Mercure Galant de septembre 1686.
3ème partie. Banquet. Visites protocolaires. Le château de Saint-Cloud. Le palais du Luxembourg. Le père de La Chaize. L'aqueduc de Maintenon. La Bastille. La comédie italienne. Le couvent de Montmartre. Meudon.

Page du Mercure Galant

Ils furent reconduits dans la salle où ils étaient descendus en arrivant, et après qu'ils y furent un peu reposés et qu'ils eurent ôté leurs bonnets de cérémonie, on les mena dans une autre salle où l'on avait servi un magnifique dîner. Ils étaient tout remplis de l'air majestueux et de la bonté du roi, et en parlèrent avec admiration pendant la plus grande partie du repas, ce qu'ils font encore tous les jours. M. de la Feuillade dîna avec eux et fut placé à la droite entre le premier et le second ambassadeur. À la gauche étaient le second ambassadeur et M. de Bonneuil ensuite ; à la droite, M. Storf, à la gauche M. le chevalier de Chaumont ; à la droite les huit mandarins, à la gauche et vis-à-vis M. Delrieu, maître d'hôtel ordinaire de la Maison du roi, M. l'abbé de Lionne, et M. Girault. La table était à pans, et comme elle était extrêmement grande et qu'il aurait été impossible que le plus grand homme eût placé des plats jusqu'au milieu, on y avait mis cinq corbeilles d'argent remplies des plus belles fleurs, qui toutes ensemble formaient une pyramide très agréable. Les plats furent portés par les Cent-Suisses du roi, ayant en tête M. de Riveroles, Contrôleur de la Maison de Sa Majesté (1). Il y eut trois services, sans celui du fruit, et chaque service fut de trente grands plats, sans compter les hors-d'œuvre et les salades. Le dessert était parfaitement beau, et de pyramides fort élevées, et les coloris des fruits, des fleurs et des confitures sèches faisaient un effet plaisant à la vue. On servit quantité de soucoupes, les unes remplies de différentes liqueurs et les autres couvertes de tasses remplies de toutes sortes d'eaux glacées. On servit en même temps une autre table dans un autre endroit, pour les secrétaires et les autres personnes de la suite des ambassadeurs, sans celle qui fut servie pour les domestiques.

Les ambassadeurs et les mandarins allèrent en sortant de table prendre leurs bonnets de cérémonie, parce que c'était l'heure marquée pour l'audience qu'ils devaient avoir de Mgr le Dauphin. Ils se rendirent chez ce prince, conduits par les mêmes personnes qui les avaient accompagnés à l'audience du roi, et passèrent au travers d'une double haie de gardes du corps. Dès qu'ils aperçurent Mgr le Dauphin, ils firent les mêmes inclinations qu'ils avaient faites chez le roi. Le sujet du compliment de l'ambassadeur fut sur ce que le roi son maître regardait ce prince comme le digne fils du plus grand roi de l'Europe, et dont les grandes qualités et les victoires s'étaient faites connaître jusqu'aux extrémités de l'univers et que même dans le temps que le roi faisait des choses qui paraissent incroyables à ses sujets même, le roi son maître avait eu le bonheur de les apprendre et d'en recevoir les confirmations. Il ajouta que ce même roi espérait que Mgr le Dauphin étant sorti d'un sang si glorieux et si généreux, et étant lui-même si bienfaisant, lui accorderait les mêmes avantages et la même amitié que le roi son père, et qu'il était fâché de n'avoir pas eu le temps de chercher dans toutes les Indes des choses plus curieuses que celles qu'il lui envoyait.

Mgr le Dauphin remercia non seulement le roi de Siam et les ambassadeurs dans sa réponse, mais ce prince fit aussi connaître qu'il leur donnerait des marques de sa reconnaissance. Les mouvements de leurs visages montrèrent combien ils étaient sensibles à des paroles si obligeantes, et ils n'osèrent y répondre qu'en se prosternant le plus bas qu'il leur fût possible. Ils se retirèrent de la même manière qu'ils avaient faite chez le roi. Ils n'eurent point audience de Mme la Dauphine, parce qu'elle était accouchée le jour précédent (2), et en sortant de chez Mgr le Dauphin, ils allèrent chez Mgr le duc de Bourgogne. Les mêmes cérémonies y furent observées. Je ne répéterai point et vous dirai seulement qu'elles ont été égales pour toute la Maison royale. L'ambassadeur dit à Mgr le duc de Bourgogne que le roi de Siam s'était réjoui de son heureuse naissance et les avait chargés d'en assurer que la princesse reine lui envoyait des petites bagatelles pour le divertir quelques moments, et que si elles lui plaisaient, elle aurait soin de lui en envoyer d'autres (3).

Ils firent à peu près le même compliment chez Mgr le duc d'Anjou et passèrent ensuite dans la chambre de Mgr le duc de Berry. L'ambassadeur lui dit qu'il ne pouvait que souhaiter toutes sortes de prospérités à un prince qui ne savait pas encore parler, qu'il était persuadé qu'il serait un jour un très grand prince, puisqu'il semblait n'être né que pour donner sa première audience à des ambassadeurs venus de six mille lieues et d'un pays d'où il n'en était point encore venu en France, et qu'il ne doutait pas que lorsqu'il serait plus grand, le roi son maître ne lui fût connu et qu'il ne s'en souvînt, puisqu'on avait soin d'écrire l'histoire des princes, et que l'audience qu'ils avaient serait le premier événement qu'il rencontrerait dans la sienne après la naissance.

Mme la maréchale de la Mothe, gouvernante des enfants de France, répondit à tous ces compliments avec l'esprit qu'on sait qu'elle a toujours fait paraître en de pareilles occasions. Ils traversèrent ensuite la galerie qui conduit à l'appartement de Monsieur. Ils furent reçus par le capitaine, et les officiers de ses gardes, et passèrent la première salle au travers d'une double haie des gardes du corps de son Altesse royale, et après avoir traversé plusieurs chambres, ils trouvèrent ce prince environné de toute sa cour qui était fort nombreuse. Le premier ambassadeur, après avoir félicité Monsieur sur les villes qu'il a prises et sur le gain de la bataille de Cassel (4), s'étendit sur la parfaite union qui est entre le roi et ce prince, et qui fait que les ennemis du roi sont les siens. Il ajouta qu'il ne doutait point que cette union et cette conformité de sentiments ne fussent cause qu'il n'eût pour le roi son maître les mêmes sentiments que le roi avait pour ce monarque, et qu'il espérait que les amis du roi son frère seraient ses amis, comme ses ennemis étaient devenus les siens.

Monsieur ayant fait à ce compliment une réponse aussi favorable que les ambassadeurs le pouvaient attendre, ils allèrent chez Madame, et passèrent encore au travers d'une double haie de gardes du corps rangés dans la première salle. Madame était accompagnée d'un grand nombre de princesses et de duchesses, et des principales dames de sa Maison, dont les habits étaient tout garnis de pierreries. Il dit à Madame que c'était pour eux un honneur fort grand que de pouvoir saluer une héroïne, femme d'un héros qui était frère d'un grand et invincible monarque, et qu'ils mettraient ce jour là au nombre des plus heureux de leur vie.

Après cette audience, on les reconduisit dans la salle où ils étaient descendus d'abord. Ils y quittèrent leurs bonnets de cérémonie, et on leur présenta la collation, mais ils ne mangèrent point. Ils montèrent ensuite en carrosse pour s'en retourner et passèrent encore entre les compagnies françaises et suisses de garde qui étaient sous les armes. Le reste du jour ils ne parlèrent que du roi, de sa bonne mine, de sa taille et de la bonté qu'il mêle si dignement avec la fierté royale qu'un monarque doit avoir. Ils étaient si satisfaits de l'avoir vu et des choses obligeantes qu'il leur avait dites qu'à leur retour ils embrassèrent M. Storf pour lui en témoigner leur joie, et comme on parla au premier ambassadeur du grand nombre de pierreries dont l'habit du roi était couvert, il dit que tant qu'il pourrait avoir le même honneur qu'il avait reçu, quelques pierreries qu'eût sa Majesté, il ne les verrait jamais, parce qu'il ne regarderait que le roi, mais qu'il serait bien aise de les voir en particulier.

M. le prévôt des marchands les pria le lendemain qu'ils eurent en audience de se trouver à l'Hôtel de Ville pour voir le feu d'artifice que la Ville faisait tirer pour se réjouir de l'heureuse naissance de Mgr le duc de Berry. Il répondit qu'ils lui étaient extrêmement obligés de l'honneur qu'il leur faisait, mais que n'ayant point encore eu audience du reste de la Maison royale, ils ne croyaient pas devoir aller en aucun lieu public.

Une demoiselle qui chante fort bien et qui a beaucoup de charmes pour se faire regarder, ayant été chanter devant eux, on lui demanda ce qu'il trouvait de sa voix, et il répondit qu'il n'avait point d'oreilles quand il avait besoin de tous ses yeux.

Le 4 septembre, M. Aubert, introducteur des ambassadeurs auprès de Monsieur, les vint prendre avec les carrosses de leurs altesses royales et les conduisit à Saint-Cloud, où ils eurent audience de M. le duc de Chartres (5), dans l'appartement qui est au bout de la galerie. Ils furent surpris de l'esprit de ce jeune prince, qui est assurément beaucoup au-dessus de son âge. Ils eurent ensuite audience de Mademoiselle. Le premier ambassadeur lui dit qu'étant venu pour lier une alliance entre les deux rois, il s'était cru obligé de venir voir une princesse royale et qu'il espérait qu'elle porterait un jour par son mariage cette alliance dans une autre famille royale.

Ils furent charmés des bontés de Monsieur et de Madame qui, s'étant trouvés à Saint-Cloud, leur firent l'honneur de les entretenir. On leur témoigna qu'on était fâché qu'ils ne pussent voir les jardins à cause de la pluie qui était fort grande ce jour-là, et on leur dit qu'il y avait une collation préparée au bout du mail. Le premier ambassadeur répondit que quand même il aurait fait beau, ils se seraient contentés de l'honneur qu'ils venaient de recevoir d'un grand prince et d'une grande princesse, qu'ils seraient revenus une autre fois pour voir les jardins, qu'ils ne mêlaient point leurs plaisirs avec leur devoir et que pour ce jour là ils étaient comblés d'honneur et de satisfaction.

En parlant à leur retour de la maison de Saint-Cloud, il dit qu'elle lui avait paru enchantée, mais qu'il voulait voir à loisir s'il n'était point la dupe de première vue, ce qu'il ne croyait pas pourtant.

Le 5, ils furent conduits au palais de Luxembourg par M. de Bonneuil, introducteur des ambassadeurs, à l'audience de Mademoiselle d'Orléans où se trouva Madame la Grande Duchesse (6). Sa cour était fort grosse et fort brillante, et comme cette princesse est extrêmement aimée, un si grand nombre de princesses, de duchesses et d'autres dames qualifiées s'étaient rendues dans son appartement pour l'accompagner pendant cette audience que beaucoup ne purent trouver place dans la chambre où elle reçut les ambassadeurs. Le sujet du compliment du premier ambassadeur fut sur ce que le mérite de Son Altesse royale aurait été seul capable de l'attirer quand ce qu'il était obligé de rendre au sang royal ne l'aurait pas obligé à l'avoir. Il fut extrêmement satisfait de la réponse que lui fit cette princesse, tant à l'égard du roi de Siam que pour ce qui regardait ses ambassadeurs et il le fut encore beaucoup des honnêtetés qu'elle eut pour eux, cette princesse ayant toujours avancé pour les reconduire à mesure qu'ils marchaient pour se retirer sans tourner le dos.

Les grandes civilités qu'ils ont reçues du père de La Chaize et des autres pères de la même compagnie les ayant engagés à leur rendre une visite, ils allèrent à Saint-Louis (7) et virent d'abord le père de La Chaize. Après qu'il les eut entretenus quelque temps d'une manière fort agréable, on les mena voir la maison, la bibliothèque, l'église, l'argenterie, les ornements et la belle chapelle de la congrégation, et ils examinèrent toutes les choses avec la régularité que vous savez qu'ils observent tout, regardant tout ce qu'on leur fait voir.

Rien ne marquant mieux la grandeur du roi et le glorieux état où est la France que les travaux qu'on fait pour conduire la rivière d'Eure à Versailles, et les ambassadeurs souhaitant avec ardeur de voir quelques troupes de sa Majesté, on les a menés à Maintenon pour leur faire voir en bataille celles qui travaillent à l'aqueduc, et pour satisfaire en même temps leur curiosité sur ce grand ouvrage (8). Comme c'est ici une occasion de vous en parler à fond, je prendrai la chose dès son origine.

Toutes les mesures qu'on avait prises et les nivellements qui avaient été faits il y a plusieurs années pour faire venir des eaux vives à Versailles sans y employer des pompes ou d'autres machines semblables avaient fait voir qu'il était impossible d'en avoir que de la rivière de Loire, mais pour la conduire en cette maison royale, il aurait fallu la détourner au-dessus de la Charité, ce qui avait paru d'une si grande difficulté, pour la longueur du chemin et à cause des lieux bas par où l'on aurait été contraint de passer, que Sa Majesté avait entièrement abandonné ce dessein, étant d'ailleurs très persuadée de la justesse avec laquelle feu M. Picard, de l'Académie des Sciences, avait pris tous les niveaux, quoiqu'on voulût assurer qu'un ruisseau de cette rivière étant détourné à Orléans pouvait être conduit jusque sur la montagne de Satory, qui est de plusieurs toises plus haute que le dessus du château. Il n'y avait point d'apparence qu'on pût trouver quelque autre rivière ou quelques eaux vives pour être conduites à Versailles, puisque par ses nivellements on savait que la Seine était beaucoup plus basse que la Loire, et que par conséquent tout le terrain entre ces deux rivières ne pouvait fournir que quelques eaux qui n'avaient pas assez de hauteur pour ce qu'on avait dessein de faire, et comme il y a de l'apparence que plus on s'approche de la mer, plus les terrains vont en descendant, il semblait que c'était inutilement qu'on croyait trouver des eaux assez hautes dans les terres qui sont au couchant à l'égard de Versailles, puisque c'est vers ce côté-là que les rivières de Loire et de Seine on leur cours.

Cependant, sur la fin de l'année 1684, M. de Louvois ayant considéré que la rivière d'Eure devait avoir beaucoup de hauteur puisque tous les terrains, depuis Versailles en tirant vers Maintenon où elle passe, étaient extrêmement hauts et qu'il y avait vers ce côté-là des eaux que l'on soutenait dans des canaux avec une très grande hauteur, il jugea que cette rivière, qui était fort rapide dans sa course, en pouvait au moins avoir assez pour être élevée commodément par le secours de quelque petite machine jusque dans les étangs de Trappe et des environs, qui servaient de réservoir aux eaux de ces quartiers-là. Il donna ordre à M. de la Hire, professeur royal en mathématiques et de l'Académie des Sciences (9), à qui il avait déjà confié plusieurs nivellements importants pour Fontainebleau et Versailles, d'aller reconnaître la hauteur de la rivière d'Eure dans sa course en remontant depuis Maintenon, et en chercher vers le Perche quelles en étaient les eaux, et quelles hauteurs elles avaient. M. de la Hire partit de Versailles dans le mois d'octobre de la même année, et en nivelant toujours jusqu'à Maintenon, il y trouva la rivière d'Eure plus basse que le dessus du château de Versailles d'environ cent cinquante pieds, et remontant cette rivière, il trouva enfin qu'à Pontgouin, qui est à sept lieues au-dessus de Chartres, elle était plus haute que ce château de près de quatre-vingts pieds. Cette découverte lui donna d'abord beaucoup de joie, mais aussi beaucoup de crainte de quelque erreur qui pouvait s'être insensiblement glissée dans les opérations qui sont très difficiles dans des nivellements de plus de trente lieues. Il vérifia toutes ses observations, autant que la saison le lui pût permettre, à cause du mauvais temps et surtout des grands vents qui nuisent fort aux nivellements, et il trouva qu'il ne pouvait y avoir que très peu d'erreur. Le roi étant alors à Fontainebleau, il apporta cette nouvelle à M. de Louvois, qui témoigna en être fort satisfait. Cependant, M. de la Hire lui ayant remontré les difficultés des opérations pendant l'hiver, M. de Louvois lui donna l'ordre de retourner dans ces mêmes lieux vers le printemps, pour faire les vérifications des hauteurs qu'il avait trouvées dans tous les points principaux où il avait marqué que l'eau devait passer, de la manière que l'on commence à l'exécuter présentement. Il trouva dans la vérification des premiers nivellements un pied ou deux plus de hauteur que la première fois, et il reconnut par des nivellements un peu plus longs que les premiers que les eaux des rivières qui passent à Verneuil et à Breteuil pouvaient être conduites dans des canaux sur terre jusqu'à l'embouchure de l'aqueduc qui devait porter les eaux de la rivière d'Eure par-dessus le vallon de Maintenon. On travaille présentement à cette grande entreprise, qui surpassera par sa magnificence tout ce que les empereurs romains ont fait dans l'étendue de plusieurs siècles. Tous les canaux sur la superficie de la terre sont achevés. L'eau que l'on y a fait couler a confirmé la justesse des nivellements, et l'aqueduc qui doit passer dans le vallon de Maintenon est fort avancé. La partie de cet aqueduc qui est dans le plus profond du vallon doit être de pierre, et le reste des deux côtés, où la hauteur est médiocre, passera sur deux grandes terrasses élevées pour ce sujet. Voici les mesures et le détail de cet ouvrage.

Il y a environ 20 000 toises de canal depuis Pontgouin, où l'on prend la rivière, jusqu'à Berchère la Maingot. Ce canal, qui est conduit sur la superficie de la terre, selon son niveau, a par bas 15 pieds, et plus ou moins de hauteur selon le terrain, et le talus des bords est double de la profondeur. Dans le fond de Berchère, où devait commencer l'aqueduc de maçonnerie, on fait une levée ou aqueduc de terre, rapportée à l'aqueduc de maçonnerie pendant 3 607 toises. Cet aqueduc de terre a comme le canal 15 pieds de large par le fond, de haut 6, 7 ou 8 pieds, et de talus le double de la hauteur. Les bords sont fortifiés de chaussées de 9 pieds de large. Le talus de la levée est aussi double de sa hauteur, pour empêcher que les terres ne s'éboulent. Dans le fond de Berchère, la levée de terre a 100 pieds, et en autres endroits 70, 50, 40 et 20 de hauteur.

À l'endroit où cette levée de terre joint l'aqueduc de maçonnerie qui est vers Maintenon, elle a 79 pieds de haut. Cet aqueduc de maçonnerie a 2 980 toises de longueur en 142 arcades qui ont 40 pieds de large. Leurs piles en ont 24, et de longueur 47 à 48 pieds, avec des piliers boutant de 11 pieds de large après les retraites, et de saillie, 6 pieds. Il a dans le plus profond 3 arcades l'une sur l'autre.

Du côté de Berchère, le nombre des arcades simples est de 33 ; de doubles, 71 ; de triples, 46, puis de doubles, 72, et enfin de simples 20, lesquelles rejoignent l'aqueduc de terre rapportée du côté de Versailles à 65 pieds environ de hauteur, qui continue en diminuant pendant 6 055, jusqu'à ce qu'il vienne à la hauteur du terrain, et depuis là jusqu'à Versailles, il continue sur terre de même qu'entre Pontgouin et Berchère pendant 25 000 toises hormis qu'en quelques endroits il y aura dans terre un aqueduc de maçonnerie. La plus grande hauteur de l'aqueduc dans le fond à Maintenon, où passent les rivières d'Eure et de Gallardon et où sont les triples arcades, est 2 pieds 6 pouces jusqu'au pavé des corridors, sans les fondements qui doivent avoir 15 ou 16 pieds de profondeur, et sans le parapet qui a 3 pieds 6 pouces.

La hauteur des premières arcades jusque sous la voûte est de 76 pieds. Les secondes arcades ont jusque sous la voûte 70 pieds, et jusqu'au pavé des troisièmes, 85 pieds. Les troisièmes arcades jusque sous la voûte 30 pieds 3 pouces, et jusqu'aux corridors 9 pieds 9 pouces sur lesquels sont les parapets de 3 pieds 6 pouces. Le canal a 7 pieds de large par bas, et s'élargit jusqu'à 7 pieds 6 pouces, à la hauteur de 4 pieds où commence la voûte à plein cintre. Il y a de côté et d'autre du canal un corridor de 3 pieds, et un parapet de 6-7 pouces de large. Les piles sont à plomb par le dedans hors de terre, et par les côtés. Il y a par tout l'aqueduc un pouce pour toise de talus, mais les piliers voûtants en ont davantage au-dessus des première arcades. Il se fait de part et d'autre une retraite d'environ 7 pieds, et au-dessus des secondes, de près de 6 pieds. Il y a une porte au milieu de chaque pile pour pouvoir passer tout du long de l'aqueduc, tant aux secondes arcades qu'aux troisièmes. Les portes des secondes ont 4 pieds de large, et celles des troisième, 3 pieds 6 pouces sur 7 pieds de haut. Il y a des escaliers qui montent de terre au premier étage par le dehors. Ceux qui montent au second sont pratiqués dans l'épaisseur des piles, et ceux qui montent au troisième sont partie dedans, partie dehors.

Voilà l'état où étaient ces ouvrages il y a six mois. Ils doivent être présentement bien plus avancés, puisque plus de trente mille hommes n'ont point cessé d'y travailler pendant ce temps-là. De ces trente mille hommes, il y en a une partie de maçons, d'appareilleurs, et d'autres gens nécessaires pour des choses qui ne peuvent être faites par les troupes. Elles sont employées tant à l'aqueduc qu'aux carrières de Gallardon et d'Épernon, et aux ouvrages de terre, et se montent à vingt-deux mille hommes ou environ. Voici les noms des régiments qui les composent. Je ne vous les envoie pas selon leur rang.

Régiments : Picardie, Champagne, Royal des vaisseaux, Languedoc, Navarre, Feuquières, Crussol, La Fare, Fusiliers du Roi, Alsace, Vaubécourt, Lyonnais, Dauphin, La Reine, Anjou, Vermandois. Il y a outre cela trois escadrons de dragons.

Le logis des ambassadeurs fut gardé par une compagnie dont le capitaine, le lieutenant et l'enseigne étaient en haussecolAutrefois grande pièce de fer qui couvrait la poitrine et les épaules des officiers d'infanterie et qui les défendait contre toutes sortes d'armes. (Littré)., pour leur faire plus d'honneur. M. le marquis d'Uxelles (10) qui commande toutes ces troupes, alla lui-même le premier jour demander le mot aux ambassadeurs, et ils donnèrent pour mot prospérité. Le major général y alla le prendre les deux jours suivants, et les mots qu'ils lui donnèrent furent L'alliance royale, et Deux contre tous. Je ne vous dis point qu'ils entendaient parler des rois de France et de Siam. Ils admirèrent les travaux dont je viens de vous faire la description. Le premier ambassadeur les conçut si bien, et en donna des marques si convaincantes, qu'il n'y a point d'architecte ou d'ingénieur qui eût pu les mieux comprendre. Il dit aussi qu'il ne croyait pas que tous les rois de l'Europe ensemble pussent faire autant.

On leur fit voir les troupes partir aux champs et saluer le drapeau. Elles firent l'exercice au son du tambour et montrèrent la parfaite intelligence qu'elles ont du métier de la guerre. Il y avait douze chevaux de l'Écurie du roi à qui l'ambassadeur et les mandarins montrèrent d'un air fort délibéré de quelle manière les Siamois se battent avec la lance. On lui demanda s'il trouvait les troupes du roi belles, et il répondit qu'il ne croyait pas avoir vu des troupes. Cette réponse les surprit, mais il tira bientôt d'embarras ceux qui l'avaient entendue, et dit qu'il ne croyait pas avoir vu des troupes, mais seulement des officiers, parce qu'ils en avaient tous l'air et l'adresse.

M. le marquis d'Uxelles lui donna un magnifique repas, avec les princes de Hanovre, de Holstein, de Harmestein et de Hanau. On y but la santé du roi, et l'on peut dire que c'est la seule chose dont il ait été surpris en France, ayant toujours dit que comme on devait tout attendre des Français, il n'était étonné de rien. Mais il eut de la peine à se persuader qu'on pût boire à la santé du roi sans manquer de respect. On lui dit que les distinctions qu'on faisait en la buvant marquaient le respect, et qu'enfin le roi donnait cette liberté parce qu'elle faisait voir le zèle et l'amour qu'on avait pour lui. Il joua après le repas à toute tableSorte de trictrac que l'on nomme ainsi parce que chaque joueur dispose ses dames en quatre parties ou quatre tas, qu'il place diversement dans les quatre tables du trictrac. (Complément au Dictionnaire de l'Académie française, 1853, p. 1020). avec M. d'Uxelles, et le gagna. Il dit, lorsqu'il eut vu les ouvrages et les troupes, qu'il ne s'étonnait point de la grandeur et de la prospérité du roi, et que beaucoup de choses y contribuaient, savoir l'union de la famille royale, l'avantage qu'il avait de gouverner par lui-même, la fidélité, la ponctualité, l'intelligence et la vigilance de ses ministres et la bonté de ses troupes remplies de jeunesse adroite et propre à tout.

Je suis obligé de passer légèrement sur chaque article, parce qu'il me reste trop de choses à vous apprendre. Mr Storf lui dit au premier repas qu'il fit à Paris après son retour de l'audience, qu'il ne mangeait point. Il répondit qu'ayant eu l'honneur de voir le roi, il ne pouvait employer trop de temps à y penser, et qu'il s'en souviendrait jusqu'à Siam et toute sa vie.

Quelques jours après, Mme du Repaire était venue le voir dîner, on lui dit qu'elle était sœur de M. le marquis d'Uxelles, dont il avait reçu tant d'honneur au camp. Il lui fit aussitôt compliment, et lui présenta les plus beaux fruits de la table, et quoiqu'il eût coutume d'en présenter aux personnes les plus distinguées et aux plus belles dames, il n'en présenta ce jour-là à aucune. On s'en étonna, mais on remarqua enfin qu'il ne l'avait fait qu'afin que Mme du Repaire eût l'avantage d'être seule distinguée. Ayant vu jouer la comédie du Bourgeois Gentilhomme, il comprit tout le sujet de la pièce sur ce qu'on lui en expliqua, et dit à la fin qu'il aurait souhaité qu'il y eût eu dans le dénouement de certaines choses qu'il marqua. M. de la Grange (11) dit dans son compliment qu'ils avaient été souvent honorés de la présence de plusieurs ambassadeurs, qui poussés par leur curiosité étaient venus admirer leurs spectacles, mais qu'ils n'avaient jamais eu l'avantage de voir chez eux des personnes dont la qualité de l'ambassade dans toutes ses circonstances eut plus attiré d'admiration, et que c'était acquis, il arrivait ce jour-là par leur présence que toute la salle était pleinement informée de l'estime particulière que notre auguste monarque faisait de leur mérite, et qu'aussi s'empressait-on à leur rendre de toutes parts les honneurs dus à leur caractère, chacun allant au-devant de ce qui leur pouvait être agréable, qu'il aurait été à souhaiter pour la troupe qu'un peu d'habitude de la langue française leur eût rendu la pièce intelligible, afin qu'ils en eussent pu sentir la beauté, ce qui leur aurait fait mieux comprendre le zèle avec lequel ils s'étaient portés à leur donner quelque plaisir, qu'ils priaient leurs interprètes de le leur faire entendre, aussi bien que le désir qu'ils auront de contribuer encore à leur divertissement pendant leur séjour à Paris. Ce discours reçut beaucoup d'applaudissements, et l'ambassadeur ayant rencontré M. de la Grange lorsqu'il sortait de la comédie, lui dit en français : Je vous remercie, Monsieur le Marquis, parce qu'il avait joué le rôle du Marquis dans la pièce.

Ils ont été à la Bastille voit le magasin d'armes, où il y en a toujours de prêtes pour armer trente mille hommes. Je ne vous en fais point le détail. Imaginez-vous toutes les sortes d'armes qui peuvent être employées dans une armée, et ce sera vous représenter tout ce qu'on trouve dans ce magasin. Rien n'en égale le bon ordre et la propreté. C'est en effet des soins de M. Thiron, mais l'établissement en est dû à M. de Louvois. Il n'y en avait point encore eu en France. Les ambassadeurs ne se contentèrent pas de l'admirer, mais ils ne donnent la peine d'écrire et de faire écrire par leurs secrétaires tout ce qu'ils y virent. On leur dit qu'il y avait en France encore vingt magasins qui n'étaient pas moins remplis. Ainsi quelque lieu qu'on puisse envoyer des soldats sans armes, en seraient munis dans ces magasins, et cela n'a pas peu contribué aux conquêtes de Sa Majesté. Lorsqu'ils virent les Invalides, le premier ambassadeur dit en parlant du roi et de ses troupes : Il les habille et les paye, et récompense leurs belles actions, il les loge, il les nourrit. Peut-il manquer après cela d'être toujours vainqueur ? Jamais on n'a dit tant de choses en si peu de paroles, et je ne sais si des panégyriques entiers pourraient mieux louer le roi.

Quand ils allèrent à la comédie italienne, et qu'on leur voulut faire remarquer la salle qui est très belle (12), ils dirent qu'elle était à Paris et que cela suffisait, Paris étant capable de produire tout ce qu'on peut s'imaginer de plus beau.

Voici à peu près le sujet du compliment italien que leur fit M. Cinchio (13). Il dit que c'étaient de sages et illustres ministres, qui portaient imprimée sur leur front la grandeur de leur roi, qu'ils étaient venus en France du fond des Indes pour nous découvrir les merveilles de l'Asie, que leur royaume était divisé en onze provinces qu'on pouvait appeler autant de royaumes, et que tout était d'un si grand exemple dans le gouvernement de Siam, que si les écoles de la prudence et de la politique étaient nécessaires en France, ils pourraient en donner les premiers enseignements. À quoi il ajouta qu'il les priait de souffrir qu'au nom de toute la troupe, il leur rendît grâces de l'honneur qu'il leur avait plu de faire à leur théâtre, et qu'à leur retour à Siam ils daignassent dire à leur souverain seigneur que les nations les plus éloignées donnent un tribut de louanges à sa grandeur, et révèrent sa puissance, d'autant plus considérable qu'elle a mérité l'estime de notre monarque toujours invincible Louis XIV, et que cependant ils attendraient eux de nouveaux ordres pour leur donner de nouvelles marques de leur zèle et de leur puissance. Ce compliment fut interprété en français par M. Veneroni, interprète du roi en langue italienne (14), qui parle portugais aussi bien que l'interprète des ambassadeurs qui est né à Siam, et fils d'un portugais qui s'y est habitué (15).

Comme ils veulent voir Paris par tous les endroits d'où l'on en peut remarquer quelques parties principales, ils ont été sur la montagne de Montmartre. Ils ont dit que Siam avait autant d'étendue que Paris, mais que cependant, à cause de la hauteur des maisons, Paris était six fois aussi grand que Siam.

Ils allèrent au couvent (16) et firent compliment à Mme de Montmartre (17). Ils y entendirent vêpres, trouvèrent beaucoup de douceur dans le chant des religieuses, et remarquèrent qu'elles n'avaient point levé leur voile pour les regarder. Le premier ambassadeur dit qu'il les admirait sans en être étonné, et qu'on en devait user ainsi quand on avait une fois quitté l'extérieur pour l'intérieur. Ils allèrent ensuite voir la porte Saint-Denis et la porte Saint-Martin, qu'ils trouvèrent très belles, mais ils dirent qu'auprès de ces grands ouvrages, il fallait de plus belles maisons. Ils virent ensuite le rempart qui s'étend jusqu'à la porte Saint-Antoine et ils dirent que quand cet ouvrage serait achevé, il serait digne à Paris.

Lorsqu'ils allèrent à Meudon, ils demandèrent si Mme de Louvois y serait. On connut que c'était pour lui faire compliment, parce qu'ils savent ceux à qui ils en doivent. On leur répondit qu'elle aurait bien souhaité avoir cet honneur, mais qu'elle ne s'y trouverait pas, afin qu'ils pussent avoir pleine liberté dans toute la maison. On fit aller le carrosse en arrivant le long de la terrasse, pour leur donner lieu de remarquer la beauté de l'avenue. Ils dirent que cette terrasse devait être bien haute, puisque la pointe du clocher du village était beaucoup au-dessous (18).

◄  Page précédente
Séjour à Berny - Entrée à Paris
Audience à Versailles
Page suivante  ►
Le Louvre - Les Tuileries
L'Académie de peinture - Les Gobelins

NOTES :

1 - Le Mercure Galant du mois d'avril 1696 annonçait la mort d'Antoine du Vidal, seigneur de Riveroles. Il était contrôleur ordinaire de Sa Majesté. (p. 289). 

2 - La Dauphine Marie-Anne de Bavière accoucha le 31 août 1686 de Charles de France, duc de Berry, troisième petit-fils de Louis XIV. L'audience avec les ambassadeurs siamois aura lieu le mois suivant, le 2 octobre 1686.

ImageAudience de Monseigneur le Dauphin, détail d'un almanach de 1687. 

3 - Louis de France, duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV, avait quatre ans lors de cette réception, et son frère Philippe, duc d'Anjou, n'en avait que trois.

ImageLouis et Philippe de France, petits-fils de Louis XIV. Détail d'un almanach de 1687. 

4 - La bataille de la Peene, appelée aussi troisième bataille de Cassel, est un épisode majeur des guerres de Hollande (1672-1678). Cette bataille opposa l'armée française aux troupes coalisées des Provinces-Unies, de l'Espagne et de l'Angleterre. Elle a été livrée les 10 et 11 avril 1677 entre Noordpeene et Zuytpeene, deux villages situés sur la rive droite de la rivière Peene Becque, en Flandre, entre Cassel et Saint-Omer, l'enjeu étant la prise de cette dernière ville. La victoire des troupes françaises a permis le rattachement à la France de la ville de Saint-Omer, des châtellenies de Cassel, Bailleul et Ypres, jusque-là possessions du comté de Flandre, et plus largement des Pays-Bas du sud espagnols. (Wikipédia). 

5 - Philippe d'Orléans (1674-1723), petit-fils de Louis XIII, qui assurera la régence entre 1715 et 1723, à la mort de son oncle Louis XIV.

ImagePhilippe d'Orléans, le Régent, par Jean-Baptiste Santerre. 

6 - Mademoiselle d'Orléans : sans doute Françoise Marie de Bourbon, duchesse d'Orléans (1677-1749), fille de Louis XIV et de Mme de Montespan, qu'on surnommait Mademoiselle de Blois. Madame la Grande duchesse : nom donné à Marguerite Louise, duchesse d'Orléans, fille de Gaston d'Orléans, frère puîné de Louis XIII. 

7 - L'église Saint-Louis de la maison professe des Jésuites se trouve dans le Marais, à Paris, 99 rue Saint-Antoine. Les locaux de la congrégation étaient dans l'actuel lycée Charlemagne, qui jouxte l'église.

ImageL'église Saint-Paul Saint-Louis. 

8 - Initialement prévu à trois niveaux et destiné à alimenter Versailles en eau, cet aqueduc commencé en 1686 ne sera jamais terminé. Les travaux seront interrompus par la guerre de la Ligue d'Augsbourg en 1689.

ImageL'aqueduc et le château de Maintenon. 

9 - Philippe de La Hire, mathématicien, physicien, astronome et théoricien de l'architecture français, né le 18 mars 1640 à Paris et mort le 21 avril 1718 dans cette même ville. (Wikipédia). 

10 - Nicolas Chalon du Blé (1652-1730), marquis d'Uxelles et de Cormatin, chevalier du Saint-Esprit et maréchal de France, est un militaire français qui, sous la Régence, obtint la présidence du Conseil des Affaires étrangères. (Wikipédia). 

11 - Charles Varlet, dit La Grange, (1635-1692) comédien de grand talent qui succéda à Molière à la tête de la Troupe du roi. On lui doit une édition posthume des Œuvres de Monsieur de Molière qu'il réalisa en collaboration avec Jean Vivot. 

12 - Il s'agissait de l'Hôtel de Bourgogne. La troupe des Grands Comédiens de l’Hôtel de Bourgogne, qui l'occupait depuis 1642, fusionna en 1680 avec la Troupe du théâtre de Guénégaud pour former la Comédie française qui alla s'installer salle du Jeu de paume de la Bouteille, également appelée Théâtre Guénégaud, salle aujourd'hui disparue. L'Hôtel de Bourgogne fut alors dévolu à la Comédie italienne qui s'y produisit jusqu'en 1697. 

13 - Sans doute Marc Antoine Romagnesi, dit Cinthio, acteur de la Comédie Italienne. Cette troupe de comédiens italiens s'était établie de manière stable à Paris en 1660, et fut subventionnée par le roi quelques années plus tard. D'abord jouant uniquement un répertoire improvisé en italien de Commedia dell'arte, les comédiens intercalèrent peu à peu des scènes en français dans leurs pièces, puis jouèrent des comédies entièrement en français. Mais ce qui ne choquait pas en italien, faute de comprendre la langue, offusquait gravement la censure lorsque c'était dit en français : Bien que ces ouvrages, qui alternaient avec des pièces italiennes, ne fussent plus improvisés, les acteurs ne laissaient pas que d'y ajouter des scènes entières de leur crû. Malheureusement, leurs plaisanteries, tolérables tout au plus dans leur idiome naturel, ne tardèrent pas à dépasser les limites du possible dans notre langue. La grossièreté, l'indécence de leurs représentations choquaient toutes les personnes de bon goût ; mais une certaine partie des spectateurs s'amusait de ces trivialités et les encourageaient dans cette cette voie déplorable.

Les avertissements de la police ne leur furent pas épargnés. Ils en riaient et croyant sans doute justifier la devise de Santeul inscrite en 1687 sur la toile de leur théâtre : « Castigat ridendo mores » [elle corrige les mœurs en riant], ils continuaient de plus belle. D'excès en excès, la patience du roi se lassa, et le 14 mai 1697, M. d'Argenson, lieutenant-général de police, qui venait de succéder à M. de la Reynie, accompagné de plusieurs commissaires, d'exempts et d'archets de robe courte, se transporta à onze heures du matin à l'Hôtel de Bourgogne et fit apposer les scellés sur les portes extérieures et sur les loges des acteurs, à qui il signifia qu'ils n'étaient plus au service du roi et qu'il leur était défendu de remettre les pieds dans leur théâtre. (Émile Campardon, Les comédiens du roi de la troupe italienne, 1880, I, pp. XXII et suiv.). Deux troupes furent alors constituées, qui furent autorisées à donner des représentations en province, à au moins trente lieues de la capitale. Il faudra attendre 1716 pour qu'une nouvelle troupe italienne s'installe à Paris, sous l'impulsion du régent Philippe d'Orléans. 

14 - Né à Verdun, Jean Vigneron (1642-1708) italianisa son nom en Giovanni Veneroni. Il fut maître d'italien, secrétaire et interprète du roi. On lui doit notamment un Dictionnaire italien et françois et une Grammaire italienne

15 - Cet interprète se nommait Vincent Pinheiro. Il sera élevé au rang d'Ok-khun Worowat (ออกขุนวรวาที) par le roi Phetracha. 

16 - L'abbaye royale de Montmartre était une abbaye de moniales bénédictines fondée par le roi Louis VI en 1133-1134 à la place d’un prieuré clunisien relevant de Saint-Martin-des-Champs, rue des Moines à Paris. Elle fut détruite après la Révolution. (Wikipédia).

ImageL'abbaye de Montmartre en 1625. 

17 - L'abbesse de Montmartre en 1686 était Marie Anne d'Harcourt (1657-1699), fille de François de Lorraine, comte d'Harcourt. Elle succédait à Françoise Renée de Lorraine, décédée en 1682. Cette abbesse, en même temps qu'elle était la plus édifiante des religieuses, était aussi une des femmes les plus instruites de son siècle ; chez elle, la plus haute science se joignait à un esprit très distingué. (D.-J.-F. Chéronnet, Histoire de Montmartre, 1843, p. 143). 

18 - Le château de Meudon fut bâti pour le cardinal de Lorraine par Philibert de Lorme, sous le règne d'Henry II. MM. Servien et de Louvois l'ont augmenté et embelli successivement. Le roi Louis XIV l'ayant acquis de Mme de Louvois, le donna à feu Monseigneur le Dauphin son fils, qui y fit faire des augmentations et des embellissements dignes de ce grand prince.

On arrive au château de Meudon par une avenue d'environ 370 toises de long. À droite est le couvent des capucins, bâti aux dépens du cardinal de Lorraine, et à gauche sont les vignes de Meudon. La terrasse qui se présente ensuite sert encore d'avenue et d'avant-cour au château. À droite est le parc, et à gauche est le village de Meudon. Cette terrasse a coûté des sommes immenses, parce qu'il a fallu rendre le terrain égal, couper d'un côté de hautes pointes de rocher et de pierre dure, et de l'autre combler des creux assez profonds, et outre cela élever des murs solides pour soutenir les terres et conserver le niveau. Cette terrasse a environ 130 toises de long, sur 70 de large. (Piganiol de la Force, Description de Paris, de Versailles, de Marly, de Meudon […], VIII, 1742, pp. 57-58).

ImageLe château de Meudon en 1659. 
Banniere bas retour
Page mise à jour le
16 février 2019