Chapitre VI
Des fonctions de gouverneur et de juge dans la capitale

Page de la Relation de La Loubère
I. Le roi est le Tcháou-Meüang de la capitale.

Dans la capitale, où il n'y a pas d'autre Tcháou-meüangChao mueang : เจ้าเมือง que le roi, les fonctions de gouverneur et de juge sont séparées en deux offices, et les autres fonctions des petits officiers qui composent un tribunal de Tcháou-Meüang sont distribuées aux principaux officiers de l'État, mais avec plus d'étendue et d'autorité, et avec des titres plus élevés.

II. L'office d'Yummarat que l'on prononce Yumrat.

Ils appellent Yumratyommarat : ญายมราช le président du tribunal de la ville de Siam auquel ressortissent tous les appels du royaume. Il porte d'ordinaire le titre d'Oc-yà et son tribunal est dans le palais du roi, mais il ne suit pas le roi quand ce prince s'éloigne de sa capitale, et alors il rend la justice dans une tour qui est dans la ville de Siam et hors de l'enceinte du palais. À lui seul appartient la voix délibérative, et il y a encore appel de lui au roi si l'on en veut faire les frais.

III. Style judiciaire chez le roi.

En ce cas-là, le procès se rapporte et s'examine au Conseil du roi, mais en son absence, jusqu'à sentence consultative exclusivement, comme il se pratique au Conseil des Tcháou-Meüang. Le roi n'y assiste que quand il faut qu'il donne un jugement définitif, et selon le style général du royaume, ce prince, avant de prononcer, résume toutes les opinions et débat avec ses conseillers celles qui lui paraissent injustes ; et l'on m'a assuré que le roi d'aujourd'hui s'en acquitte avec beaucoup de capacité et de netteté.

IV. L'office de Prásadet qu'on prononce Prá-sedet.

Le gouverneur de la ville de Siam s'appelle Prá-sedetPhra Sadet : พระเสด็จ, et porte aussi pour l'ordinaire le titre d'Oc-yà. Son nom, qui est pali, est composé du mot Prá, dont j'ai parlé plusieurs fois, et du mot Sedet, qui signifie, dit-on : Le roi est sorti (1) ; et en effet, ils ne disent pas autrement pour dire que le roi est sorti. Mais cela ne fait point entendre ce que c'est que l'office de Prá-sedet, et il paraît en plusieurs choses qu'ils ont fort perdu l'exacte intelligence du pali. M. Gervaise appelle cet office Pesedet (2) : je l'ai toujours ouï nommer Prá-sedet, et par gens habiles, quoiqu'on l'écrive Prá-sadet.

V. La réception que les gouverneurs firent aux envoyés du roi, chacun dans son gouvernement.

Le cours de la rivière depuis son embouchure jusqu'à la capitale est divisé en plusieurs petits gouvernements. Le premier est PipelíPhetchaburi : เพชรบุรี (3), le second PrépademPhra Pradaeng (พระประแดง), aujourd'hui dans la province de Samut Prakan (สมุทรปราการ), le troisième Bancok, le quatrième TalacoanTalat Khwan : ตลาดขวัญ, et le cinquième Siam (4). Les officiers de chacun de ces gouvernements reçurent les envoyés du roi à l'entrée de leur ressort et ils ne les abandonnèrent pas que les officiers du ressort prochain ne les eussent joints et salués, et c'étaient les officiers particuliers de chaque gouvernement qui faisaient la tête du cortège. Outre cela, il y avait des officiers plus considérables qui étaient venus offrir les balons du roi leur maître aux envoyés du roi, à l'embouchure de la rivière, et chaque jour il s'y joignait de nouveaux officiers qui venaient porter de nouveaux compliments aux envoyés du roi de la part du roi de Siam, et qui ne quittaient plus les envoyés du roi depuis qu'ils les avaient joints.

VI. Le lieu où les envoyés du roi attendirent le jour de l'audience.

Les envoyés du roi arrivèrent ainsi à deux lieues de Siam à un lieu que les Français ont appelé la Tabanque, et ils y attendirent huit ou dix jours celui de leur entrée dans la capitale. Tabanque en siamois veut dire douane (5), et parce que le logis du douanier, qui est à l'embouchure de la rivière, est de bambou comme tous les autres, les Français appelèrent Tabanque tous les logis de bambou où ils logèrent, du nom du logis du douanier qu'ils avaient vu le premier de tous.

VII. Le gouverneur de Siam les y vint prendre.

Le jour donc que les envoyés du roi firent leur entrée, Oc-yà Prá-sedet, comme gouverneur de la capitale, vint les chercher et les complimenter à cette prétendue Tabanque.

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VII. Des officiers d'État, et premièrement du Tchacry, du Calla-hom et du
général des éléphants.

NOTES

1 - Ce mot, qui appartient au rachasap (ราชาศัพท์), le langage réservé au roi et à la famille royale, est utilisé plus généralement pour évoquer les allées et venues, les déplacements du roi. 

2 - Nicolas Gervaise mentionne cet emploi dans son chapitre sur les secondes charges de la Couronne et des gouvernements des provinces : La troisième [charge] est celle d'Oya Pesedet ; celui qui la possède est le maître de la police et le gouverneur de la ville capitale en l'absence du roi. C'est à lui que les talapoins doivent d'adresser pour terminer les différends qu'ils ont entre eux ou avec les gens du monde, et sans sa permission expresse et par écrit, ils ne peuvent changer de pagode ou de monastère, ni un séculier ne peut se faire talapoin. (Histoire naturelle et politique du royaume de Siam, 1688, pp.  82-83). 

3 - Pipeli était le nom que les Occidentaux donnaient à l'actuelle Phetchaburi (เพชรบุรี). Toutefois, cette ville ne se trouve pas, loin s'en faut, sur le cours de la Menam Chao Phraya. 

4 - Rappelons que Siam était le nom que les Français donnaient indistinctement au royaume et à la ville d'Ayutthaya, sa capitable, abus que dénonçait le chevalier de Forbin : Je ne saurais m’empêcher de relever encore ici une bévue de nos faiseurs de relations. Ils parlent à tout bout de champ d’une prétendue ville de Siam, qu’ils appellent la capitale du royaume, qu’ils ne disent guère moins grande que Paris et qu’ils embellissent comme il leur plaît. Ce qu’il y a de bien certain, c’est que cette ville n’y subsista jamais que dans leur imagination, que le royaume de Siam n’a d’autre capitale que Odia ou Joudia, et que celle-ci est à peine comparable pour la grandeur à ce que nous avons en France de villes du quatrième et du cinquième ordre. (Mémoires du comte de Forbin, 1729, I, p. 102). 

5 - La Loubère utilise l'ancienne épellation doane et doanier, nous avons rétabli l'orthographe moderne. Le mot tabanque n'est pas siamois, mais sans doute dérivé du malais pabean : la douane. Il y avait deux tabanques siamoises, l’une à Paknam (Samut Prakan), l’autre près d’Ayuthaya, à deux lieues en aval de la ville, où furent logées la première et la seconde ambassades françaises.

ImageLes deux Tabanques siamoises sur la carte de l'ingénieur La Mare.
ImageLa tabanque.

Tabanque : C'est une grande maison faite de claies de bambous sur le bord de la rivière de Siam où logeaient les ambassadeurs à la dînée ou à la couchée. (Gouache aquarellée, Bibliothèque Nationale, Hurel 313). 

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18 mai 2020