CHAPITRE III
Les Thaïs s'établissent au Siam
Le début des royaumes thaïs
Nous ne devons pas nous représenter les Thaïs comme une force d'invasion déferlant vers le sud, attaquant l'empire cambodgien et pillant ses possessions. Bien au contraire, l'établissement de royaumes thaïs libres au Siam fut davantage le résultat d'une série de rébellions que d'une invasion.
Nous ne savons pas précisément à quelle époque les premiers colons Thaïs se sont installés au Siam, mais on peut affirmer que des siècles avant que leurs premiers souverains n'aient régné sur le pays, des colons étaient venus du nord, avaient formé des communautés et s'étaient mariés avec des Lawas et des Môn-Khmers.
Il existe beaucoup de récits sur les premiers établissement des Thaïs au Siam, malheureusement ils sont tellement mêlés de légendes qu'il est devenu impossible d'en extraire les fonds de vérité qu'ils peuvent contenir, et l'auteur, qui souhaite écrire un livre d'histoire plutôt qu'un recueil de contes de fées, a été contraint, à son grand regret, de les écarter. Nous possédons, par exemple, une liste des rois de Chiang Saenเชียงแสน (vraisemblablement des Thaïs), remontant à une époque antérieure à la naissance de Bouddha, dont l'un a régné pendant 120 ans. Cette histoire de Chiang Saen n'est qu'un mythe, mais elle nous fournit tout de même le nom d'un homme, le prince Phromมหาพรหม qui pourrait être un véritable personnage historique. Ce prince, peut-être descendant de la famille des rois de Chiang Saen, fonda la ville de Müang Fangเมืองฝาง vers 857 (1). Il attaqua ensuite l'empire cambodgien et le conquit jusqu'à l'actuel Sawankhalokสวรรคโลก, où il fonda une ville (2).
Le prince Phrom, s'il a existé, peut être considéré comme le premier vrai souverain thaï du Siam et sa ville, Müang Fang, comme la première capitale de son royaume. Nul doute qu'il n'ait trouvé beaucoup de colons thaïs pour l'acclamer tout au long sa marche victorieuse vers le sud. Un État thaï indépendant ou semi-indépendant s'est ainsi formé dans le nord du Siam au IXe siècle, et un autre a probablement été fondé à Müang Saoเมืองสาว, le Luang Prabangหลวงพระบาง moderne, vers la même époque.
En 1057, le célèbre roi Anawratha le GrandAnoratha : อโนรธามังช่อ monta sur le trône de Birmanie. Sa capitale était établie à Paganพุกาม. Il étendit ses possessions, conquit le sud de la Chine et attaqua l'empire cambodgien, dont la puissance déclinait. Il ne fait aucun doute que pratiquement tout le territoire actuel du Siam était alors sous son autorité.
Anawratha était un fervent bouddhiste, et certains pensent que c'est lui qui a introduit le bouddhisme en Birmanie. Si c'est le cas, il fut probablement initié dans le grand centre bouddhiste de Nakhon Pathomนครปฐม, dans le sud du Siam. Un lien étroit entre Nakhom Pathom et Pagan est attesté par la découverte dans ces deux endroits de sculptures et de monnaies anciennes d'un type que l'on ne trouve nulle part ailleurs dans le monde.
Quel que soit l'endroit où le roi Anawratha se convertit à sa religion, il fut des plus ardents à la propager. Un grand renouveau bouddhiste avait lieu en Inde à peu près à la même époque, et Anawratha n'eut aucun mal à recruter des missionnaires d'Inde et de Ceylan, qui prêchèrent le bouddhisme en Birmanie et au Siam. Il ne fait guère de doute que c'est grâce à ses efforts que cette religion a acquis la position prédominante qu'elle occupe toujours dans ces deux pays.
Les conquêtes du roi Anawratha affaiblirent l'empire cambodgien et aboutirent, après l'élimination de la tutelle birmane, à la formation de nombreux États thaïs indépendants ou semi-indépendants. Le Siam a certes beaucoup souffert des invasions birmanes et la mise à sac honteuse d'Ayutthaya en 1767 ne sera jamais oubliée, mais les Thaïs ne doivent pas oublier que leur indépendance est due en grande partie au roi birman, et que le Siam lui doit encore l'établissement de cette merveilleuse foi qui a indubitablement renforcé le royaume et élevé le caractère national.
En 1096, un descendant du prince Prohm, Khun Chom Thammaขุนจอมธรรม, fonda la ville de Phayaoพะเยา (3), qui devint la capitale de l'État indépendant thaï.
Vers 1238, un mauvais coup fut porté à l'empire cambodgien dont il ne se remit jamais. Depuis quelque temps, inspirés sans doute par les exemples de Müang Fang et Phayao, les Thaïs du centre du Siam se rebellaient contre le gouvernement cambodgien. Le général Khlon Lamphongโขลญลำพง fut envoyé par le roi du Cambodge pour rétablir l'ordre. Il fut vaincu par deux chefs thaïs, Khun Bang Klang Thaoขุนบางกลางหาว et Khun Pha Müangขุนผาเมือง, qui investirent la ville de Sukhothaïสุโขทัย, alors capitale du nord de l'empire cambodgien. Khun Bang Klang fut sacré Roi avec le titre de Si Inthrathitศรีอินทราทิตย์, titre qui avait été donné à l'origine par le roi du Cambodge à son allié Khun Pha Müangขุนผาเมือง. Ainsi fut fondé le royaume thaï de Sukhothaï, qui allait devenir un puissant État, même si son pouvoir ne fut que de courte durée.
Les Thaïs ont été tellement fascinés par la prise de Sukhothaï qu'ils ont doté son premier roi des mystérieux attributs d'un héros légendaire nommé Phra Ruangพระร่วง. Le nom de Phra Ruang fut en fait attribué sans distinction à tous les rois de Sukhothaï.
Le règne du roi Si Inthrathit, premier roi de Sukhothaï et, pourrait-on dire, premier roi du Siam, fut consacré à l'extension de son empire aux dépens du roi du Cambodge et de ses voisins occidentaux. Une inscription gravée nous apprend qu'il entra en guerre avec le prince de Chotโชติ (Mae Sotแม่สอด) qui avait tenté de s'emparer de la ville de Takตาก. Le prince Ramkhamhaengรามคำแหง, troisième fils du roi Inthrathit, se distingua dans cette guerre en affrontant le prince de Chot en combat singulier. Les deux combattants étaient montés sur des éléphants et le jeune prince Ramkhamhaeng triompha de son adversaire, l'obligeant à fuir avec toute son armée.
Pendant le règne d'Inthrathit, le Siam accueillit une énorme vague d'immigrants thaïs qui avaient fui le Yunnan après la conquête du royaume de Nanchao par Kubilaï Khan en 1254. C'est sans doute grâce à ces renforts constants qu'Inthrathit put traiter en position de force avec les cambodgiens. Peu de gens réalisent aujourd'hui que l'existence du Siam en tant qu'État souverain est en partie due aux conquêtes de Kubilaï Khan dans le sud de la Chine.
Nous ignorons la date de la mort d'Inthrathit. Son fils aîné mourut jeune, et son deuxième fils, Ban Müangบานเมือง lui succéda. Son règne fut de courte durée. Il mourut vers 1275 et Ramkhamhaeng, son ambitieux et vaillant frère cadet, monta sur le trône.
Surnommé à juste titre Le Grand, le roi Ramkhamhaeng fut l'un des guerriers et des conquérants les plus redoutables que le Siam ait jamais produits. Au cours de son règne long de plus de quarante ans, il transforma l'État chancelant de Sukhothaï en un vaste et puissant royaume. À sa mort, nombre de villes et provinces lui étaient soumises ou tributaires : Phraeแพร่, Nanน่าน, Luang Prabangหลวงพระบาง, Phitsanulokพิษณุโลก, Lomsakหล่มสัก, VientianeWiengchan : เวียงจันทน์, Nakhon Sawanนครสวรรค์, Suwanphumiสุวรรณภูมิ (4), RatburiRatchaburi : ราชบุรี, Phetchabunเพชรบูรณ์, Nakhon Si Thammaratนครศรีธรรมราช, Rahengระแหง, Mae Sotแม่สอด, Ténassérim, Tavoy, Martaban, Taungû, Pégou jusqu'à la baie du Bengale, et d'autres provinces qui ne peuvent plus être identifiés aujourd'hui. Il ne faut cependant pas imaginer que le roi Ramkamhaeng exerçait un contrôle effectif sur toutes ces régions. Le prince de Suphanสุพรรณ, par exemple, était un souverain puissant, et les monarques thaïs de Lopburiลพบุรี et de l'ancienne ville d'Ayodhiaอโยธยา (Ayutthaya) (tous deux liés au roi Ramkamhaeng) étaient soit indépendants, soit soumis au roi du Cambodge. L'histoire de la Chine nous apprend qu'en 1289, un État thaï situé au sud de Sukhothaï avait envoyé une ambassade en Chine. Cet État, appelé Law Hok Kok par les Chinois, aurait vaincu plus tard Sukhothaï. C'était probablement Lawo (5).
La partie orientale du Siam, y compris ChanthabunChanthaburi : จันทบุรี, appartenait toujours au Cambodge. Au nord-ouest se trouvaient deux États indépendants : le royaume de Lannathaïล้านนาไทย, comprenant Chiang Maïเชียงใหม่, Nakhon Lamphangนครลำปาง, Lamphunลำพูน, Chiang Raïเชียงราย, Chiang Saenเชียงแสน et l'actuel État de Kengtungเชียงตุง (alors appelé Khemmaratเขมราฐ), et la petite, mais redoutable, principauté de Phayaoพะเยา.
Beaucoup d'épisodes du règne de Ramkhamhaeng nous sont connus par des sources birmanes, chinoises et par des inscriptions gravées. Les circonstances dans lesquelles il affirma son emprise sur Pégou sont très intéressantes. Le gouverneur de Martaban, un Birman nommé AleimmaAli-ma-mang : อลิมามาง, fut démis de ses fonctions après avoir désobéi aux ordres du roi de Birmanie Taruk-Pyay MinNarathihapate : นรสีหบดี. Il s'enfuit au Siam et prêta serment de fidélité au roi Ramkhamhaeng qui le rétablit dans son poste de gouverneur. Le gouvernement birman était si désorganisé à ce moment-là qu'il ne tenta rien pour s'y opposer.
Avant cela, Makathoมะกะโท, un aventurier shan qui résidait à Sukhothaï où il était devenu grand favori du roi Ramkhamhaeng, présenta au monarque un éléphant blanc qu'il venait d'acquérir, le premier jamais mentionné dans l'histoire siamoise. Alors que le roi était en campagne contre le Cambodge, Makhato séduisit une de ses filles et s'enfuit avec elle à Martaban, où il était déjà bien connu, y ayant fait du commerce. Là, il se rebella contre Aleimma, le fit assassiner et prit le poste de gouverneur. Plus tard, il vainquit le roi de Pégou avec lequel il était en conflit, et se fit proclamer roi (6). Afin de renforcer sa position, il se soumit à Ramkhamhaeng, son ancien souverain, et lui jura fidélité. En 1286, le roi siamois, qui lui avait pardonné d'avoir séduit sa fille, lui décerna le titre de Chao Fa Ruaเจ้าฟ้ารั่ว (7).
Une caractéristique notable du règne du roi Ramkhamhaeng fut l'ouverture de relations politiques directes avec la Chine. Kubilaï Khan, dans ses vieux jours, cherchait à consolider son pouvoir en se conciliant les souverains des États voisins qu'il n'avait pas jugé nécessaire de soumettre. En 1282, un mandarin chinois nommé Haw Chow Chi arriva à la Cour de Sukhothaï pour négocier un traité d'amitié entre la Chine et le Siam et, en 1294, le roi Ramkhamhaeng lui-même se rendit en visite chez l'empereur. Que n'a-t-il tenu un journal de son voyage ! On peut penser qu'il a apprécié sa visite, car il l'a répétée en 1300 et a ramené à cette occasion nombre d'artisans chinois qui ont créé les célèbres poteries de Sawankhalok, qui sont maintenant tellement recherchées par les collectionneurs. Le roi Ramkamhaeng ne rencontra pas Kubilaï Khan lors de sa deuxième visite en Chine, le vieil empereur étant décédé en 1295.
Le roi Ramkhamhaeng maintint des relations amicales avec ses voisins du nord, le roi de Lannathaï (Chiang Maï) et le prince de Phayao.
Mangraïมังราย, le roi du Lannathaï, naquit à Chiang Saenเชียงแสน en 1238, l'année même de la création du royaume siamois de Sukhothaï. La légende raconte qu'il vint au monde dans des circonstances miraculeuses et qu'il fut doté d'une force surhumaine et d'attributs semi-divins, mais au-delà de la légende, c'était certainement un homme remarquable. Dans sa jeunesse, il fonda la ville de Chiang Raïเชียงราย, où il régna pendant plusieurs années. En 1281, il attaqua et captura l'ancienne ville de Lamphunลำพูน, alors appelée Hariphunchaïหริภุญชัย, qui semble avoir été alors gouvernée par une dynastie môn vassale du roi du Cambodge. Lamphun ne satisfaisant pas à ses exigences en tant que capitale, il fonda en 1290 la ville de Wiang Kum Kamเวียงกุมกาม dont on peut encore voir les vestiges à huit kilomètres de Chiang Maï. Afin de remplacer ce site exposé aux inondations, la ville de Chiang Maï fut fondée en 1296.
Avant de jeter les bases de Chiang Maï, le roi Mangraï invita le roi Ramkhamhaeng et Khun Ngam Müangขุนงำเมือง, prince de Phayao, à choisir avec lui un site approprié. C'était chose facile : les deux souverains avaient entendu parler d'un lieu sur lequel on avait vu deux cerfs blancs qui bramaient et une souris blanche avec une famille de cinq souriceaux blancs. De tels présages ne devaient pas être négligés, et c'est à cet endroit que fut construite la ville (8).
L'amitié de ces trois potentats devait être particulièrement solide, car elle résista à de forts antagonismes. Le roi Ramkhamhaeng, comme beaucoup d'hommes illustres, ne pouvait résister à un joli visage. Quelques années avant la fondation de Chiang Maï, lors d'une visite qu'il rendit au prince Ngam Müang à Phayao, il fut surpris à accorder trop d'attention à la belle épouse du prince. Ngam Müang découvrit l'intrigue et se saisit du séducteur. Dans sa colère jalouse, sa première intention fut de tuer le coupable, mais, après réflexion, il décida de soumettre l'affaire à l'arbitrage du roi Mangraï (alors à Chiang Raï). Celui-ci se rendit aussitôt à Phayao où Ngam Müang lui exposa ses sujets de plainte. Le roi Mangraï lui fit prendre conscience de l'importance de maintenir l'amitié entre les trois États thaïs afin de résister à leurs ennemis communs, et le pressa de ne rien faire d'imprudent. Il alla trouver Ramkhamhaeng, qui admit sa faute, et il l'incita à s'excuser et à verser au prince Ngam Müang 990 000 cauris à titre de compensation. Ramkhamhaeng accepta et l'amitié entre les trois monarques devint plus solide encore que par le passé. Cet incident montre à quel point le roi Ramkhamhaeng méritait le titre de « Grand ». Un homme plus mesquin aurait cherché à se venger d'un voisin plus faible qui l'avait humilié, mais lui eut assez de noblesse d'âme pour admettre sa faute et s'en excuser auprès de l'homme qu'il avait blessé.
Concernant Ramkhamhaeng, on dit encore qu'il avait fait installer à Sukhothaï une cloche qui pouvait être sonnée par quiconque avait été lésé ou molesté et qui souhaitait faire appel à la justice du roi. Lorsque la cloche sonnait, le roi intervenait et procédait à une enquête sur les faits reprochés. Personne ne fit jamais appel en vain à ce grand et juste souverain.
C'est toutefois la refonte de l'alphabet siamois qui valut au roi Ramkhamhaeng de passer glorieusement à la postérité. Jusqu'à son époque, le Siam utilisait l'alphabet cambodgien. Ramkhamhaeng en modifia et en adapta les caractères pour les rendre plus propres à écrire des mots thaïs. L'alphabet qu'il mit au point est, dans ses caractéristiques essentielles, le même que celui utilisé de nos jours. Il a été mis en usage pour la première fois en 1283 (9).
On ignore la date exacte de la mort du roi Ramkhamhaeng, mais on sait qu'il vivait toujours en 1314. Cette année-là, il installa sur le trône de Pégou le petit-fils de Wareru (Makatho) et en fit son vassal avec le titre de Phra Chao Sen Müang Min. Le prince Damrong fixe la date de la mort du roi Ramkhamhaeng vers 1317. Si cette date est exacte, il mourut la même année que son ami le roi Mangraï de Chiang Maï qui avait régné pendant 59 ans. Le vieux prince de Phayao, Ngam Müang, vécut jusqu'en 1328. Il avait régné soixante ans. Dix ans après sa mort, Phayao cessa d'être un État indépendant et fut annexé à Chiang Maï (1338).
Le roi Ramkhamhaeng fut remplacé par son fils, qui régna sous le nom de Loethaïเลอไทย, et dont on ne sait pas grand-chose. Comme tant de fils des grands conquérants, il fut absolument incapable de défendre les possessions durement acquises par son père. À peine fut-il monté sur le trône que le roi de Pégou renia son allégeance, attaqua et captura Tavoy et Ténassérim. Loethaï tenta vainement de reprendre ces villes en 1330 (10).
De plus, au Siam même, une puissance rivale était née, qui allait à terme dominer tout le royaume. C'était la principauté de Suwannamphumสุวรรณภูมิ (11), ou Uthongอู่ทอง, gouvernée par un prince énergique, descendant des princes de Chiang Saen, et qui était probablement un parent éloigné du roi Mangraï. Avant la fin du règne du roi Loethaï, le prince d'Uthong avait annexé une grande partie des domaines du royaume de Sukhothaï, ainsi que des territoires de l'empire cambodgien qui n'avaient jamais été conquis, même par le roi Ramkamhaeng, notamment Lopburi, la vieille ville d'Ayodhya et Chanthaburiจันทบุรี.
En 1350, le prince d'Utong fonda une nouvelle ville à Ayutthaya et se proclama roi avec le titre de Ramathibodi Iรามาธิบดีที่ ๑. C'était le début de l'actuel royaume de Siam.
Le règne du roi Ramathibodi sera traité dans un autre chapitre, mais il convient d'abord de relater brièvement les événements qui marquèrent la fin du royaume de Sukhothaï. Le roi Loethaï mourut en 1347. Son fils, le prince Thammaracha Luethaïธรรมราชา ลือไทย, fut contraint de se battre pour défendre sa couronne contre des rebelles ou des conspirateurs qu'il vainquit et fit exécuter. Lorsqu'il monta sur le trône, le royaume s'était considérablement restreint, ne comprenant plus que les villes de Sukhothaï, Sawankhalokสวรรคโลก, Kamphaeng Phetกำแพงเพชร, Phitsanulokพิษณุโลก, Phichitพิจิตร et Nakhon Sawanนครสวรรค์, et quelques revendications de suzeraineté sur Phraeแพร่, Nanน่าน et Luang Prabangหลวงพระบาง (12).
Le roi Thammaracha ne chercha pas à recouvrer les domaines perdus de Sukhothaï, mais se consacra à des travaux religieux, tels que la construction de pagodes et de monastères, et chercha de toutes les manières possibles à promouvoir le bonheur et le bien-être de ses sujets. Il effectua des réformes religieuses avec l'aide de prêtres bouddhistes qu'il avait fait venir de Ceylan et fit élever à Sukhothaï plusieurs grandes statues du Bouddha. L'une d'elle, coulée en 1361, peut être vue aujourd'hui au Wat Suthatวัดสุทัศน์ à Bangkok.
Cette même année 1361, le roi Thammaracha Luethaï se fit prêtre bouddhiste. Cet événement frappa tellement l'esprit du public qu'il fut considéré comme étant la cause d'un tremblement de terre et de divers phénomènes qui se produisirent à peu près au même moment.
Le roi Thammaracha Luethaï fit faire de nombreuses routes et creuser plusieurs canaux. Il fit construire une route entre Sukhothaï et Sawankhalok, et d'autres pour relier sa capitale à Kamphaeng Phet et à d'autres villes secondaires. On disait de lui que sa miséricorde et sa charité étaient aussi immenses que les eaux de l'océan. Il aimait son peuple comme ses propres enfants. Il avait coutume de pardonner aux criminels, de leur donner les moyens de réparer leurs crimes et de les renvoyer chez eux. De son temps, il n'y avait pas d'esclaves dans tout le pays. Tous les hommes étaient libres et heureux. Sa renommée se répandit dans toutes les nations et des hommes affluèrent de toutes parts pour vivre en paix sous son règne miséricordieux (13).
Tammaracha Luethaï était un pacifiste. Au cours des rares occasions où il fut contraint de faire la guerre, comme lors d'une expédition qu'il entreprit contre Phrae et Nan en 1359, il acquit moins de renommée par ses exploits militaires que par l'humanité avec laquelle il traita ses prisonniers. En Orient, à cette époque, les prisonniers de guerre qui n'étaient pas massacrés étaient généralement réduits en esclavage. Mais ce roi n'avait nul besoin d'esclaves, aussi il soutint et nourrit ses prisonniers, et ne les laissa pas tomber dans la misère et la ruine.
Sic transit gloria mundi. Le nom même de ce grand et bon roi ainsi que toutes ses nobles actions ont été oubliés jusqu'en 1833, date à laquelle, après avoir été négligée pendant 500 ans, une inscription gravée relatant son règne fut déchiffrée. Thammaracha Luethaï fut également l'auteur d'un traité de cosmologie bouddhiste découvert et publié en 1912. Cet ouvrage s'intitule Traiphumikathaไตรภูมิกถา (14) et porte, dans son style et dans son esprit, l'empreinte de la personnalité de son auteur.
Tammaracha Luethaï fit bâtir des palais et d'autres bâtiments publics dont on peut encore voir les ruines à Sukhothaï. Il était aussi astronome, il réforma le calendrier et créa une école dans son palais pour l'enseignement de l'astrologie, dont il était féru. La date exacte de sa mort n'est pas connue, ce fut probablement vers 1370. Son fils, le prince Saïไส, lui succéda et prit lui aussi le titre de Thammaracha, titre qui devint une sorte de générique pour les souverains de Sukhothaï et Phitsanulok.
Après un règne de huit ans, le roi Thammaracha II (Saï) fut contraint de devenir vassal du roi d'Ayutthaya. Cet événement marqua la fin du royaume thaï indépendant de Sukhothaï, après 132 ans d'existence. Sa grandeur fut principalement l'œuvre du roi Ramkhamhaeng. Si ses successeurs avaient été des guerriers de sa trempe, le royaume existerait peut-être encore aujourd'hui.
Les rois de Sukhothaï continuèrent à régner pendant quelques années en tant que vassaux d'Ayuttaya. Thammaracha II régna jusqu'en 1406 environ. Son fils, Thammaracha III, probablement un enfant, lui succéda, car il est écrit qu'en 1409, la reine mère assista à la consécration d'un grand prêtre. Il mourut en 1419. Le roi suivant, Thammaracha IV, semble avoir été un frère de Thammaracha III. Il n'était qu'un gouverneur héréditaire de Sukhothaï et ses successeurs ne méritèrent guère le titre de roi ; cependant, comme nous le verrons plus tard, un descendant de cette famille était destiné, en 1568, à devenir roi de Siam et à raviver le titre de Thammaracha.
NOTES
1 - N.d.T. : Selon les Chroniques de Chiang Maï, Müang Fang fut fondé en 641 par le roi lawa Changkarat (จังกราช). Peut-être est-ce le même, Phrom étant le nom du dieu hindouiste Brahma, utilisé comme un surnom. ⇑
2 - Note de l'auteur : Alors appelée Jalieng. ⇑
3 - Note de l'auteur : Au nord de Raheng (ระแหง), à la confluence de la Ménam Ping (แม่น้ำปิง) et de la Ménam Wang (แม่น้ำวัง). ⇑
4 - Note de l'auteur : Suphan (สุพรรณ). ⇑
5 - Note de l'auteur : Aujourd'hui appelé Lopburi (ลพบุรี). ⇑
6 - N.d.T. : Le texte de Wood n'est pas très clair ici, et j'ai dû le modifier légèrement pour le rendre plus compréhensible. Pour ce faire, je me suis appuyé sur l'ouvrage de Georges Cœdès The Indianized States of Southeast Asia, Australian National University Press, 1975, pp. 205-206. Je n'ai malheureusement pas pu me procurer la version française originale : Les États hindouisés d'Indochine et d'Indonésie publiée en 1948 par E. de Boccard, et j'ai dû me contenter de la traduction anglaise de Susan Brown Cowing. ⇑
7 - Note de l'auteur : Wareru (ฟ้ารั่ว) dans l'histoire birmane. Il est relaté que le roi de Siam lui envoya en présent un éléphant blanc. C'est peu probable, car les rois de Siam n'offraient jamais d'éléphants blancs à leurs princes vassaux. ⇑
8 - Note de l'auteur : Il y avait probablement une ville plus ancienne près du site de Chieng Maï, qui, selon certains historiens, se serait appelée Lamaing. Les ruines du temple Wat Chet Yot (วัดเจ็ดยอด) datent d'avant l'époque du roi Mangraï. ⇑
9 - Note de l'auteur : L'alphabet du roi Ramkhamhaeng a été adopté partout au Siam, y compris à Chiang Maï et dans ses dépendances. L'actuel alphabet occidental lao est une forme plus moderne, corrompue par l'influence birmane. En réalité, c'est simplement un vestige marqué par la domination étrangère. L'alphabet de Luang Prabang est une forme dérivée de l'alphabet de Ramkhamhaeng. ⇑
10 - Note de l'auteur : Les annales birmanes rapportent que Tavoy et Ténassérim furent repris par le Siam. C'était probablement l'œuvre du roi Ramathibodi (รามาธิบดี) d'Ayutthaya. ⇑
11 - Note de l'auteur : Près de l'actuelle Suphan (สุพรรณ). ⇑
12 - Note de l'auteur : Il semble avoir été couronné roi, ou vice-roi de Sawankhalok (สวรรคโลก) en 1340. ⇑
13 - Note de l'auteur : Cette citation est extraite d'un inscription sur pierre en langue khmère, découverte en 1833 par le prince Maha Mongkut (futur Rama IV), et traduite par le Prince Pawaret. Cette pierre s'est tellement effritée depuis qu'une grande partie de l'inscription a disparu pour toujours. Il y a des raisons de supposer que la traduction du prince Pawaret n'était pas très exacte. Pour une traduction française de cette inscription dans son état actuel, et d'autres inscriptions en relation avec les rois de Sukhothaï, voir le Recueil des inscriptions du Siam du professeur Georges Cœdès, publiées en siamois et en français, vol. I, Bangkok, 1924. ⇑
14 - N.d.T. : Sermon sur les Trois mondes. ⇑
19 août 2019