitsanulok (พิษณุโลก), à 350 kilomètres au nord de Bangkok. ⇑
7 - Phetburi (เพชรบุรี) ou Phetchaburi, sur le golfe de Siam, à l'extrémité nord de la péninsule malaise. ⇑
8 - Le prince Uthong (พระเจ้าอู่ทอง), fondateur d'Ayutthaya, qui régna entre 1350 et 1369 sous le titre de Ramathibodi I (รามาธิบดีที่ ๑). ⇑
9 - Les dates indiquées par La Loubère sont exactes. L'histoire thaïlandaise fixe la fondation d'Ayutthaya à 1350, ce qui correspond dans le calendrier bouddhiste à 1894, en considérant un décalage de 544 ans avec le calendrier chrétien (voir ci-dessus note 1). ⇑
10 - Le 28ème selon l'histoire officielle thaïlandaise. ⇑
11 - Les historiens thaïlandais fixent la naissance du roi Naraï au 16 février 1633. Les chiffres donnés par La Loubère sont donc corrects. ⇑
12 - L'Histoire naturelle et politique du royaume de Siam du missionnaire Nicolas Gervaise (1662-1729) fut publiée à Paris par Claude Barbin en 1688. ⇑
13 - Le roi Prasat Thong (ปราสาททอง) qui usurpa le trône en 1629. Gervaise relate très brièvement l'accession au pouvoir de ce souverain dans le 1er chapitre de la 4ème partie de son ouvrage : Du roi qui règne à présent, de la famille royale et de tout ce qu'il y a de plus particulier dans la cour de ce royaume qu'on pourra lire sur ce site. ⇑
14 - La Relation du voyage de Perse et des Indes orientales, traduite de l'anglais de Thomas Herbert, avec les Révolutions arrivées au royaume de Siam l'an mil six cent quarante-sept, traduites du flamand de Jérémie Van Vliet fut publiée à Paris chez Jean du Puis en 1663. La traduction de la relation de Van Vliet était due au diplomate et historien Abraham de Wicquefort. ⇑
15 - On pourra lire sur ce site la Relation historique du roi Prasat Thong de Jérémie Van Vliet. ⇑
16 - Les Trois voyages remarquables et désastreux à travers l'Italie, la Grèce, la Livonie, la Moscovie, la Tartarie, la Médie, la Perse, les Indes orientales, le Japon, et différentes régions […] de Jan Janszoon Struys furent publiés en flamand à Amsterdam en 1676 et connurent un grand succès. Une traduction française fut publiée en 1681 chez la Veuve Jacob van Meurs à Amsterdam sous le titre : Les voyages de Jean Struys en Moscovie, en Tartarie, en Perse, aux Indes, et en plusieurs autres pays étrangers, accompagnés de remarques particulières sur la qualité, la religion, le gouvernement, les coutumes et le négoce des lieux qu'il a vus, avec quantité de figures en taille douce dessinées par lui-même, et deux lettres qui traitent à fond des malheurs d'Astrakan. La partie de l'ouvrage consacrée au Siam occupe les chapitres III à IX qu'on pourra lire sur ce site. ⇑
17 - Van Vliet raconte qu'un morceau de chair n'ayant pas été consumé lors de la crémation de sa fille unique, le roi Prasat Thong en conçut des soupçons d'empoisonnement et en accusa la fille du défunt roi Songtham (ทรงธรรม), qui fut mise à mort avec des milliers de mandarins présumés complices.
18 - L'histoire officielle thaïlandaise fixe la mort du roi Prasat Thong en 1656, après un règne de 27 ans. ⇑
19 - Si Suthammaracha (ศรีสุธรรมราชา), qui, selon l'histoire officielle thaïlandaise, régna pendant 2 mois et 17 jours sous le titre de Sanphet VII (สรรเพชญ์ที่ ๗). ⇑
20 - Les voyages aventureux de Fernand Mendez Pinto, fidèlement traduits de portugais en français par le sieur Bernard Figuier, gentilhomme portugais ont été publié à Paris, chez Arnould Cotinet et Jean Roger, en 1645. L'auteur y relate l'accession au trône de Worawongsathirat (วรวงศาธิราช) et de son âme damnée Si Sudachan (ศรีสุดาจันทร์), une concubine du roi Chairachathirat (ไชยราชาธิราช) qu'elle empoisonna pour ouvrir à son amant le chemin du trône. À défaut d'être historiquement vérifié, le récit de Pinto, émaillé des innombrables meurtres commis par le roturier Worawong pour accéder au pouvoir, a d'incontestables accents shakespiriens. Macbeth n'avait d'ailleurs été publié que 22 ans plus tôt. On pourra lire sur ce site les chapitres des Voyages aventureux de Fernand Mendez Pinto consacrés au Siam. ⇑
21 - La Loubère orthographie systématiquement bali. Le pali était la langue de l'ancien royaume de Maghada, dans l'Inde, au sud du Gange. C'est dans cette langue que Bouddha faisait ses sermons. C'est encore, avec le sanskrit, la langue de la liturgie bouddhiste theravada. À noter qu'il existe aujourd'hui encore en Thaïlande une langue réservée au roi et aux membres de la famille royale, le ratchasap (ราชาศัพท์) ⇑
22 - Cette affirmation est très discutable. Dans son ouvrage A History of Siam (1926, p. 66), W.A.R. Wood écrivait : On peut supposer que les Thaïs introduisirent au Siam bon nombre des règles coutumières de Nanchao, et que de nombreuses lois furent rédigées à Sukhothaï et ailleurs bien avant la fondation d'Ayutthaya. Toutefois, les premières lois siamoises dont nous ayons une connaissance précise sont celles promulguées par le roi Ramathibodi I. Beaucoup depuis furent modifiées et augmentées par des éléments tirés du Code de Manu, qui fut introduit plus tard depuis la Birmanie. ⇑
23 - Le pali, utilisé dans le royaume de Magadha à l'époque du Bouddha, n'était plus parlé depuis des siècles, mais de nombreux mots palis (et sanskrits) furent assimilés par les langues d'Asie du sud-est. On trouve des racines palies dans plusieurs vocable du thaï moderne. ⇑
24 - Cette légende siamoise d'un Bouddha fils d'un roi de Tanka (Ceylan) a été largement reprise par toutes les encyclopédies du XVIIIe siècle, à commencer par celle de Diderot et d'Alembert. On sait aujourd'hui que Siddharta Gautama était fils de Suddhodana, roi de Kapilavastu, dans l'actuel Népal. ⇑
25 - Phra Pi (พระปีย์) ou Mom Pi (หม่อมปีย์) parfois appelé Prapié, Monpy, Monpi, etc. dans les relations occidentales. Fils d'un hobereau, ce jeune garçon fut emmené très jeune au palais pour y exercer les fonctions de page et fut élevé par une sœur du roi Naraï. Toutes les relations s'accordent à reconnaître la tendresse quasi paternelle que le roi lui prodiguait et les privilèges exceptionnels dont il jouissait. Le père de Bèze en dresse un portrait de parfait courtisan : Il n’avait pas l’esprit fort vif et fort brillant mais il compensait cela par son bon air, ses manières aisées et engageantes et surtout par sa complaisance à l’égard du roi et son application à étudier et à prévenir tout ce qu’il pouvoit souhaiter. Il entra par là si avant dans ses bonnes grâces que le roi ne pouvait plus être un moment sans lui. (Mémoire du père de Bèze sur la vie de Constance Phaulkon, J. Drans et H. Bernard, 1947, p. 74). Toujours selon le père de Bèze, Phra Pi serait entré dans la conspiration ourdie par Phetracha qui lui aurait promis de le faire monter sur le trône. En effet, il [Phetracha] avait tellement persuadé à ce jeune mandarin qu'il le ferait roi, qu'il s'abandonnait entièrement à sa conduite. (op. cit. p. 97). Lorsqu'il s'aperçut qu'il avait été berné, le jeune favori alla dévoiler le complot au roi Naraï et se faire pardonner : Il s'aperçut, mais un peu tard, que cet Okphra songeait plus à se faire roi lui-même qu'à l'élever sur le trône, comme il lui avait promis, et qu'il ne s'était servi de l'autorité qu'il lui avait donnée sur ses gens que pour les détacher de leur maître et s'en servir à former son parti. Outré de cela et de quelques paroles un peu dures que lui dit Phetracha, il alla au roi lui déclarer la conspiration de ce mandarin et tout ce qu'il tramait pour se rendre maître du gouvernement. (De Bèze, op. cit., p. 114). Lors du coup d'État de juillet 1688, Phra Pi fut arrêté dans la chambre même du roi Naraï et décapité. Sa tête aurait, paraît-il, été attachée pendant plusieurs jours au cou de Phaulkon soumis à la torture. ⇑
26 - La princesse Sudawadhi (สุดาวดี) Krom luang (princesse de 3ème rang) Yothathep (กรมหลวงโยธาเทพ) 1656-1735, fille unique du roi Naraï et de la Princesse Suriyong Ratsami (สุริยงรัศมี), une de ses concubines, a été fréquemment évoquée dans les relations occidentales, et a intrigué, voire fasciné tous les étrangers. Auréolée d'un grand mystère, cette princesse qu'aucun occidental ne vit jamais fut l'objet de toutes les rumeurs et de tous les fantasmes.
En 1688, la princesse Yothathep était brouillée avec son père et avait quitté la cour de Lopburi pour se retirer à Ayutthaya, refusant même d'y reparaître pour recevoir les présents que lui envoyait la Dauphine de France. Céberet, l'un des envoyés français, écrivait : … nous avions déjà fait des instances pour obtenir audience de la princesse-reine, et même M. Constance nous l'avait fait presque espérer, nous ayant fait dire par le père Tachard que la princesse était brouillée avec le roi, pourquoi elle était restée à Siam, mais que si elle se raccommodait, nous pourrions la voir. En attendant le dîner, nous fîmes de nouvelles instances auprès de M. Constance pour l'audience de ladite princesse et pour lui présenter les présents de Mme la dauphine. Il nous dit qu'elle était à Siam, malade d'une espèce d'asthme et d'une vieille entorse au pied dont on ne l'a jamais su guérir, et qu'il craignait qu'elle nous enverrait de ses principaux officiers pour recevoir les présents. Il nous a exagéré ensuite le courage de cette princesse, aux libéralités de laquelle le roi son père ne peut suffire. Le roi lui a fait sa maison comme les reines de Siam ont accoutumé de l'avoir, et c'est une marque, dit le sieur Constance, qu'il ne la veut pas marier. (Michel Jacq-Hergoualc'h, Étude historique et critique du Journal du voyage de Siam de Claude Céberet, 1992, p. 106).
Les raisons de cette brouille sont peu claires. S'agissait-il de questions d'intérêt, ou du refus de la princesse d'épouser Phra Pi, le favori, malgré la volonté de son père ? Si les causes de ces relations conflictuelles entre le père et la fille restent mystérieuses, il ne fait pas de doute en revanche que la princesse Yothathep détestait cordialement Phaulkon. Déjà, en 1685, l'abbé de Choisy écrivait : Il [Phaulkon] a pourtant souvent des affaires à démêler avec elle. Il prit l'année passée deux mille hommes dans les terres de son apanage pour les faire marcher à Cambodge. Elle gronda fort, et fut longtemps sans vouloir écouter les raisons que Mme Constance lui disait pour excuser son mari. (Journal du 30 octobre 1685).
27 - Le chevalier de Chaumont évoquait lui aussi ce chiffre de quarante nations. L'abbé de Choisy et le père Tachard parlaient de quarante-trois nations différentes. ⇑
18 mai 2020