CHAPITRE IX
Règne du roi Maha Thammaracha
Bayinnaungบุเรงนอง resta à Ayutthayaอยุธยา pour assister à l'avènement de son vassal, Maha Thammarachaมหาธรรมราชา, qui fut couronné avec le titre de Phra Sri Sanphetพระศรีสรรเพชญ์. Au regard de son ascendance, ce monarque était un occupant légitime du trône du Siam. Sa mère était apparentée à la famille royale d'Ayutthaya et son père descendait des rois de Sukhothaïสุโขทัย. Son arrivée au pouvoir était cependant liée, dans l'esprit de son peuple, à la décadence du royaume et, au cours des premières années de son règne, on peut supposer qu'il fut un objet de mépris, voire de haine pour ses sujets.
Le roi de Birmanie déplaça la plus grande partie de la population d'Ayutthaya et démantela les défenses de la ville. La capitale vaincue et impuissante ne compta bientôt plus que 10 000 habitants. Beaucoup de Siamois durent alors penser que la grandeur de leur pays était irrémédiablement perdue et que seul un miracle pourrait leur rendre la liberté. Et de fait, comme nous le verrons, le pouvoir de résilience dont ce peuple fit preuve fut tout simplement miraculeux.
Au cours des quinze années suivantes, le Siam ne fut guère davantage qu'une province de Birmanie. Des fonctionnaires birmans résidaient à Ayutthaya et dans d'autres centres importants, et de nombreuses lois et institutions furent imposées au royaume. L'ère birmane, instaurée par Thinga RachaPopa Sawrahan, un souverain qui avait usurpé le trône de Pagan en 638, fut introduite au Siam à cette époque pour remplacer l'ancienne ère Mahasakaratมหาศักราช (1). Cette ère, connue sous le nom de Chulasakaratจุลศักราช (2) ou Petite Ère, a été utilisée jusqu'en 1887. Elle n'est pas encore complètement obsolète.
L'introduction du Dhammathat ou Code de Manu date probablement à la même époque. Ce code juridique, sans doute parfaitement adapté aux besoins de la société brahmanique indienne de 600 av. J.-C. (3), était difficilement transposable au Siam bouddhiste du XVIe siècle de l'ère chrétienne. À l'heure actuelle, les Siamois se sont presque totalement libérés de l'influence paralysante de cette législation anachronique, mais les Birmans les plus conservateurs l'appliquent toujours (4).
Le conflit entre le Siam avec la Birmanie donnait au Cambodge une bonne occasion de régler de vieux comptes (5). L'année suivant la chute d'Ayutthaya, le roi Barom RachaBarom Reameathibtei : บรมรามาธิบดี du Cambodge envahit le Siam, pensant sans doute qu'il pourrait s'emparer facilement de la capitale sans défense et rentrer chez lui avec beaucoup de prisonniers et un gros butin. C'était une erreur : les Siamois opposèrent une résistance acharnée et les Cambodgiens furent forcés de se retirer après avoir subi de lourdes pertes. Cette invasion et d'autres qui eurent lieu au cours des quelques années suivantes montrent clairement la faiblesse du Siam à cette époque. Le Cambodge n'était plus un adversaire redoutable depuis la fondation d'Ayutthaya, ayant toujours occupé une position d'État vassal.
L'invasion cambodgienne se révéla être une bénédiction, car elle servit de prétexte au roi Maha Thammaracha pour renforcer les défenses d'Ayutthaya sans exciter la méfiance du roi de Birmanie. Le roi de Siam, en effet, n'était pas homme à se résigner à cet état de sujétion, et il saisit l'opportunité avec empressement, faisant élever de nouveaux murs, creuser des canaux et achetant des canons aux Portugais et à d'autres étrangers.
Nous devons maintenant présenter le héros et le guerrier le plus célèbre de l'histoire siamoise : Naresuanนเรศวร le Grand. Né en 1555, ce prince était le fils aîné du roi Maha Thammaracha. Après l'invasion du Siam par Bayinnaung en 1564, il fut emmené otage en Birmanie pour garantir la loyauté de son père - une précaution qui semble avoir eu le résultat souhaité. En montant sur le trône, Maha Thammaracha donna une de ses filles en mariage à Bayinnaung et demanda en échange l'autorisation pour son fils de revenir dans le royaume. La demande fut acceptée et le jeune prince, alors âgé de seize ans, rentra chez lui en 1571. Il fut nommé Maha Uparatมหาอุปราช [prince héritier] et gouverneur de Phitsanulokพิษณุโลก, conformément à l'ancienne coutume.
Naresuan fut surnommé le Prince noir, et son frère cadet, Ekathotsarotเอกาทศรถ, né vers 1568, le Prince blanc. Comme on le verra, le Prince noir de Siam était digne de notre Prince noir anglais (6).
En 1574, le roi de Birmanie entreprit l'invasion de Vientiane et contraignit le roi de Siam et le prince Naresuan à l'accompagner, le prince Ekathotsarot assurant la régence à Ayutthaya. Sur le chemin, Naresuan tomba malade de la variole. Les Birmans se rendirent donc à Vientiane sans leurs auxiliaires siamois (7).
En 1575 et 1578, le Siam dut faire face à de nouvelles invasions cambodgiennes (8). Les assaillants furent repoussés à deux reprises, mais ils réussirent à capturer un grand nombre de prisonniers. Le Siam, dans son état de dépeuplement, aurait difficilement pu supporter longtemps cette perte constante de ses forces vives. Au cours de ces assauts cambodgiens, le jeune Prince noir eut plusieurs occasions de faire valoir ses capacités militaires et son courage.
Après l'invasion cambodgienne de 1578, Phraya Chin Chantuพระยาจีนจันตุ, un espion cambodgien qui s'était établi à Ayutthaya en se faisant passer pour un réfugié politique, s'échappa de la ville. Le Prince Noir et son jeune frère le poursuivirent. Un combat s'ensuivit, au cours duquel Naresuan étonna tous les témoins par son mépris du danger. À partir de ce moment, il commença à être considéré, tant au Siam qu'en Birmanie, comme le seul homme capable de libérer son pays de la domination birmane.
La princesse Maha Tewiมหาเทวี, régente de Chiang Maï, mourut en 1578. Bayinnaung nomma alors Tharawadi MinNawrahta Minsaw : นรธาเมงสอ, l'un de ses fils, prince vassal de Chiang Maï, avec le titre de Nohrata Zaw.
En 1580, prenant pour prétexte la menace cambodgienne, Maha Thammaracha commença à améliorer les fortifications d'Ayutthaya. La même année, une rébellion sérieuse éclata dans l'est du Siam. Son chef, Yan Prachienญาณพิเชียร, vainquit et tua le général qui avait été envoyé contre lui. Il attaqua ensuite Lopburiลพบุรี, mais fut tué au combat, après quoi les insurgés furent dispersés. Plus tard dans la même année, le roi du Cambodge attaqua et captura Phetchaburiเพชรบุรี, faisant prisonniers la plus grande partie de la population. En 1582, une autre incursion cambodgienne fut menée dans l'est du Siam.
L'histoire siamoise n'évoque que très peu la condition du peuple. On se doute toutefois qu'à cette époque, il avait atteint le dernier degré de misère et d'accablement. De nombreux hommes avaient été tués dans les guerres et des milliers d'autres avaient été emmenés en esclavage en Birmanie et au Cambodge. On peut supposer que le peu qui restait était tout juste capable d'assurer la récolte de riz année après année, et tous devaient travailler comme des esclaves pour payer le tribut dû au roi de Birmanie.
Le jour de la délivrance était proche. Au mois de décembre 1581, le roi Bayinnaung de Birmanie mourut. Il avait 66 ans et régnait depuis 31 ans. L'empire birman, dont les éléments hétérogènes n'avaient été unis que par la forte personnalité de leur roi, tomba dans les mains de son fils, Nanda Bayinนันทบุเรง, un homme qui possédait toute la rudesse et la cruauté de son père, mais rien de ses capacités à gouverner ni de ses compétences militaires.
Après son couronnement, l'une des premières décisions de Nanda Bayin fut d'appeler tous les rois et princes vassaux de Birmanie à venir en personne lui rendre hommage. Le roi de Siam ne put y aller et se fit représenter par le prince Naresuan. Alors que le prince siamois était en Birmanie, une rébellion éclata à Müang Khangเมืองคัง, dans les États shans. Pour soumettre la ville rebelle, le roi de Birmanie dépêcha Naresuan à la tête d'une armée siamoise, ainsi que deux princes birmans. Le Prince noir de Siam réussit à prendre la ville après que les deux princes birmans eurent lamentablement échoué. Ce succès n'accrut pas sa popularité à la cour birmane. Ses relations avec le prince héritier se tendirent et il revint au Siam à la fin de 1582 (9). Ce séjour en Birmanie lui avait permis de prendre la mesure de la faiblesse interne du royaume et, à son retour, il fut bien décidé à frapper un grand coup dès que l'occasion se présenterait de reconquérir la liberté de son pays.
Au cours de l'année 1583, la Birmanie prépara la guerre. La route traversant la frontière menant à Kamphaeng Phetกำแพงเพชร fut rénovée et d'importantes réserves d'approvisionnement destinées à l'armée d'invasion furent emmagasinées à Kamphaeng Phet, qui faisait alors partie du royaume du prince birman de Chiang Maï.
En 1584, des tensions apparurent entre Nanda Bayin et son beau-frère, le prince d'Ava, dont une fille était mariée au prince héritier birman (10). Cette princesse se plaignit auprès de son père d'être maltraitée. Le prince d'Ava résolut de se rebeller et invita d'autres princes sujets de Birmanie à le rejoindre. Le complot fut éventé, et Nanda Bayin attaqua immédiatement Ava, laissant le prince héritier régent à Hanthawadi.
Naresuan reçut l'ordre de participer à cette expédition et Nanda Bayin jugea que c'était là une excellente occasion de se débarrasser d'un homme qui menaçait de devenir un redoutable adversaire. Il chargea donc deux nobles de Pégou de rejoindre le prince siamois à la frontière, de l'accompagner en Birmanie et de l'assassiner pendant le voyage.
Les deux dignitaires rejoignirent Naresuan à Müang Khraengเมืองแครง, mais il furent si touchés par la jeunesse et le courage du jeune homme qu'ils renoncèrent à accomplir leur infâme mission et révélèrent tout le complot au prince. Naresuan convoqua une réunion de tous ses généraux et des principaux responsables de Peguan et leur déclara ouvertement qu'il mettait fin, au nom de son père, à l'allégeance du Siam envers la Birmanie. Cette déclaration importante fut faite à Müang Khraeng au mois de mai 1584.
Tout au long de la frontière, une grande partie de la population se joignit au prince Naresuan, qui marcha sur Hanthawadi à la tête d'une force considérable et assiégea la ville. Cependant, peu de temps après, il apprit que Nanda Bayin avait vaincu le prince d'Ava et revenait dans sa capitale. Naresuan espérait affronter une armée en déroute, et c'était une armée victorieuse qui approchait. Il dut admettre qu'il n'était pas prêt pour cela et revint donc au Siam, emmenant avec lui un grand nombre de prisonniers. La majorité d'entre eux étaient des Siamois qui avaient été capturés par les Birmans lors des guerres précédentes et forcés de s'installer à Pégou.
Le roi de Birmanie, exaspéré par cette action, dépêcha aussitôt une armée commandée par le prince héritier pour poursuivre les Siamois. Naresuan les vainquit sur les rives de la rivière Sittaungแม่น้ำสะโตง (11) et tua Surakammaสุรกรรมา, un général birman. Ce fut la première victoire des Siamois contre les Birmans depuis de nombreuses années.
Ce succès fut bientôt suivi d'un autre. Nanda Bayin demanda la remise d'un certain nombre de prisonniers shans qui avaient fui la Birmanie pour se rendre à Phitsanulok. Le Prince Noir refusa avec orgueil et affirma ouvertement l'indépendance du Siam. Une armée birmane marcha sur Kamphaeng Phet pour contraindre les Shans à se rendre. Le Siam envoya une armée du nord à sa rencontre, et les Birmans furent repoussés de l'autre côté de la frontière.
Les gouverneurs de Sawankhalok et de Phichaïพิชัย, craignant les représailles du roi de Birmanie, refusèrent de participer à cette opération, estimant qu'il était plus sûr de se rebeller contre leur propre roi. Ils se fortifièrent dans Sawankhalokสวรรคโลก, mais la ville fut prise d'assaut par le Prince Noir et les deux chefs rebelles furent capturés et exécutés. À peu près à la même époque, le roi Sattha du Cambodge décida qu'il serait bon de faire alliance avec le Siam. Il envoya donc des émissaires à Ayutthaya, qui réussirent à conclure un traité entre les deux royaumes.
Nanda Bayin se prépara alors pour une grande invasion du Siam et les Siamois, pleinement conscients de ses intentions, se mirent en état de lui résister. Trois armées furent levées, une sous le commandement de Phraya Chakriพระยาจักรี, une autre sous celui du gouverneur de Sukhothaï et la troisième dirigée par les deux princes siamois. Il est peu probable que le total des forces mobilisées ait dépassé 50 000 hommes et ce nombre n'a pu être atteint qu'en déplaçant la quasi-totalité de la population des provinces du nord jusqu'à Ayutthaya. Ainsi, toute la force du royaume était concentrée dans le district qui entourait immédiatement la capitale. La récolte de riz sur la route probable de l'ennemi fut soit emportée, soit détruite, comme tout ce qui pouvait faciliter sa marche.
En décembre 1584, une armée birmane de 30 000 hommes déferla sur le Siam par la route des Trois Pagodes. Elle était commandée par le prince de Bassein, un oncle du roi de Birmanie. Le plan de campagne était d'avancer jusqu'à Ayutthaya, où ces forces devaient être rejointes par une autre armée de 100 000 hommes, commandée par le prince birman de Chiang Maï. Le plan fit long feu. L'armée du prince de Bassein arriva à Suphanสุพรรณ bien avant que la force de Chiang Maï soit en mesure de l'épauler et, après plusieurs combats, elle fut repoussée avec de grandes pertes.
Le prince de Chiang Maï n'arriva au Siam qu'en février 1585, environ quinze jours après la défaite de l'armée du prince de Bassein. Il campa à Chaïnatชัยนาท et, après avoir perdu un grand nombre d'hommes du fait de la guérilla constante menée par les Siamois, il se retira à Kamphaeng Phet sans même avoir tenté aucun engagement sérieux.
Nanda Bayin imputa l'entière responsabilité de cet échec à Tharawadi Min, dont la marche depuis Chiang Maï avait été si lente. Il lui ordonna de se rendre une nouvelle fois à Nakhon Sawanนครสวรรค์, afin de se préparer à une nouvelle grande invasion du Siam au cours de la prochaine saison froide. Ces préparatifs devaient consister à détruire les cultures et à empêcher les populations proches d'Ayutthaya de cultiver leurs champs. Tout en détruisant ainsi les réserves siamoises, le ravitaillement birman devait être assuré par des cultures de riz dans les provinces dépeuplées du nord du Siam. Le prince héritier de Birmanie, avec 50 000 hommes, était cantonné à Kamphaeng Phet afin d'aider à ces préparatifs.
Le prince de Chiang Maï établit son camp au village de Sraketสระเกศ, près d'Ang Thongอ่างทอง, mais Naresuan n'était pas homme à laisser les Birmans effectuer leurs préparatifs sous son nez même. Le prince de Chiang Maï fut attaqué et défait à plusieurs reprises. Finalement, en avril 1586, son armée tomba dans une embuscade tendue par l'armée siamoise qui feignit de faire retraite. Il fut mis en déroute, perdant 10 000 hommes, 120 éléphants et 400 bateaux. Tharawadi Min lui-même échappa de justesse au Prince Noir. Il pu s'enfuir à temps, laissant tous ses biens personnels à la merci des Siamois (12).
Ce fut une victoire très importante, notamment par la capture de plusieurs milliers de prisonniers laos qui avaient une valeur inestimable pour le Siam manquant cruellement de main-d'œuvre pour cultiver les rizières. Les conditions pour résister à l'invasion birmanie étaient alors meilleures qu'elles ne l'avaient jamais été depuis le règne du roi Chakrapphatจักรพรรดิ.
Le roi du Cambodge avait envoyé une armée sous le commandement de son frère, le prince Sri Suphanmaศรีสุพรรณมา, pour participer à l'attaque du prince de Chiang Maï. C'était la première fois que le Siam et le Cambodge agissaient ensemble et le résultat fut malheureux. Le Prince Noir accusa le prince Sri Suphanma de lui avoir manqué de respect lors du voyage de retour à Ayutthaya et fit exposer les têtes coupées de certains prisonniers laos près de son bateau. À son retour au Cambodge, le prince cambodgien se plaignit auprès de son frère du mauvais traitement qu'il avait reçu. Le roi Sattha en fut profondément offensé et se détermina à rompre l'alliance avec le Siam dès que l'occasion s'en présenterait.
Malgré l'échec des opérations préliminaires prévues par le roi Nanda Bayin, l'invasion du Siam fut lancée en novembre 1586. La force birmane se composait cette fois de 250 000 hommes et aurait dû être en capacité, avec un bon commandement, d'écraser toute opposition siamoise. Cette troupe immense était divisée en trois corps d'armée, l'un commandé par le roi de Birmanie lui-même, l'autre par le prince héritier et le troisième par le prince de Taungu (13).
Les Siamois avaient eu amplement le temps de se préparer à la résistance. Toute la population disponible fut rassemblée à Ayutthaya et toutes les cultures furent récoltées ou détruites. Des petits groupes d'hommes furent constitués, sous la conduite de chefs expérimentés dans la tactique de la guérilla, afin de harceler les Birmans chaque fois que l'occasion se présenterait. Aucune tentative ne fut faite pour défendre les provinces environnantes, sauf vers le sud, où il était évidemment primordial de maintenir la communication avec la mer.
Au début de janvier 1587, les trois armées birmanes convergèrent simultanément à Ayutthaya, depuis le nord, l'ouest et l'est. Le siège dura jusqu'en mai, et fut mémorable par les initiatives et le courage dont firent preuve le prince Naresuan et son jeune frère. Ce dernier échappa de peu à une balle birmane, et le premier lança continuellement des raids sur les camps birmans, souvent à pied, conduisant ses hommes là où les combats étaient les plus ardents et toujours insensibles au danger et à la fatigue. Sans aucun doute, ce fut l'exemple ainsi donné par le prince Naresuan, et lui seul, qui incita les siamois à s'opposer si farouchement à des forces qui semblaient écrasantes. À la fin, le roi de Birmanie, découragé par ses lourdes pertes, confronté aux spectres de la famine et de la maladie et craignant que les problèmes ne s'aggravent au début de la saison des pluies, se retira en Birmanie (14). À partir de ce moment, l'indépendance du Siam parut assurée.
Le résultat de ce siège fut désastreux pour le roi Sattha du Cambodge. Déterminé à venger les torts réels ou imaginaires de son frère, il envahit le Siam au début de 1587 et captura Prachinปราจีน. Dès que la menace birmane fut écartée, Naresuan chassa les Cambodgiens de Prachin et les poursuivit jusque dans leur propre pays. Battambangพระตะบอง et Pursatโปสัต furent capturés et les Siamois avancèrent à Lowek, la capitale du Cambodge. Faute de ravitaillement, ils furent contraints de se retirer, mais à partir de ce moment, le Prince Noir décida de se venger du roi Sattha. Étant lui-même homme de parole, la conduite du monarque cambodgien, qui considérait le traité de 1585 comme un bout de papier, était à ses yeux une perfidie digne d'un châtiment exemplaire.
Le roi Maha Thammaracha mourut en juillet 1590. Il avait 75 ans et régnait depuis 21 ans. Entreprenant et patriote dans sa jeunesse, il devint un traître à son pays à l'âge mûr, et monta sur le trône alors que le Siam était tombé dans un état de déliquescence dont il était lui-même largement responsable. En tant que roi, il semble avoir été apathique, laissant sagement la conduite des affaires à ses fils. Il vécut assez longtemps pour voir le Siam redevenir libre, mais il dut souvent penser avec tristesse que c'était ses enfants, et non lui-même, qui avaient brisé les chaînes qu'il avait contribué à forger.
NOTES
1 - Note de l'auteur : L'ère Mahasakarat a été introduite dans le sud de l'Inde par le roi Kanishka en l'an 78 après J.C. Elle fut probablement introduite au Siam et au Cambodge par les missionnaires du roi Kanishka (voir chapitre n° II).
N.d.T. : L'ère Mahasakarat (MS), ou Grande Ére débutait en 78 après J.-C. L'ère Chulasakarat (CS), ou Petite Ére débutait en 638 après J.-C. La Thaïlande utilise aujourd'hui l'ère Buddhasakarat (BS, généralement indiquée par les lettres BE - Buddhist Era) et la fait débuter en 543 avant J.-C. (Sources : J.C. Eade : The Calendrical Systems of Mainland South-East Asia, Brill, 1995, pp. 15 et suiv.) ⇑
2 - Note de l'auteur : La légende siamoise selon laquelle l'ère Chulasakarata aurait été introduite par le roi Ramkhamhaeng de Sukhothaï ne peut pas être sérieusement prise en considération. Toutes les inscriptions gravées de Ramkhamhaeng et de ses successeurs utilisent seulement l'ère Mahasakarat. ⇑
3 - N.d.T. : Cette datation du Code de Manu, qui fut longtemps admise, est aujourd'hui contestée. On estime que ces lois pourraient dater du IIe ou IIIe siècle de notre ère. Voir notamment Patrick Olivelle, Manu's Code of Law: A Critical Edition and Translation of the Mānava-Dharmaśāstra, Oxford University Press, 2005, p. 20 et suivantes. ⇑
4 - Note de l'auteur : Le Dhammathat fut introduit en Birmanie sous le règne du roi Wareru de Pégou (1287-96). La version aujourd'hui en usage fut élaborée sous le règne de Thado Thammaracha (Thalun) (1629-48). ⇑
5 - Note de l'auteur : On se souviendra de la belette écossaise dépeinte par Shakespeare (Henri V, Acte I, scène 2). ⇑
6 - N.d.T. : Édouard Plantagenêt, ou Édouard de Woodstock (1330-1376), fils aîné d'Édouard III d'Angleterre et de Philippa de Hainaut. ⇑
7 - Note de l'auteur : C'était la deuxième invasion birmane de Vientiane – dans le territoire de Luang Prabang – depuis la chute d'Ayutthaya. La première eut lieu en 1569-70. Le roi Chaï Chetta, comme d'habitude, se réfugia dans la jungle avec la plus grande partie de la population, et les Birmans se retirèrent, après avoir gravement souffert de la famine et de la maladie. En 1571, le roi Chaï Chetta, alors qu'il était engagé dans une guerre au Cambodge, se perdit dans la jungle et ne fut jamais revu – un châtiment, peut-être, pour avoir dérobé à Chiang Maï les plus précieuses statues de Bouddha. Après quelques troubles, un très jeune fils de Chaï Chetta fut établi roi, avec un certain Phraya Sri Suren Kwang Fa comme régent. Le roi de Birmanie incita le régent à abdiquer en faveur d'un frère de Chaï Chetta qui était prisonnier en Birmanie depuis l'invasion de 1565. Le régent ignora cette demande, d'où l'invasion de 1574, qui eut pour conséquence la capture du prince Noh Keo et le couronnement du frère du roi Chaï Chetta, en tant que vassal de la Birmanie. Ceci montre la puissance atteinte par l'empire de Bayinnaung. Vientiane se libéra du joug birman en 1595. ⇑
8 - Note de l'auteur : Le roi Borommoracha du Cambodge mourut en 1576. Son fils lui succéda avec le titre de Phra Sattha. ⇑
9 - Note de l'auteur : Selon certaines relations, il se serait échappé et aurait été poursuivi jusqu'à la frontière. ⇑
10 - N.d.T. : Ce prince héritier, que Wood mentionne souvent sans jamais citer son nom, était Mingyi Swa (มังกะยอชวา), fils du roi Nanda. Selon l'histoire siamoise, il aurait été tué par Naresuan en combat singulier lors de la 5ème invasion du Siam par la Birmanie en 1592. ⇑
11 - Note de l'auteur : Selon l'histoire birmane, le prince héritier suivit les Siamois jusqu'à Ayutthaya, où il fut battu. La version siamoise paraît plus vraisemblable. Le mousquet utilisé par le prince Naresuan à cette occasion fit partie pendant de nombreuses années des insignes de la royauté du Siam, et était appelé Mousquet de la bataille de la rivière Sittaung. ⇑
12 - Note de l'auteur : L'histoire birmane ne fait aucune mention de cette défaite, mais nous pouvons lire dans les Annales de Chiang Maï : Dans l'année 947 (1585-6), le roi de Birmanie ordonna à Chiang Maï d'attaquer Ayutthaya. Quand l'armée de Chiang Maï fut proche d'Ayutthaya, les Siamois la battirent et la dispersèrent. Beaucoup d'hommes, d'éléphants, de chevaux et d'armes furent perdus. L'armée fit retraite à Chiang Maï. ⇑
13 - Note de l'auteur : Le frère de Bayinnaung. Le prince de Chiang Maï avait la preuve de son incompétence en tant que général, aussi il fut placé au département de la logistique. D'après le résultat, il semblerait qu'il y ait semé une belle pagaille. ⇑
14 - Note de l'auteur : L'histoire siamoise indique que Nanda Bayin assiégea deux fois Ayutthaya, une fois au début de l'année 1587, et ensuite au début de l'année 1588, mais elle ne donne pas de détails sur le second siège. L'histoire birmane ne mentionne pas ce second siège. L'auteur en conclut qu'il n'y eut qu'un siège. ⇑
19 août 2019