Chapitre VIII
Du labourage, et de la différence des saisons.

Page de la Relation de La Loubère
I. Les bœufs et les buffles employés au labourage.

Ils emploient également les bœufs et les buffles au labourage. Ils les conduisent avec une corde passée par un trou qu'ils leur font au cartilage qui sépare les naseaux, et afin que la corde ne coule pas quand ils la tirent, il y font un nœud de chaque côté. Cette même corde passe aussi dans un trou qui est au bout du timon de leur charrue.

II. La charrue des Siamois.

La charrue des Siamois est simple et sans roues (1). Elle consiste en un bâton long qui en est le timon, en un autre recourbé qui en est le manche, et en un autre plus court et plus fort, attaché à angles presque droits au bas du manche, et c'est ce troisième qui porte le soc. Ils ne lient point ces quatre pièces avec des clous, mais avec des courroies.

III. Comment on nettoie le riz en le recueillant.

Ils se servent des bêtes de labour pour battre le riz. Quand il est battu, ils le font tomber peu à peu d'assez haut, afin que le vent en emporte la balle, et parce que le riz a une enveloppe dure à peu près comme celle de l'épeautre, sorte de grain fort commun en Flandre et en d'autres lieux, ils la brisent dans un grand mortier de bois avec un pilon de même, ou dans un moulin à bras dont toutes les pièces sont aussi de bois. On n'a su me les décrire (2).

IV. Trois saisons seulement, et deux sortes d'années.

Ils ne connaissent que trois saisons : l'hiver qu'ils appellent Na naouNa nao : หน้าหนาว, la saison froide., commencement de froid, le petit été, qu'ils appellent Na-rônNa ron : หน้าร้อน, la saison chaude., commencement de froid, le petit été, qu'ils appellent Na-rônNa ron : หน้าร้อน, la saison chaude., commencement de chaud, et le grand été, qu'ils appellent Na-rôn-yaïNa ron yai : หน้าร้อนใหญ่, la saison très chaude., commencement de chaud-grand, et qui dépouille leurs arbres de feuilles, comme le froid en dépouille les nôtres (3). Ils ont deux années de suite de douze mois, et une troisième de treize (4).

V. Les noms des jours par les planètes.

Ils n'ont point de mot pour dire semaine (5), mais ils nomment les sept jours comme nous, par les planètes, et leurs jours répondent aux nôtres ; je veux dire que lorsqu'il est lundi ici, il est lundi là, et de même des autres jours, mais le jour y commence plus tôt qu'ici d'environ six heures. Parmi les noms qu'ils ont donnés aux planètes, celui de Mercure est PoutPhut : พุธ., mot persan qui signifie idole, d'où vient Pout-Ghéda, temple de faux dieux, et Pagode vient de Pout-Ghéda (6).

VI. Par où ils commencent leurs années.

Ils commencent leur année le premier jour de la Lune de novembre ou de décembre, suivant de certaines règles, et ils ne marquent pas toujours les années par leur nombre, mais par des noms qu'ils leur donnent, car ils se servent du cycle de soixante années, comme les autres Orientaux.

VII. Le cycle de soixante années.

Un cycle de soixante années est une révolution de soixante années, comme une semaine est une révolution de sept jours, et ils ont des noms pour les années du cycle, comme nous en avons pour les jours de la semaine. Il est vrai que je n'ai pu découvrir qu'ils aient plus de douze noms différents, qu'ils répètent cinq fois dans chaque cycle pour parvenir au nombre de soixante, et à mon avis avec quelques additions qui en font les différences. Ils dateront donc, par exemple, de l'année du cochon, ou de celle du grand serpent, qui sont chez eux des noms d'années, et ils ne marqueront pas toujours la quantième année de leur ère ce sera, comme nous datons quelquefois un billet de l'un des jours de la semaine dont nous mettons le nom sans marquer le quantième c'est du mois (7). Je donnerai à la fin de cette relation les 12 noms des années en siamois, et ceux des sept jours de la semaine (8).

VIII. Leurs mois.

Leurs mois sont estimés vulgairement de trente jours. Je dis vulgairement, parce que dans l'exactitude astronomique, il peut y avoir de temps en temps quelque mois plus long ou plus court, mais les Siamois en usent encore autrement que nous, en ce que nous donnons des noms aux mois et qu'eux ne leur en donnent pas. Ils les nomment par leur rang, premier mois, second mois, et ainsi de suite (9).

IX. Distinction de leurs saisons.

Les deux premiers mois, qui répondent à peu près à nos mois de décembre et de janvier, font tout leur hiver. Le troisième, le quatrième et le cinquième appartiennent à leur petit été, les sept autres à leur grand été. Ainsi, ils ont l'hiver en même temps que nous, parce qu'ils sont au nord de la ligne comme nous, mais leur plus grand hiver est pour le moins aussi chaud que notre plus grand été. Aussi, hors du temps de l'inondation, couvrent-ils toujours les plantes de leurs jardins contre les ardeurs du soleil, comme nous couvrons quelquefois les nôtres contre les froids de la nuit ou de l'hiver ; mais quant à leurs personnes, la diminution du chaud ne laisse pas de leur paraître un froid assez incommode. Le petit été est leur printemps et ils ignorent tout à fait l'automne. Ils ne comptent qu'un grand été, quoiqu'il semble qu'ils en pourraient compter deux, à la manière des Anciens qui ont écrit des Indes, puisqu'ils ont deux fois l'année le soleil aplomb sur leurs têtes, une fois quand il vient de la ligne au tropique du Cancer, et une autre fois quand il s'en retourne du tropique du Cancer vers la ligne.

X. Et des moussons.

Leur hiver est sec et leur été pluvieux. La zone torride serait sans doute inhabitable, comme les Anciens l'ont cru, sans cette merveilleuse providence qui fait que le soleil y entraîne toujours après lui les nuages et les pluies et que le vent y souffle sans cesse de l'un des pôles quand le soleil est vers l'autre. Ainsi, à Siam, pendant l'hiver, le soleil étant au midi de la ligne, ou vers le pôle Antarctique, les vents de nord règnent toujours et tempèrent l'air jusqu'à le rafraîchir sensiblement. Pendant l'été, lorsque le soleil est au nord de la ligne et aplomb sur la tête des Siamois, les vents de midi, qui y soufflent toujours, y causent des pluies continuelles, ou font au moins que le temps y est toujours tourné à la pluie, laissant la plupart des gens en doute si ce n'est pas la saison des pluies qu'on doit appeler l'hiver de Siam. C'est cette règle éternelle des vents, que les Portugais ont appelée Monçaos, et nous après eux Mouçons (10) (motiones aeris, selon Ozorius (11) et le père Maffée (12)). Et c'est ce qui fait que les vaisseaux ne peuvent presque arriver à la barre de Siam pendant les six mois des vents du nord, et qu'ils n'en peuvent presque sortir pendant les six mois des vents de midi. Je donnerai à la fin de cet ouvrage l'ordre des vents et des marées dans le golfe de Siam, en faveur de ceux qui aiment à raisonner sur les choses de physique (13).

XI. Le temps de labourer et celui de recueillir.

Les Siamois ne donnent pas bien des façons à leurs terres. Ils les labourent et les ensemencent quand les pluies les ont assez ramollies, et ils font leur récolte lorsque les eaux sont retirées, et quelquefois lorsqu'elles sont encore sur la terre et qu'ils ne peuvent aller qu'en bateau. Toute terre qui inonde est bonne à porter du riz, et l'on dit que l'épi surmonte toujours les eaux, et que si elles croissent d'un pied en vingt-quatre heures, le riz croît aussi d'un pied en vingt-quatre heures (14), mais quoiqu'on assure que cela arrive quelquefois, j'ai bien de la peine à me le persuader dans une si grande étendue d'inondation, et je croirais plutôt que quand l'inondation surmonte quelquefois le riz en certains endroits, elle le pourrit.

XII. Autre sorte de riz.

Ils recueillent aussi du riz en divers cantons du royaume que les pluies n'inondent pas, et celui-là est plus substanciel, a plus de goût et se conserve plus longtemps. Quand il a assez cru dans la terre où on l'a semé, on le transplante dans une autre que l'on a préparée auparavant de cette manière. On l'inonde, comme nous inondons les marais salants, jusqu'à ce qu'elle soit tout à fait molle, et pour cela, il faut avoir des réservoirs plus élevés ou bien il faut retenir l'eau des pluies dans le champ même par de petites levées faites tout autour. Ensuite, on écoule l'eau, on pétrit cette terre, on l'unit, et enfin l'on y transplante les pieds de riz l'un après l'autre, en les y enfonçant avec le pouce.

XIII. Origine de l'agriculture à l'égard des Siamois.

J'ai beaucoup de penchant à croire que les anciens Siamois ne vivaient que de fruits et de poisson, comme font encore plusieurs peuples des côtes d'Afrique, et que dans la suite l'agriculture leur a été apprise par les Chinois. Nous lisons dans l'Histoire de la Chine qu'anciennement c'était le roi lui-même qui, chaque année, mettait le premier la main à la charrue dans ce grand royaume, et que de la récolte que lui donnait son travail, il faisait du pain pour les sacrifices (15). Le roi légitime du Tonkin et de la Cochinchine tout ensemble, qu'on appelle le Büa, observe encore cette coutume d'ouvrir le premier les terres chaque année, et de toutes les fonctions royales, c'est presque la seule qui lui est demeurée (16). Les importantes sont exercées par deux gouverneurs héréditaires, l'un du Tonkin et l'autre de la Cochinchine, qui se font la guerre et qui sont les maîtres véritables, quoiqu'ils fassent profession de reconnaître pour leur maître le Büa qui est au Tonkin.

XIV. Cérémonie des Siamois touchant l'agriculture.

Le roi de Siam mettait aussi autrefois la main à la charrue un certain jour de l'année ; depuis près d'un siècle et pour quelque observation superstitieuse d'un mauvais augure, il ne laboure plus, mais il laisse cette cérémonie à un roi imaginaire qu'on crée exprès toutes les années (17) ; ils n'ont pourtant pas voulu qu'il portât le nom de roi, mais celui d'Oc-yà KáouOk-ya Khao : ออกญาข้าว, c'est-à-dire Oc-ya du riz. Il est monté sur un bœuf, et il va où il doit labourer, suivi d'un grand cortège d'officiers qui lui obéissent. Cette mascarade d'un jour lui vaut de quoi vivre toute l'année et elle ne laisse pas d'être regardée comme funeste par la même superstition qui en a détourné les rois. Je soupçonne donc que cette coutume de faire ouvrir les terres par le prince est venue de la Chine au Tonkin et à Siam, avec l'art de l'agriculture.

XV. Elle est politique et superstitieuse tout ensemble.

Elle n'a été peut-être inventée que pour accréditer le labourage par l'exemple des rois mêmes, mais elle est mêlée de beaucoup de superstitions pour prier les bons et les mauvais esprits qu'ils croient pouvoir servir ou nuire aux biens de la terre. Entre autres choses, l'Oc-yà Káou leur fait un sacrifice en pleine campagne d'un monceau de gerbes de riz où il met le feu de sa propre main.

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VII. Des grains de Siam.
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1ère partie
IX. Des jardins des Siamois, et par occasion de leurs boissons.

NOTES

1 - L'ouvrage contient ici une illustration que nous reproduisons ci-dessous :

ImageVase d'or de filigrane. Mouche luisante. Charrue. 

2 - Ces moulins à riz ne devaient pas être très différents de celui-ci :

ImageMoulin à riz traditionnel. 

3 - Aujourd'hui, chaque changement de saison donne lieu à une cérémonie solennelle. Le premier jour de la lune déclinante des 4ème, 8ème et 12ème mois de l'année lunaire (généralement mars, début de la saison chaude, août, début de la saison des pluies, et novembre, début de la saison fraîche), le roi ou une personne de la famille royale change la robe du Bouddha d'émeraude au Wat Phra Kaeo à Bangkok. Les robes de la saison des pluies et de la saison chaude ont été réalisées sous le règne de Rama I, fondateur de la dynastie Chakri (1737-1809), et celle de la saison fraîche sous le règne de Rama III (1787-1851). La cérémonie telle qu'on la pratique aujourd'hui est vraisemblablement d'origine assez récente, elle ne figure ni dans l'article de G.E. Gerini consacré aux fêtes siamoises dans l'Encyclopædia of Religion and Ethics (V, 1912), ni dans l'ouvrage Siamese State Cerémonies de H.G. Quaritch Wales (1935).

ImageLes trois robes du Bouddha d'émeraude.

De gauche à droite : robe pour la saison chaude, pour la saison des pluies et pour la saison fraîche. 

4 - Tout n'est pas aussi simple et aussi régulier que le dit La Loubère, peu familier avec le calendrier lunaire chantarakati (จันทรคติ) qui fut en usage au Siam jusqu'en 1888. Un mois lunaire durant 29,5306 jours, soit 29 jours 12 heures et 44 minutes, l’année lunaire ne compte que 354 jours, 8 heures et quelques minutes, et il lui manque une douzaine de jours pour coïncider avec l’année solaire de 365 jours ¼. Les mois de l’année lunaire sont alternativement de 29 jours (duan khat : เดือนขาด) et de 30 jours (duan tem : เดือนเต็ม), et il faut, tous les deux ou trois ans, rajouter un mois supplémentaire pour rétablir la correspondance avec le calendrier solaire (comme on fait tous les quatre ans avec les années bissextiles pour compenser le quart de rotation du globe en excédent). Les années normales de 12 mois (354 jours) sont dites prokatimas (ปกติมาส), les années modifiées de 13 mois (384 jours) sont appelées athikamas (อธิกมาส). Cette pratique du 13ème mois est également appliqué dans le calendrier chinois, où ce mois supplémentaire peut être rajouté après n’importe quel mois. Dans le calendrier chantarakati, il est toujours placé après le 8ème mois, et est appelé duan paet lang (เดือนแปดหลัง), le 8ème mois tardif. Parfois encore, tous les quatre ou cinq ans, on rajoute un jour supplémentaire au 7ème mois, mais jamais si l’année est athikasimas. Ces années de 365 jours sont dites Athikawan (อธิกวาร).

Les méthodes utilisées pour déterminer ces ajustements sont fort complexes. L’une d’elle, (mais ce n’est pas la seule), indique que si le jour qui suit la pleine lune du 8ème mois, la Lune se trouve entre le 20° et le 22° degré dans la constellation du Sagittaire, l’année est déclarée normale (prokatimas) et ne compte que douze mois. Si la Lune se trouve à courte distance du Sagittaire (19° degré, soit une journée environ), l’année est dite athikawan, c’est-à-dire qu’on ajoute un jour à la fin du 7ème mois. Si la distance est supérieure, l’année est réputée athikasimas, on y ajoute un 8ème mois supplémentaire. 

5 - Semaine en thaï se dit aujourd'hui athit (อาทิตย์), mot qui signifie également soleil, et dimanche, jour du Soleil. Le mot n'était peut-être pas utilisé dans cette acception à l'époque de La Loubère. 

6 - Peu d'étymologies ont suscité autant de thèses, d'hypothèses, de controverses et de polémiques que celle du mot pagode, qui, rappelons-le, désignait trois choses bien distinctes au XVIIème siècle : 1. Les temples orientaux en général, y compris parfois les mosquées, 2. les statues et représentations des divinités adorées dans ces temples : Vous savez, écrivait l'abbé de Choisy, que pagode est le nom du temple aussi bien que de l'idole (Journal du 30 octobre 1685), et 3. une monnaie indienne. Le genre lui-même n'était pas bien défini. Furetière l'indiquait au masculin : C'est un nom que les Portugais ont donné à tous les temples des Indiens et idolâtres (1690, n.p.). Il est donné au masculin dans l'édition de 1695 du Dictionnaire de l'Académie française et au féminin dans l'édition de 1718 : Terme qui vient des Indes orientales où il signifie un temple d'idole (II, p. 189). L'hypothèse persane avancée par La Loubère est reprise par Barthélémy d'Herbelot dans sa Bibliothèque orientale, ou Dictionnaire universel contenant tout ce qui fait connaître les peuples de l'Orient. : Il faut remarquer en passant que le mot de pagode vient du persan Potghedah ou Pokhoda, qui signifie temple d'idoles, ou idole qui est adorée comme Dieu (1777, II, p. 520). On la retrouve un siècle plus tard dans le Dictionnaire étymologique des mots français d'origine orientale de Louis Marcel Devic, collaborateur d'Émile Littré, qui fait dériver le mot du persan boutkedè, ou poutkoudè, temple d'idoles, formé de bout ou pout, idole, et de kedè ou koudè, maison. (1876, p. 181).

Mais ce n'est là qu'une hypothèse parmi d'autres. Yules et Burnell, qui consacrent près de 5 pages au mot (Hobson Jobson, 1903, pp. 652 à 657), outre l'hypothèse persane, évoquent quatre autres possibilités : une origine chinoise, Pao-t'ah, précieux monticule, et Poh-kuh-t'ah, amas d'os blancs ; une origine portugaise : pagão, païen ; une origine cingalaise, dagoba, nom donné aux stupas à Ceylan, et une origine sanskrite, bhagavat, saint, divin, ou Bhagavati, mot s'appliquant à la déesse guerrière Dourga (ou Kali) ainsi qu'à d'autres divinités.

Selon Didier Treutenaere, qui a consacré un long article au mot, il s'agirait d'une double origine, dravidienne d'une part, pâgodi, mot lui-même dérivé du sanskrit bhagavat et qui aurait été adopté par les explorateurs européens de la fin du XVIème siècle, et chinoise d'autre part, de pa-ko-ta, mot qui désignait les célèbres tours hexagonales. L'étymologie du mot « pagode » n'est donc pas aussi incertaine qu'on l'affirme trop souvent, de multiples éléments semblant bien démontrer l'existence d'une double étymologie datant de la période des Grandes découvertes : la rencontre d'un mot dravidien d'abord repris par les Portugais avec un mot chinois repris par tous les « découvreurs » européens ; avec l'augmentation du poids de la Chine dans les échanges commerciaux et les modes, la face chinoise du terme est devenue prééminente. L'avenir dira si cet article fort érudit, intitulé Pour en finir avec le mot « pagode » (Theravāda Publications, 2017), sera suffisant pour mettre un terme aux hypothèses et aux controverses.

ImageGrande pagode d'Emouy en Chine. Nouveau voyage autour du monde, 1728. 

7 - Les explications laborieuses de La Loubère n'aident pas à comprendre un sujet déjà complexe. Il s'agit du cycle sexagésimal chinois, un système de numérotation des unités de temps combinant deux cycles : l'un de dix éléments, les dix troncs célestes, et l'autres de douze éléments, les douze branches terrestres. Six décades combinées à cinq dodécades forment des cycles de 60 ans. Ce système fort ancien remonterait au moins au XIIe siècle avant J.-C., et traditionnellement, la date de commencement du 1er cycle est fixée à l'année 2697 avant J.-C., soixantième anniversaire de l'empereur Huangdi. Pour davantage d'informations, voir l'article très érudit de Michel Ferlus, Le cycle sexagésimal, de la Chine à l'Asie du Sud-est, 23rd Annual Conference of Southeast Asian Linguistics Society, 29-31 mai 2012, Université Chulalongkorn, Bangkok. 

8 - Cette liste se trouve dans le tome II, pp. 74 à 80. 

9 - Les Siamois n'utilisèrent des noms de mois qu'à partir de 1888, quand le roi Chulalongkorn adopta officiellement le patithin suriyakhati (ปฏิทินสุริยคติ), le calendrier solaire calqué sur le calendrier grégorien, en remplacement du patithin chanthrakhati (ปฏิทินจันทรคติ), l'ancien calendrier lunaire. Les noms des mois, qui sont toujours en usage aujourd'hui, furent forgés à cette occasion par le prince Devawongse Varoprakan (เทวะวงศ์วโรปการ), un des fils du roi Mongkut (Rama IV), à partir des noms sanskrits des douze signes zodiacaux. 

10 - Yule et Burnell (Hobson Jobson, 1903, pp. 577-578) citent une quinzaine de déclinaisons du mot mousson (monção, moução, monssoyn, monssoen, monsson, mauçam, mausim, moson, monzão, mansone, muesson, monethsone, monthsone, moncam, mussoun, etc.) et font dériver le terme de l'arabe mausim (saison), déformé par les Portugais en monção. Louis Marcel Devic (Dictionnaire étymologique des mots français d'origine orientale, 1876, p. 170, est en accord avec cette étymologie, mais traduit le mot mausim par époque fixe, fête, foire, et aussi « saison favorable pour le voyage des Indes ». C'est également de mausim que dérive morasum (มรสุม), le nom thaï du phénomène. 

11 - Jerónimo Osório, historien portugais (1503-1580). Son ouvrage De rebus Emmanuelis (Lisbonne, 1571) fut traduit en français dans le premier tome de L'Histoire du Portugal comprise en deux volumes, contenant infinies choses mémorables advenues depuis l'an du seigneur 1090 jusqu'à l'an 1610, sous le règne de vingt rois (Paris, Samuel Crespin, 1610). 

12 - Giovanni Pietro Maffei (ca 1533-1603), jésuite italien. On lui doit une Historiarum Indicarum libri XVI, publiée à Florence en 1588, et traduite une première fois en français par François Arnault de la Borie, sous le titre Histoires des Indes de Jean Pierre Maffée, Bergamesque, de la Societé de Jésus (1604), puis par Michel de Pure, L'Histoire des Indes orientales et occidentales du R.P. Jean-Pierre maffée, de la Compagnie de Jésus, publiée à Paris, chez Robert de Ninville, en 1665. 

13 - Un chapitre intitulé Des mouçons et des marées du golfe de Siam se trouve dans le tome II, pp. 80 à 84. 

14 - La Loubère se souvient ici – avec un peu de scepticisme, semble-t-il – de la relation du chevalier de Chaumont, qui écrivait : le riz se nourrit dans l'eau et à mesure que l'eau croît, le riz croît pareillement, et si l'eau croît d'un pied en vingt-quatre heures, ce qui arrive quelquefois, le riz croît aussi à proportion et a toujours sa tige au-dessus de l'eau. (Relation de l'ambassade de M. le chevalier de Chaumont à la cour du roi de Siam, 1686, p. 166). Le père Le Blanc rapporte le même fait : quand on voit les terres ramollies par les pluies, on sème le riz qui s'attache aussitôt à la terre par des petites racines qu'il jette, et porte sa tête sur les eaux. À proportion que l'inondation croît, la tige s'élève, et quand les eaux s'abaissent, le riz penche sa tête et la repose sur la surface de l'eau. (Histoire de la révolution du royaume de Siam arrivée en l'année 1688, 1692, II, p. 187). Le phénomène est confirmé par Barthélémy Bruguière en 1831 : À l'époque de l'inondation, les champs qui sont à côté de Bangkok sont entièrement inondés pendant un assez long espace de temps, mais le riz s'élève toujours au-dessus de l'eau, il suit la crue de la rivière. Si l'eau croît subitement d'un mètre, le riz croît d'autant dans l'espace de douze heures. (Lettre de Mgr Bruguière, évêque de Capse, à M. Bousquet, vicaire général d'Aire, Annale de l'Association de la propagation de la foi, tome V, n° XXV, juillet 1831, p. 94). 

15 - Nous ignorons à quelle ouvrage La Loubère a emprunté l'évocation de cette coutume. À son époque, on la trouve notamment mentionnée dans la relation du jésuite portugais Gabriel de Magalhães, (ou Magaillans), Doze excellencias da China, dont une traduction française parut en 1688 chez Claude Barbin sous le titre : Nouvelle relation de la Chine contenant la description des particularités les plus considérables de ce grand empire : Quand on couronne le roi et qu'il prend possession de l'empire, il va dans ce temple et avec deux bœufs préparés par cela avec les cornes dorées, une charrue vernissée de vermeil à filets d'or, il laboure quelque peu un champ enfermé dans l'enclos du temps. (…) Les anciens Chinois instituèrent cette cérémonie afin que les rois se souvinssent que leurs revenus venaient des travaux et des sueurs du peuple, et qu'ainsi ils devaient les employer seulement en des ouvrages nécessaires et pour le bien de l'État, et non pas en des édifices inutiles, en des divertissements excessifs et en des dépenses superflues. (pp. 358-359). 

16 - La Loubère a certainement tiré cette anecdote de l'Histoire du royaume de Tunkin et des grands progrès que la prédication de l'Évangile y a faits en la conversion des infidèles […] d'Alexandre de Rhodes, ouvrage publiée en 1651 : … le Bua sort de son palais appelé Den, comparable en étendue de circuit à une grande ville, et passant par les principales rues de sa ville royale, appelée Che ce, se va rendre à une grande plaine distante près d'une lieue de la ville, où il est attendu de tout le train qui l'a précédé, et d'une multitude innombrable de peuple, et où étant descendu de son trône, après avoir rendu ses vœux et fait ses libations solennelles au Ciel, il prend le manche d'une charrue embellie de couleurs et d'ouvrages exquis, avec laquelle il laboure un peu de temps, et ouvre un sillon dans le champ pour apprendre au peuple qu'il faut travailler, quitter le repos et exercer la terre. (p. 13). 

17 - Cette cérémonie, d'inspiration brahmanique, se célèbre sous des formes diverses dans beaucoup de pays d'Asie du Sud-est. En Thaïlande, la tradition remonte au royaume de Sukhothai. Elle était tombée en désuétude dans les années 1920 et fut remise à l'honneur en 1960 par le roi Phumiphon. Elle est nommée Phra racha Phithi Chotphranangkhan Raek Na Kwan (พระราชพิธีจรดพระนังคัลแรกนาขวัญ) ou plus famièrement, et plus simplement Raek Na (แรกนา) et se célèbre au mois de mai. Elle est censée rendre les terres fertiles et fournir des prédictions quant aux récoltes à venir.

Van Vliet explique la tradition du roi de substitution évoquée par La Loubère par une ancienne superstition. Si le roi ne faisait pas la cérémonie, la terre restait stérile, et s'il la faisait, il était condamné à mourir dans les trois ans qui suivaient. Voir sur ce site la description de cette cérémonie par Jérémie Van Vliet.

La méthode décrite par Van Vliet qui consistait à combattre la suite du roi de paddy et à déduire des présages en fonction de l'issue du combat a été remplacée par une méthode plus pacifique. Désormais, les bœufs qui ont tiré la charrue sont invités à choisir parmi différents mets et boissons qu'on leur présente. Le 14 mai 2018, parmi les friandises offertes, les bœufs ont choisi l'eau, l'herbe et l'eau-de-vie de riz, ce qui a été interprété comme un signe très favorable laissant présager tout au long de l'année de l'eau en abondance, de fructueuses récoltes et un commerce florissant contribuant à une économie prospère.

ImageCérémonie du premier labour en Birmanie. Illustration du XXe siècle.
ImageLa cérémonie du Raek Na sur la place Sanam Luang (สนามหลวง), face au Palais royal, à Bangkok.
ImageL'oracle des bœufs, un choix lourd de conséquences ! 
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Page mise à jour le
18 mai 2020