Deuxième chapitre.
Des secondes charges de la Couronne et des gouvernements des provinces.
Outre ces quatre premières charges de la Couronne, il y en a cinq autres qui sont encore d'une grande considération dans le royaume. La première est celle d'Oya Jemerad (1), à qui il appartient de connaître et de juger souverainement de toutes les affaires civiles et criminelles. Le tribunal de ce premier juge est dans la ville capitale du royaume.
La seconde charge est celle de capitaine des gardes du corps, appelé Oya Rytcho (2). Ses fonctions ne sont pas tout à fait semblables à celles de France, car son devoir n'exige point qu'il suive partout la personne du roi ni qu'il soit toujours auprès d'elle. Il passe pour le premier officier de sa Maison, et cette qualité lui donne le pas au-dessus de tous les autres.
La troisième est celle d'Oya Pesedet (3), celui qui la possède est le maître de la police et le gouverneur de la ville capitale en l'absence du roi. C'est à lui que les talapoins doivent d'adresser pour terminer les différends qu'ils ont entre eux ou avec les gens du monde, et sans sa permission expresse et par écrit, ils ne peuvent changer de pagode ou de monastère, ni un séculier ne peut se faire talapoin.
La quatrième est celle d'Oya Vorethep (4). Son devoir consiste à faire payer les fermiers de Sa Majesté et à prendre soin de tous les greniers qui lui appartiennent dans quelque endroit du royaume qu'ils puissent être. C'est une espèce de récepte générale, qui a quelque rapport à celle de notre Contrôleur général des finances.
La cinquième est celle de premier trésorier de Sa Majesté, c'est Ocloüan Sombat qui l'exerce à présent avec une commission particulière du roi (5) ; sa qualité vous marque assez ses fonctions et le rang qu'il tient auprès de sa personne.
Les province de PorseloucPhitsanulok (พิษณุโลก) dans le nord de la Thaïlande., de TenasserimAujourd'hui Tanintharyi, au sud de la Birmanie, entre la mer d'Andaman à l'ouest et la Thaïlande à l'est. Longtemps siamoise, la province fut conquise par les birmans en 1759., de Bankoc et de PiplyPhetchaburi (เพชรบุรี), ou Phetburi, la Cité des pierres précieuses, à environ 160 km au sud de Bangkok, à l'extrémité nord de la péninsule Malaise., qui sont les plus grandes et les mieux peuplées du royaume, ont chacune leur gouverneur qui y prend le nom de vice-roi, parce qu'elles étaient des royaumes avant qu'elles fussent unies à la Couronne de Siam.
Le roi qui les nomme se réserve toujours la liberté de les révoquer quand bon lui semble sans qu'ils osent jamais se plaindre de leur destitution. L'importance et la fidélité des services qu'ils rendent à l'État règlent ordinairement la durée de leur gouvernement ; les gouverneurs particuliers des places qui sont dans la province leur doivent rendre compte de tout ce qui s'y passe, et ils sont obligés de leur fournir dans le besoin, ou des soldats pour l'armée, ou des hommes pour les travaux publics et pour la levée des tributs que l'on doit payer au roi.
Les officiers sont tellement dépendants des gouverneurs généraux qu'ils doivent leur donner avis de tous les procès de conséquence qui se jugent dans leurs tribunaux, afin d'y prendre part s'il y va de l'intérêt du prince ou du bien même de la province. Il n'est point permis à ces gouverneurs de sortir de leur gouvernement sans une permission expresse de Sa Majesté ; ils font leur résidence ordinaire dans la ville capitale de leur province parce qu'ils en ont le gouvernement particulier et que c'est là où leur présence semble être plus nécessaire, tant pour la sûreté publique que pour la commodité des gens qui ont à recevoir leurs ordres ou à leur donner des avis.
Quoique de temps en temps ils soient mandés à la cour pour y faire un rapport exact et fidèle de tout ce qui s'est passé dans leur gouvernement, on ne leur fait pourtant pas l'honneur de les en croire toujours sur leur parole ; souvent le roi nomme des commissaires pour aller dans leur province s'informer de leur conduite et recevoir les mémoires des peuples qui peuvent avoir sujet de s'en plaindre. S'ils sont trouvés coupables de concussion ou de quelque autre action criminelle, ces commissaires ont pouvoir de les juger souverainement et de les condamner à la mort. Nous en avons un exemple tout récent en la personne du gouverneur de Porselouc Phitsanulok (พิษณุโลก) dans le nord de la Thaïlande. : deux mandarins furent commis par le roi pour aller sur les lieux instruire son procès, ayant été convaincu de quelque malversation considérable. Il en fut puni à l'heure même, et l'arrêt de mort qu'ils rendirent contre lui fut exécuté en leur présence.
Outre les gouverneurs généraux des provinces et les particuliers des villes, chaque nation étrangère a son chef qui est juge de tous ses différends et qui doit répondre de sa conduite au barcalonPhra Khlang (พระคลัง) ou Krom Phra Khlang (กรมพระคลัง), sorte de premier ministre chargé tant des finances que des affaires intérieures et étrangères.. C'est à lui qu'il doit demander la permission, ou de recevoir quelque nouveau dans son camp, ou de renvoyer dans son pays quelqu'un de ceux qui y ont été déjà reçus. Il n'oserait sans cette permission, qu'il doit avoir par écrit, faire entrer dans le port aucun vaisseau, faire décharger ses marchandises ni vendre aucun de ses effets sous peine de confiscation et même de punition corporelle. c'est en son nom que se passent tous les contrats publics qui se font entre ses compatriotes, c'est lui qui se charge de leurs requêtes et de la sollicitation de toutes les affaires que l'on doit communiquer aux ministres ; mais comme il ne peut pas leur en parler lui-même, quand même il saurait assez bien la langue siamoise pour s'en faire entendre, on lui donne un interprète par qui il s'explique et qui lui rend les réponses de ces ministres sur les affaires qu'il leur propose en sa présence.
NOTES
1 - Okya Yomarat (ออกญายมราช). La Loubère définit ainsi le fonctions de ce genre de chancelier : (Du Royaume de Siam, 1691, I, pp.338-339) : Ils appellent Yumrat le président du tribunal de la ville de Siam, auquel ressortissent tous les appels du royaume. Il porte d'ordinaire le titre d'Oc-ya, et son tribunal est dans le palais du roi : mais il ne suit pas le roi quand ce prince s'éloigne de sa capitale : et alors il rend la justice dans une tour qui est dans la ville de Siam, et hors l'enceinte du palais. À lui seul appartient la voix délibérative, et il y a encore appel de lui au roi si l'on en veut faire les frais. Dans l'ancien système hiérarchique féodal, le Sakdina (ศักดินา), qui déterminait l'étendue symbolique de territoire sur lequel un dignitaire avait autorité, l'Okya Yomarat était crédité de 10.000 raï (1 raï (ไร่) = 1.600 m2). ⇑
2 - Peut-être Okya Decho (ออกญาเดโช), ou Phraya Decho Chai (พระยาเดโช) qui signifie en pali feu, ou autorité, pouvoir. Il s'agissait d'un chef militaire crédité d'un Sakdina de 10.000 raï (voir note précédente). ⇑
3 - Okya Phra Sedet (ออกญาพระเสด็จ). La Loubère (Du Royaume de Siam, 1691, I, pp.339-340) lui attribue le titre de gouverneur de la ville de Siam et indique que : Son nom qui est Baly [pali] est composé du mot prà, dont j'ai parlé plusieurs fois, et du mot Sedet qui signifie, dit-on, Le roi est sorti ; et en effet, ils ne disent pas autrement pour dire que le roi est sorti. Mais cela ne fait point entendre ce que c'est que l'office du Prà Sedet ; et il paraît en plusieurs choses qu'ils ont fort perdu l'exacte intelligence du pali. Le père Tachard indique pour sa part (Voyage des pères jésuites..., 1686, p.224) : Oya Prassedet était le chef et le protecteur de tous les talapoins du royaume, avec droit de les juger et de les faire punir quand ils le méritent, qui est une des premières et des plus importantes charges de l'État. ⇑
4 - Peut-être Okya Pollathep (ออกญาพลเทพ) qui a soin des revenus du roi, précise l'abbé de Choisy dans son Journal du 18 janvier 1686. Dans sa Description du royaume thaï ou Siam (1854, p.291), Mgr Pallegoix attribue le titre d'Okya Polathep (ออกญาพลเทพ) au ministre de l'agriculture. C'est un dignitaire crédité d'un Sakdina de 10.000 raï (voir note 1). ⇑
5 - D'après le Journal de l'abbé de Choisy (18 janvier 1686), la charge de trésorier appartient à Okya Paedi [Pakdi] (ออกญาภักดิ). Il ajoute, confirmant les propos de Gervaise : La charge est présentement exercée par commission par Okluang Ratcha Sombat (ออกหลวงราชสมบัดิ). ⇑
5 mars 2019