frontispice

ÉPÎTRE
 
Au roi,

lettrine

ire,

Voici le second voyage que j'ai fait à Siam par ordre de Votre Majesté, et dont je lui viens rendre compte. On est si plein en ce pays-là de votre nom et de vos vertus, que le sage prince qui y règne a cru ne pouvoir rien faire de plus glorieux pour lui, ni de plus avantageux pour sa nation, que de rechercher votre alliance et d'acquérir votre amitié.

Votre Majesté a témoigné par la manière généreuse dont elle a répondu aux avances de ce monarque l'estime particulière qu'elle en fait, et j'ose dire que quand il n'en serait pas aussi digne qu'il l'est pas ses qualités personnelles, il la mériterait par son zèle pour tout ce qui regarde votre gloire et l'intérêt de votre Couronne. Celui que Votre Majesté fait paraître pour le salut de ce prince et pour l'instruction de ses peuples est digne de cette piété, qui vous relève encore plus hautement par-dessus tous les rois du monde que l'éclat de tant de victoires. La bénédiction qu'il a plu à Dieu de donner à toutes vos entreprises malgré les efforts de vos envieux, me fait espérer que celle-ci ne sera pas moins heureuse que les autres, et que la postérité comptera parmi les conquêtes de Louis le Grand les rois de Siam et de la Chine soumis à la croix de Jésus-Christ.

Ces conquêtes, Sire, que Votre Majesté fait pour accroître le royaume de Dieu, intéressent le ciel à conserver les vôtres contre tant d'ennemis ligués. Vous avez la consolation de n'en avoir point qui n'aient pris de ceux de l'Église les armes dont ils vous attaquent, tant vos intérêts et ceux de la religion sont inséparables.

C'est l'avantage des personnes de notre profession que de servir Dieu en servant leur roi, et d'être sûres de ne pouvoir rendre de plus agréables services à leur roi, que par ceux mêmes qu'elles rendent à Dieu. Avec vous, on n'est point embarrassé de rendre à César ce qui appartient à César et à Dieu ce qui appartient à Dieu, puisque par un exemple de piété chrétienne aussi singulier qu'il vous est glorieux, aujourd'hui en France Dieu et César n'ont plus que le même intérêt.

C'est, Sire, ce qui redouble l'ardeur de ceux de notre Compagnie que Votre Majesté envoie aux Indes pour exécuter les ordres qu'elle leur donne, par lesquels elle fait bien voir qu'elle n'a en vue que la gloire du Seigneur, la propagation de la foi, l'exaltation de l'Église catholique. Nous tâcherons de seconder des intentions si pures et si saintes, et nous ferons gloire d'y employer jusqu'à notre sang et notre vie. Nous partons tous dans ce sentiment, mais je me flatte que Votre Majesté me fait la justice d'être persuadée que personne ne l'a plus avant dans le cœur, et n'est avec un plus vrai dévouement et un plus profond respect que moi.

De Votre Majesté,
      Sire,

Le très humble, très obéissant, très fidèle serviteur et sujet,
     Guy Tachard,
     De la Compagnie de Jésus.

◄  Page précédente
Présentation
Page suivante  ►
Livre I
De Brest au cap de Bonne-Espérance
1ère partie

Banniere bas retour
Page mise à jour le
5 avril 2019