Chapitre VII
Des officiers d'État, et premièrement du Tchacry,
du Calla-hom et du général des éléphants

Page de la Relation de La Loubère
I. Des officiers en chef en général.

Parmi les offices de la Cour sont principalement ceux auxquels sont attachés les fonctions de nos secrétaires d'État, mais avant que d'entrer en cette matière, je dois dire que tous les officiers en chef, en quelque genre d'affaires que ce soit, ont sous eux autant ou partie de ces officiers subalternes qui composent le tribunal des Tcháou-Meüang.

II. Du Tchacry.

Le TchacryChrakkri : จักรี a le département de toute la police intérieure du royaume ; à lui reviennent toutes les affaires des provinces ; tous les gouverneurs lui rendent compte immédiatement et reçoivent immédiatement les ordres de lui. Il est le chef du Conseil d'État.

III. Du Calla-hom.

Le Calla-homKalahom : กลาโหม a le département de la guerre ; il a soin des places, des armes, des munitions, il donne tous les ordres qui regardent les armées et il en est naturellement le général, quoique le roi puisse nommer pour général qui il lui plaît. Il paraît par la relation de Van Vliet que le commandement des éléphants appartenait aussi au Calla-hom (1), même hors de l'armée, mais aujourd'hui c'est un emploi à part, à ce que l'on m'a assuré, soit que le père du roi d'aujourd'hui, après s'être servi de la charge de Calla-hom pour envahir le trône, ait voulu en diviser le pouvoir, soit que naturellement ce soient deux charges distinctes qu'on peut donner à un seul.

IV. Du général des éléphants.

Quoi qu'il en soit, c'est Oc-prá Pipitcharatcha, appelé par corruption Petratcha (2), qui commande tous les éléphants et tous les chevaux, et c'est un des plus grands emplois du royaume parce que les éléphants sont estimés les principales forces du roi de Siam. Il y en a qui disent que ce prince en nourrit jusqu'à dix mille, mais c'est ce qu'on ne saurait savoir, parce que la vanité porte toujours ces gens-là à la menterie et ils sont encore plus vains en matière d'éléphants qu'en autre chose. La capitale du royaume de Láos s'appelle Lan-Tchang, et son nom en la langue du pays, qui est à peu près la même que la siamoise, veut dire dix millions d'éléphants (3). Le roi de Siam en nourrit donc un fort grand nombre et l'on dit qu'il faut au moins trois hommes pour le service de chaque éléphant, et ces hommes, avec tous les officiers qui les commandent, sont tous sous les ordres d'Oc-prá Pipitcharatcha, qui bien qu'il n'ait que le titre d'Oc-prá, ne laisse pas d'être un fort grand seigneur. Le peuple l'aime parce qu'il paraît modéré, et il le croit invulnérable parce qu'il a témoigné beaucoup de courage dans quelque combat contre les Péguans. Son courage lui a attiré aussi la faveur du roi son maître. Sa famille est de longtemps dans les plus hautes charges ; elle s'est souvent alliée à la Couronne, et l'on dit publiquement que lui ou son fils Oc-loüang SouraçacOk-luang Sorasak : ออกหลวงสรศักดิ์ (4) y pourront prétendre s'ils survivent l'un ou l'autre au roi qui règne aujourd'hui. La mère d'Oc-prá Pipitcharatcha a été nourrice du roi, et la mère du premier ambassadeur que nous avons vu ici l'a été aussi, et quand le roi fit bâtonner pour la dernière fois le grand barcalon frère de cet ambassadeur, ce fut Oc-loüang Souraçac, fils d'Oc-prá Pipitcharatcha, qui le bâtonna par ordre du roi et en sa présence, la nourrice du prince, mère du barcalon, étant prosternée à ses pieds pour obtenir grâce pour son fils.

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VI. Des fonctions de gouverneur
et de juge dans la capitale.
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3ème partie
VIII. De l'art de la gurerre
chez les Siamois, et de leurs forces
de mer et de terre.

NOTES

1 - Van Vliet mentionne dans sa relation Oya Calahom, général des éléphants, qui était un des six premiers mandarins et des plus riches du royaume, possédant plus de deux mille esclaves, deux cents éléphants et quantité de fort beaux chevaux. (Relation du voyage de Perse et des Indes orientales avec les Révolutions arrivées au royaume de Siam l'an mil six cent quarante-sept, 1663, p. 571). Dans sa Description du royaume thai ou Siam (1854), Jean-Baptiste Pallegoix présente le Somdet-chào-phaja-kalahôm comme généralissime et surintendant de la marine et des provinces du midi. (I, p. 291). 

2 - Phra Phetracha (พระเพทราชา), meneur du coup d'État de 1688, qui usurpera le pouvoir à la mort du roi Naraï. Voir sur ce site la page qui lui est consacrée : Phetracha

3 - À peu près à l'emplacement du Laos actuel, c'était le royaume tout entier qui était appelé Anachak Lan Chang (อาณาจักรล้านช้าง), le Royaume du million d'éléphants (Lan (ล้าน) signifie un million, et non dix millions

4 - Sorasak régna à la mort de son père sous le tire de Sanphet VIII, et fut surnommé le Roi Tigre en raison de sa cruauté et de ses mœurs dissolus. W.A.R. Wood brosse ainsi son portrait : Ce fut un homme cruel, intempérant et dépravé. Turpin dit qu’il a épousé la princesse Yotathep, une des veuves de son père [par ailleurs fille de Phra Naraï]. Une des portes de son palais était connue sous le nom de Porte des Cadavres en raison du grand nombre de petits cercueils qui en sortaient, contenant des enfants assassinés victimes de sa luxure et de sa cruauté. (…) Le roi Tigre, usé par l’alcool et la débauche, mourut en 1709, terminant ainsi un règne court et peu glorieux. (W.A.R. Wood - A History of Siam).

Selon l'histoire officielle thaïlandaise, toujours soucieuse de présenter ses monarques sous un jour prestigieux, Sorasak n'était pas le fils de Phetracha, usurpateur d'une naissance à servir sur un balon plutôt qu'à monter sur un trône (Marcel Le Blanc, Histoire de la révolution du royaume de Siam […], 1692, I, p. 38), mais un fils caché que le roi Naraï aurait eu avec une princesse de Chiang Maï alors qu'il assiégeait cette ville. Craignant que cette liaison et cette naissance ne fussent découvertes, le roi confia l'enfant à Phetracha, son général des éléphants, avec ordre de l'élever dans le plus grand secret. Phetratcha donna le nom de Dua à celui qui le regardait comme son père. Dès que le jeune garçon fut en âge, Phetratcha l'envoya au palais royal pour y être page. Le roi Naraï, qui savait qu'il s'agissait de son fils, voulut un jour lui donner un signe : il demanda à Dua d'approcher et de se regarder avec lui dans un miroir, en lui faisant remarquer à quel point tous deux se ressemblaient. Sarasak comprit le signe, et en devint excessivement fier. C'est la version qu'on enseigne aux écoliers thaïlandais dans un pays où peu importe que l'histoire soit vraie pourvu qu'elle soit belle et politiquement correcte. 

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Page mise à jour le
23 décembre 2019