Maison faite exprès pour les envoyés du roi

 

Avertissement nécessaire.

Depuis que cette relation est faite, nous avons appris la mort du roi de Siam dont elle parle (1), et qu'Ok-phra Phetracha (2) lui a succédé. On verra dans cet ouvrage que c'était à Siam le bruit public, pendant que j'y étais, qu'Ok-phra Phetracha, ou son fils Ok-luang Sorasak (3), parviendraient à la Couronne s'ils survivaient l'un ou l'autre au roi qui régnait alors, et j'en rendis compte à feu M. le marquis de Seignelay (4) à mon retour, dans un mémoire qu'il désira que je lui donnasse.

Occasion et dessein de cet ouvrage.

I. Occasion de cet ouvrage.

Mon retour du voyage que j'ai fait à Siam en qualité d'envoyé extraordinaire du roi, ceux qui ont droit de me commander ont exigé de moi que je leur rendisse un compte exact des choses que j'ai vues ou apprises en ce pays-là, et c'est ce qui fera toute la matière de cet ouvrage. D'autres ont assez instruit le public des circonstances de cette longue navigation, mais pour ce qui regarde la description d'un pays, on n'en saurait avoir trop de relations si on le veut bien connaître ; les dernières éclaircissent toujours davantage les précédentes. Mais afin qu'on sache de quel temps j'écris, je dirai seulement que nous partîmes de Brest le 1er mars 1687, que nous mouillâmes à la rade de Siam le 27 septembre de la même année, que nous en partîmes pour notre retour le 3 janvier 1688, et que nous mîmes pied à terre à Brest le 27 juillet suivant.

II. Dessein de l'ouvrage.

Mon dessein est donc de traiter d'abord du pays de Siam, de son étendue, de sa fertilité et des qualités de son terroir et de son climat ; en second lieu, j'expliquerai les mœurs des Siamois en général, et enfin leurs mœurs particulières selon leurs diverses conditions. Le gouvernement et la religion entreront en cette dernière partie, et je me flatte que plus on avancera dans la lecture de cet ouvrage, plus on le trouvera digne de curiosité, parce que le goût et le génie des Siamois, que j'ai tâché de pénétrer en toutes choses, s'y découvriront toujours de plus en plus. Enfin, pour ne m'arrêter pas à des choses qui ne seraient pas au gré de tout le monde, ou qui interrompraient trop ma narration, je renverrai à la fin plusieurs mémoires que j'ai rapportés de ce pays-là et que je ne saurais supprimer sans faire tort à la curiosité du public. Que si, malgré cette précaution, j'étends encore de certaines matières au-delà du goût de quelques-uns, je les prie de considérer que les expressions générales ne donnent jamais de justes idées, et que ce n'est pas être informé que de ne l'être que de la première écorce des choses. C'est dans ce même esprit de bien faire connaître les Siamois que je donne plusieurs connaissances des autres royaumes des Indes et de celui de la Chine, car quoiqu'à la rigueur tout cela puisse paraître étranger à mon sujet, il m'a semblé néanmoins que la comparaison des choses des pays voisins entre eux éclaircit beaucoup les unes et les autres. J'espère aussi que l'on me pardonnera les noms siamois que je rapporte et que j'explique. Ces remarques feront entendre d'autres relations que la mienne, lesquelles sans ces éclaircissements pourraient quelquefois faire douter de ce que je dis.

Au reste, ceux qui me connaissent savent que j'aime la vérité, mais il ne suffit pas de donner une relation sincère pour la donner véritable : il faut avoir joint les lumières à la sincérité, et s'être bien informé de ce dont on entreprend d'informer les autres. J'ai donc considéré, interrogé, pénétré autant qu'il m'a été possible, et pour me rendre plus capable de le faire, j'ai lu avec soin avant que d'arriver à Siam, plusieurs relations anciennes et modernes des diverses contrées de l'Orient, de sorte qu'il me semble que cette préparation a suppléé au défaut d'un plus long séjour, et m'a fait remarquer et entendre, en trois mois que j'ai été à Siam, ce que je n'eusse ni entendu, ni remarqué peut-être en trois ans sans le secours de ces lectures.

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Table des cartes géographiques, plans
et figures de ce premier volume.
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1ère partie
I. Sa description géographique.

NOTES

1 - Phra Naraï mourut le 10 ou le 11 juillet 1688. 

2 - La Loubère épelle Oc-Prá Pipitcharatcha. Frère de lait du roi Naraï, Phetracha était général en charge des éléphants royaux. Il usurpa la Couronne et régna sous le titre de Phra Phetracha (พระเพทราชา) entre 1688 et 1703. 

3 - La Loubère épelle Oc-Loüang Souraçac. Fils de Phetracha (ou fils adultérin du roi Naraï selon les Chroniques siamoises), Luang Sorasak (หลวงสรศักดิ์) régna sous le titre de Suriyenthrathibodi (สุริเยนทราธิบดี) entre 1703 et 1709. Sa brutalité et sa cruauté lui valurent le surnom de Phra Chao Suea (พระเจ้าเสือ), le Roi Tigre

4 - Fils du Grand Colbert, Jean-Baptiste Antoine Colbert, marquis de Seignelay fut Secrétaire d’État de la Marine entre 1683 et 1690, date de sa mort. 

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23 décembre 2019