CHAPITRE XI
Règnes des rois Ekathotsarot et Songtham (Intharacha II)
Le roi Ekathotsarotเอกาทศรถ, en dépit de ses exploits militaires sous le règne de son frère, s'avéra être un homme de paix. Durant les cinq années de son court règne, le Roi blanc, ainsi que l'appelaient certains auteurs européens, se consacra davantage à la réorganisation des finances du Siam qu'à la poursuite d'activités guerrières. C'est ainsi qu'il acquit, chez les étrangers, une réputation d'homme cupide.
L'histoire siamoise nous apprend qu'il imposa un nouvel impôt dont la nature exacte n'est pas connue. Il semble qu'il s'agissait d'une taxe sur les boutiques et les marchés, probablement un des premiers impôts levés au Siam. La plus ancienne forme d'imposition était alors le tribut acquitté par les provinces ou les par les États inféodés au roi. Ces tributs pouvaient être purement symboliques – comme par exemple les arbres d'or et d'argent que certains rajas malais envoient encore actuellement – ou effectifs, comme des chargements de bois, de riz ou de fruits. Au cours des dernières années, il est devenu courant de faire des paiements en espèces, non seulement pour monnayer ces hommages, mais également pour rétribuer les services personnels dus par des particuliers au gouvernement. La taxe sur les boutiques et les marchés du roi Ekathotsarot fut sans doute le premier impôt levé en espèces, et c'est peut-être ce nouveau système d'imposition qui lui valut cette réputation de cupidité.
Sous le règne d'Ekathotsarot, des navires et des marchands hollandais commencèrent à se rendre au Siam, et en 1608, des ambassadeurs siamois furent envoyés en Hollande et reçus en audience par le prince Maurice de Nassau.
Des relations amicales furent également entretenues avec les Portugais. En 1606, Balthazar de Sequeira, le premier missionnaire jésuite portugais, arriva à Ayutthaya. Depuis Ténassérim, par voie terrestre, il avait fait un voyage exaltant, rencontrant en chemin rhinocéros, éléphants et tigres, dont l'un mit en pièces un de ses compagnons sous ses yeux. La même année, une ambassade du Siam fut envoyée au vice-roi portugais à Goa.
Un très grand nombre de Japonais s'installèrent au Siam sous le règne d'Ekathotsarot. Ils furent bien reçus par le roi, qui créa un régiment de gardes du corps nippons commandé par Yamada Nagamasa, personnage qui prit ensuite une place si importante dans l'histoire du royaume. Sur les conseils de Yamada, des relations amicales furent établies entre le roi de Siam et Iyeyesu Minamoto, le shogun du Japon. Compliments et présents furent échangés à plusieurs reprises. Il est intéressant de noter que le shogun était très désireux de se procurer des armes à feu et des munitions auprès du Siam et qu'il déclara que la poudre à canon siamoise était d'une surprenante bonne qualité.
À la fin de son règne, Ekathotsarot désigna son fils aîné, le prince Suthatสุทัศน์, comme Maha Uparatมหาอุปราช [prince héritier]. À peine le jeune prince fut-il honoré de cette charge qu'il fut accusé par un certain Phraya Naï Waï de comploter pour s'emparer du trône. Le roi semble avoir été très troublé par cette accusation. Il fit exécuter son fils (1), et peu de temps après, vers la fin de l'année 1610, il mourut lui-même, en proie au remords (2).
À en juger par les archives siamoises, le roi Ekathotsarot laisse une image plutôt positive, mais ses contemporains étrangers le présentaient comme un homme odieux, cruel, cupide et méfiant.
Le roi Ekathotsarot fut remplacé par le prince Intharachaอินทราชา, l'un de ses fils et d'une de ses épouses de rang inférieur. Ce prince était depuis quelque temps prêtre bouddhiste et portait le nom de Phra Wimon Thamพระวิมลธรรม (Vimaladhammaวิมลธรรมภาณ). Il est généralement appelé Songthamทรงธรรม, le Roi Juste (3).
La première décision du nouveau monarque fut d'ordonner l'exécution de Phraya Naï Waï, qu'il considérait responsable de la mort du prince Suthat. Les 280 partisans japonais du Phraya se rebellèrent immédiatement, pénétrèrent de force dans les appartements privés du roi et l'obligèrent à signer avec son sang un traité déshonorant par lequel il accordait toutes les exigences des insurgés. Parmi celles-ci, les Japonais demandaient qu'on leur livrât quatre dignitaires qui s'étaient rendus odieux à leurs yeux, l'octroi de divers privilèges résidentiels et commerciaux et la remise de quelques-uns des principaux prêtres du royaume en garantie des promesses royales. Les malheureux dignitaires, après s'être rendus aux Japonais, furent immédiatement massacrés. Les rebelles saccagèrent ensuite la ville d'Ayutthayaอยุธยา et se retirèrent avec un gros butin, après beaucoup de violence. (Floris). Ils se rendirent ensuite à Phetchaburiเพชรบุรี, où leur chef s'établit quasiment en roi indépendant.
Une invasion menée par Phra Wongsaพระวงศา, roi de Luang Prabangหลวงพระบาง, vint encore ajouter à la confusion dans laquelle ces troubles avaient plongé le royaume. Dans le but apparent d'expulser les Japonais, l'armée du roi Wongsa marcha sur Lopburiลพบุรี. Le roi Songtham ne fut pas dupe de ce prétexte. Il leva une importante armée et commença par attaquer les Japonais à Phetchaburi, les chassant de cette forteresse ; puis, le 5 avril 1612, il livra bataille aux forces de Luang Prabang et les mit en déroute. Toute l'armée s'enfuit en désordre et le roi Wongsa lui-même faillit être capturé. Il fut contraint d'abandonner son éléphant, qui tomba entre les mains des siamois, mais il réussit à s'enfuir à cheval.
Il semblerait que le Roi Juste n'ait pas entièrement renié les promesses qu'il avait été contraint de faire aux Japonais. Ils ne furent pas tous expulsés du royaume et nous savons qu'un contingent de gardes du corps nippons fut encore employé dans l'armée, sous le commandement de Yamada, qui était en grande faveur et portait le titre d'Okya Senaphimukออกญาเสนาภิมุข (4).
L'année 1612 est importante à un autre égard. Les Anglais ouvrirent cette année-là leur premier établissement commercial dans le royaume. Les marchands hollandais, pour leur part, avaient établi un comptoir quelques années auparavant. Le navire britannique le Globe, jeta l'ancre dans le port de Patani le 23 juin 1612. Il était commandé par le capitaine Anthony Hippon et avait à son bord Peter Williamson Floris et d'autres marchands. Un comptoir fut ouvert à Patani et le Globe se rendit ensuite à Ayutthaya, où il arriva le 15 août. Le 17 septembre 1612, les marchands anglais furent reçus en audience par le roi et lui remirent une lettre du roi Jacques Ier. Le monarque siamois en fut enchanté et remit à chacun des marchands une petite coupe en or et une pièce d'étoffe. Avant la fin de l'année, la Compagnie des Indes orientales anglaise avait installé des comptoirs à Ayutthaya et à Pattaniปัตตานี.
Les commerçants étrangers – Anglais, Hollandais, Portugais et Japonais – furent très actifs au Siam tout au long de ce règne. On peut considérer le roi Songtham comme le premier souverain du Siam moderne, car c'est sous son gouvernement que fut établie l'habitude de nouer des relations libres avec des puissances étrangères. Cette politique a ensuite été menée par tous les dirigeants siamois jusqu'à nos jours.
Le commerce extérieur fut placé sous le contrôle du Phra Khlangพระคลัง, ou ministre du Trésor et des Finances, lequel, agissant au nom du roi, effectuait la plupart des transactions. Exportateur ou importateur, le roi était donc lui-même le principal commerçant du royaume. Le résultat n'était pas aussi gênant qu'il pourrait l'être dans un État moderne, puisque tous les revenus du pays étaient, en tout état de cause, la propriété personnelle du roi et qu'en réalisant d'importants bénéfices directs par le biais de transactions, il pouvait se contenter des revenus de la fiscalité, proportionnellement moins élevés.
En 1612, la Birmanie connut de nouveaux troubles. En 1602, Philip de Brito, un aventurier portugais, fut envoyé en mission officielle par le roi d'Arakan dans la ville de Syriam. De Brito réussit, par force autant que par ruse, à devenir, en quelques années, un souverain indépendant. En 1612, il s'allia avec Phraya Dalaพระยาดาลา, gouverneur des possessions siamoises à Pégou, dans le but d'attaquer Taungû. Cette attaque fut vraisemblablement inspirée par le Siam, afin de punir Natchin Noung, le jeune prince de Taungû, qui avait succédé à son père en 1607. Si l'on en croit l'histoire siamoise, Natchin Noug s'était placé sous la protection d'Ayutthaya, mais avait retourné sa veste peu de temps après en se soumettant au roi d'Ava. Il n'avait guère le choix, Maha Thammaracha d'Ava s'étant posté devant les murs de Taungû à la tête d'une force écrasante. De Brito, qui avait conclu une alliance avec Natchin Noung, considéra la soumission de son allié à Ava comme une trahison et se joignit à Phraya Dala pour venger les prétendus torts faits au roi de Siam et à lui-même. Taungû fut capturé et le prince fut emmené prisonnier à Syriam. Mais Phraya Dala et de Brito se querellèrent à propos du partage du butin et, lorsque, avant la fin de la même année (1612) le roi d'Ava attaqua Syriam, de Brito dut se défendre seul. Ses propres sujets le haïssaient, car c'était un catholique fanatique qui avait traité la religion bouddhiste avec le plus grand mépris. Une nuit d'avril 1613, ils ouvrirent les portes de la ville à l'armée birmane. De Brito fut torturé et exécuté. L'infortuné prince de Taungû fut également victime de la vengeance du roi d'Ava. Phraya Dala, persuadé que son tour viendrait aussi, se soumit complètement au vainqueur. Ainsi, le Siam perdit, presque sans même le savoir, la plupart des possessions de Péguan que le roi Naresuanนเรศวร avait remportées par de si violents combats.
En 1613, en guise de rétorsion, les Siamois portèrent un coup décisif au roi d'Ava – ou à la Birmanie, comme on devrait l'appeler désormais. L'un des frères du roi, le prince Sagaing, avait été nommé gouverneur de Ré (ou Ye), une ville située au nord de Tavoy. Le gouverneur de Tavoy l'attaqua par surprise, captura le prince birman et l'envoya prisonnier à Ayutthaya. Le roi de Birmanie assiégea et captura immédiatement Tavoy. Il marcha ensuite sur Ténassérim, mais les Siamois l'attendaient de pied ferme, et avec l'aide de mercenaires portugais, ils le chassèrent et lui infligèrent des pertes considérables (janvier 1614). Ils reprirent ensuite repris Tavoy. Ces événements placèrent le Siam dans ce qui était à cette époque son étendue territoriale normale. Pégou n'était qu'un trophée de guerre, alors que Tavoy était considéré comme partie intégrante du royaume.
Comme nous l'avons vu précédemment, Tharawadi MinNawrahta Minsaw : นรธาเมงสอ, prince birman de Chiang Maï, s'était placé sous la protection des Siamois en 1595 et, depuis cette date, le royaume et ses possessions dépendaient plus ou moins du Siam. En 1607, le vieux prince mourut après un règne de près de 28 ans. Son fils aîné, qui lui avait succédé, mourut en 1609. Le second fils, après un bref règne, fut contraint par les nobles d'abdiquer et le plus jeune fils, Thado Minsaw, devint prince de Chiang Maïเชียงใหม่ en 1611.
Le roi de Birmanie résolut alors d'annexer à nouveau Chiang Maï. On peut comprendre que le spectacle d'une famille si proche gouvernant sous la domination du roi de Siam avait pour lui quelque chose d'insupportable. Il tenta d'abord de diviser les possessions du royaume en installant un certain Phraya Chabanพระยาจ่าบ้าน au poste de prince de Chiang Saenเชียงแสน, sous la tutelle birmane. Plus tard, en 1614, il envahit Chiang Maï afin de déposer le jeune prince Thado Minsaw. Ce dernier, pour une raison quelconque, abandonna la ville, préférant plutôt protéger son trône en fortifiant et en défendant Lampangลำปาง. Le siège fut long et ardu et se serait soldé par une défaite birmane si le chef de Nanน่าน n'avait pas apporté son aide au moment critique, fournissant des provisions dont les assiégeants avaient un besoin urgent. Le jeune prince mourut pendant le siège ou, selon certains récits, fut exécuté par le roi de Birmanie lors de la chute de Lampang (5), et le chef de Nan fut nommé gouverneur Chiang Maï, en tant que vassal de la Birmanie.
Parmi les prisonniers capturés par les Birmans à cette occasion, se trouvait un Anglais nommé Thomas Samuel, qui vivait à Chiang Maï depuis quelques années en tant qu'agent de la Compagnie des Indes. Il fut emmené à Pégou, où il mourut peu de temps après.
L'histoire siamoise ne rapporte aucune tentative d'assistance au prince de Chiang Maï. Cependant, des sources étrangères nous laissent penser qu'une armée siamoise fut envoyée dans le nord. Elle arriva sans doute trop tard pour sauver Lampang, mais dans les années suivantes, les hostilités entre Birmans et Siamois se poursuivirent dans les domaines de Chiang Maï, ce qui mit un terme au commerce extérieur de ces régions.
Chacun de leur côté, les monarques des deux royaumes rivaux demandèrent l'assistance des Portugais. Écrivant au vice-roi de l'Inde en janvier 1618, le roi du Portugal déclarait : Le roi de Siam offre Martaban, qu'il ne possède pas encore, et celui d'Ava le butin d'Arakan, qui n'est pas encore en sa possession. Le vice-roi reçut donc l'ordre de gagner du temps et d'entretenir les deux combattants dans l'espoir d'une aide, afin de tirer de chacun ce qui pouvait être obtenu pour le bien de l'État. Les deux rois en eurent-ils assez des ruses portugaises ? Toujours est-il qu'en 1618, ils conclurent une paix, ou plutôt une trêve, dont les termes prévoyaient que la Birmanie devait renoncer à toute prétention sur Chiang Maï et le Siam devait lui céder Martaban. Le chef de Nan continua de gouverner Chiang Maï sous la tutelle siamoise.
Le roi Songtham agit sagement en s'accordant avec la Birmanie, car le danger le menaçait alors sur sa frontière orientale.
Le roi Sri Suphanmaศรีสุพรรณมา du Cambodge mourut en 1618. Il était resté fidèle à son serment et n'avait jamais tenté de se débarrasser du joug siamois, même s'il avait souvent été tenté de le faire alors que le Siam était en difficulté (6). Son fils aîné, Chaï Chetthaไชยเชษฐา, qui lui succéda, proclama dès son avènement l'indépendance du Cambodge.
Avant d'entrer dans les détails de la guerre provoquée par la révolte du Cambodge, il peut être intéressant pour les lecteurs anglais d'apprendre qu'en 1618, lors du déclenchement de la guerre entre l'Angleterre et la Hollande, ces deux puissances rivales s'affrontèrent sur le territoire siamois, sans se soucier d'en violer la neutralité. Le 17 juillet 1619, trois frégates hollandaises, portant 800 hommes, attaquèrent deux navires anglais, le Sampson et le Hound, dans le port de Pattani. Après des heures de combat, onze hommes du Sampson furent tués et trente-cinq furent furent blessés et estropiés. Le capitaine Jourdain, qui commandait le Sampson fit hisser le drapeau blanc et envoya Thomas Hackwell négocier la paix avec les Hollandais. Pendant les pourparlers, le capitaine Jourdain, ne soupçonnant aucune traîtrise, se montra sur le pont de son navire, sur quoi les Hollandais qui l'espionnaient, perfidement et cruellement, lui tirèrent dessus. Il reçut une balle de mousquet près du cœur, dont il mourut en moins d'une demi-heure (7). Les deux navires furent pris par les Hollandais et beaucoup d'Anglais furent faits prisonniers et traités avec une la dernière rigueur. Nombre d'entre eux furent envoyés enchaînés au Japon. Ceux qui étaient à terre n'échappèrent au massacre que grâce à l'intervention de la reine de Pattani (8).
La paix fut rétablie au début de l'année 1620, mais les rapports restèrent tendus entre les Anglais et les Hollandais établis au Siam (9). Toutefois, peu de temps après, leur nombre diminua fortement en raison de la fermeture des comptoirs de Pattani et d'Ayutthaya qui n'étaient pas jugés rentables.
Pour autant que nous sachions, le roi Songtham n'intervint pas lors de ce conflit entre étrangers. Toutefois, lorsque d'autres événements de ce genre eurent lieu plus près de sa capitale, il se montra tout à fait réactif. Van Vliet nous rapporte qu'en 1624, les Portugais s'emparèrent d'un navire hollandais dans les eaux siamoises. Le roi obligea les Portugais à restaurer le vaisseau et, à partir de ce moment, traita tous les Portugais du Siam avec une hostilité marquée. En 1628, les Portugais coulèrent une jonque siamoise et, à la fin de cette année-là, quand mourut le roi Songtham, les deux États furent en guerre.
Nous devons maintenant revenir en arrière pour évoquer la guerre du Cambodge.
En 1622, le roi Songtham entreprit l'invasion du Cambodge afin de soumettre le roi Chaï Chettha. Deux grandes armées furent envoyées, l'une par eau et l'autre par terre, accompagnée par le roi lui-même. Après que la flotte (composée de nombreuses galères armées et de navires de moindre importance) eut longtemps séjourné dans la rivière du Cambodge (sans passer à l'action ni faire quoi que ce soit), elle s'en revint. Les Cambodgiens, enhardis par le départ des bateaux siamois, marchèrent à la rencontre de l'armée de terre. Ils convergèrent dans les vallées et, à l'aide de faux guides, ils égarèrent les Siamois hors des bonnes routes. Ils les attaquèrent et plusieurs milliers d'hommes furent tués, ainsi que beaucoup d'éléphants et de chevaux. Les Cambodgiens prirent environ 250 éléphants vivants.
À partir de ce moment-là et jusqu'à la fin de son règne, toute la politique étrangère du roi Songtham fut axée sur la recherche d'une aide extérieure en vue d'une nouvelle invasion du Cambodge. Cependant, ni les Anglais ni les Hollandais ne semblent avoir entretenu de relations très amicales avec le monarque. Des lettres polies furent échangées, des présents lui furent envoyés, mais aucune assistance matérielle ne lui fut fournie. Quant aux Portugais, le Siam était à cette époque en très mauvais termes avec leur pays, et au cours des dernières années du règne du roi Songtham, la plupart d'entre eux se morfondaient dans ses geôles. Finalement, le Cambodge fut laissé en paix.
En 1626, les Birmans violèrent l'arrangement conclu en 1617 par lequel ils s'engageaient à ne pas s'ingérer dans les affaires de Chiang Maï. Les deux frères du roi de Birmanie lancèrent une expédition destinée à soumettre Kengrung et Luang Prabang. Passant par Chiang Maï, il profitèrent de l'occasion pour imposer une nouvelle fois le joug birman au Laos, déjà durement éprouvé.
Pendant tout son règne, le roi Songtham entretint des relations amicales avec le shogun du Japon. Il est curieux de constater qu'il était extrêmement désireux d'obtenir des Nobles destriers du Japon, alors que la race moderne de poneys japonais n'est pas très appréciée. Dans une lettre datée de septembre 1623, le Shogun fit une remarque qui mérite d'être retenue. Après avoir dit au roi Songtham de ne pas hésiter un instant s'il souhaitait exterminer des marchands japonais installés au Cambodge et susceptibles d'aider les Cambodgiens dans leur lutte contre le Siam, il déclara : Les marchands sont avides et âpres au gain, et des personnages de ce genre méritent un châtiment.
Au Siam, le nom du roi Songtham est généralement associé au Phrabatพระบาท, une empreinte supposée du Bouddha qui fut découverte sous son règne au pied d'une colline au nord-est d'Ayutthaya, aujourd'hui appelée Mont Phrabat. On ignore si cette gigantesque empreinte est un ancien Phrabat sculpté qui fut redécouvert à cette époque, où s'il s'agit tout simplement d'une excavation naturelle dans la roche qui fut quelque peu remodelée. Quoi qu'il en soit, et même si peu de bouddhistes modernes croient que le Bouddha était d'une stature surhumaine, cette relique mérite d'être respectée, c'est un objet vénéré par des générations de croyants. Aujourd'hui encore, chaque année au mois de février, des milliers de personnes viennent se recueillir sur le Mont Phrabat.
Il n'est pas certain que le roi Songtham ait nommé un successeur, mais il est probable que son frère cadet, le prince Sri Sinศรีศิลป์, occupait le poste de Maha Uparat, car tous les auteurs de l'époque le considéraient comme l'héritier légitime du trône. Cependant, vers la fin de l'année 1628, lorsque le roi tomba gravement malade, la question de la succession se posa et suscita nombre d'intrigues. Le prince Sri Sin était soutenu par une faction dirigée par Phraya Kalahomพระยากลาโหม. Phraya Sri Worawongพระยาศรีวรวง, le cousin du roi, soutenait pour sa part le prince Chettha, fils aîné du roi, âgé de quinze ans. Les deux parties tentèrent d'obtenir l'appui de Yamada, alors connu sous le nom de Phraya Senaphimuk, et de ses 600 Japonais. Celui-ci, tout en faisant patienter Phraya Kalahom par des réponses évasives, était secrètement ligué avec Phraya Sri Worawong. Finalement, le monarque mourant, aveuglé par une affection naturelle, désigna son fils comme son successeur, scellant ainsi, comme on le verra, le destin de toute sa famille. Après cela, il mourut le 22 décembre 1628, à l'âge de 38 ans seulement, à la grande tristesse de ses sujets.
Van Vliet écrivait que le roi Songtham, qu'il connaissait personnellement, était bon, libéral, aimant l'étude, pacifiste et dévot. Il consacrait la majeure partie de son temps aux affaires religieuses et aux lois du royaume. Il était généreux envers les prêtres et les pauvres et avait fait restaurer ou construire plus de temples que tous les rois précédents. Il avait conservé la grandeur de l'État et aimait voir sa cour vivre magnifiquement. Les étrangers et les Siamois chantaient ses louanges et le considéraient comme un souverain bon et juste, presque comme un saint (10). Le Siam ne devait plus revoir un tel monarque avant nombreuses années.
NOTES
1 - Note de l'auteur : L'histoire siamoise dit que le prince s'empoisonna lui-même après avoir été accusé de trahison par son père. P.W. Floris (Astley's Voyages, vol. I) écrivait que le roi : gisant sur son lit de mort, provoqua la mort de son fils. Turpin, pour sa part, notait dans son Histoire civile et naturelle du royaume de Siam (Paris, 1771, II, p. 43) : Le père, séduit par la malignité de ces impostures, prononça avant d'expirer un arrêt de mort contre son fils innocent. Floris se trouvait au Siam très peu de temps après cet l'événement. ⇑
2 - Note de l'auteur : On pourrait supposer qu'un événement aussi récent que la mort du roi Ekathotsarot puisse être daté avec une absolue certitude. Il existe cependant un grand nombre de témoignages divergents sur ce point, qui ont conduit certains historiens à conjecturer qu'Ekathotsarot mourut en 1620. Après examen de toutes les documents disponibles, l'auteur a sans hésitation considéré que la date correcte était 1610. ⇑
3 - Note de l'auteur : Le Phongsawadan siamois dit qu'après la mort d'Ekathotsarot, son fils, le prince Saowaphak, qui était borgne, monta sur le trône. Ce roi fut déposé et exécuté par Phra Sri Sin, un prêtre du nom de Phra Wimon Tham, qui devint le roi Songtham. Aucun auteur européen ne mentionne ce roi Saowaphak. D'après les écrits de Van Vliet et Floris, il est clair que le roi Songtham était le fils du roi Ekathotsarot et qu'il lui succéda, ce qui sera confirmé plus tard par Turpin et G. Heylyn (Cosmographie, Londres, 1664). Et il existe encore d'autres témoignages. La version pali de l'histoire siamoise traduite par le professeur Georges Cœdès indique pareillement qu'Intharacha (Songtham) succéda immédiatement à son père Ekathotsarot.
Cette affirmation hasardeuse du Phongsawadan est de peu de conséquence en regard de la plupart des autres affirmations qui sont manifestement fausses. Par exemple, les compilateurs semblaient même ignore que le roi Songtham était un fils d'Ekathotsarot. De plus, ils le confondaient avec son jeune frère, le prince Sri Sin, qui ne fut jamais roi (voir chapitre suivant). Il est possible que ce soit le prince Sri Sin, et non le roi Songtham, qui fut prêtre sous le nom de Phra Wimin Tham.
N.d.T. : Cet épisode de l'histoire siamoise est particulièrement obscur. Ce roi Saowaphak dont Turpin met l'existence en doute est mentionné par le prince Damrong (Our Wars With The Burmese, 2001, p. 203) : Chaofa Suthat avait été désigné comme prince héritier, mais mourut avant son père. Ekathotsarot mourut sans avoir nommé de nouvel héritier, aussi son second fils, Chaofa Si Saowaphak, qui avait la légitimité pour lui succéder, fut couronné. Ce roi est officiellement répertorié comme le 20ème souverain d'Ayutthaya qui régna moins d'un an sous le titre de Sanphet IV. ⇑
4 - Note de l'auteur : Le prince Damrong a avancé une explication très crédible des faveurs dont ont joui les Japonais, en dépit de leurs excès. Il y avait de nombreux Japonais pacifiques établis au Siam, parmi lesquels étaient recrutés les gardes du corps du roi. Mais il y avait aussi des « oiseaux de passage », des bandes criminelles. Ce sont eux qui attaquèrent le palais royal et furent expulsés du royaume, probablement avec l'aide de leurs compatriotes plus loyaux.
À cette époque, les pirates japonais étaient une véritable plaie en Extrême-Orient. En décembre 1605, le navigateur anglais John Davis perdit la vie dans un combat avec des pirates japonais au large de Pattani. La même année, et également en 1610, le roi du Cambodge se plaignit au shogun du Japon des actes de piraterie commis par des marchands japonais dans son royaume. ⇑
5 - Note de l'auteur : La difficulté à cette époque était qu'on était certain d'être considéré comme un traître par un roi ou par l'autre. ⇑
6 - Note de l'auteur : Floris dit que le Cambodge se rebella en 1612, à l'époque de l'invasion de Luang Prabang. Nous n'avons trouvé nulle part mention de cet événement. ⇑
7 - Note de l'auteur : Purchas, Pèlerinages, vol. 1. ⇑
8 - Note de l'auteur : Il est établi que Pattani était à cette époque toujours gouverné par une femme. Nous savons de façon certaine qu'il y avait une reine de Patani en 1679, qui peut difficilement être la même que celle qui est mentionnée ici. ⇑
9 - Note de l'auteur : Il est réconfortant de constater que les jalousies entre puissances rivales sont totalement inconnues au Siam de nos jours. ⇑
10 - Note de l'auteur : 140 ans plus tard, Turpin décrivit le roi Songtham comme un monstre couronné et lui attribua les plus effroyables barbaries, sans citer aucune source. Il est probable qu'il confondait Songtham avec le roi Prasat Thong, qui était, lui, tout à fait capable d'avoir commis de telles cruautés. ⇑
19 août 2019