Chapitre XVIII
De l'élection du supérieur et de la réception
des talapoins et des talapouines.

Page de la Relation de La Loubère
I. L'élection du supérieur.

Quand le supérieur est mort, soit-il sancrat ou non, le couvent en élit un autre, et pour l'ordinaire, il choisit le plus vieux talapoin de la maison, ou au moins le plus savant.

II. Comment fait un séculier qui bâtit un temple et commence un couvent.

Si un particulier fait bâtir un temple, il convient avec quelque vieux talapoin à son choix pour venir être le supérieur du couvent qui se bâtit autour de ce temple à mesure que d'autres talapoins y veulent venir habiter, car on ne bâtit point de loge de talapoin par avance.

III. Comment on est reçu talapoin.

Si quelqu'un veut se faire talapoin, il commence par convenir avec quelque supérieur qui veuille le recevoir dans son couvent, et parce qu'il n'y a qu'un sancratSangkha rat : สังฆราช, comme j'ai dit, qui lui puisse donner l'habit, il va le demander à quelque sancrat si le supérieur avec qui il veut demeurer n'est lui-même sancrat, et le sancrat lui donne à peu de jours de là et pour l'après-dînée. Quiconque s'y opposerait pécherait, et comme cette profession est lucrative et qu'elle ne dure pas nécessairement toute la vie, les parents sont toujours fort aises de la voir embrasser à leurs enfants. Je n'ai pas ouï dire ce que rapporte M. Gervaise, qu'on ait besoin d'une permission par écrit d'Oc-yà Prá-sedetOkya Phra Sadet : ออกญาพระเสด็จ pour être reçu talapoin (1). Je ne vois pas même comment cela serait praticable dans toute l'étendue du royaume, et l'on m'a toujours assuré qu'il est libre à tout le monde de se faire talapoin, et que si quelqu'un s'opposait à la réception d'un autre dans cette profession, il pécherait. Lors donc que quelqu'un doit être reçu, ses parents et ses amis l'accompagnent à cette cérémonie avec des instruments et des danseurs, et de temps en temps ils s'arrêtent en chemin pour voir danser. Pendant la cérémonie, le postulant et les hommes qui sont de sa suite entrent dans le temple où est le sancrat, mais les femmes, les instruments ni les danseurs n'y entrent point. Je ne sais qui rase la tête, les sourcils et la barbe au postulant, ou s'il ne se la rase pas lui-même (2). Le sancrat lui donne l'habit de la main à la main, et il s'en revêt, laissant tomber l'habit séculier par-dessous, quand il a mis l'autre. Le sancrat prononce plusieurs paroles pali, et quand la cérémonie est achevée, le nouveau talapoin s'en va au couvent où il doit demeurer, et ses parents et ses amis l'y accompagnent ; mais dès lors, il ne doit plus entendre d'instrument, ni regarder aucune danse. Quelques jours après, les parents donnent un repas au couvent, et ils donnent beaucoup de spectacles devant le temple, lesquels il est défendu aux talapoins de regarder.

IV. S'il y a divers degrés de talapoins.

M. Gervaise distingue les talapoins en BaloüangBatluang : บาทหลวง, Tcháou-couChao khu : เจ้ากู et PicouPhikkhu : ภิกขุ. Pour moi, j'ai toujours ouï dire que Baloüang, que les Siamois écrivent Pat-loüang, n'est qu'un titre de respect. Les Siamois le donnaient aux pères jésuites, comme nous leur donnons le titre de Révérence (3). Je n'ai jamais ouï parler en ce pays-là du mot de Picou (4), mais seulement de celui de Tcháou-coù que j'expliquerai dans la suite et qu'on m'a dit être le mot siamois qui veut dire talapoin. De sorte qu'ils disent : C'est un Tcháou-cou, et je veux être Tcháou-cou, pour dire : C'est un talapoin, et je veux être talapoin. Néanmoins, comme il peut y avoir entre les sancrats et les talapoins quelques différences dont les gens que j'ai consultés n'ont su, quoique habiles d'ailleurs, m'expliquer le véritable fondement, il peut bien être qu'il y en ait aussi quelqu'une entre les talapoins mêmes dont quelques-uns soient Pat-loüang, et d'autres Picou, et que le nom général de tous soit Tcháou-cou ; je m'en rapporte à M. Gervaise.

V. Des talapouines.

Les talapoüines s'appellent Nang TchiiNang chi : แม่ชี : elles sont vêtues de blanc, comme les TapacáouTapakhao : ตาปะขาว et ne sont pas estimées tout à fait religieuses. Un simple supérieur suffit à leur donner l'habit, aussi bien qu'aux NensNen : เณร, et quoiqu'elles ne puissent avoir aucun commerce charnel avec les hommes, néanmoins on ne les brûle pas pour cela comme un brûle les talapoins qu'on surprend en faute avec les femmes. On les livre à leurs parents pour les châtier du bâton, parce que les talapoins ni les talapoüines ne peuvent frapper personnes (5).

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NOTES

1 - Ces supérieurs de pagodes peuvent admettre tous ceux qui se présentent depuis l'âge de six ou sept ans jusqu'à l'extrême vieillesse, pourvu qu'ils ne soient point mariés ni employés au service du roi et qu'ils aient la permission de l'Oya Pesedet, ce qui leur tient lieu d'examen. (Nicolas Gervaise, Histoire naturelle et politique du royaume de Siam, 1688, p. 185). 

2 - Aujourd'hui en Thaïlande, les parents et les amis du futur moine lui coupent chacun trois mèches de cheveux, puis la tête est lavée et c'est un autre moine qui la rase entièrement, ainsi que les sourcils. 

3 - Selon le dictionnaire du Royal Institute, batluang désigne un prêtre catholique romain. 

4 - Le mot, dérivé du sanskrit, qui signifie mendiant est couramment utilisé en Thaïlande pour désigner les moines. Il est étonnant que La Loubère ne l'ait jamais entendu. 

5 - Voir chapitre VII de la 2ème partie, note 1 

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Page mise à jour le
18 mai 2020