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Le libraire au lecteur

lettrine Page

I la nouveauté et la sincérité sont deux choses qui font particulièrement estimer une histoire, je dois espérer que celle-ci sera très bien reçue dans le public, car l'une et l'autre de ces qualités s'y trouvent heureusement réunies. On ne verra rien dans cet ouvrage de tout ce qui s'est vu dans les relations de Siam qui l'ont précédées ; l'auteur n'a pas voulu même y faire entrer le récit de son voyage, afin de n'être pas obligé des répéter bien des choses que l'on ne pouvait plus ignorer. Pour la vérité, il la dit partout, et il la dit avec cette simplicité qui en est le véritable caractère. Il donne pour certaines les choses qu'il a vues, et il laisse au lecteur la liberté tout entière de douter de celles dont il n'a pas pu s'assurer par le témoignage de ses yeux ; mais je puis dire qu'il y en a peu qui soient échappées à sa connaissance ; le séjour de quatre années qu'il a fait à Siam lui a donné le moyen d'y faire des découvertes que n'ont pu faire ceux qui en ont écrit avant lui, parce qu'ils n'y ont fait que passer. Pour entrer aussi avant que lui dans le détail des maximes de la politique et de la religion de ce royaume, il aurait fallu qu'ils se fussent, comme lui, donné le temps et la peine d'en apprendre la langue, dont l'usage lui a été absolument nécessaire pour s'en instruire à fond, soit par la lecture des meilleurs livres siamois qui lui sont tombés entre les mains, soit par les entretiens familiers qu'il a eus avec les personnes les plus savantes et les plus éclairées dans l'une et dans l'autre. L'amitié pleine de confiance que les mandarins qui étaient de l'ambassade lui ont témoigné jusqu'au moment de leur départ de Paris, et les fréquentes conférences qu'il a eues avec eux pour s'éclaicir de certaines choses dont les Siamois font un grand mystère à l'égard des étrangers, lui ont aussi été d'un grand secours pour la perfection de cette histoire.

Quoi qu'il en soit, quand il s'est rendu à la prière que ses amis lui ont faite de mettre en ordre ses mémoires, il l'a fait moins par complaisance pour eux que par le dessein de se rendre utile à ceux qui voudraient aller à Siam, car si c'est la curiosité qui leur fait entreprendre ce voyage, il trouveront de quoi la contenter dans la première partie de cette histoire, où ils verront tout ce que la nature a produit de rare et de particulier pour la richesse et l'agrément de ce pays. S'ils y vont dans le dessein de s'y établir, la seconde partie leur donnera une connaissance parfaite des mœurs et des inclinations de ceux avec qui ils auront à vivre, des lois et des coutumes du royaume, des charges et des emplois dont ils pourront se rendre dignes par la fidélité de leurs services. Et si c'est l'esprit de Dieu qui les y conduit pour y travailler au salut des âmes, la troisième partie leur apprendra quelle est la religion des Siamois qu'ils auront à combattre, les illusions et les rêveries de ceux qui l'enseignent, et ce que l'on doit attendre du zèle des pieux et savants missionnaires qui y travaillent à l'établissement de la religion chrétienne. Et parce qu'on ne peut rien faire à Siam, ni pour la religion, ni pour la fortune, sans la participation de la Cour, la quatrième et dernière partie de cette histoire contient les cérémonies qui s'y observent et marque de quelle manière on s'y doit conduire pour y réussir ; enfin l'agréable se trouve joint à l'utile dans tout le corps de cet ouvrage, et chacun se peut promettre d'y trouver de quoi se satisfaire. Les philosophes auront de quoi se divertir dans la recherche des causes occultes et secrètes de tant de rares et merveilleuses productions, par lesquelle la nature a si bien distingué la terre de Siam de toutes celles qui l'environnent ; les mathématiciens de quoi s'étonner du bizarre système de la terre et des cieux que les savants du pays leur ont tracé ; les magistrats y verront avec plaisir de quelle manière on y rend la justice, comment on récompense la vertu et on y punit le crime, la subordination que l'on y garde dans toutes sortes de conditions, l'obéissance exacte, fidèle et indispensable que les sujets y rendent au prince. Les femmes même seront sans doute bien aises d'y voir les modes du pays, les occupations et les divertissements des dames siamoises, les cérémonies de leurs fiançailles et la solennité de leurs noces, comment elles en usent dans leur famille avec leurs époux, leurs enfants et leurs esclaves ; leur modestie et leur sagesse, et pour l'honneur du sexe, elles ne seront pas fâchées d'y voir entre autres une jeune reine qui va le sabre à la main attaquer sur ses vaisseaux une flotte ennemie, qu'elle dissipe par son courage et par sa valeur.

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1ère partie
I - De la situation, du climat et
des inondations du royaume de Siam

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Page mise à jour le
5 mars 2019