Chapitre VI
Des spectacles
et des autres divertissements des Siamois.

Page de la Relation de La Loubère
I. Manière de prendre un éléphant sauvage.

Le lieu où est l'éléphant que l'on veut prendre est comme une tranchée fort large et assez longue ; je dis comme une tranchée, parce qu'on ne l'a pas faite en creusant, mais en élevant la terre presque aplomb de chaque côté, et c'est sur ces terrasses que se tiennent les spectateurs. Dans le fond qui est entre ces terrasses est un double rang de troncs d'arbres de plus de dix pieds de haut, plantés en terre, assez gros pour pouvoir résister aux efforts de l'éléphant, et assez loin l'un de l'autre pour laisser passer un homme dans l'entre-deux, mais trop près pour y laisser passer un éléphant. C'est entre ces deux rangs de troncs que les éléphants femelles apprivoisés, qu'on avait menés dans les bois, avaient attiré un éléphant mâle et sauvage. Ceux qui les y mènent se couvrent de feuilles pour ne pas effaroucher les éléphants des bois, et les éléphants femelles ont assez d'intelligence pour faire les cris propres à appeler les mâles. Celui-ci s'était déjà engagé dans le double rang de troncs en suivant les femelles et il ne pouvait plus retourner dans les forêts, mais il était question de le prendre et de le lier pour le renfermer et l'apprivoiser. L'issue de l'espace où il était est un corridor étroit fait aussi de gros troncs d'arbres. Dès que l'éléphant est entré dans ce corridor, la porte par laquelle il y entre et qu'il ouvre en la poussant devant lui avec sa trompe se referme de son propre poids ; l'autre porte par laquelle il doit sortir se trouve fermée, et d'ailleurs l'espace est si étroit qu'il ne saurait entièrement s'y tourner. La difficulté était d'engager l'éléphant sauvage dans ce corridor, et de l'y engager seul, car les femelles étaient encore avec lui dans la tranchée et il ne se séparait point d'elles. Plusieurs Siamois, qui se tenaient derrière les troncs au pied des terrasses où l'éléphant ne pouvait les aller chercher, entraient de toutes parts par entre les troncs dans l'espace où était l'éléphant pour le harceler, et quand l'éléphant en poursuivait quelqu'un, il se réfugiait bien vite derrière les troncs entre lesquels l'éléphant irrité poussait vainement sa trompe et contre lesquels il cassa le bout d'une de ses dents. Pendant qu'il courait ainsi après ceux qui l'agaçaient, d'autres lui jetaient de longs lacets dont ils retenaient l'un des bouts, et ils les lui jetaient avec tant d'adresse que l'éléphant en courant ne manquait presque jamais de mettre dedans l'un des pieds de derrière, de sorte qu'en tirant diligemment le bout du lacet, ils le ferraient un peu au-dessus du pied de l'éléphant. Ces lacets étaient de grosses cordes dont l'un des bouts était passé dans l'autre en nœud coulant, et l'éléphant en traînait trois ou quatre à chaque pied de derrière, car dès qu'une fois le lacet est ferré, on en lâche le bout pour n'être pas soi-même entraîné par l'éléphant. Plus il s'irritait, moins il revenait aux femelles, et cependant pour les faire sortir de cet espace, un homme monté sur une autre femelle y entrait et en ressortait à plusieurs reprises par le corridor, et cette femelle qu'il montait appelait les autres par un coup sec qu'elle donnait contre terre avec sa trompe. Elle la dardait perpendiculairement en bas, évitant néanmoins de frapper tout à fait du bout qu'elle tenait recourbé en haut. Et dès qu'elle avait fait cet appel deux ou trois fois de suite, celui qui la montait la faisait ressortir par le corridor. Enfin, après qu'on eut fait faire cinq ou six fois ce même manège à cette femelle, les autres femelles la suivirent, et bientôt après l'éléphant, revenu à lui-même parce qu'on cessa de l'irriter, se détermina d'aller après elles. Il poussa devant lui la première porte du corridor avec sa trompe, et dès qu'il fut entré, on lui jeta plusieurs seaux d'eau sur le corps pour le rafraîchir, et avec une vitesse et une adresse incroyables on le lia aux troncs du corridor avec des lacets qui tenaient déjà à ses pieds. Ensuite on fit entrer à reculons dans le corridor un éléphant apprivoisé au col duquel on lia le sauvage aussi par le col, et en même temps on le détacha des troncs, et deux autres éléphants privés ayant encore été menés au secours, tous les trois, l'un d'un côté, l'autre de l'autre, et le troisième par derrière, menèrent le sauvage sous un hangar qui était fort proche, où l'on l'attacha et serra de près par le col à un pivot planté tout droit qu'il faisait tourner à mesure qu'il tournait autour. On disait qu'il ne devait être à ce pivot que vingt-quatre heures, et que dans cet espace de temps on lui mènerait deux ou trois fois des éléphants privés pour lui tenir compagnie et le consoler ; qu'après les vingt-quatre heures on le conduirait dans la loge qu'on lui avait destinée, et que dans huit jours il aurait pris son parti et se serait résolu à l'esclavage (1).

II. Ce que les Siamois pensent de l'éléphant.

Ils parlent d'un éléphant comme d'un homme, ils le croient parfaitement raisonnable, et ils en content des choses si raisonnée qu'il n'y manque que la parole. En voici une, par exemple, dont on croira ce que l'on voudra. On nous a donné pour une vérité très connue qu'un homme ayant cassé un coco sur la tête d'un éléphant qu'il montait, et s'étant servi pour cela du dos de cette espèce de pic avec lequel j'ai dit qu'on conduit les éléphants, cet animal conçut le désir de s'en venger dès qu'il le pourrait. Il ramassa, dit-on, avec sa trompe l'un des éclats du coco et le garda plusieurs jours, ne le lâchant jamais que pour manger, pendant quoi il le tenait soigneusement entre ses deux pieds de devant. Enfin celui qui lui avait fait l'affront s'étant approché de lui pour lui donner à manger, l'éléphant le saisit, le foula aux pieds et le tua, et mit pour sa justification l'éclat du coco sur le corps mort. C'est en ces termes qu'on nous fit ce récit, car les Siamois croient que les éléphants sont capables de justice et de profiter des châtiments les uns des autres, et ils disent qu'à la guerre, par exemple, quand ces animaux se mutinent, on n'a qu'à en tuer quelqu'un sur-le-champ pour rendre tous les autres sages. Mais ces contes et plusieurs autres que j'ai oubliés sentent fort la fable, et pour ne pas sortir de l'exemple que je viens de rapporter, il est, ce me semble, bien évident que si l'éléphant offensé eût raisonné, il n'aurait pas attendu d'autre occasion de vengeance mais qu'il se serait vengé sur-le-champ, puisque tout éléphant peut jeter à terre avec sa trompe l'homme qui le monte, et l'ayant jeté par terre le fouler aux pieds et le tuer (2).

III. Comment les Siamois prirent congé de trois éléphants que le roi de Siam envoyait en France.

Pour moi, dans le temps que j'ai été à Siam, je n'ai rien vu faire de merveilleux à aucun de ces animaux, quoique je sois persuadé d'ailleurs qu'ils sont plus dociles que les autres. On en embarqua trois jeunes que le roi de Siam envoyait à Messeigneurs les trois princes petits-fils de France (3). Les Siamois qui les avaient amenés à bord de nos vaisseaux pour les embarquer prirent congé d'eux comme ils eussent pu faire de trois de leurs camarades, et leur dirent à chacun à l'oreille : Allez, partez avec joie, vous serez esclaves à la vérité, mais vous le serez des trois plus grands princes du monde, dont le service est aussi doux qu'il est glorieux. On les guinda ensuite dans les vaisseaux, et parce qu'ils se baissèrent pour passer sous les ponts, on se récria d'admiration, comme si tous les animaux n'en faisaient pas autant pour passer dans les lieux bas.

IV. L'éléphant est fort dangereux quand il est en chaleur.

Un jour à Louvò, un éléphant déchira dans la rue le frère d'un jeune mandarin qui était auprès des envoyés du roi comme M. Torpff avait été auprès des ambassadeurs de Siam (4). On disait à la vérité que l'éléphant était en chaleur, mais cette chaleur n'était pas d'une bête plus raisonnable, mais seulement plus féroce que les autres. Aussi pour rendre les éléphants de guerre plus doux, les accompagne-t-on de femelles, même lorsqu'on les mène boire et se laver, et je ne sais si sans ce cortège on en pourrait toujours venir à bout. Les Siamois disent que les éléphants sont sensibles à la grandeur, qu'ils aiment à avoir une grosse maison, c'est-à-dire plusieurs valets pour leur service et des femelles pour leurs maîtresses (dont néanmoins on dit que les éléphants ne désirent le commerce que dans les forêts, tant qu'ils sont sauvage et en pleine liberté), que sans ce faste ils s'affligent du peu d'égard que l'on a pour eux, et que quand ils font quelque grande faute, le plus rude châtiment qu'on leur puisse faire souffrir, c'est de retrancher leur maison, de leur ôter leurs femelles, de les chasser du palais et de les renvoyer dans les loges du dehors. Ils disent qu'un éléphant ayant été puni de cette sorte et étant venu à bout de se mettre en liberté, s'en retourna à sa loge du palais et tua l'éléphant qu'on avait mis à sa place, ce qui ne me paraît ni incroyable, ni merveilleux, pourvu que le chemin ait été libre et ouvert ; car chaque animal aime son gîte ordinaire, et selon qu'il sera plus ou moins courageux, il fera plus ou moins d'effort pour en chasser un autre animal.

V. Combat d'éléphant.

Pour revenir aux divertissements de la cour de Siam, nous vîmes un combat de deux éléphants de guerre (5). Ils étaient retenus par les pieds de derrière avec des câbles que plusieurs Siamois tenaient, et qui outre cela étaient attachés à des cabestans. À peine les éléphants pouvaient-ils croiser leurs trompes dans le choc ; deux hommes étaient montés sur chacun d'eux pour les animer, mais après cinq ou six attaques, le combat finit et l'on fit approcher les femelles qui séparèrent les mâles. Chez le Grand Mogol, on permet aux éléphants de s'approcher davantage et ces animaux tâchent à abattre le conducteur l'un de l'autre, et souvent ils l'abattent et le tuent. À Siam, on n'expose ni par jeu, ni par exercice, la vie des hommes ni celle des bêtes.

VI. Combat de coqs.

On y aime les combats de coqs. Les plus courageux ne sont pas toujours les plus grands, mais ceux qui sont naturellement les mieux armés, c'est-à-dire ceux qui ont de meilleurs ergots. Si un coq tombe, ils lui donnent à boire, parce qu'ils savent par expérience que ce n'est souvent qu'un effet de la soif, et en effet il recommence d'ordinaire le combat après s'être désaltéré. Mais comme il en coûtait presque toujours la vie à l'un des coqs, le roi de Siam a défendu ces sortes de duels, parce que les talapoins criaient et disaient que les maître des coqs pour leur punition se battraient en l'autre monde à coups de barres de fer. Je me dispensai d'assister à un combat d'un éléphant et d'un tigre parce que le roi de Siam n'y devait pas être et que je savais qu'on ne laisserait pas à ces animaux la liberté de s'abandonner à tout leur courage. On me rapporta que le tigre avait été fort lâche et que le spectacle avait mal réussi (6). La chasse des éléphants faite par une enceinte de feux dans les forêts a été décrite par d'autres ; le roi de Siam n'alla point à celle qui se fit pendant que les envoyés du roi étaient à sa cour, et ils n'en furent point priés, mais voici les autres divertissements qu'on leur donna tous à la fois et dans une vaste cour.

VII. Comédie chinoise.

L'une fut une comédie chinoise que j'eusse volontiers vue jusqu'à la fin, mais on la fit cesser après quelques scènes pour aller dîner. Les comédiens chinois, que les Siamois aiment sans les entendre, s'égosillent en récitant. Tous leurs mots sont monosyllabes et je ne leur en ai pas entendu prononcer un seul qu'avec un nouvel effort de poitrine ; on dirait qu'on les égorge. Leur habillement était tel que les relations de la Chine le décrivent, presque comme celui des Chartreux (7), se rattachant par le côté à trois ou quatre agrafes qui sont depuis l'aisselle jusqu'à la hanche, avec de grands placards carrés devant et derrière, où étaient peints des dragons, et avec une ceinture large de trois doigts sur laquelle étaient de distance en distance de petits carrés et de petits ronds ou d'écaille de tortue ou de corne, ou de quelque sorte de bois, et comme ces ceintures étaient lâches, elles étaient passées de chaque côté dans une boucle pour les soutenir. L'un des acteur, qui représentait un magistrat, marchait si gravement qu'il posait premièrement le pied sur le talon, et puis successivement et lentement sur la plante et sur les doigts, et à mesure qu'il appuyait sur la plante, il relevait déjà le talon, et quand il appuyait sur les doigts, la plante ne touchait plus à terre. Au contraire, un autre acteur, en se promenant comme un maniaque, dardait ses pieds et ses bras en plusieurs sens hors de toute mesure et d'une manière menaçante, mais bien plus outrée que toute l'action de nos Capitans ou Matamores. C'était un général d'armée, et si les relations de la Chine sont véritables, cet acteur représentait au naturel les affectations ordinaires aux gens de guerre de son pays. Le théâtre avait dans le fond une toile, et rien aux côtés, comme les théâtres de nos saltimbanques.

VIII. Les marionnettes.

Les marionnettes sont muettes à Siam, et celles qui viennent du pays de Láos sont encore plus estimées que les Siamoises. Ni les unes ni les autres n'ont rien qui ne soit fort commun en ce pays-ci.

IX. Danseurs de corde et autres sortes de saltimbanques excellents.

Mais les saltimbanques siamois sont excellents, et la cour de Siam en donne souvent le divertissemente au roi quand il arrive à Louv•. Élien rapporte qu'Alexandre eut à ses noces des saltimbanques indiens et qu'ils furent estimés plus adroits que ceux des autres nations (8). Voici de leurs tours, qu'il faut pourtant avouer que je n'ai pas considéré de près et avec soin, parce que j'étais plus attentif à la comédie chinoise qu'à tous les autres spectacles qu'on nous donnait en même temps. Ils plantent un bambou en terre, et au bout de celui-là ils en attachent un autre, et au bout de ce second un troisième, et au bout du troisième un cerceau, de sorte que cela fait comme le bois d'une raquette ronde dont le manche serait fort long. Un homme, tenant les deux côtés du cerceau de ses deux mains, pose sa tête sur la partie inférieure et intérieure du cerceau, lève son corps et ses pieds en haut et demeure en cette situation une heure et quelquefois une heure et demie ; puis il mettra un pied où il avait mis la tête, et sans se tenir autrement, et sans poser l'autre pied, il dansera à leur manière, c'est-à-dire sans s'élever, mais seulement en se donnant des contorsions. Et ce qui rend tout cela plus périlleux et plus difficile, c'est le balancement continuel du bambou. Il appellent un danseur de bambou de cette espèce Lot boüangLot buang : ลอดบ่วง, lot veut dire passer, et boüang veut dire cerceau (9).

X. Saltimbanque fort honoré par le roi de Siam.

Il en mourut un, il y a quelques années, qui se jetait du cerceau en bas, se soutenant seulement par deux parasols dont les manches étaient bien attachés à sa ceinture. Le vent le portait au hasard, tantôt à terre, tantôt sur des arbres ou sur des maisons, et tantôt dans la rivière. Il divertissait si bien le roi de Siam que ce prince l'avait fait grand seigneur : il l'avait logé dans le palais et lui avait donné un grand titre, ou comme ils disent, un grand nom. D'autres marchent et dansent à la mode du pays, sans s'élever, mais avec des contorsions, sur un fil d'archal (10) gros comme le petit doigt, et tendu de la même manière dont nos saltimbanques tendent leur corde, et ils disent que plus le fil est tendu, plus il est difficile de s'y tenir parce qu'il fait plus de ressort et qu'il en est d'autant plus incertain. Mais ce qu'ils estiment de plus difficile, c'est de monter sur ce fil d'archal par la partie de ce même fil qui est attaché à terre, et d'en descendre par l'un des bambous qui sont mis en sautoir pour le soutenir, comme aussi de s'asseoir dessus le fil d'archal les jambes croisées, d'y tenir un de ces bandèges qui leur servent de table, d'y manger et de se relever sur ses pieds. Ils ne laissent pas aussi de monter et de danser sur une corde tendue, mais sans contrepoids et avec des babouches aux pieds et des sabres et des seaux d'eau attachés à leurs jambes. Il y en a tel qui plante à terre une échelle fort haute, de laquelle les deux côtés sont des sabres dont le tranchant est tourné en haut. Il monte jusqu'au bout de cette échelle, et se tient et danse sans aucun appui sur le tranchant du sabre qui en fait le dernier échelon, pendant que l'échelle a plus de mouvement qu'un arbre que le vent agite ; puis il descend la tête la première et passe vite en serpentant entre tous les sabres. Je le vis descendre, mais je ne pris pas garde quand il était sur le sabre le plus haut et je n'allai pas voir si les échelons étaient des sabres, sans compter que les sabres peuvent n'être guère tranchants, sinon peut-être les plus bas, parce qu'ils sont les plus exposés à la vue. J'omets le reste de cette matière comme peu importante et parce que je ne l'ai pas assez observée pour l'appuyer de mon témoignage.

XI. Serpents apprivoisés.

L'empereur Galba n'étant encore que préteur donna au peuple romain le spectacle de quelques éléphants danseurs de corde (11). Les éléphants de Siam n'en savent pas tant, et les seuls animaux que je sache que les Siamois instruisent sont de gros serpents qui sont, dit-on, fort dangereux. Ces animaux s'agitent au son des instruments, comme s'ils voulaient danser, mais cela passe pour magie, parce que toujours en ce pays-là, comme souvent en celui-ci, ceux qui ont quelque artifice extraordinaire disent qu'il consiste en des paroles mystérieuses.

XII. Spectacles religieux - Illumination sur les eaux et une autre sur la terre et dans le palais.

Les Siamois ont aussi des spectacles religieux. Quand les eaux commencent à se retirer, le peuple les remercie plusieurs nuits de suite par une grande illumination, non seulement de ce qu'elles se sont retirées, mais de la fécondité qu'elles ont donnée aux terres. On voit alors toute la rivière couverte de lanternes nageantes qui passent avec elle (12). Il y en a de différentes grandeurs suivant la dévotion de chaque particulier, et le papier diversement peint dont elles sont faites augmente le bel effet de tant de lumières. De même, pour remercier la terre de la récolte, ils font pendant les premiers jours de leur année une autre illumination magnifique. La première fois que nous arrivâmes à Louvò, ce fut de nuit et au temps de cette illumination, et nous vîmes les murailles de la ville ornées de lanternes allumées de distance en distance, mais le dedans du palais était bien plus beau à voir. Dans les murs qui sont les clôtures des cours, on a pratiqué tout autour trois rangs de petites niches dans chacune desquelles brûlait une lampe. Les fenêtres et les portes étaient aussi toutes ornées de divers feux, et plusieurs fanaux grands et petits, de figures différentes, garnis de papier et de gaze et peints différemment, étaient pendus avec une agréable symétrie à des branches d'arbres ou à des poteaux (13).

XIII. Feux d'artifice fort beaux.

Je n'y vis point de feu d'artifice, en quoi néanmoins les Chinois de Siam excellent, et ils en firent de très beaux pendant notre séjour à Siam et à Louvò. À la Chine, on fait aussi une illumination solennelle au commencement de leur année, et en un autre temps une autre grande fête sur l'eau sans aucune illumination. Les Chinois ne conviennent pas dans les raisons qu'ils en donnent, mais ils n'en donnent point de religion, et celles qu'ils donnent sont puériles et sentent la fable.

XIV. Cerf-volant de papier.

Il ne faut pas omettre le cerf-volant de papier, en Siamois VáoWao : ว่าว, amusement de toutes les cours des Indes pendant l'hiver. Je ne sais si c'est religion ou non, mais le Grand Mogol, qui est mahométan et non pas idolâtre, s'y amuse aussi. Quelquefois on y attache un feu qui en l'air paraît un astre, et quelquefois on y met une pièce d'or qui est à celui qui trouve le cerf-volant en cas que le cordon casse ou que le cerf-volant tombe si loin qu'on ne puisse le retirer. Celui du roi de Siam est en l'air toutes les nuits pendant les deux mois d'hiver, et des mandarins sont nommés pour se relayer à en tenir le cordon.

XV. Trois sortes de spectacles de théâtre chez les Siamois.

Les Siamois ont trois sortes de spectacle de théâtre. Celui qu'ils appellent CôneKhon : โขน est une danse à plusieurs entrées, au son du violon et de quelques autres instruments. Les danseurs sont masqués est armés et représentent plutôt un combat qu'une danse : et quoique tout se passe presque en mouvements élevés et en postures extravagantes, ils ne laissent pas d'y mêler de temps en temps quelque mot. La plupart de leurs masques sont hideux et représentent ou des bêtes monstrueuses, ou des espèces de diables. Le spectacle qu'ils appellent LacôneLakhon : ละคร est un poème mêlé de l'épique et du dramatique, qui dure trois jours, depuis huit heures du matin jusqu'à sept du soir. Ce sont des histoires en vers, sérieuses et chantées par plusieurs acteurs toujours présents et qui ne chantent que tour à tour. L'un d'eux chante le rôle de l'historien et les autres ceux des personnages que l'histoire fait parler : mais ce sont tous hommes qui chantent et point de femmes. Le Rabamระบำ est une double danse d'hommes et de femmes qui n'est point guerrière, mais galante, et on nous en donna le divertissement avec les autres que j'ai dit ci-dessus que l'on nous avait donnés (14). Ces danseurs et ces danseuses ont tous des ongles faux et fort longs, de cuivre jaune (15) ; ils chantent des paroles en dansant, et ils le peuvent sans se fatiguer beaucoup parce que leur manière de danser n'est qu'une simple marche en rond, fort lente, et sans aucun mouvement élevé, mais avec beaucoup de contorsions lentes du corps et des bras, aussi ne se tiennent-ils pas l'un l'autre (16). Deux hommes cependant entretiennent le spectateur par plusieurs sottises que l'un dit au nom de tous les danseurs, et l'autre au nom de toutes les danseuses. Tous ces acteurs n'ont rien de singulier dans leurs habits : seulement ceux qui dansent au Rabam et au Cône ont des bonnets de papier doré, hauts et pointus à peu près comme les bonnets de cérémonie des mandarins, mais qui descendent par les côtés jusqu'au dessous des oreilles et qui sont garnis de pierreries mal contrefaites et de deux pendants d'oreille de bois doré (17). Le Cône et le Rabam sont toujours appelés aux funérailles et quelquefois en d'autres rencontres, et il y a apparence que ces spectacles n'ont rien de religieux, puisqu'il est défendu aux talapoins d'y assister. Le Lacône sert principalement pour solenniser la fête de la dédicace d'un temple neuf, lorsqu'on y place une statue neuve de leur Sommona-Codom (18).

XVI. Lutte et pugilat.

Cette fête est encore accompagnée de courses de bœufs et de plusieurs autres divertissements, comme de lutteurs et de gens qui combattent à coups de coude et de poing. Dans les combats à coups de poing, ils garnissent leur main de trois ou quatre tours de corde à la place des anneaux de cuivre dont se servent ceux de Láos en de tels combats.

XVII. Course de bœufs.

La course de bœufs se fait de cette manière : on marque un espace de cinq cents toises de long ou environ sur deux toises de large, avec quatre troncs qu'on plante aux quatre coins pour servir de bornes, et c'est autour de ces bornes que se fait la course. Au milieu de cet espace, ils élèvent un échafaud pour les juges, et afin de marquer plus précisément le milieu, qui est l'endroit d'où les bœufs doivent partir, ils plantent contre l'échafaud un poteau fort élevé. Quelquefois ce n'est qu'un bœuf qui court contre un autre bœuf, l'un et l'autre conduits par deux hommes courant à pied qui tiennent les rênes, ou plutôt le cordon passé dans les naseaux, l'un d'un côté, l'autre de l'autre ; et d'espace en espace d'autres hommes sont placés pour relayer ceux qui courent. Mais le plus souvent, c'est une paire de bœufs attelés à une charrue qui court contre une autre paire de bœufs attelés à une autre charrue ; des hommes les conduisent à droite et à gauche, comme quand ce n'est qu'un bœuf qui court contre un autre bœuf, mais outre celà, il faut que chaque charrue soit si bien soutenue en l'air par un homme courant qu'elle ne touche jamais à terre, de peur qu'elle ne retarde les animaux qui la tirent, et ces hommes qui soutiennent ainsi les charrues sont relayés encore plus souvent que les autres. Or quoique les charrues courent toutes deux de même sens, tournant toujours à droite autour de l'espace que j'ai dit, elles ne partent pas de même lieu. L'une part d'un côté de l'échafaud et l'autre de l'autre, pour courir réciproquement l'une après l'autre. Ainsi, au commencement de leur course, elles regardent des lieux opposés, et elles sont éloignées l'une de l'autre de la moitié d'un tour, ou de la moitié de l'espace sur lequel elles doivent courir. Elles courent néanmoins de même sens, comme j'ai dit, tournant plusieurs fois autour des quatre bornes dont j'ai parlé, jusqu'à ce que l'une attrape l'autre. Les spectateurs sont cependant tout autour, mais il n'est point nécessaire de barrière pour les empêcher de trop approcher. Ces courses font quelquefois des sujets de pari et les seigneurs font nourrir et dresser pour cet exercice des bœufs petits, mais bien taillés, et au lieu de bœufs, ils se servent aussi de buffles.

XVIII. Course de balons.

Je ne sais si je dois mettre parmi les spectacle le plaisir qu'on nous donna d'une course de balons, car à l'égard des Siamois, c'est plutôt un jeu qu'un spectacle. Ils choisissent deux balons les plus égaux en toutes choses qu'il est possible, et ils se divisent en deux bandes pour parier. Alors les comites se tenant debout battent une mesure précipitée, non seulement en cognant du bout d'un long bambou qu'ils ont en leur main, mais par leurs cris et par l'agitation de tout leur corps. La chiourme s'excite aussi elle-même par plusieurs cris redoublés, et le spectateur qui parie pousse aussi des cris, et ne se donne guère moins de mouvement que s'il pagayait en effet. Souvent même on ne laisse pas aux comites le soin d'animer la chiourme, mais deux des parieurs font eux-mêmes cet office.

XIX. Amour excessif du jeu.

Les Siamois aiment le jeu jusqu'à se ruiner et à perdre leur liberté ou celle de leurs enfants, car en ce pays-là, quiconque n'a pas de quoi satisfaire son créancier vend ses enfants pour s'acquitter, et si cela ne suffit, il devient esclave lui-même. Le jeu qu'ils aiment le mieux est le trictrac (19) qu'ils appellent SacáSaka : สกา et qu'ils ont peut-être appris des Portugais, car ils le jouent comme eux et comme nous. Ils ne jouent point aux cartes, et je ne sais point leurs autres jeux de hasard, mais ils jouent aux échecs à notre manière et à la manière chinoise (20). Je donnerai à la fin de cet ouvrage le jeu d'échec des Chinois (21).

XX. Les Siamois aiment à fumer du tabac.

Le tabac en fumée (car il n'en prennent guère en poudre) est aussi un de leur plus grands amusements, et les femmes, même les plus importantes, y sont tout à fait adonnées. Ils ont du tabac de Manille, de la Chine et de Siam, et quoique ces sortes de tabac soient bien forts, les Siamois les fument pourtant sans nul adoucissement ; mais les Chinois et les Mores en font passer la fumée dans l'eau pour en diminuer la force. La manière des Chinois est de prendre un peu d'eau dans leur bouche, et puis d'achever de remplir leur bouche de fumée de tabac, et ensuite ils rendent l'eau et la fumée en même temps. Les Mores se servent d'un instrument singulier dont on trouvera la description et la figure à la fin de cet ouvrage (22).

XXI. Vie ordinaire d'un Siamois.

Tels sont les divertissements des Siamois, à quoi l'on peut ajouter les amusements domestiques. Ils aiment beaucoup leurs femmes et leurs enfants, et il paraît qu'ils en sont beaucoup aimés. Pendant que les hommes s'acquittent des six mois de corvées qu'ils doivent chacun tous les ans au prince (23), c'est à leur femme, à leur mère ou à leur fille à les nourrir. Et lors même qu'ils ont satisfait au service de leur roi et qu'ils sont retournés chez eux, la plupart ne savent à quel travail s'appliquer, se trouvant peu accoutumés à aucune profession particulière, parce que le prince les emploie à toutes indifféremment, comme il lui plaît. Par là, on peut juger combien la vie ordinaire d'un Siamois est oisive. Il ne travaille presque point quand il ne travaille pas pour son roi ; il ne se promène point, il ne chasse point, il ne fait presque que demeurer assis ou couché, manger, jouer, fumer et dormir. Sa femme l'éveillera à sept heures du matin et lui servira du riz et du poisson ; il se rendormira là-dessus, et à midi il mangera encore, et il soupera sur la fin du jour. Entre ces deux derniers repas, il fera la méridiane : la conversation ou le jeu emporteront tout le reste. Les femmes labourent à la campagne, elles vendent et achètent dans les villes. Mais il est temps de parler des affaires et des occupations sérieuses des Siamois, c'est-à-dire de leurs mariages, de l'éducation qu'ils donnent à leur enfants, des études et des professions auxquelles ils les appliquent.

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des Siamois.

NOTES

1 - La chasse aux éléphants a été amplement relatée par Tachard, Choisy, Chaumont, etc. de façon à peu près similaire. Un dessin colorié est consacré à cette chasse dans le recueil anonyme intitulé Usages du Royaume de Siam, cartes, vues et plans : sujets historiques en 1688 conservé à la Bibliothèque nationale sous la cote OD-55-PET FOL. Il est ainsi légendé : Chasse pour prendre les éléphant. On fait une estacade ou palissade de gros pieux ou arbres entiers dont l'enceinte est triangulaire et a quelquefois deux lieues de tour ou de circuit. On laisse la base de ce triangle ouvert pour la fermer quand on veut, on a des pieux tout prêts à terre. Vis-à-vis de cette enceinte, on fait dans la forêt une battue de plusieurs milliers d'hommes à quelques lieues de cette palissade ; il font un très grand cercle et avec des tambours, des trompettes et des mousquets, il épouvantent et font fuir les éléphants sauvages, les conduisant vers l'estacade où, les ayant réduits, ils les renferment avec les pieux préparés, et pour les prendre et les apprivoiser, on a une porte à l'endroit le plus étroit et l'on y fait entrer un éléphant docile qui va badiner avec le premier éléphant sauvage auquel on jette une corde au col et l'on le joint à l'éléphant domestique. On les fait sortir de cette enceinte et l'on les laisse ainsi jusqu'à ce qu'ils soient apprivoisés.

ImageChasse pour prendre les éléphants. Dessin anonyme (1688).
ImageDétail du dessin Chasse pour prendre les éléphants. 

2 - On pourrait remplir des volumes avec les anecdotes, légendes, croyances plus ou moins absurdes inspirées depuis l'Antiquité par les éléphants. Nous en resterons à la définition de Flaubert dans son Dictionnaire des idées reçues : Éléphants. Se distinguent par leur mémoire, et adorent le soleil. 

3 - Le roi Naraï avait envoyé deux éléphanteaux en France avec l'ambassade de 1680. L'un mourut à Banten, l'autre périt dans le naufrage du Soleil d'Orient. Il en envoya deux autres avec l'ambassade du chevalier de Chaumont (un pour Louis de France, duc de Bourgogne, petit-fils de Louis XIV, né en 1682, et l'autre pour son frère Philippe, duc d'Anjou, né en 1683). Ils ne purent être embarqués faute de place sur les vaisseaux. Il en envoya enfin trois autres avec l'ambassade Céberet-La Loubère (la famille royale s'étant agrandie entre temps de Charles de France, duc de Berry, né en 1686), qui périrent entre Batavia et le cap de Bonne-Espérance. Aucun des éléphants siamois ne parvint jamais à destination. Il y eut pourtant un éléphant (d'Afrique) dans la ménagerie de Versailles, cadeau diplomatique du roi du Portugal. Arrivé en 1668, il mourut en 1681. Son squelette est aujourd'hui exposé dans la Galerie d'anatomie comparée du Museum d'Histoire naturelle à Paris. 

4 - Storf ou Torf était introducteur des ambassadeurs et avait accompagné les ambassadeurs siamois lors de leur séjour à Paris en 1686. Dangeau l'évoque dans son Journal du 11 décembre 1690 (vol. III, p. 259) : Torf est mort ; il était ordinaire du roi, et Sa Majesté l'employait souvent pour les affaires des pays étrangers ; il était allemand. Dans une annotation de leur édition de la correspondance de Bossuet, Urbain et Levesque fournissent quelques précisions sur ce personnage : L'examen des registres paroissiaux de Rebais, où une personne désignée sous le nom de Henriette Stof signe : Torf, nous induit à penser que M. Stof doit être identifié avec l'un des Potenstorf ou Botentorf qui figurent aussi dans ces registres. L'un d'eux était Jonas de Botentorf (al. Torf), originaire de Valachie, gentilhomme de la Chambre du roi et confirmé dans sa noblesse par lettres patentes de janvier 1675 (Archives Nationales, X1 B 8872), dont la veuve, Anne Le Clerc, est marraine, le 14 novembre 1697, de François Armand, fils de Pierre de Potenstorf (al. Torf), capitaine au Régiment du roi, et d'Élisabeth-Marie de Sarcus. (Bossuet, Correspondance, vol. 14, 1923, note, pp. 285-286). 

5 - Selon Céberet, ce « divertissement » eut lieu le 1er décembre 1687 (Journal du voyage de Siam de Claude Céberet, Michel Jacq-Hergoualc'h, 1998, p. 125). Le père Tachard l'évoque dans sa relation : … l'on fit combattre deux éléphants de guerre en présence du roi de Siam et de MM. les envoyés. Ces deux animaux excités par les cris de deux femelles et par les paroles de leurs pasteurs qui les animaient au combat s'élançaient l'un contre l'autre avec tant de fureur et de force qu'ils se fussent bientôt tués l'un l'autre si on ne les eût retenus. On leur avait attaché aux pieds de derrière un gros câble, que plusieurs Siamois tenaient par le bout, ne leur en laissant filer qu'autant qu'il en fallait pour les laisser approcher à la portée de leurs grosses dents, lesquelles furent bientôt en pièces par les coups qu'ils se donnaient, entrelaçant ces dents les unes avec les autres. (Second voyage du père Tachard […], 1689, pp. 229-230). 

6 - Un pareil « spectacle » avait déjà été donné aux membres de l'ambassade de 1685. L'abbé de Choisy l'évoquait dans son Journal du 26 novembre 1685, le père Tachard le décrivait amplement dans son Voyage de Siam des pères jésuites (1686, pp. 292 et suiv.) et le chevalier de Chaumont y consacrait quelques lignes dans sa relation : Le lundi 25, j'allai voir un combat de tigre contre trois éléphants ; mais le tigre ne fut pas le plus fort. Il reçut un coup de dent qui lui emporta la moitié de la mâchoire, quoique le tigre fit fort bien son devoir (1686, p. 90).

Céberet confirme dans son journal les propos de La Loubère, qui n'assista pas au combat donné en 1687 : Le même jour [24 novembre 1687], le roi, sans y assister, nous a donné le spectacle du combat d'un tigre contre un éléphant. Le sieur de La Loubère n'y a point assisté sous prétexte de maladie, et pendant ce temps-là a reçu chez lui une visite de Mgr de Métellopolis sur le sujet de la religion, dans laquelle il n'y a point eu de résolution prise. (op. cit., p. 115). Quant au père Tachard, qui assistait au spectacle pour la seconde fois, il fut un peu déçu : Le roi n'assista pas à un autre combat qui se fit d'un tigre contre un éléphant, devant MM. les envoyés. J'ai parlé de cette sorte de combat dans mon premier voyage et je n'ai rien à y ajouter. Au contraire, ce spectacle fut moins agréable, le tigre n'étant ni aussi fort ni aussi grand que celui de la première fois et ne faisant presque aucune résistance (Second voyage du père Tachard […], 1689, p. 231).

La Bibliothèque nationale conserve un recueil de dessins coloriés anonyme intitulé Usages du Royaume de Siam, cartes, vues et plans : sujets historiques en 1688. Il est mentionné sur la page de garde : Acquis du père Pourchot lors de la dissolution des Jésuites en 1762. Il apparaît donc que l'auteur de ces dessins faisait partie de l'ambassade Céberet - La Loubère qui arrivera au Siam en septembre et octobre 1687. Ces 36 dessins sont des bijoux de fraîcheur et de naïveté. L'un est consacré au combat d'un éléphant et d'un tigre, avec cette légende : Combat d'un tigre avec des éléphants. Quelquefois l'on voit l'éléphant prendre avec sa trompe le tigre par le milieu du corps et le jeter en l'air quand son cornac ou l'homme qui est dessus lui ordonne. Il le foule avec les pieds ou le reçoit sur ses dents. Le tigre tâche principalement de prendre la trompe avec ses griffes et l'éléphant [illisible].

ImageCombat d'un éléphant avec un tigre. Dessin colorié anonyme. 1688. 

7 - Les chartreux portent une robe de drap blanc, serrée avec une ceinture de cuir, et un scapulaire avec capuche du même drap, appelé cuculle. (http://chartreuse-psm.fr/Chartreuse/mod/page/view.php?id=141.

ImageFrère convers chartreux. 

8 - La Loubère avait déjà cité Élien le Sophiste (ca 175-235), historien et zoologiste romain de langue grecque, dans le chapitre IV de la première partie et dans le chapitre IV de la deuxième partie. On peut lire le passage qu'il évoque dans la traduction de Bon-Joseph Dacier (Histoires diverses d'Élien, 1827, pp. 215) : Les fêtes durèrent cinq jours consécutifs. Alexandre y avait appelé des musiciens, grand nombre d'acteurs, tant comiques que tragiques, et des bateleurs indiens d'une adresse surprenante, qui parurent l'emporter sur ceux des autres nations. 

9 - lot (ลอด) signifie effectivement traverser, passer à travers, toutefois buang (บ่วง) ne signifie pas exactement cerceau, mais plutôt lasso, piège, filet, rêts, , etc. La Loubère a sans doute mal transcrit le mot correct – phonétiquement très proche – qui serait huang (ห่วง) : cerceau, anneau, boucle, etc. 

10 - Fil de laiton. 

11 - L'anecdote est rapportée dans la Vie des douze Césars de Suétone : Pour le commencement des jeux faits à l'honneur de la déesse Flore, il donna ce nouveau passe-temps au peuple de voir un nombre d'éléphants qui allaient sur la corde. (De la vie des douze Césars, Estienne Richer, Paris, 1628, p. 274). 

12 - Il s'agit de la fête de Loi Krathong (ลอยกระทง), qui tombe à la pleine lune du 12ème mois du calendrier lunaire thaï, généralement dans le courant du mois de novembre du calendrier occidental. En ce mois de novembre 1688, la pleine lune tombait le dimanche 7. Les krathong sont de petits bateaux en feuilles de bananier ou en osier décorés sur lesquels on plante une bougie et qu'on lâche à la nuit tombée sur les eaux des rivières et des fleuves dans le but d'honorer Mae Khongkha (แม่คงคา), la déesse des eaux. Une façon de se débarrasser de ses soucis en les envoyant promener au fil de l'eau...

ImageUn krathong traditionnel.
ImageCélébration de loy krathong. 

13 - Il s'agit très certainement de la fête que H. G. Quarich Wales nomme con parian (จองเปรียง ?), le hissage des lanternes, évoquée dans l'ouvrage Siamese State Ceremonies, 1931, (pp. 288 et suiv.) et qui tombait à peu près à la même période que Loy krathong. Gerolamo Emilio Gerini lui consacre un paragraphe dans Encyclopædia of Religion and Ethics, Hastings, volume V, 1912, p. 888 : Les lampes sont hissées sur des mâts le jour de la nouvelle lune et allumées à la nuit, jusqu'au deuxième jour du déclin. Elles sont gardées allumées pour éloigner les esprits, et aussi pour empêcher l'eau d'envahir les rizières alors que les épis de riz n'ont pas atteint leur maturité. Gerini voit dans cette fête une transposition du Dipavali, la fête des lumières qui marque le passage du nouvel an hindou. Cette cérémonie est aujourd'hui tombée en désuétude. Dans son ouvrage Description du royaume thaï ou Siam publié en 1854, Mgr Pallegoix ne l'évoque pas et ne mentionne que Loy krathong, ce qui peut laisser penser que cette tradition avait déjà perdu beaucoup d'importance à cette époque. 

14 - Les lecteurs désireux d'approfondir ce sujet pourront se reporter à l'article très érudit de René Nicolas, Le Lakhon nora ou Lakhon chatri et les origines du théâtre classique Siamois publié dans le Journal of the Siam Society, volume 18.2, 1924, pp. 85-110. René Nicolas donne les explications suivantes : Le Khon pourrait être appelé pantomime masquée, ayant pour sujets des épisodes du Ramakien, la version siamoise du Ramayana. Le Lakhon est comparé à l'opéra-ballet, qui représente pour l'amusement du public, toutes sortes de sujets qui sont d'importation étrangère ou au contraire tirés de la légende ou de l'histoire purement siamoise. À noter qu'aujourd'hui, le terme lakhon désigne les innombrables séries et feuilletons télévisés, soap operas, romances, fantastiques, drames historiques, qui occupent la majeure partie de la programmation des chaînes nationales, coupés par d'interminables plages publicitaires. Quant au Rabam, René Nicolas l'assimile aux danses de caractère, provenant directement des danses sacrées.

ImageUne représentation de khon.
ImageLe lakhon moderne, version thaïlandaise des Feux de l'amour
ImageUne représentation de rabam. 

15 - Ces faux ongles longs (lep mue : เล็บมือ), aujourd'hui faits en métal doré, se portent notamment dans les danses classiques du nord de la Thaïlande (fon lep : ฟ้อนเล็บ).

ImageFaux ongles en métal doré.
ImageFon lep, danse traditionnelle thaïe. 

16 - … sans se fatiguer beaucoup est une impression purement personnelle de La Loubère. Tous les danseurs savent que les mouvements lents exigent autant, sinon plus de concentration et de maîtrise physique que les mouvements rapides. 

17 - Cette tiare, qui s'appelle soet (เทริด) est une des pièces constitutives du costume des acteur de khon.

ImageSoat (เทริด). 
ImageActrice de khon avec la tiare (soat), les ongles (lep mue) et les bracelets (kamlai mu). 

18 - Transcription de Sramana Gautama, un des noms du Bouddha en sanskrit. 

19 - Ancêtre du jacquet (backgammon), le trictrac, jeu de société aux règles très complexes, et ses variantes, le revertier, le tourne-case, le toute-table ou le toc, étaient très à la mode aux XVIIe et XVIIIe siècles. L'excellence, la beauté et la sincérité qui se rencontrent dans ce jeu, font que le beau monde qui a de la politesse s'y applique avec beaucoup de soin, en fait son jeu favori et le préfère aux autres jeux. (Anonyme, Le jeu du trictrac, Paris, Henry Charpentier, 1698. Citation de l'édition 1715, p. 2).

ImageFrontispice du Grand Trictrac de Bernard Laurent Soumille, 1756. (Wikipédia).
ImageIllustration de l'ouvrage anonyme Le jeu du trictrac, 1698.
ImageUn plateau de saka thaïlandais. 

20 - Le makruk (หมากรุก), variante siamoise du jeu d'échecs, toujours très joué en Thaïlande. Les règles sont sensiblement les mêmes que celles des échecs internationaux, il s'agit de mettre le roi adverse en échec et mat, mais dans la position de départ, une rangée libre est laissée entre les pièces et les huit pions. L'échiquier du makruk est unicolore. Les pièces ressemblent à celles des échecs internationaux, mais elles portent des noms différents et ne se déplacent pas toutes de la même manière.

Position de départ d'une partie de Makruk. 

21 - Les pages 122 à 128 du second volume de la relation de La Loubère sont consacrées au jeu d'échec chinois.

Échiquier chinois. Illustration du second volume de la relation de La Loubère. 

22 - Il s'agit d'un narghilé, dont la description est donnée pages 119 à 122 du second volume.

Instrument à fumer dont les Mores de Siam se servent. 

23 - Seuls les roturiers du rang le plus bas, les phrai luang (ไพร่หลวง), qui constituaient tout de même l'essentiel de la population, étaient astreints aux corvées, qui pouvaient les mobiliser six mois de l'année. Toutefois, ils pouvaient s'en affranchir en acquittant une contrepartie en nature ou en espèces (ngoen kha ratchakhan : เงินค่าราชการ). On les appelait alors phrai suay (ไพร่ส่วย). Ils pouvaient également être affectés à l'armée, ils étaient dans ce cas phrai tahan (ไพร่ทหา). Les corvées d'État et l'esclavage furent abolis par le roi Chulalongkorn en 1905. 

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18 mai 2020