DEUXIÈME PARTIE
 
Des mœurs des Siamois en général

Chapitre premier
De l'habit et de la mine des Siamois

Page de la Relation de La Loubère
I. Ils s'habillent peu, moins à cause du chaud que par la simplicité de leurs mœurs.

Ils ne s'habillent presque point. Tacite dit de l'infanterie allemande de son temps qu'elle était ou toute nue, ou couverte de légers sayons (1), et encore aujourd'hui, il y a des sauvages dans l'Amérique septentrionale qui sont presque nus, ce qui prouve, ce me semble, que la simplicité des mœurs, autant que le chaud, est la cause de la nudité des Siamois comme elle l'est de la nudité de ces sauvages. Ce n'est pas que les habits ne soient presque insupportables aux Français qui arrivent à Siam et qui ne savent pas s'empêcher d'agir et de s'agiter, mais il est malsain pour eux de se déshabiller, parce que les injures de l'air fort chaud ne sont pas moins à craindre que celles de l'air fort froid à qui n'y est pas accoutumé, avec cette différence pourtant que dans les climats fort chauds, il suffit pour la santé de se bien couvrir l'estomac. Les Espagnols se le couvrent pour cette raison d'une peau de buffle en quatre doubles, mais les Siamois, dont les mœurs sont simples en toutes choses, ont mieux aimé s'accoutumer dès l'enfance, presque à une entière nudité.

II. La pagne, habit des Siamois.

Ils vont nu-pieds et nue-tête, et pour la bienséance seulement, ils entourent leurs reins et leurs cuisses jusqu'au-dessous du genou d'une pièce de toile peinte d'environ deux aunes et demie de long (2), que les Portugais appellent pagne, du mot latin pannus. Quelquefois, au lieu d'une toile peinte, la pagne (3) est une étoffe de soie, ou simple, ou bordée d'une broderie d'or ou d'argent.

III. Une chemise de mousseline leur sert de veste.

Les mandarins, c'est-à-dire les officiers, portent, outre la pagne, une chemise de mousseline qui est comme leur veste ou leur justaucorps (4). Ils la dépouillent et l'entortillent au milieu de leur corps quand ils abordent un mandarin beaucoup plus élevé qu'eux en dignité, pour lui témoigner qu'ils sont prêts d'aller où il voudra les envoyer ; et néanmoins les officiers que nous avons vus aux audiences du roi de Siam en demeurent revêtus comme de leur habit de cérémonie, et par la même raison, ils eurent toujours leurs bonnets hauts et pointus sur la tête. Ces chemises n'ont point de collet et sont ouvertes par-devant, sans qu'ils aient soin de les attacher pour cacher leur estomac. Les manches en tombent presque jusqu'au poignet, larges d'environ deux pieds de tour, mais sans être froncées ni en haut ni en bas. D'ailleurs, le corps en est si étroit que ne pouvant passer et descendre par-dessus la pagne, il s'y arrête par plusieurs plis.

IV. Écharpes contre le froid.

Dans l'hiver, ils mettent quelquefois sur leurs épaules un lé d'étoffe ou de toile peinte, ou en manière de manteau, ou en manière d'écharpe, dont ils passent assez galamment les bouts autour de leurs bras.

V. Comment le roi use des vestes d'étoffe.

Mais le roi de Siam met une veste de quelque beau brocart dont les manches sont fort étroites et viennent jusqu'au poignet, et comme nous nous habillons contre le froid sous le justaucorps, il met cette veste sous la chemise que je viens de décrire et qu'il garnit de dentelles ou de point d'Europe. Il n'est permis à aucun Siamois de porter cette sorte de veste si le roi ne la lui donne, et il ne fait ce présent qu'aux plus considérables de ses officiers.

VI. Sorte de veste militaire.

Il leur donne aussi quelquefois une autre veste, ou justaucorps d'écarlate, qui ne doit servir qu'à la guerre ou à la chasse. Ce justaucorps descend jusqu'aux genoux et il a huit ou dix boutons par-devant. Les manches en sont larges, mais sans ornement, et si courtes qu'elle n'atteignent pas aux coudes.

VII. La couleur rouge pour la guerre et la chasse.

C'est une coutume générale à Siam que le prince et tout ce qui le suit à la guerre ou à la chasse est habillé de rouge. En ce cas, les chemises qu'on donne aux soldats sont d'une mousseline teinte en rouge, et dans les jours de cérémonie, comme fut celui de l'entrée des envoyés du roi, on donna de ces chemises rouges aux Siamois qu'on mit sous les armes.

VIII. Bonnet haut et pointu.

Le bonnet blanc, haut et pointu que nous avons vu aux ambassadeurs de Siam (5) est une coiffure de cérémonie dont le roi de Siam et ses officiers se servent également, mais le bonnet du roi de Siam est orné d'un cercle ou d'une couronne de pierreries, et ceux de ses officiers sont ornés de divers cercles d'or, d'argent ou de vermeil doré, pour marquer leurs dignités, ou n'ont aucun ornement. Les officiers ne les portent que devant leur roi ou dans leurs tribunaux, ou dans quelque cérémonie. Ils les attachent avec un cordon qui passe sous le menton, et ils ne les ôtent jamais pour saluer.

IX. Les babouches.

Les Mores leur ont porté l'usage des babouches, espère de souliers pointus sans quartier ni talon. Ils les quittent aux portes chez autrui et chez eux-mêmes pour ne pas salir les lieux où ils entrent. Mais quelque part que soit leur roi ou quelque autre personne à qui ils doivent du respect (comme est par exemple un sancratSangkharat : สังฆราช, c'est-à-dire un supérieur de leurs talapoins), ils ne s'y présentent pas avec les babouches.

X. Propreté du palais de Siam.

Rien n'est plus net que la palais du roi de Siam, tant à cause du peu de personnes qui y entrent que des précautions avec lesquelles elles y entrent.

XI. Chapeaux pour les voyages.

Ils estiment les chapeaux pour les voyages, et ce prince en fait faire de toutes couleurs de la figure à peu près de son bonnet (6), mais très peu de personnes parmi le peuple daignent couvrir leur tête contre l'ardeur du soleil, et ils ne le font que d'un pan de toile, et seulement quand ils sont sur la rivière où la réflexion incommode davantage.

XII. L'habit des femmes.

La différence de l'habillement des femmes à celui des hommes est que les femmes attachant leur pagne par sa longueur autour de leurs corps, comme font aussi les hommes, elles la laissent tomber selon sa largeur et imitent une jupe étroite qui ne leur descendrait que jusqu'à mi-jambe, au lieu que les hommes relèvent leur pagne entre leurs cuisses en y repassant l'un des bouts qu'ils laissent plus long que l'autre et qu'ils font tenir par-derrière à la ceinture (7), en quoi ils imitent en quelque sorte notre haut-de-chausse. L'autre bout de la pagne pend par-devant, et comme ils n'ont point de poche, ils y nouent souvent leur bourse pour le bétel en la manière dont nous nouons quelque chose dans le coin de notre mouchoir. Ils portent aussi quelquefois deux pagnes l'une sur l'autre, afin que celle de dessus demeure plus propre.

XIII. Nudité presque entière.

À la pagne près, les femmes sont toutes nues, car elles n'ont point de chemises de mousseline ; les riches seulement usent toujours de l'écharpe. Elles en passent quelquefois les bouts autour de leurs bras, mais le bel air pour elles est de la mettre simplement sur leur sein par le milieu, d'en abattre un peu les plis et d'en laisser pendre les deux bouts derrière par-dessus les épaules.

XIV. Modestie dans cette nudité.

Néanmoins une si grande nudité ne les rend pas immodestes. Au contraire, les hommes et les femmes de ce pays-là sont les plus scrupuleux du monde à montrer les parties de leur corps que l'usage leur ordonne de cacher. Les femmes qui étaient accroupies dans leurs balons le jour de l'entrée des envoyés du roi tournaient pour la plupart le dos au spectacles, et les plus curieuses regardaient à peine par-dessus l'épaule. Il fallut donner aux soldats français des pagnes pour le bain pour faire cesser les plaintes que faisaient ces peuples de les voir entrer tout nus dans la rivière (8).

XV. Modestie dans les châtiments.

Les enfants y sont sans pagne jusqu'à l'âge de quatre ou cinq ans, mais quand une fois ils l'ont prise, on ne les découvre point pour les châtier, et c'est en Orient une fort grande infamie d'être battu à nu sur les parties du corps qui sont ordinairement cachées.

XVI. Pourquoi ils châtient du bâton.

Peut-être est-ce de là que leur est venu l'usage du bâton dans les châtiments, parce que fouet ni les verges ne se feraient pas assez sentir avec les habits.

XVII. Modestie dans le lit même et au bain.

Bien plus, ils ne se déshabillent pas pour se coucher, ou au moins il ne font que changer de pagne, comme ils en changent pour se baigner dans la rivière. Les femmes s'y baignent comme les hommes et s'exercent comme eux à la nage, et nulle part au monde on ne nage mieux.

XVIII. D'autres preuves de leur modestie.

Leur modestie leur rend l'usage des lavements presque insupportable, et peu d'entre eux peuvent encore s'y résoudre. Ils ont attaché l'infamie à la nudité et ils n'ont pas moins de soin de la pudeur des oreilles que de celle des yeux, puisque les chansons déshonnêtes sont défendues par les lois de Siam comme par celles de la Chine. Je n'assurerai pourtant pas qu'on n'y en fasse point du tout, car les lois ne défendent guère nulle part que les excès déjà trop établis, et il vient de la Chine des figures de porcelaine et des peintures si immodestes qu'elles ne valent pas mieux que les chansons les plus sales.

XIX. Quelles pagnes sont permises.

Les pagnes d'une certaine beauté, comme celles d'étoffe de soie avec de la broderie ou sans broderie et comme celles de toile peinte fort fines, ne sont permises qu'à ceux à qui le prince en fait présent. Les femmes de condition y font assez de cas des pagnes noires, et leur écharpe est souvent de simple mousseline blanche.

XX. Bagues, bracelets, pendants d'oreille.

Ils portent des bagues aux trois derniers doigts de chaque main, et la mode leur permet d'y en mettre autant qu'il y en peut tenir. Ils achetaient volontiers un demi-écu les bagues à pierres fausses qui, à Paris, n'avaient coûté que 2 sols. Ils ne savent ce que c'est que de colliers pour orner leurs cols ni ceux de leurs femmes, mais les femmes et les enfants de l'un et de l'autre sexe y connaissent l'usage des pendants d'oreille. D'ordinaire, ils sont en forme de poire, d'or ou d'argent ou de vermeil doré. Les jeunes garçons et les jeunes filles de bonne maison portent des bracelets, mais seulement jusqu'à l'âge de six ou sept ans, et ils en portent également aux bras et aux jambes. Ce sont des anneaux d'or ou d'argent, ou de vermeil doré de la figure de nos claviers.

XXI. Leur nudité ne surprend point.

Comme ces peuples ont le corps d'une autre couleur que nous, il semble que nos yeux ne les estiment pas nus ; au moins leur nudité n'avait-elle rien qui me surprit, au lieu qu'un homme blanc nu, quand j'en recontrais quelqu'un, me paraissait toujours un objet nouveau.

XXII. La taille des Siamois.

Les Siamois sont plutôt petits que grands, mais ils ont le corps fort bien fait, ce que j'attribue principalement à ce qu'on ne les emmaillote pas dans leur enfance. Les soins que nous prenons de former la taille de nos enfants ne sont pas toujours si heureux que la liberté qu'ils laissent à la nature d'achever de former les leurs. Il est vrai que le sein des femmes siamoise ne se soutient plus dès leur première jeunesse et qu'il leur descend bientôt jusqu'au nombril, mais d'ailleurs, leur corps est bien taillé, et leur sein pendant ne choque point les yeux de leurs maris, tant il est vrai que les goûts, même ceux qui paraissent les plus naturels, consistent beaucoup en habitude.

XXIII. Leur mine.

La figure de leurs visages, tant des hommes que des femmes, tient moins de l'ovale que de la losange : il est large et élevé par le haut des joues, et tout d'un coup leur front se rétrécit et se termine presque autant en pointe que leur menton. D'ailleurs, leurs yeux fendus un peu en haut sont petits et pas trop vifs, et le blanc, pour l'ordinaire, en est tout jaunâtre. Leurs joues sont creuses, parce qu'elles sont trop élevées par le haut ; leurs bouches sont grandes, leurs lèvres grosses et pâles, et leurs dents noircies. Leur teint est grossier et d'un brun mêlé de rouge, à quoi le hâle continuel contribue autant que la naissance.

XXIV. Couleur bleue mise sur le corps.

Les femmes ne mettent ni fard ni mouche, mais j'ai vu un seigneur qui avait les jambes bleues d'un bleu mat comme celui que laisse la poudre quand on a été brûlé d'un coup d'arme à feu (9). Ceux qui m'en firent apercevoir me dirent que c'était une chose affectée aux grands, qu'ils avaient plus ou moins de bleu selon leur dignité et que le roi de Siam était bleu depuis la plante des pieds jusqu'au creux de l'estomac. D'autres m'ont assuré que ce n'était pas par grandeur, mais par superstition, et d'autres m'ont voulu faire douter que le roi de Siam fût bleu. Je ne sais ce qui en est.

XXV. Le nez et les oreilles des Siamois.

Les Siamois, comme j'ai dit autre part, ont le nez court et arrondi par le bout et les oreilles plus grandes que les nôtres, et plus ils les ont grandes, plus ils les estiment ; goût commun à tout l'Orient, comme il paraît par toutes les statues de porcelaine ou d'autre matière qui en viennent. Mais en cela, il y a de la différence parmi les Orientaux, car quelques-uns étirent leurs oreilles par le bas pour les allonger, sans les percer qu'autant qu'il faut pour y mettre des pendants. D'autres, après les avoir percées, agrandissent peu à peu le trou à force d'y mettre des bâtons plus gros les uns que les autres, et il arrive, surtout au pays de Láos, qu'on passerait presque le poing dans le trou et que le bas de l'oreille touche aux épaules. Les Siamois ont les oreilles un peu plus grandes que les nôtres, mais naturellement et sans artifice.

XXVI. Leurs cheveux.

Leurs cheveux sont noirs, grossiers et plats, et l'un et l'autre sexe les portent si courts qu'ils ne descendent autour de leur tête qu'à la hauteur des oreilles. Au-dessous de cela, il sont tondus fort près, et cet air de tête naissante ne deplaît point. Les femmes les relèvent sur le front, sans pourtant les rattacher, et quelques-une, et principalement les péguanes, les laissent assez croître par-derrière pour les y pouvoir entortiller. Les jeunes gens à marier, garçons et filles, les portent d'une manière particulière. Ils tondent au ciseau et fort près le haut de la tête, et puis tout autour, ils arrachent un petit cercle de cheveux de l'épaisseur de deux écus blancs, et au-dessous, ils laissent croître le reste de leurs cheveux presque jusque sur leurs épaules. Les Espagnols, à cause du chaud, se tondent ainsi fort souvent sur le haut de la tête, mais ils n'arrachent rien tout autour.

XXVII. Goût des Siamois pour les femmes blanches.

Or comme l'on est toujours prévenu pour les choses de son pays, je ne doutais point que les portraits de quelques-unes des plus belles personnes de la Cour que j'avais portés en ce pays-là ne dussent ravir les Siamois en admiration. La peinture en était meilleure que celle de ces petits portraits qu'on envoie tous les jours dans les pays étrangers, cependant il faut avouer que les Siamois ne s'y arrêtèrent presque point, et qu'après les portraits des personnes royales, devant lesquels ils s'inclinaient sans oser les regarder fixement, ils aimèrent beaucoup celui de M. le duc de Montauzier, à cause de sa mine haute et guerrière (10). Nous demandâmes à deux jeunes mandarins ce qu'il leur semblait d'une grande poupée du palais (11) que nous leur montrâmes. L'un d'eux répondit qu'une femme comme cela vaudrait bien cent catis, c'est-à-dire quinze mille livres, et son camarade fut du même avis, mais il ajouta qu'il n'y aurait personne à Siam qui pût l'acheter. De savoir s'ils mettaient à si haut prix une femme blanche, ou pour l'agrément singulier qu'ils y pouvaient trouver, ou seulement parce que toute marchandise qui vient de fort loin doit être fort chère, je le laisse à décider. Il est toujours certain que soit goût, soit grandeur, le roi de Siam a des femmes blanches Mingréliennes (12), ou Géorgiennes, qu'il fait acheter en Perse, et les Siamois qui avaient été en France avouaient que quoiqu'ils n'eussent pas d'abord été fort touchés ni de la blancheur, ni des traits des Françaises, néanmoins ils avaient bientôt compris qu'elles seules étaient belles et que les Siamoises ne l'étaient pas. Quant à l'habit de la poupée, les deux mandarins le méprisèrent absolument, comme trop embarrassant pour un mari qui voudrait l'ôter à sa femme ; et j'ai fait réflexion depuis, qu'ils croyaient peut-être que nos femmes couchaient dans leurs habits, comme font les leurs, ce qui serait sans doute fort importun.

XXVIII. Les Siamois sont fort propres.

Comme les habits s'imbibent de tout ce que le corps transpire, il est certain que moins on est habillé, plus il est aisé d'être propre, aussi les Siamois le sont-ils beaucoup. Ils se parfument en plusieurs endroits de leur corps. Ils mettent sur leurs lèvres une sorte de pommade parfumée qui les fait paraître encore plus pâles qu'elles ne le sont naturellement. Ils se baignent trois ou quatre fois par jour et plus souvent, et c'est une de leurs politesses de ne point faire de visite de conséquence sans s'être lavés, et en ce cas-là, il se font une marque blanche sur le haut de la poitrine avec un peu de craie pour faire connaître qu'ils sortent du bain.

XXIX. Deux manières de prendre le bain.

Ils le prennent en deux façons : ou en se mettant dans l'eau à notre manière, ou en se faisant répandre de l'eau sur le corps à cuillerées, et ils continuent quelquefois cette dernière sorte de bain pendant plus d'une heure. Au reste, ils n'ont pas besoin de chauffer l'eau pour leurs bains domestiques, non pas même quand elle a été gardée plusieurs jours et en hiver : elle demeure toujours naturellement assez chaude.

XXX. Propreté de leurs dents et de leurs cheveux.

Ils prennent grand soin de leurs dents, quoiqu'il les noircissent (13). Ils lavent leurs cheveux avec des eaux et des huiles de senteur, comme font les Espagnols, et ils ne se poudrent pas non plus qu'eux, mais ils se peignent, ce que la plupart des Espagnols négligent de faire. Ils ont des peignes de la Chine, qui au lieu d'être tout d'une pièce comme les nôtres, ne sont qu'un amas de pointes ou de dents liées étroitement avec du fil d'archal. Ils arrachent leur barbe, et naturellement ils en ont peu, mais ils ne font point leurs ongles, ils se contentent de les tenir nets.

XXXI. Affectation pour les ongles longs.

Nous vîmes des danseuses de profession qui, pour la bonne grâce, avaient mis des ongles de cuivre jaune et fort longs qui les faisaient paraître des harpies (14). À la Chine, au moins avant la conquête des Tartares, l'usage était de ne faire ni les ongles, ni les cheveux, ni la barbe. Les hommes même y portaient la tête couverte d'un réseau de crin ou de soie qu'ils attachaient par-derrière, et qui ne couvrant pas le sommet de la tête, laissait un vide, par lequel ils faisaient sortir leurs cheveux ramassés, et puis ils les entortillaient et les arrêtaient avec un poinçon. Et l'on dit que cette coiffure sur laquelle ils mettaient encore quelquefois des bonnets ou des espèces de chapeaux leur donnait des migraines et d'autres maux de tête très grands.

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1ère partie
IX. Des jardins des Siamois, et par occasion de leurs boissons.
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II. Des maisons des Siamois et de leur architecture dans les
bâtiments publics.

NOTES

1 - Sayon ou saie : Vieux mot qui signifiait autrefois un habillement militaire, ou une casaque des gens de guerre, dont usaient les Grecs et les Romains ; elle était propre aux Gaulois, comme témoigne Varron et Diodore Sicilien. Il était fait de laine, et de forme carrée, et il y en avait d'hiver et d'été. (Furetière). 

2 - L'aune de Paris, dite Aune des Merciers avait été définie par une ordonnance de François Ier en 1540, puis à nouveau par un édit de Henri II en 1557 qui la fixait à trois pieds et demy de roy, un pouce, huict lignes. L'aune étalon du Conservatoire National des Arts et Métiers mesure 1,185 m. Les deux aunes et demie mentionnées par La Loubère représentent donc environ 2,96 m. 

3 - La Loubère, comme beaucoup d'auteurs de l'époque, emploie le mot au féminin. Il apparaît dans le Dictionnaire de l'Académie française de 1762, où il est donné masculin : Terme de relation : Morceau de toile de coton, dont les Nègres et les Indiens qui vont nus s'enveloppent le corps depuis la ceinture jusqu'aux genoux, ou jusqu'au milieu des genoux. Il s'agit de la pièce d'étoffe également appelée dans les relations lungi (ou longyi, loonghee, longui, longis, lunggi, langoti, langouti, etc.) En Thaïlande, le pagne décrit par La Loubère serait le phanung (ผ้านุ่ง), une pièce d'étoffe enroulée autour de la taille et fermée par un nœud, ou le pha khaoma (ผ้าขาวม้า), pagne porté essentiellement par les hommes, notamment pour se baigner en public. Le sarong (โสร่ง), du malais sarung : étui, est une pièce d'étoffe rectangulaire dont les petits côtés sont cousus ensemble. 

4 - Deux gravures de Franz Ertinger figurent ici dans l'ouvrage.

ImageMandarin siamois. 

5 - Ces bonnets s'appelaient des lomphok (ลอมพอก). Ils furent très populaires en France, tant par les descriptions qu'en firent les voyageurs que par les innombrables images, illustrations, médailles, almanachs, qui circulèrent à l'occasion de la visite des ambassadeurs siamois. Dans la comédie La foire de Saint-Germain de Dufresny et Regnard, représentée en 1695 à l'Hôtel de Bourgogne, les marchands proposaient, outre des robes de Marseille et des chemises de Hollande, des bonnets de style siamois, ce qui prouve que, dix ans après le départ de la grande ambassade de Kosa Pan, le souvenir des Siamois était encore bien vivace dans le peuple de Paris.

ImageLes ambassadeurs siamois - Jacques Vigouroux-Duplessis.
ImageDignitaires portant des lomphok aux obsèques du roi Phumiphon Adunyadet. 

6 - Le roi Naraï semblait affectionner particulièrement les couvre-chefs. Le missionnaire Bénigne Vachet note que parmi les présents que Louis XIV lui destinait se trouvaient six douzaines de chapeaux de castor de diverses couleurs (Launay, Histoire de la Mission de Siam, 1920, I, p. 149. 

7 - Cette sorte de culotte, toujours portée dans les cérémonies, tant par les hommes que par les femmes, s'appelle chong kraben (โจงกระเบน), une pièce d'étoffe dont un pan est relevé entre les jambes.

ImageChong kraben. 

8 - Ici s'intercale une illustration que nous reproduisons ci-dessous :

ImageFemme siamoise avec son enfant. 

9 - On pense ici aux bras peints (ken laï : แขนลาย), les bourreaux siamois souvent évoqués dans les relations, ainsi appelés parce leurs bras scarifiés avaient été recouverts de poudre à canon, ce qui, en cicatrisant, leur donnait une couleur bleue mate. 

10 - Charles de Sainte-Maure, duc de Montausier (1610-1690), gentilhomme et militaire français. Il fut le gouverneur du Grand Dauphin, fils de Louis XIV (Wikipédia).

ImageCharles de Sainte-Maure, duc de Montausier. 

11 - Les poupées outrageusement colorées vendues dans les anciennes galeries du Palais de justice de Paris. Par extension, l'expression désignait une femme au visage rouge et luisant. 

12 - Les Mingréliens sont un sous-groupe ethnique des Géorgiens qui vivent majoritairement en Samegrelo (ou Mingrélie), région de la Géorgie (Wikipédia). 

13 - Voir chapitre précédent : Comment ils noircissent leurs dents

14 - Ces ongles longs, faits en métal doré, se portent notamment dans les danses classiques du nord de la Thaïlande (fon lep : ฟ้อนเล็บ).

ImageFon lep, danse traditionnelle thaïe.
ImageDanse traditionnelle thaïe. 
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18 mai 2020