Chapitre VII
Des grains de Siam.

Page de la Relation de La Loubère
I. Le riz.

Le riz est la principale récolte des Siamois et leur meilleure nourriture ; il rafraîchit et il engraisse, et nous avons vu l'équipage de nos vaisseaux y avoir regret, quand après leur en avoir donné plus de trois mois de suite, on les remit au biscuit, et néanmoins le biscuit était bon et bien conservé.

II. La manière de le cuire dans l'eau pure.

Les Siamois savent par expérience mesurer l'eau, le feu et le temps qu'il faut pour faire bouillir le riz sans que le grain crève, et il leur sert ainsi de pain. Non toutefois qu'ils le mêlent, comme nous mêlons le pain, à tous les morceaux des autres aliments. Quand ils mangent de la viande ou du poisson, par exemple, ils mangent l'un et l'autre sans riz, et quand ils mangent le riz, ils le mangent séparément. Ils le pressent un peu entre les extrémités de leurs doigts pour le mettre en pâte, et ils le portent ainsi à leur bouche, comme nos pauvres mangent le potage. Les Chinois ne touchent jamais à aucun mets qu'avec deux petits bâtons carrés par le bout qui leur tiennent lieu de fourchette. Ils portent à leur lèvre inférieure une petite tasse de porcelaine où est leur portion de riz, et la tenant de la main gauche sans la pencher, ils fouettent le riz dans leur bouche avec les deux bâtons qu'ils tiennent de la main droite.

III. Ou avec du lait.

Les Levantins font bouillir quelquefois le riz avec de la viande et du poivre, puis ils y mettent du safran, et ils appellent ce mets pilau (1). Ce n'est pas l'usage des Siamois, mais pour l'ordinaire, ils cuisent le riz dans l'eau pure, comme j'ai dit, et quelquefois ils le cuisent avec du lait, comme nous faisons les jours maigres.

IV. Du froment.

Il croît du froment à Siam dans les terres assez élevées pour éviter l'inondation ; ils les arrosent ou avec des arrosoirs comme ceux de nos jardins, ou en y faisant couler l'eau des pluies qu'ils auront retenue dans des réservoirs encore plus hauts que ces terres. Mais soit à cause du soin ou de la dépense, ou que le riz suffise aux particuliers, il n'y a encore à Siam que le roi qui recueille du froment, et peut-être plus par curiosité que par goût. Ils l'appellent kaou possalikhao sali : ข้าวสาลี, et le mot kaoukhao : ข้าว simplement signifie du riz. Or comme ces termes ne sont ni arabes, ni turcs, ni persans, je doute de ce qu'on m'a dit, que le froment ait été porté à Siam par les Mores. Les Français qui y sont habitués font venir de la farine de Surate, quoiqu'il y ait près de Siam un moulin à vent pour moudre le blé, et un autre près de LouvòAujourd'hui Lopburi (ลพบุรี), dans le centre de la Thaïlande.

V. Pain de froment trop sec à Siam.

Au reste, le pain que le roi de Siam nous donnait était si sec, que le riz bouilli dans l'eau pure, quelque fade qu'il soit, me paraissait plus agréable. Je m'étonnai donc moins de ce que disent les relations de la Chine, que le maître de ce grand royaume, quoiqu'il ait du pain, aime pourtant mieux le riz. Néanmoins des Européens m'assuraient que le pain de froment de Siam est bon, et que la sécheresse du nôtre devait venir d'un peu de farine de riz qu'on mêlait sans doute à celle de froment par économie, peut-être de peur que le pain ne vînt à manquer.

VI. Autres grains.

J'ai vu des pois à Siam autres que les nôtres. Les Siamois font, comme nous, de plus d'une espèce de récolte, mais ils n'en font qu'une en une année sur la même terre ; non que le terroir n'y fût assez bon, à mon avis, pour donner deux récoltes en un an, comme on l'a dit de quelques autres cantons des Indes, si l'inondation n'y durait pas si longtemps. Ils ont du blé de Turquie seulement dans leurs jardins. Ils en font bouillir ou griller l'épi entier sans en détacher les grains, et ils mordent dedans.

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VI. Des terres cultivées
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VIII. Du labourage et de
la différence des saisons.

NOTES

1 - Pilau, pilow, pilaf, pillaw, pelo, pelau, pullow, palau, pilloe, pullao, pilaus, etc. Yule et Burnell font dériver le mot du persan pulao ou pilav, lui-même emprunté au sanskrit pulaka, un plat d'origine purement musulmane, composé de viande ou de volaille bouillie avec du riz et des épices (Hobson Jobson, 1903, pp. 710-711). 

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18 mai 2020