Chapitre II
Des maisons des Siamois
et de leur architecture dans les bâtiments publics

Page de la Relation de La Loubère
I. Les Siamois suivent une même simplicité en toutes choses.

Si les Siamois sont simples dans leurs habits, ils ne le sont pas moins dans leurs logements, dans leurs meubles et dans leur nourriture, riches dans une pauvreté générale parce qu'ils savent se contenter de peu de chose. Leurs maisons sont petites, mais accompagnées d'assez grands espaces. Des claies de bambou fendu, souvent peu serrées, en font les planchers, les murs et les combles. Les piliers sur lesquels elles sont élevées pour éviter l'inondation sont des bambous plus gros que la jambe et d'environ treize pieds de haut sur terre, parce que les eaux montent quelquefois autant que cela. Il n'y en a jamais que quatre ou six sur lesquels ils mettent en travers d'autres bambous au lieu de poutres. L'escalier est une vraie échelle aussi de bambou qui pend en dehors comme l'échelle d'un moulin à vent. Et parce que les étables sont aussi en l'air, elles ont des rampes faites de claies, par où les animaux y montent.

II. Maisons bientôt bâties.

Si donc chaque maison est isolée, c'est plutôt pour le secret du domestique qui serait trahi par des murs si minces que par aucune crainte du feu, car outre qu'ils font leur petit feu dans les cours, et non pas dans les maisons, il ne leur saurait en tout cas consumer grand-chose. Trois cents maisons brûlèrent à Siam de notre temps, qui furent rebâties en deux jours. Une fois que l'on tira une bombe pour en donner le plaisir au roi de Siam qui regardait de bien loin et d'une des fenêtres de son palais, il fallut pour cela ôter trois maisons, et les propriétaires les eurent ôtées et emportées avec leurs meubles en moins d'une heure. Leur foyer est une corbeille pleine de terre et appuyée sur trois bâtons comme un trépied. Et ils placent ainsi les feux dont ils entourent de grands espaces dans les forêts pour la chasse des éléphants.

III. Il n'y a point d'hôtelleries à Siam.

C'est dans des maisons de cette nature, ou plutôt dans ces sortes de tentes, mais plus grandes, qu'ils nous logèrent le long de la rivière. Ils les avaient faites exprès pour nous parce qu'il n'y en a aucune où ils eussent pu nous loger. Il n'y a point d'hôtelleries à Siam, ni dans aucun État de l'Asie, mais en Turquie, en Perse et chez le Mogol il y a des caravanseras (1) pour les voyageurs, c'est-à-dire des bâtiments publics et sans meubles où les caravanes se peuvent mettre à couvert et où chacun mange et se couche selon les provisions et les commodités qu'il y porte. J'ai vu dans le chemin de Siam à Louvò une espèce de halle pour cet usage. C'est un espace de la grandeur d'une salle ordinaire, entouré d'une muraille à hauteur d'appui et couvert d'un toit qui est posé sur des piliers de bois plantés de distance en distance dans la muraille. Le roi de Siam y fait quelquefois collation dans ses voyages, mais pour ce qui est des particuliers, leurs bateaux leur servent d'hôtellerie.

IV. L'hospitalité pourquoi inconnue parmi les peuples d'Asie.

L'hospitalité est une vertu inconnue en Asie, ce qui vient à mon avis du soin que chacun y prend de cacher ses femmes. Le peuple siamois ne la pratique guère que pour les bêtes qu'ils secourent volontiers de leurs maux, mais comme les talapoins n'ont point de femme, ils sont aussi plus hospitaliers que le peuple. Il n'y a encore eu à Siam qu'un Français qui se soit avisé d'y tenir auberge : quelques Européens seulement s'y retiraient quelquefois. Et quoique parmi les Siamois, aussi bien que parmi les Chinois, l'usage soit assez établi de se donner à manger les uns aux autres, c'est plus rarement qu'en ces pays-ci et avec plus de cérémonie, et surtout il n'y a point de table ouverte, de sorte qu'il serait difficile d'y faire beaucoup de dépense par la table, quand on le voudrait.

V. Quelles étaient les maisons faites exprès pour les envoyés du roi.

Comme il n'y avait donc point de maison propre pour nous sur les bords de la rivière, ils en bâtirent à la mode du pays (2). Des claies mises sur des piliers et couvertes de nattes de jonc faisaient non seulement les planchers, mais le sol des cours. La salle et les chambres étaient tapissées de toiles peintes, avec des plafonds de mousseline blanche dont les extrémités tombaient en pente. Les planchers étaient couverts de nattes de jonc plus fines et plus glissantes que celles des cours, et dans les chambres où couchaient les envoyés du roi, il y avait encore des tapis de pied par-dessus les nattes. La propreté y était partout, mais nulle magnificence. À Bangkok, à Siam et à Louvò, où les Européens, les Chinois et les Mores ont bâti des maisons de briques, on nous logea dans des maisons de cette sorte et non dans des maisons bâties exprès pour nous.

VI. Maisons de briques pour les ambassadeurs de France et de Portugal, qui n'étaient pas achevées.

Nous avons vu néanmoins deux maisons de briques que le roi de Siam a fait bâtir, l'une pour les ambassadeurs de France, et l'autre pour ceux de Portugal (3), mais elles ne sont pas achevées, peut-être pour le peu d'apparence qu'il y avait qu'elles dussent être souvent habitées. D'ailleurs, il est certain que ce prince commence plusieurs bâtiments de briques et qu'il en achève peu. Je ne sais pourquoi.

VII. Maisons des grands officiers de Siam.

Les grands officiers de sa cour ont des maisons de menuiserie qu'on dirait être de grandes armoires, mais là-dedans ne logent que le maître du logis, sa principale femme et leurs enfants. Chacune des autres femmes avec ses enfants, chaque esclave avec sa famille, tous ont leurs petits logements séparés et isolés, mais néanmoins renfermés dans une même enceinte de bambou avec le logis du maître, quoique ce soit autant de ménages différents.

VIII. Leurs maisons n'ont qu'un étage.

Un seul étage leur suffit, et je suis persuadé que cette manière de bâtir leur est plus commode que la nôtre, puisqu'ils ne sont pas gênés par l'espace (car il y en a de reste dans la ville, et ils le prennent où ils veulent) et puisqu'ils bâtissent avec ces sortes de matériaux peu solides que chacun prend à son gré dans les forêts ou qu'il achète à vil prix de celui qui les y a été prendre. On dit néanmoins que la raison pourquoi leurs maisons n'ont qu'un étage est afin que personne ne puisse être chez soi plus haut que le roi de Siam, quand il passe dans la rue monté sur son éléphant, et que pour s'assurer encore davantage qu'ils sont tous plus bas que ce prince quand il passe, soit sur l'eau, soit sur terre, ils doivent fermer toutes leurs fenêtres et descendre à la rue ou dans leurs balons pour s'y prosterner. Ils en usèrent ainsi au jour de l'entrée des envoyés du roi, moins par curiosité du spectacle que par respect pour la lettre de Sa Majesté. Mais il semble aussi que cet ordre de descendre des maisons suffit pour le respect du prince, car d'ailleurs il n'est pas vrai que les maisons élevées comme elles sont, sur des piliers, soient plus basses que le roi sur son éléphant, et il est encore moins vrai qu'elles ne soient pas plus hautes que le roi dans son balon. Mais ce qu'ils observent sans doute, c'est que leurs maisons soient moins exaucées que les palais de ce prince. D'ailleurs, ses palais n'étant aussi que d'un étage font assez voir que c'est le goût du pays dans les bâtiments, et j'en donnerai dans la suite la véritable raison.

IX. Maisons de briques pour les étrangers.

Les Européens, les Chinois et les Mores y bâtissent de briques, chacun selon son génie, soit qu'eux seuls en veuillent faire la dépense, comme je le crois, soit qu'eux seuls en aient la permission, comme on le dit. Les uns ajoutent à côté de leurs maisons, pour empêcher le soleil et n'ôter point l'air, des appentis qui sont comme de grands auvents ou hangars, soutenus quelquefois par des piliers. Les autres font des corps de logis doubles qui reçoivent réciproquement le jour l'un de l'autre, afin que l'air passe de l'un à l'autre. Les chambres sont grandes et fort percées pour être plus aérées et plus fraîches, et celles du premier étage ont des vues sur la salle basse qu'on devrait appeler salon à cause de son exaucement, et qui quelquefois est presque tout entourée de bâtiments par lesquels elle reçoit du jour. Et c'est ce qu'ils appellent divan, mot arabe qui veut dire proprement salle de Conseil ou de Jugement (4).

X. Salles appelées divans.

Il y a d'autres sortes de divans, qui étant bâtis de trois côtés, manquent d'un quatrième mur par où le soleil doit le moins donner dans tout le cours de l'année (car entre les tropiques, il donne partout selon les diverses saisons). Du côté qui est ouvert et sans mur, ils mettent un appentis aussi exhaussé que le toit, et le dedans du divan est souvent orné de haut en bas de petites niches pratiquées ou dans le mur ou dans le lambris, dans lesquelles ils mettent des vases de porcelaine. Nous avions un divan de cette dernière espèce dans notre logement de Siam, et au-devant et sous l'appentis jaillissait une petite fontaine.

XI. Palais et temples de briques, mais bas.

Les palais de Siam et de Louvo et plusieurs pagodes ou temples sont aussi de briques, mais les palais sont bas parce qu'ils n'ont qu'un étage, comme j'ai dit, et les pagodes non plus ne sont pas assez exhaussées à proportion de leur grandeur. Elles ont beaucoup moins de jour que nos églises, peut-être parce que l'obscurité imprime plus de respect et semble naturellement avoir quelque chose de religieux. D'ailleurs, elles sont de la figure de nos chapelles, mais sans voûtes ni plafonds ; seulement la charpente qui soutient les tuiles est vernie de rouge avec quelques filets d'or.

XII. Bâtiments de briques récents à Siam.

Le palais du roi de la Chine est encore aujourd'hui de bois, et cela me persuade que les bâtiments de briques sont bien récents à Siam et que les Européens y en ont porté l'usage. Et parce que les premiers Européens qui ont bâti en ce pays-là étaient des facteurs (5), et qu'ils ont appelé leurs maisons des faitûries (6), les Siamois appellent encore du mot, qui veut dire faiturie en leur langue, leurs plus anciennes pagodes de briques, comme s'ils disaient pagode-faiturie, ou pagode de faiturie.

XIII. Ils ne connaissent point les 5 ordres d'architecture.

Au reste, ils ne connaissent nul ornement extérieur pour les palais ni pour les temples que dans les combles qu'ils couvrent ou de cet étain bas qu'ils nomment calin (7), ou de tuiles vernies de jaune, comme il y en a au palais du roi de la Chine. Mais quoiqu'il ne paraisse nul or au palais de Siam par le dehors, et qu'en dedans il n'y ait que peu de dorure, ils ne laissent pas de l'appeler le Palais d'or, Prassat TongPrasat thong : ปราสาท ทอง, parce qu'ils donnent des noms magnifiques à toutes les choses qu'ils honorent. Pour ce qui est des cinq ordres d'architecture composés de colonnes, d'architraves, de frises et d'autres ornements (8), les Siamois n'en ont aucune connaissance, et ce n'est pas en ornements d'architecture que consiste chez eux la véritable dignité des maisons royales et des temples.

XIV. Escaliers et portes.

Leurs escaliers sont si peu de chose qu'un escalier de dix ou douze marches par lequel nous montâmes au salon de l'audience à Siam n'avait pas deux pieds de large. Il était de briques tenant à un mur du côté droit, et sans aucun appui du côté gauche, mais les seigneurs siamois n'avaient garde d'y en chercher. Ils le montèrent en se traînant sur les mains et sur les genoux, et si doucement qu'on eût dit qu'ils voulaient surprendre le roi leur maître. La porte du salon carrée, mais basse et étroite, était digne de l'escalier et placée à gauche à l'extrémité du mur du salon, c'est-à-dire presque au coin. Je ne sais s'ils n'y entendent pas finesse et s'ils ne croient pas qu'une fort petite porte n'est encore que trop grande, puisqu'il est censé qu'on se doit prosterner pour y entrer. Il est vrai que l'entrée du salon de Louvò est mieux selon notre goût, mais outre que le palais de Louvò est plus moderne, le prince y dépose beaucoup la majesté, laquelle réside principalement dans la capitale, comme je le dirai dans la suite.

XV. En quoi consiste la dignité des palais.

Ce qui fait donc chez eux la véritable dignité des maisons, c'est que quoiqu'ils n'y ait qu'un étage, il n'y a pourtant point de plain-pied. Par exemple, dans le palais, le logement du roi et des dames est plus élevé que tout, et plus une pièce en est proche, plus elle est élevée à l'égard d'une autre qui en est plus loin, de sorte qu'il y a toujours quelques marches à monter de l'une à l'autre, car elles tiennent toutes l'une à l'autre, et tout est bout à bout sur une ligne, et c'est ce qui cause l'inégalité dans les toits. Les toits sont tous en dos-d'âne, mais l'un est plus bas que l'autre à mesure qu'il couvre une pièce plus basse qu'une autre, et un toit plus bas semble sortir par-devant d'un toit plus haut, et le plus haut porter sur le plus bas, comme une selle dont l'arçon de devant porterait sur l'arçon de derrière d'une autre selle (9).

XVI. À la Chine de même.

Au palais du roi de la Chine, il en est de même, et cette inégalité de toits qui semblent sortir l'un de dessous l'autre du sens que je viens d'expliquer, marque de la grandeur en ce qu'elle suppose une inégalité de pièces qui ne se peut trouver en ces pays-là, au moins en grand nombre, que chez les rois, afin que plus on a droit de pénétrer dans cette suite de bâtiments, plus on monte en effet et plus on reçoive en cela de distinction. Les grands officiers auront jusqu'à trois pièces l'une plus haute que l'autre, que l'on devine aux trois toits de différente élévation ; mais j'ai vu au palais de la ville de Siam jusqu'à sept toits sortir l'un de dessous l'autre par-devant le bâtiment ; je ne sais s'il n'en sortait pas d'autres par-derrière. Quelques tours carrées, qui sont au palais, semblent aussi avoir plusieurs combles, l'une trois, l'autre cinq, l'autre sept, comme si c'étaient des gobelets carrés mis l'un sur l'autre, et dans l'une de ces tours est un fort grand tambour garni de peaux d'éléphant pour sonner le tocsin en cas de besoin (10).

XVII. Aux temples ou pagodes de même.

Quant aux pagodes, je n'ai remarqué en celles que j'ai vues qu'un seul appenti par-devant et un autre par-derrière. Le toit le plus élevé est celui sous lequel est l'idole, les deux autres qui sont plus bas sont estimés n'être que pour le peuple, quoique le peuple ne laisse pas d'entrer partout aux jours que le temple est ouvert.

XVIII. Pyramides.

Mais le principal ornement des pagodes est d'être accompagnées, comme elle le sont d'ordinaires, de plusieurs pyramides de chaux et de briques, dont pourtant les ornements sont fort grossièrement exécutés. Les plus hautes le sont autant que nos clochers ordinaires et les plus basses n'ont pas deux toises de haut. Elles sont toutes rondes et elles diminuent peu en grosseur à mesure qu'elles s'élèvent, de sorte qu'elles se terminent comme en dôme ; il est vrai que lorsqu'elles sont fort basses, il part de cette extrémité faite en dôme une aiguille de calin fort menue et fort pointue, et assez haute par rapport au reste de la pyramide. Il y en a qui diminuent et grossissent quatre ou cinq fois dans leur hauteur, de telle sorte que leur profil est ondé, mais ces diverses grosseurs sont moindres à mesure qu'elles sont en une partie plus haute de la pyramide. Elles sont ornées en trois ou quatre endroits de leur contour de plusieurs cannelures à angles droits, tant en ce qu'elles ont de creux qu'en ce qu'elles ont d'élevé, lesquelles diminuant peu à peu à proportion de la diminution de la pyramide, vont se terminer en pointe au commencement de la grosseur immédiatement supérieure, d'où s'élèvent derechef de nouvelles cannelures (11).

XIX. Description de certaines salles du palais.

Je ne puis dire ce que c'est que les appartements du roi de Siam, je n'en ai vu que la première pièce qui est à Siam, et à Louvò le salon de l'audience. L'on dit que personne n'entre plus avant, non pas même les domestiques du roi, hormis ses femmes et ses eunuques ; en quoi, si cela est vrai, ce prince garde plus de hauteur que ne fait le roi de la Chine. J'ai vu encore le salon du Conseil du palais de Louvò, mais c'était aussi une première pièce d'un autre corps de logis, je veux dire qu'il n'était précédé d'aucune antichambre. Au-devant et aux deux côtés de ce salon règne une terrasse qui domine autant sur le jardin qui l'environne qu'elle est dominée par le salon, et c'est sur cette terrasse et sous un ciel qu'on avait tendu exprès au côté exposé au nord, qu'étaient les envoyés du roi en une audience particulière que le roi de Siam leur donna, et ce prince était dans un fauteuil à l'une des fenêtres du salon. Au milieu du jardin et dans les cours, il y a des halles isolées qu'on appelle des salles, je veux dire de ces espaces carrés que j'ai déjà décrits, qui sont entourés d'un mur à hauteur d'appui et couverts d'un toit qui ne porte que sur des piliers plantés dans le mur. Ces salles sont pour les mandarins importants, qui s'y tiennent assis les jambes croisées, ou pour les fonctions de leurs charges, ou pour faire leur cour, c'est-à-dire pour attendre les ordres du prince, savoir le matin assez tard et le soir jusque bien avant dans la nuit, et ils n'en sortent pas sans ordre. Les mandarins moins considérables sont assis à découvert dans les cours ou dans les jardins, et dès qu'ils savent par certains signaux que le roi de Siam les voit, quoiqu'il n'en soit pas vu, tous se prosternent sur les genoux et sur les coudes.

XX. Lieux du palais où nous dînâmes.

Quand nous dînâmes dans le palais de Siam, ce fut en un endroit fort agréable, sous de grands arbres et au bord d'un réservoir, où l'on dit qu'entre plusieurs sortes de poissons, il y en a qui ressemblent à l'homme et à la femme, mais je n'y en vis d'aucune espèce. Dans le palais de Louvò, nous dînâmes dans le jardin en une salle isolée, mais dont les murs montent jusqu'au toit et le soutiennent. Ils sont enduits d'un ciment extrêmement blanc, poli et luisant, à l'occasion duquel on nous dit qu'on en fait de bien plus beau à Surate. La salle a une porte à chaque bout et elle est entourée d'un fossé de deux à trois toises de large et profond peut-être d'une toise, dans lequel il y a une vingtaine de petits jets d'eau à distances égales. Ils jaillissent en arrosoir, c'est-à-dire par des ajutages percés de plusieurs trous fort petits, et ils ne jaillissent que jusqu'à la hauteur du bord du fossé où à peu près, parce qu'au lieu d'élever les eaux, ils ont creusé la terre pour abaisser les bassins.

XXI. Jardin de Louvò.

Le jardin n'est pas bien spacieux : les compartiments en sont fort petits et formés par des briques posées sur le champ. Les sentiers que laissent les compartiments ne peuvent tenir deux personnes de front, et les allées n'en peuvent tenir guère davantage, mais tout étant planté de fleurs et de diverses sortes de palmites et d'autres arbres, le jardin, le salon et les jets d'eau avaient je ne sais quel air de simplicité et de fraîcheur qui faisait plaisir. C'est une chose remarquable que ces princes ne se soient jamais portés à mettre de la magnificence dans leurs jardins, quoique de toute ancienneté les Orientaux les aient aimés.

XXII. Palais de bambou dans les bois.

Comme le roi de Siam fait quelquefois des chasses de plusieurs jours, il a dans les forêts des palais de bambou, ou si l'on veut des tentes fixes qu'il ne faut que meubler pour le recevoir. Elles sont rouges par dehors, comme sont celles du Grand Mogol quand il va en campagne et comme les murs qui servent de clôture au palais du roi de la Chine. J'en donne le plan non seulement afin qu'on en voie la simplicité, mais principalement parce qu'on m'a assuré que l'appartement du roi de Siam dans ses palais de Siam et de Louvò est sur le même modèle. Ce n'est qu'un petit dortoir où le roi et ses femmes ont chacun une petite cellule ; néanmoins la vérité de ce que peu de gens voient est toujours malaisée à savoir. Quoi qu'il en soit, on m'a assuré aussi du roi de Siam ce que j'ai ouï dire de Cromwell, qui est que de peur d'être surpris par quelque conspiration, ce prince a divers appartements où il se renferme la nuit, sans qu'il soit possible de deviner précisément dans lequel il couche. Strabon (12) dit des rois des Indes de son temps que cette même raison les obligeait à changer de lit et d'appartement, même plusieurs fois dans la même nuit. Et c'est à peu près tout ce qu'on peut dire de la manière de bâtir des Siamois. Voici ce que c'est que leurs meubles.

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I. De l'habit et de la mine des Siamois.
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2ème partie
III. Des meubles des Siamois.

NOTES

1 - En France, on trouve ce mot dérivé du persan dès 1492 sous la forme carvansera (Le voyage d'outremer de Bertrandon de La Broquière […], Charles Schefer, Paris, 1892, p. 101). Yule et Burnell (Hobson Jobson, 1903, p. 162) recensent de nombreuses variantes (Carabansara, carvancaras, carbachara, caravasarai, carravansraw, caravanseray). La forme moderne caravansérail apparaît dans la 4ème édition du Dictionnaire de l'Académie française (1762) avec pour définition : Hôtellerie dans le Levant, où les caravanes sont reçues gratuitement, ou pour un prix modique. 

2 - Si l'on en croit Forbin, il n'y avait que deux maisons pour l'ambassade du chevalier de Chaumont, qu'on démontait après son passage et que l'on remontait plus loin sur la route : Les maisons de cannes qu'on avait bâties sur la route étaient mouvantes. Dès que l'ambassadeur et sa suite en étaient sortis, on les démontait ; celles de la dînée servaient pour la dînée du lendemain, et celles de la couchée pour la couchée du jour d'après. Dans ce mouvement continuel, nous arrivâmes près de la capitale où nous trouvâmes une grande maison de cannes qui ne fut plus mouvante et où M. l'ambassadeur fut logé jusqu'au jour de l'audience. (Mémoires du comte de Forbin, 1730, I, p. 102). 

3 - Une ambassade portugaise conduite par Pedro Vaz de Siqueira était arrivée au Siam fin mars 1684 et en était repartie le 24 juin suivant. Outre des avantages commerciaux, les Portugais venaient demander au roi Naraï l'expulsion du royaume des missionnaires et des évêques français. Sur ce point, Phaulkon opposa à l'ambassadeur une fin de non-recevoir, comme le rapportait le père de Bèze : M. Constance, qui le fit recevoir avec tous les honneurs que méritait l'envoyé d'un roi dont le nom ne laisse pas d'être encore grand dans les Indes et qui y contribue beaucoup par son zèle à l'avancement de la religion, ayant su le sujet de son ambassade, eut beaucoup de déplaisir qu'on portât en présence d'un roi païen les démêlés qui étaient entre les chrétiens et qu'on l'en rendît l'arbitre. Il appréhenda encore beaucoup que le roi, scandalisé de voir l'animosité qu'il y avait entre les personnes les plus relevées en dignité dans l'Église, ne perdît beaucoup de l'estime qu'il avait conçue pour la religion et ne fut dégoûté de l'embrasser, c'est pourquoi il remontra à l'ambassadeur tous ces inconvénients et le pria de faire en sorte, si cela se pouvait, d'accorder ces petits différends ensemble sans que le roi son maître en eût connaissance, lui promettant au reste de faire en sorte que MM. les vicaires apostoliques lui donnassent toute la satisfaction possible et que le roi d'ailleurs lui accordait les autres choses qu'il avait à lui demander. (Drans et Bernard, Mémoire du père de Bèze sur la vie de Constance Phaulkon, 1947, pp. 55-56). 

4 - Le mot, dérivé du turc, lui-même emprunté au persan et à l'arabe (qui a également donné le mot douane, avait plusieurs significations. Selon Yule et Burnell (Hobson Jobson, 1903, p. 309-310), il pouvait désigner selon les pays et les époques, un ministre, une assemblée de conseillers, un intendant, un organisateur, un majordome. Il pouvait également s'appliquer à un registre, un recueil de pièces officielles ou de poèmes. Ce n'est qu'au XVIIe siècle qu'il prendra le sens où l'utilise La Loubère, un lieu où on rend la justice, où on tient le Conseil dans les pays Orientaux (Furetière, Dictionnaire universel, 1690, n.p.), et par extension, une salle garnie de tapis et de coussins. Enfin, au XIXe siècle, il s'appliquera à cet accessoire indispensable à tout psychanalyste qui se respecte, une sorte de sofa sans dossier et garni de coussins (Dictionnaire de l'Académie française, 1935). 

5 - Selon Furetière, le facteur était un commissionnaire de marchand, celui qui achète pour d’autres marchands des marchandises ou qui les vend en leurs noms. (Dictionnaire universel, 1690, n.p.). 

6 - La faiturie, ou factorerie, ou encore factorie, était le bureau où les facteurs, les commissionnaires, faisaient commerce pour le compte de la Compagnie. L'Encyclopédie de Diderot et d'Alembert précise également (1756, VI, p. 360) : On appelle ainsi dans les Indes orientales et autres pays de l'Asie où trafiquent les Européens, les endroits où ils entretiennent des facteurs ou commis, soit pour l'achat des marchandises d'Asie, soit pour la vente ou l'échange de celles qu'on y porte d'Europe. La factorie tient le milieu entre la loge et le comptoir ; elle est moins importante que celui-ci et plus considérable que l'autre. 

7 - Voir sur ce site l'article consacré au calin

8 - En 1645, le sieur Le Muet publiait une traduction du Traité des cinq ordres d'architecture dont se sont servi les anciens d'Andrea Palladio dans laquelle étaient analysés le toscan, le dorique, l’ionique, le corinthien et le composite ou composé

9 - Les explications de La Loubère sont laborieuses. Ces toits superposés et imbriqués, si caractéristiques de la Thaïlande, peuvent accessoirement offrir une protection contre les intempéries, mais, comme l'explique Wattana Boonjub, leur justification est plus esthétique que fonctionnelle : Comme les salles des temples et des palais sont grandes, leurs toits sont massifs. Pour alléger l'apparence du toit, le niveau le plus bas est le plus grand, avec un niveau intermédiaire plus petit, et le plus petit toit au-dessus. De multiples ruptures dans chaque toit l'allègent davantage – un toit à deux niveaux peut avoir deux, trois ou même quatre ruptures dans chaque niveau. (The Study of Thai Traditional Architecture as a Resource for Contemporary Building Design in Thailand, thèse de doctorat de philosophie, 2009, p. 37).

ImageToits imbriqués du Wat Na Mai à Pathom Thani. 

10 - Ici s'intercale une série d'illustrations que nous reproduisons ci-après :

ImageAppartement du roi - Salon de l'audience.
ImageMaison d'un Siamois.
ImageTemple siamois.
ImagePlan du temple siamois.
ImagePalais du roi de Siam de bambou. 

11 - La description de La Loubère correspond aux prangs (ปรางค์), ces tours en forme d'épi de maïs inspirées des shikharas de l'Inde du Nord qu'on trouve dans les temples khmers et thaïs. Ils symbolisaient le Mont Meru, centre de tous les univers dans les cosmographies hindouiste et bouddhiste.

ImagePrang du Wat Sri Ratana Mahathat à Suphanburi. 

12 - Historien et géographe grec (ca 60 av. J.-C. - 20 ap. J.-C.). 

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Page mise à jour le
18 mai 2020